samedi 2 décembre 2023
Quiquengroigne ou les gardiens de la Constitution
lundi 9 octobre 2023
Louis Feutren, et sa pédagogie inspirée du Bezen Perrot
Plusieurs journaux se sont fait l'écho d'un étonnant article, paru le 3 octobre dans le quotidien The Guardian, où l'on découvre un professeur d'origine bretonne qui n'avait visiblement pas fait ses armes dans la pédagogie Montessori. Accusé de châtiments corporels sur des collégiens irlandais, l'affaire va prendre un tour particulier lorsque l'on apprend par le journaliste Uri Goni, lui-même son ancien élève, que cet enseignant n'était autre que le "séparatiste breton" Louis Feutren, alias "Le Maître" au Bezen Perrot, "They said he wasn't really a Nazi but a Breton separatist," said Goni. "My reaction was, yes, but many Breton separatists didn't join the SS." Uri Goni ne citant pas ses sources et Feutren n'ayant pas été interrogé puisqu'en fuite en Allemagne puis condamné à mort par contumace, c'est à partir des interrogatoires de ses camarades du Bezen qu'il a été possible de se faire une idée de ce personnage.
Tout d'abord, j'ai été surpris par cette affirmation "Le Bezen Perrot, qui traquait les Juifs et les résistants français" et qui figure dans tous les articles des journaux français. Si c'est exact pour les résistants, je n'ai pas connaissance d'une participation de membres du Bezen à une rafle contre les Juifs. Après les grandes rafles de 1942, au même moment que celle du Vel' d'Hiv, il ne reste plus beaucoup de juifs en Bretagne. La dernière grande rafle a eu lieu en janvier 1944. Cependant, lors de son interrogatoire, le jeune Armel Guillo "Jégou", qui n'avait que 17 ans lorsqu'il s'est engagé au Bezen, reconnaît avoir participé au mois de janvier, avec deux autres camarades, Morvan et Chérel, sous la direction d'un policier allemand en civil, à l'arrestation "d'une vieille dame juive sur les quais de la Vilaine" à Rennes. De plus en plus dégouté, Guillo avait écrit à ses parents pour le sortir de "cette sale affaire".
Le Trégorrois Louis Feutren "Le Maître", né en 1922 à Pleubian, était étudiant en droit. Jacques Malrieu "Héric", l'avait rencontré à Rennes en février 1943, il était alors hébergé chez Célestin Lainé et faisait partie de son Service Spécial (SS). Lors d'un entrainement organisé du 1er au 13 août 1943, d'après l'interrogatoire de Louis Guervenou "Docteur", "Marche vers le point de rassemblement, abbaye de Boquen. Liaison assurée par des cyclistes pendant la marche d'approche. Repos jusqu'à minuit. Ensuite marche d'approche du château de la famille du Guerny (1). Des chiens avaient été placés dans le château pour voir s'ils n'éventeraient pas la présence des exécutants. La manœuvre réussit. A 8 heures, dans le parc, remise des brevets (kentour) en présence de la famille du Guerny et de deux sous-officiers allemands du SD (Grimm et ?) qui étaient les hôtes de la famille du Guerny. Assistaient à l'opération : Célestin Lainé, son frère commandant Lainé, Chanteau "Mabinog", Feutren, Heussaf "Professeur", Bourhis "Guével".
Malrieu retrouve donc Feutren au Bezen en décembre 1943 "dont il était l'un des organisateurs. Lainé comptait l'envoyer en Allemagne pour faire une étude comparée des religions celtiques et germaniques. Le projet tomba à l'eau. Feutren était chargé de la surveillance du cantonnement Bd de Sévigné. Très germanophile, il admirait Lainé." D'après Christian Guyonvarc'h "Cadoudal" : "Il était vaniteux et assez sot. Mal vu de ses camarades, c'était le chien du quartier. Il répétait servilement les théories politiques de Lainé. Avec Jacques de Quélen il avait menacé Chevalier à Saint-Brieuc, qui avait déserté, de le faire arrêter par la police allemande s'il ne rejoignait pas immédiatement le Bezen. Il sera arrêté deux jours plus tard."
