Si le 70ème
anniversaire de la libération d’Auschwitz nous rappelle ce qu’a été l’horreur
des camps d’extermination nazis, il ne doit pas nous faire oublier la
participation du gouvernement de Vichy dans la Shoah, complicité que certains
tentent encore aujourd’hui d’atténuer par de macabres distinctions entre juifs
français et juifs étrangers. Il serait tout aussi regrettable de passer sous
silence les conditions du retour de ces déportés en France, le sentiment de
culpabilité, voire de honte, éprouvé par la majorité de ces rescapés des camps
de la mort. D’oublier la solitude de ceux qui ont vu tous leurs proches exécutés
par les nazis, leur détresse morale et psychologique. Beaucoup furent
incapables, parfois pendant des années, de témoigner sur ce qu’ils avaient vécu.
Marie-Anne Rabu est la première déportée politique à être rentrée à Rennes.
Elle avait été arrêtée le 8 avril 1943 à son domicile, rue Victor Hugo.
Emprisonnée à Jacques Cartier, puis à Fresnes, elle sera transférée à la prison
de Darmstadt. C’est là qu’elle sera libérée par les Américains, le 25 mars
1945. Interrogée par un journaliste à son retour sur ce qu’elle avait vécu,
elle n’a pas souhaité s’exprimer.
Les prochaines commémorations de
la libération des autres camps de concentration devraient également être
l’occasion d’évoquer le dénuement dans lequel se sont retrouvées ces veuves de
résistants, déportés ou morts au combat, se retrouvant seules, avec de jeunes
enfants à charge. Lorsque Andrée Gallais et sa fille Huguette, qui ont survécu
aux camps nazis, rentrèrent à Fougères le 2 mai 1945, elles étaient totalement
démunies. La rue de la Pinterie, où elles habitaient, ayant été détruite par
les bombardements. Á cet égard, il faut signaler le dévouement et le travail
inlassable de Charles Foulon, alors secrétaire du Comité Départemental de la
Libération. Durant toute sa mission, il n’a eu de cesse d’intervenir en faveur
de ses femmes auprès de ses nombreuses relations, Tanguy-Prigent notamment,
ministre de l’agriculture. Il fallait leur trouver un travail, dans
l’administration ou la manufacture des tabacs de Morlaix par exemple.
Quant au sort des rares rescapés
juifs revenus à Rennes, il n’était guère plus enviable. Spoliés de leurs biens,
leurs propriétés le plus souvent « aryanisées », ils devront
affronter une administration pas toujours compréhensive pour faire valoir leurs
droits. Prenons l’exemple de Jacques Katz, juif d’origine polonaise, directeur
de l’école Pigier. Le 5 janvier 1943, Raymond du Perron de Maurin, délégué
régional du Commissariat aux questions juives pour la Bretagne, accompagné d’un
soldat allemand, se présente à son domicile au 13, rue des Dames. Dénoncé pour
propagande anti-allemande, il est aussitôt emmené à la prison Jacques Cartier,
puis transféré à Compiègne dix jours plus tard. Le 11 février 1943, Katz fait
partie des 998 déportés du convoi n° 47 à destination d’Auschwitz-Birkenau. Il
est ensuite dirigé sur Buchenwald. D’après un rapport, consulté aux Archives
départementales d’Ille-et-Vilaine, Katz participe au soulèvement de Varsovie du
mois d’août 1944, sans plus de précision. Alors qu’il combat dans les forces
polonaises, il est fait prisonnier puis à nouveau déporté au camp de
Mauthausen, où il sera libéré par les Américains le 5 mai 1945. De retour à
Rennes, voulant faire valoir ses droits, le Ministère des Anciens Combattants
et Victimes de Guerre diligente une enquête pour déterminer si Katz avait droit
au titre de « déporté » ou « d’interné résistant ou
politique ». La nuance est de taille en effet. Un déporté au titre de
résistant « Combattant volontaire », relève du régime des pensions
militaires, alors qu’un déporté politique « Victime de persécutions
raciales » relève du régime civil des pensions des victimes de guerre.
Sachant qu’un juif d’origine étrangère doit en plus justifier de sa nationalité
française, que Katz a heureusement acquise en 1934. Après avoir rappelé que son
arrestation « Aurait reposé sur le double motif : origine israélite et
propagande anti-allemande », le rapport de police, rédigé en 1952,
privilégie l’action résistante : « Compiègne était la destination des
internés politiques », mais occulte la déportation à Auschwitz. Comme le
soulignent Claude Toczé et Annie Lambert dans leur ouvrage Les Juifs en Bretagne : « La nécessité de choisir entre les
deux motifs d’arrestation justifiait-elle d’effacer l’histoire personnelle de
Jacques Katz de celle de la Shoah ? » Il serait bien illusoire de
croire que les vieux démons de l’antisémitisme ne ressurgiraient plus après une
telle tragédie. Au même moment en effet, le 19 avril 1945, un jeune interprète
de la Feldgendarmerie de Rennes comparait devant la Cour de justice de Rennes.
Juif d’origine allemande, dont la famille a fui les persécutions nazies en
1933, il est décrit comme particulièrement intelligent et parle couramment les
deux langues. Le journaliste présent à l’audience écrit : « La guerre
éclate. Il a 28 ans. Apatride mais juif, il trouve dans les subtilités d’esprit
de sa race le moyen d’échapper au camp de concentration. C’est de se mettre au
service de ses persécuteurs comme interprète. Muni de faux papiers au nom de
Jean Roche, il se fait passer pour français. » C’est article est paru dans
le quotidien La Voix de l’Ouest, issu
de la Résistance.