mercredi 28 janvier 2015

Là-bas où le destin de notre siècle saigne


Si le 70ème anniversaire de la libération d’Auschwitz nous rappelle ce qu’a été l’horreur des camps d’extermination nazis, il ne doit pas nous faire oublier la participation du gouvernement de Vichy dans la Shoah, complicité que certains tentent encore aujourd’hui d’atténuer par de macabres distinctions entre juifs français et juifs étrangers. Il serait tout aussi regrettable de passer sous silence les conditions du retour de ces déportés en France, le sentiment de culpabilité, voire de honte, éprouvé par la majorité de ces rescapés des camps de la mort. D’oublier la solitude de ceux qui ont vu tous leurs proches exécutés par les nazis, leur détresse morale et psychologique. Beaucoup furent incapables, parfois pendant des années, de témoigner sur ce qu’ils avaient vécu. Marie-Anne Rabu est la première déportée politique à être rentrée à Rennes. Elle avait été arrêtée le 8 avril 1943 à son domicile, rue Victor Hugo. Emprisonnée à Jacques Cartier, puis à Fresnes, elle sera transférée à la prison de Darmstadt. C’est là qu’elle sera libérée par les Américains, le 25 mars 1945. Interrogée par un journaliste à son retour sur ce qu’elle avait vécu, elle n’a pas souhaité s’exprimer.
Les prochaines commémorations de la libération des autres camps de concentration devraient également être l’occasion d’évoquer le dénuement dans lequel se sont retrouvées ces veuves de résistants, déportés ou morts au combat, se retrouvant seules, avec de jeunes enfants à charge. Lorsque Andrée Gallais et sa fille Huguette, qui ont survécu aux camps nazis, rentrèrent à Fougères le 2 mai 1945, elles étaient totalement démunies. La rue de la Pinterie, où elles habitaient, ayant été détruite par les bombardements. Á cet égard, il faut signaler le dévouement et le travail inlassable de Charles Foulon, alors secrétaire du Comité Départemental de la Libération. Durant toute sa mission, il n’a eu de cesse d’intervenir en faveur de ses femmes auprès de ses nombreuses relations, Tanguy-Prigent notamment, ministre de l’agriculture. Il fallait leur trouver un travail, dans l’administration ou la manufacture des tabacs de Morlaix par exemple.
Quant au sort des rares rescapés juifs revenus à Rennes, il n’était guère plus enviable. Spoliés de leurs biens, leurs propriétés le plus souvent « aryanisées », ils devront affronter une administration pas toujours compréhensive pour faire valoir leurs droits. Prenons l’exemple de Jacques Katz, juif d’origine polonaise, directeur de l’école Pigier. Le 5 janvier 1943, Raymond du Perron de Maurin, délégué régional du Commissariat aux questions juives pour la Bretagne, accompagné d’un soldat allemand, se présente à son domicile au 13, rue des Dames. Dénoncé pour propagande anti-allemande, il est aussitôt emmené à la prison Jacques Cartier, puis transféré à Compiègne dix jours plus tard. Le 11 février 1943, Katz fait partie des 998 déportés du convoi n° 47 à destination d’Auschwitz-Birkenau. Il est ensuite dirigé sur Buchenwald. D’après un rapport, consulté aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, Katz participe au soulèvement de Varsovie du mois d’août 1944, sans plus de précision. Alors qu’il combat dans les forces polonaises, il est fait prisonnier puis à nouveau déporté au camp de Mauthausen, où il sera libéré par les Américains le 5 mai 1945. De retour à Rennes, voulant faire valoir ses droits, le Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre diligente une enquête pour déterminer si Katz avait droit au titre de « déporté » ou « d’interné résistant ou politique ». La nuance est de taille en effet. Un déporté au titre de résistant « Combattant volontaire », relève du régime des pensions militaires, alors qu’un déporté politique « Victime de persécutions raciales » relève du régime civil des pensions des victimes de guerre. Sachant qu’un juif d’origine étrangère doit en plus justifier de sa nationalité française, que Katz a heureusement acquise en 1934. Après avoir rappelé que son arrestation « Aurait reposé sur le double motif : origine israélite et propagande anti-allemande », le rapport de police, rédigé en 1952, privilégie l’action résistante : « Compiègne était la destination des internés politiques », mais occulte la déportation à Auschwitz. Comme le soulignent Claude Toczé et Annie Lambert dans leur ouvrage Les Juifs en Bretagne : « La nécessité de choisir entre les deux motifs d’arrestation justifiait-elle d’effacer l’histoire personnelle de Jacques Katz de celle de la Shoah ? » Il serait bien illusoire de croire que les vieux démons de l’antisémitisme ne ressurgiraient plus après une telle tragédie. Au même moment en effet, le 19 avril 1945, un jeune interprète de la Feldgendarmerie de Rennes comparait devant la Cour de justice de Rennes. Juif d’origine allemande, dont la famille a fui les persécutions nazies en 1933, il est décrit comme particulièrement intelligent et parle couramment les deux langues. Le journaliste présent à l’audience écrit : « La guerre éclate. Il a 28 ans. Apatride mais juif, il trouve dans les subtilités d’esprit de sa race le moyen d’échapper au camp de concentration. C’est de se mettre au service de ses persécuteurs comme interprète. Muni de faux papiers au nom de Jean Roche, il se fait passer pour français. » C’est article est paru dans le quotidien La Voix de l’Ouest, issu de la Résistance.