Le 10 janvier 1944, Feutren est interpellé en gare de Caulnes par deux gendarmes. Invité à décliner son identité, il se met au garde à vous et leur déclare : "Vous avez affaire à un policier allemand", et de l'index leur montre la route en disant : "Filez !". Nullement impressionnés, nos deux pandores insistent. Feutren demande alors s'il y a des troupes allemandes dans la région. Les gendarmes l'emmènent alors au château du Verger à Caulnes. En entrant dans le château, Feutren crie en levant le bras : "Heil Hitler!". Il parlemente alors en allemand avec l'officier de présence. Un coup de fil à Rennes confirme qu'il s'agissait d'un policier bien connu du SD. Comme les gendarmes avaient relevé son identité sur une feuille, Feutren exige devant l'officier allemand qu'ils lui remettent ce papier. Puis à son tour, il exige des gendarmes qu'ils lui donnent leurs papiers et relève les noms et adresses !
Feutren ne s'occupait pas seulement de tâches administratives puisque le 7 juillet 1944, on le retrouve au côté d'Ange Péresse "Cocal" avec trois groupes du Bezen, le Groupe d'Action du PPF et une centaine de miliciens, sous la direction du SD, lors d'une opération contre le maquis de Broualan, petite commune du nord de l'Ille-et-Vilaine. Après des tortures d'une rare violence, laissant quatre cadavres sur place, le convoi de prisonniers s'arrête sur le chemin du retour dans une carrière de Saint-Rémy-du-Plain où huit résistants et un aviateur américain sont à nouveau exécutés. Le Bezen ayant quitté Rennes, le 4 août 1944, Feutren est à nouveau signalé lors d'une opération menée contre un maquis dans la région de Châlons-sur-Marne. Puis c'est le repli sur l'Allemagne et l'exil pour ce qui reste du Bezen, une trentaine d'hommes, les plus compromis avec l'occupant, tous condamnés à mort par contumace.
(1) Jeanne Coroller "Danio", épouse du Guerny, atrocement assassinée dans la forêt de la Hardouinais par ce qu'il y avait malheureusement de moins recommandable dans la Résistance.
lundi 11 septembre 2023
Ar Seiz Breur : à propos de René-Yves Creston
- 17 octobre 1945. Audition de Creston par la gendarmerie de Janzé.
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1941, livre d'or du restaurant La Chope, Rennes |
De mon passage à l'Institut Celtique j'ai recueilli une somme de renseignements qui m'ont permis, seul, puis avec le concours de Mrs ; Gaston Sébilleau, Gérault, Geistdorfer, Le Guen artisan à Dinan, Eveillard artisan à Montfort et membre du CDL 35 de saboter et faire échouer l'organisation montée par le PNB et destinée à faire collaborer sous menace de saisie et de déportation les artisans bretons à la fabrication de meubles pour les sinistrés allemands.
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Photo extraite du livre La patrie interdite de Yann Fouéré |
J'ajoute que le membre en question (...) voulu se venger. Ayant confiance en lui je lui avais donné les raisons de mon arrestation. A la suite d'un congrès de l'Institut Celtique à Dinan puis à Redon, des indiscrétions de la petite organisation que nous avions montée me firent repérer ainsi que Sébilleau et M. Barc, juge à Redon. Notre adversaire fit répéter par sa maîtresse à un collabo notoire les confidences que je lui avais faites. Ces bruits vinrent aux oreilles des allemands et nous échappions de justesse au danger. Mon accusateur dit que je me disait communiste, il semble en douter. J'ai fait partie du Parti Communiste depuis 1936, cellule Vandamme (14e). J'ai contribué à l'organisation des Bretons émancipés dont le président est mon ami Cachin. Mon accusateur me prend pour un séparatiste antifrançais. C'est une légende. Je me suis toujours occupé de ce qu'on appelle le Mouvement breton (...) mais j'ai toujours maintenu mes idées de gauche. Je n'ai jamais voulu me mêler ces dernières années surtout (depuis 1932) au mouvement à tendance fasciste de Mordrel.
dimanche 3 septembre 2023
4 septembre 1943 : un crêpe pour Yann Bricler
Ce samedi 4 septembre 1943, deux jeunes gens à bicyclette se présentent dans l'après-midi aux "Crêperies de Locmaria", à Quimper, et demandent a acheter des crêpes au détail. Il leur est répondu que la maison ne faisait que des expéditions en gros, mais qu'ils peuvent s'adresser au directeur M. Bricler dont les bureaux se trouvent au 22, rue du Parc. Vers 18 H, les deux jeunes, l'un blond, l'autre brun, montèrent les trois étages de l'immeuble de la rue du Parc et pénètrent dans le bureau du personnel et demandent à être introduit dans le bureau de Bricler. Quelques secondes plus tard, les employés perçoivent un bruit "semblable à celui d'une vitre qui se brise", puis le choc d'un corps qui s'affaisse. Aussitôt, les deux jeunes reparaissent dans le bureau du personnel affolé, qu'ils tiennent en respect avec leurs revolvers, puis redescendent les trois étages et enfourchent leurs bicyclettes avant qu'un coup de téléphone ne donne l'alerte au commissariat de police. Arrivé aussitôt sur les lieux, le médecin découvre le corps de Bricler gisant dans une marre de sang. Il avait été atteint de deux balles, l'une en plein front, l'autre un peu au dessus de l'oreille gauche. La mort a été instantanée.
La victime n'est pas une inconnue à Quimper. Né en 1901 à Montfort-sur-Meu (35), licencié en droit, ingénieur en aéronautique, ingénieur frigoriste, Yann Bricler s'est fait une belle situation en devenant directeur des réputées "Crêperies de Locmaria". Mais surtout, il n'a jamais caché ses convictions bretonnes. "Mais il serait injuste de ne pas citer un Yann Bricler, qui fut au premier rang des sacrifices et du combat à compter du premier jour, un Sohier, un Drezen, un Eliès ou un Léon Millardet qui furent des premiers à se joindre à nous, et tant de militants obscurs, sans lesquels Breiz Atao n'aurait jamais été une réalité populaire", écrira plus tard son cousin Olier Mordrel (1).
Un assassinat lourd de conséquences
Dès la nouvelle de l'assassinat connue, c'est la consternation et l'inquiétude au sein du PNB. L'Heure Bretonne du 12 septembre titre "Un patriote breton assassiné à Quimper" et rappelle les circonstances du meurtre. Prenant prudemment ses distances, le journal précise toutefois "Quoique Yann Bricler ne jouât plus aucun rôle au sein du PNB dont il ne partageait pas l'actuelle tendance, il, demeurait une des notabilités du Mouvement breton." Les obsèques sont particulièrement suivies par les RG : "Note de synthèse du 13 septembre 1943. Obsèques de Bricler : Olivier Mordrelle, ancien chef du PNB et cousin de Bricler était présent, ainsi que M. Pichery, venu de Rennes pour représenter le parti. On a remarqué l'absence de Delaporte, chef du PNB. Selon des informations, le poste de radio clandestin Honneur et Patrie (émissions en français de Radio Londres) aurait diffusé la nouvelle de l'assassinat de Bricler et annoncé le même sort à Le Berre, chef de quimper, et à Le Bec, chef de canton. "La radio de Londres, peu de jours après, avait donné comme motif à "l'exécution" une lettre de la victime contenant une liste de noms de résistants, qui avait été interceptée à la poste. Je savais de quoi il s'agissait, puisque c'était moi le destinataire de la lettre. Mon cousin, en effet, avait dressé la liste de nos ennemis dans la région et, comme j'avais longtemps habité Quimper, il me l'avait adressée pour ma gouverne. Il venait de payer cette lettre de sa vie." écrira Mordrel. (3)
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La Dépêche de Brest 6 septembre 1943 |
D'après une note des RG, "Les militants du Finistère ne cachent pas à leurs intimes qu'ils ne seraient pas fâchés de se débarrasser de tous leurs membres suspects aux yeux du public d'avoir poussé un peu trop loin l'esprit de collaboration. Ils admettent qu'il est possible que Bricler ait fourni à la police allemande des renseignements qui dépassaient de beaucoup ceux auxquels ils étaient astreints par les bons rapports du parti avec les dirigeants allemands." Pour les cadres du parti, il ne fait aucun doute que cet assassinat n'est qu'un premier coup de semonce. A propos de Bricler, Yves Le Diberder, journaliste à La Bretagne, écrit à Yann Fouéré : "Bien moins coupable que Mordrel ou Debauvais ou même cet illuminé de Guieysse. Il est bien probable que si ces trois hommes avaient aussi habité Quimper ils y auraient passé. Et il nous faut trembler désormais pour d'autres Quimpérois comme Le Guellec, Lannuzel, Marc Le Berre et Le Bec." Le Diberder ne pouvait mieux prophétiser. Le 21 septembre, les RG signalent une tentative d'attentat contre Jean Le Meur, ami de Bricler, architecte et chef de la section de Concarneau : "Il a quitté son domicile pour une adresse inconnue suite à des menaces". Le 28 suivant, c'est le militants Yves Kerhoas qui est à nouveau agressé au bourg de Spézet "par six individus appartenant à la bande réfractaires du bois de Queinnec." Il sera finalement abattu le 16 novembre à Plonévez-du-Faou. Lors d'une émission du 25 octobre, Honneur et Patrie aurait pris à partie plusieurs personnalités de la Collaboration, dont deux membres du PNB de Quimper. Le 20 décembre, la radio anglaise récidive en signalant deux autres militants du PNB de Quimper, dont l'un a la réputation de faire du marché noir avec l'occupant. Gabriel Poquet, un jeune résistant quimpérois du groupe "Vengeance", qu'il trahira en intégrant le Kommando de Landerneau après avoir été par arrêté par les Allemands, déclare lors de son interrogatoire "avoir fait partie du corps-franc chargé de descendre Le M. domicilié à Quimper, dont les attaches avec les Allemands n'étaient pas inconnues." Lors de son interrogatoire du 15 novembre 1944, André Geffroy, de Locquirec, membre du PNB et redoutable agent des allemands du Kommando de Landerneau, déclare à propos de Bricler : "Après sa mort, j'ai eu l'occasion de parler de lui à Célestin Lainé qui me fit savoir que probablement il avait fourni des renseignements à un interprète de la Kommandantur de Quimper, qui était d'origine alsacienne. Celui-ci serait parti en Angleterre et aurait dévoilé le travail de Bricler. Il ajouta même qu'on connaissait l'assassin qui devait être un jeune homme de Scaër." A moins qu'il ne s'agisse plutôt de cet homme, cité par le prisonnier de guerre Georg Roëder, ancien chef du SD de Brest, lors de son interrogatoire du 13 juin 1947 : "Au SD de Quimper, j'ai bien connu l'interprète Schwartz Hans. Il était instituteur à Herbstein dans la Hesse. Il était en captivité en Belgique en 1945. Il n'était pas au parti nazi et ne s'entendait pas du tout avec Fenske (chef du SD de Quimper). Il travailla même en faveur des Français."
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Réunion du SD à Quimper : Huenebeck, Baumann, Fenske, Guenther, Wenzel, Wisberg |
Autre conséquence tragique du contenu de ce coffre, cette copie d'un courrier de Bricler informant Mme Chassin du Guerny, plus connue des nationalistes bretons sous son pseudonyme de Danio (Jeanne Coroller), qu'Henri Waquet, archiviste du Finistère et résistant, a passé deux mois en prison "pour activités gaullistes (...) il aurait même participé à l'organisation de départs vers l'Angleterre." Bricler espère toutefois "que cet homme très anti-breton commencera à comprendre qu'il n'a qu'à se faire oublier." Dans sa réponse, Mme du Guerny termine sa lettre "en espérant que bientôt pour un indésirable, la prison sera remplacée par un exil définitif." L'issue sera également définitive pour Mme du Guerny, enlevée par la Résistance le 12 juillet 1944 avec ses amis et voisins M. et Mme Le Mintier de la Motte Basse, puis emmenée dans la forêt de la Hardouinaye pour y être "jugés", avant d'être exécutés. Les responsables de ce simulacre de justice font partie de la bande à "Mimile". Cette équipe, qui "épurait" en marge de la Résistance dans la région de Loudéac, sera réputée pour avoir tué plus de Français que de soldats allemands. Ayant à répondre de ses actes, "Mimile" sera incarcéré à Saint-Brieuc le 10 août 1944. L'affaire fera grand bruit à l'époque puisque "Mimile" va s'évader sans grande difficulté avant son jugement.
Le début de la fin
Quatre-vingt ans plus tard, alors que l'histoire n'a retenu que l'assassinat de l'abbé Perrot, le 12 décembre 1943, et la création du Bezen éponyme, c'est oublier que la décision de créer un groupe armé chargé de protéger les membres du PNB menacés par la Résistance n'est que la conséquence directe de l'assassinat de Yann Bricler, qui est une date majeure dans l'histoire du Mouvement breton sous l'Occupation. Rongeant son frein depuis trop longtemps, Célestin Lainé n'est pas long à comprendre qu'avec l'assassinat de Bricler, l'heure n'est plus aux camps de jeunesse des Bagadoù Stourm. La gravité de la situation nécessite désormais de disposer d'un groupe de protection armé pour protéger les membres du PNB menacés par la Résistance, quitte à participer au besoin avec les Allemands aux opérations de répression. "L'assassinat de Bricler faisant suite à toutes sortes de menaces contre les Breiz Atao rendait urgent la défense efficace du mouvement national. Par contre-coup, il fournissait l'élan pour transformer le "Service Spécial" en unité de combat. Cette unité, appelée Bezen, fût formée à l'époque ou l'abbé Perrot devait tomber au Champ d'Honneur breton. Pour être exact, le Bezen fut créé en novembre 1943." (6) Ce n'est qu'à leur retour à Rennes des obsèques de l'abbé Perrot, où s'étaient rendus Lainé et Jasson, que le nom de l'abbé Perrot, à qui on n'avait évidemment pas demandé son avis, que son nom fût adopté à l'unanimité : le Bezen Perrot était né. Commençait une brève (dix mois) et sanglante histoire qui devait entacher longtemps l'ensemble du Mouvement breton, toutes tendances confondues.
samedi 29 juillet 2023
Mathieu Donnart, exécuté le samedi 29 juillet 1944 avec trois parachutistes SAS et cinq résistants.
Le 26 juin 1944, la major Cary-Elwes a réussi à établir le contact avec le commandant des SAS, le colonel Bourgoin, qui est toujours au village de La Foliette, en Sérent (56). Cary-Elwes fait part au commandant des nouvelles instructions de McLeod, dont l'enthousiasme du 10 juin s'est sérieusement émoussé. Il n'est plus question de soulèvement. Trois semaines après le Débarquement, la situation n'est pas brillante. Les Britanniques du général Montgomery n'arrivent toujours pas à reprendre la ville de Caen, tandis que les G I du général Bradley piétinent dans le Cotentin. En conséquence, tirant les leçons des échecs des bases de Samwest et de Dingson, McLeod enjoint aux SAS de poursuivre l'instruction et l'armement des résistants en évitant une insurrection précoce, dont l'issue pourrait être dramatique. Les maquis devront rester dispersés pour ne pas renouveler la bataille rangée de Saint-Marcel, tout en continuant leurs actions de sabotage et de harcèlement. Pour l'instant, force est de constater que le harcèlement est plutôt le fait des Allemands, obligeant les parachutistes à se terrer comme des bêtes traquées. Le lendemain 27 juin, toujours à La Foliette, se tient une réunion de travail entre Bourgoin et le capitaine Marienne, arrivé dans la nuit de son QG de Guéhenno. Ce même jour, le colonel Mathieu Donnart, alias Poussin, chef des FFI du Finistère, vient aussi voir Bourgoin. Il est accompagné du lieutenant de gendarmerie de Quimperlé Jean-Louis Jamet, dont la voiture est conduite par le gendarme Pierre Mourisset. A bord du véhicule, ont également pris place Claude Sendral, alias Huissier, ancien adjoint de Paysant au BOA (Bureau des opérations aériennes), l'opérateur-radio François Loscun et le jeune mécanicien René Philippeau. Ceux-ci informent Bourgoin qu'ils n'ont jamais pu établir de contact avec Londres. Par chance, Jourdren, qui était resté au château de Callac après le retrait du camp de Saint-Marcel, sur ordre de Paysant, est présent à la réunion. Il est donc décidé qu'il repartira avec le groupe en emportant le précieux matériel radio. Jeanne Bohec, alias Micheline, devra les rejoindre plus tard. La réunion terminée, douze hommes prennent la route pour le Finistère dans deux voitures de la gendarmerie, en évitant la traversée d'Hennebont. Dans la première voiture, conduite par Jean Garin, adjoint de Le Port, a pris place une équipe du BOA du Morbihan. Lorsqu'il arrive au village de Saint-Trémeur, en Bubry, Garin doit s'arrêter devant un barrage de feldgendarmes, qui laissent passer la voiture. Quelques instants plus tard, la seconde voiture, où ont pris place sept hommes, se présente à son tour devant le barrage. Cette fois-ci, les feldgendarmes ont des doutes et font descendre tout le monde du véhicule, dans lequel ils découvrent des armes et le poste émetteur. Tout à fait par hasard, les Allemands viennent de réaliser un beau coup de filet. Les sept résistants sont aussitôt emmenés à Pontivy pour y être confiés au SD et torturés sans répit. N'en pouvant plus, Mathieu Donnart tentera même de se suicider en se tranchant les veines du poignet, mais ses compagnons de cellule s'en aperçoivent et Paysant lui bande sa blessure comme il peut. (1)
Le samedi 29 juillet 1944, quittant Pontivy à 6 h du matin, Maurice Zeller, que l'on ne présente plus, fait partie d'un peloton pour une exécution qui doit avoir lieu sous les murs d'une ferme située au Rodu, en Pluméliau, sur la route de Baud à Pontivy. "A cette occasion, nous avions touché chacun un uniforme allemand, un casque et une mitraillette Sten. En cours de route, nous étions suivis par une camionnette transportant les neufs condamnés ainsi que par une autre voiture avec Fischer et Pierre Lyon. Dès mon arrivée sur les lieux, Fischer vint vers moi et, me donnant sa carabine américaine en échange de ma mitraillette, il me pria d'aller sur la route à une cinquantaine de mètres afin d'effectuer un barrage en compagnie d'un soldat allemand. A l'issue des exécutions, les neufs corps des condamnés ont été laissés sur place et nous sommes rentrés à Pontivy." (2)
C'est la dernière exécution collective comportant des parachutistes SAS. Ils sont trois : Jacques Brouiller, qui avait été fait prisonnier le 15 juillet dans des circonstances non élucidées, Charles Flament, capturé à Kerihuel, et le sous-lieutenant Georges Willard, dont le groupe avait été cerné et attaqué au village du Resto en Bignan, le 20 juillet. Les six autres résistants fusillés sont : Mathieu Donnart Poussin, Jean-Louis Jamet, lieutenant de gendarmerie de Quimperlé, François Loscun et René Philippeau, arrêtés à Bubry le 27 juin. Quant à François Le Mouée et Gustave Cléro, ils avaient été arrêtés le 14 juillet par l'équipe de Zeller lors de la recherche des dépôts d'armes après la chute du camp de Saint-Marcel. (3)
1 - Hamon Kristian, "Chez nous il n'y a que des morts" Les parachutistes de la France Libre en Bretagne -été 1944, Skol Vreizh, 2021, p. 209-210.
2 - Le juge d'instruction n'avait pas l'air d'être très convaincu par les explications de Zeller.
3 - Hamon Kristian, op. cit., p. 308.
lundi 17 juillet 2023
Plœuc-L’Hermitage : à propos de la profanation du monument de la Butte Rouge
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Officier américain enquêtant sur les crimes de guerre |
500 m environ du village, ce qu'il croyait être l'emplacement de 10 fosses susceptibles de contenir plusieurs cadavres chacune. Nous avons fait creuser un des emplacements désignés et mis à jour à 60 cm de profondeur, une partie des corps humains, habillés, sans cercueil." Avant d'aller plus loin dans leurs investigations, les gendarmes alertent les autorités : "Le 30 octobre 1944, à 10 heures, nous avons assisté à l'exhumation de 28 cadavres dont 24 hommes et 4 femmes. Cette exhumation a eu lieu en présence de M.le Maire de L'Hermitage, du docteur Le Jeune, médecin légiste, de M. le Procureur de la République et de différentes personnalités civiles et militaires. D'après M. Le Jeune, la plupart des dix premières victimes auraient été pendues. Les autres auraient été tuées d'une balle dans la nuque. Toutes, sauf les femmes, avaient les mains liées par un fil de cuivre muni d'un isolant." Six corps ayant été exhumés les jours précédents, ce sont donc 34 résistants et résistantes, Mme Gouelibo, ses deux filles et la jeune Mireille Chrisostome, qui ont été exécutés à la Butte Rouge. Ils avaient été amenés là par un camion allemand le 14 juillet, après avoir été longuement interrogés et torturés dans l'école d'Uzel par les SS et un groupe de bretons du Bezen Perrot (1)
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Docteur Le Jeune médecin légiste |
Les noms de ces résistants ont été ajoutés sur le monument de la Motte Rouge, d'où une certaine confusion probablement.
(1) Kristian Hamon, Le Bezen Perrot, 2004, p. 142-143.
samedi 22 avril 2023
La pendue de Gahard
Voilà sept ans maintenant, le 3 mars 2015, dans une communication "Quelques exemples de pendaisons effectuées en Bretagne en 1944", j'évoquais le sort tragique de deux femmes pendues en Ille-et-Vilaine au mois de juillet 1944, quelques jours avant la Libération. Cet article fut consulté à 3627 reprises. Peu de temps après, le 27 juillet 2015, j'évoquais à nouveau le cas, qui eut un fort retentissement dans la presse, des trois femmes pendues à Monterfil le 4 août 1944, quelques jours après la Libération. Cet article fut consulté 3675 fois.
Une fidèle lectrice de ce blog m'a fait part récemment du "martyre d'une femme allemande mariée à une personne du coin", et dont elle a gardé le pénible souvenir. L'affaire se passe à Gahard, une charmante localité située au nord de Rennes, sur la route nationale d'Antrain, qu'empruntèrent les GI de la 4e DB du général Wood, descendant d'Avranches vers Rennes, le 1er août 1944 :
"On a contraint la
population, enfants compris et sous la menace d'armes à défiler devant
elle, ligotée sur une chaise dans le café du village, on nous a
contraints à cracher sur elle. Ensuite, ses bourreaux l'ont fait monter
dans un camion en hurlant et ils sont allés pendre cette femme,
uniquement parce qu'elle était allemande. Les gens autour étaient
révoltés et tous disaient être indignés, Mon Grand-Père avait fabriqué
un poste à galènes pour écouter en cachette (c'était dangereux !) la
voix de la Résistance... L'indignation était générale et pour ceux qui
ont fait couvrir cette femme de crachats, au seul motif qu'elle était
allemande, j'éprouve comme les gens de Gahard ou les réfugiés - dont nous étions -, le plus profond mépris. Ma petite sœur avait 2 ans1/2 au
moment de ce crime, ses souvenirs de cette atrocité correspondaient aux
miens et mon étonnement est grand vu son jeune âge... Cette injustice-là
ne passe pas, ma sœur nous a quittés aujourd'hui.
Ce qui m'étonne,
c'est le silence sur ce crime... Cela s'est passé à Gahard, après la
libération et les Américains qui sont venus dans le village: ils nous
prenaient dans leurs bras dans leurs jeeps et nous donnaient des
chewing-gum que nous prenions pour de petits savons, ces moments heureux
sont gravés mais le crime, l'inhumanité sont gravés plus profond
encore, d'autant plus que nulle trace n'en subsiste, c'était après la
Libération de Gahard en 1944..."
S'il n'est pas possible d'établir formellement un lien entre elles, il est difficile de ne pas faire un rapprochement avec les deux autres affaires évoquées plus haut, au mois de juillet, et qui concernent aussi deux "Alsaciennes", de langue allemande probablement. En effet, à quelques kilomètres à l'ouest de Gahard, sur la commune de Saint-Médard-sur-Ille, une cinquantaine de jeunes FTP tiennent un petit maquis où la discipline est très sévère. Le chef du maquis ayant menacé de la peine de mort tous ceux qui ne la respectent pas. Parmi ces maquisards, l'un d'eux est marié avec une alsacienne qui lui reproche de façon un peu trop véhémente de combattre l'armée allemande dans laquelle servent plusieurs de ses frères incorporés de force. Le maquis attaqué, elle est accusée de les avoir dénoncés aux Allemands et condamnée à mort par le chef du groupe avec, semble-t-il, l'accord du mari. Saisie par deux maquisards le 13 juillet, elle est emmenée sur le lieu de l'exécution où elle doit être pendue. Les choses ne se passent pas comme prévu. La condamnée, découvrant ce qui l'attend, ne se laisse pas faire. Ses hurlements risquant d'attirer l'attention des Allemands cantonnés à proximité, deux maquisards l'étranglent en présence de son mari.
Ce maquis n'étant plus sûr, décision est prise de le transférer en forêt de Haute-Sève, justement située entre la commune de Gahard et Saint-Aubin-du-Cormier (proche du Camp de la Lande d'Ouée, du 11e RAMA). Si les hommes cantonnent en forêt, les femmes logent dans une ferme voisine. Là encore, le chef constate que le maquis est très surveillé, par les Allemands mais aussi par la Milice, arrivée à Rennes et très active dans la région. Deux hommes et une femme sont à nouveau suspectés d'avoir dénoncé le groupe aux Allemands. Ils sont connus pour ravitailler au marché noir les policiers du SD de Rennes. Deux maquisards qui partaient en mission ayant été attaqués par les Allemands à proximité du camp, il ne fait plus aucun doute pour le chef du groupe qu'ils ont été dénoncés par ces deux hommes et cette femme, qui sont ensuite capturés puis condamnés à mort. Le 31 juillet, on retrouvera les corps des deux hommes et de la femme se balançant aux branches des arbres de la forêt.
En 1945, lors du procès au tribunal militaire, le commissaire du gouvernement, dans un réquisitoire très dur à l’égard des accusés, réclame la peine de mort contre le chef du maquis, lieutenant FFI, qui couvre ses hommes, expliquant qu’ils n’ont fait qu’exécuter ses ordres, et les travaux forcés contre les cinq autres. Plusieurs témoins louent la bravoure et le patriotisme de ces jeunes résistants. Après le témoignage d’un colonel de gendarmerie, lui-même résistant, le groupe est finalement acquitté. Quelques années plus tard, une contre-enquête sera effectuée. Elle met en évidence que l’accusation de dénonciation prononcée contre l’Alsacienne ne reposait sur rien de solide. Selon ses voisins, elle était incapable de dénoncer des patriotes. Et si les trois autres trafiquants n’étaient guère fréquentables, rien ne permettait de dire qu’ils étaient des indicateurs.