jeudi 16 mai 2024

Le martyre des prêtres résistants bretons

La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné où gisent, sans honneur, des morts qu'ils ont cessé de chérir.
Marguerite Yourcenar, Les Mémoires d'Hadrien, (Œuvres romanesques, coll. Pléiade, p. 449).

    

    De la déclaration du cardinal Gerlier « Car Pétain, c’est la France et la France, aujourd’hui, c’est Pétain ! », prononcée le 19 novembre 1940 à la primatiale Saint-Jean de Lyon en présence du maréchal, à la si belle messe du cardinal Suhard donnée à Notre-Dame de Paris, toujours avec le maréchal, le 26 avril 1944, ce furent quatre années de compromission entre les évêques et le régime de Vichy. La plupart de ces évêques étant restés fidèles au maréchal et à sa politique de « régénération morale ». N'est-ce pas Mgr Serrand, évêque de Saint-Brieuc, qui exhorta son clergé « Sans arrière-pensée aucune, apportons lui notre concours le plus total et le plus désintéressé » ? En février 1943, dans une note à ses doyens, il exigea l'obéissance du clergé au STO et s'emporta contre les « dissidents ». Si cette image d’un clergé maréchaliste perdure encore largement aujourd’hui, il convient toutefois de la nuancer en faisant une distinction, particulièrement en Bretagne, terre catholique et résistante, entre les représentants du haut clergé et ceux du bas clergé. Nombreux, en effet, furent ces humbles prêtres et fidèles anonymes à s’engager dans la Résistance avec, comme le montrent ces quelques exemples, un sens du sacrifice qui confine à l’héroïsme :

- Maurice Barré, prêtre à Dinan, officier de réserve, est mobilisé en 1939. Fait prisonnier, il s’évade et entre en résistance dès décembre 1940, « Organisation Civile et Militaire » (OCM). Il fournit à Maurice Halna du Fretay tous les renseignements qu’il a pu recueillir sur la présence allemande dans la région de Dinan et Saint-Malo. En 1942, il est agent du réseau « Delbos » puis, en 1943, avec son ami Jules Guéhéneuc, responsable régional du réseau « Centurie » de Dinan à Morlaix sous le pseudonyme « Beaumanoir ». Il participe également à l’évasion d’aviateurs alliés. Se sachant traqué, il doit se réfugier à Dinan dans la clinique de son ami le docteur Legrand qui l’hospitalise et s’oppose à son enlèvement par les Allemands qui l’avaient retrouvé. Mais le médecin allemand qui avait été dépêché pour l’examiner ne se laisse pas convaincre par le diagnostic du docteur Legrand. L’abbé qui aurait eu le temps de fuir avant que la police allemande ne revienne l’arrêter reste sur place et se laisse prendre, sachant que le docteur Legrand aurait été arrêté à sa place. Arrêté le 13 décembre 1943 il subit les interrogatoires sous les coups et la torture avant d’être interné au camp Margueritte à Rennes d’où il est déporté vers l’Allemagne à bord du fameux train de Langeais. Lors de l’attaque aérienne du convoi, le 6 août 1944, il aurait pu en profiter pour s’évader mais il choisit d’assister son camarade Jules Guéhéneuc, blessé par les Allemands alors qu’il tentait de s’enfuir, mais qui meurt dans ses bras. Parti de Rennes le 3 août, veille de la libération de la ville, le long convoi mettra 13 jours pour atteindre Belfort. Le 29 août, via Strasbourg, le train déverse sa cargaison humaine à la gare de Rothau sous les coups de crosse ou de cravaches des SS. « C’est la montée au calvaire qui commence, monsieur l’abbé » lui dit une femme à la sortie du bourg, alors qu’il se trouve en fin de la colonne qui mettra deux heures pour parcourir les 9 km qui mènent au camp de Natzwiller-Struthof. Les SS n’aiment pas les soutanes. Pliant sous les coups, l’abbé s’évanouit dès l’entrée du camp et doit être transporté au ravier. Après un court séjour, les troupes alliées s’approchant de Strasbourg, Maurice Barré est transféré sur le camp de Dachau : lever à 4 heures du matin, appels interminables dans le froid et la neige, les coups, le travail exténuant sans nourriture, les kommandos dans les carrières, etc. En tant que prêtre catholique, l’abbé est logé dans un bloc spécial avec plusieurs autres religieux de nationalités différentes. Là, les SS leur font subir des persécutions les plus raffinées. Sa santé décline, congestion pulmonaire puis typhoïde. L’abbé n’en continue pas moins d’apporter aux mourants les secours de son ministère. Le 29 avril1945, le drapeau blanc flotte sur le camp. L’abbé et deux de ses camarades se faufilent à travers les barbelés électrifiés pour joindre les troupes américaines. « Le premier soldat que je vis était une femme. Une jeune femme en pantalon, blouson, avec casque et … un appareil photographique. Nous lui fîmes visiter l’infirmerie, les blocs 11, 13, 28 où se mouraient des hommes pesant de 40 à 45 kilos, je pesais moi-même 43 kilos ». Maurice Barré ne le savait pas. Cette jeune femme n’était autre que la célèbre photographe Lee Miller.

Pierre Cariou
- Pierre Cariou, vicaire de Douarnenez, est soupçonné depuis longtemps par les Allemands de prendre une part active dans l’organisation des départs clandestins pour l’Angleterre et l’évacuation des aviateurs alliés abattus. J’ai raconté dans l’article précédent le piège que lui avait tendu Maurice Zeller qui voulait faire passer en Angleterre son fils recherché par les Allemands « Il paraissait si sincère, il était si persuasif, que je lui indiquai le nom de M. Salaün, directeur du Likès à Quimper, comme étant susceptible de lui rendre service ». On sait ce qu’il adviendra des deux hommes, arrêtés le 26 avril 1944. C’est le lendemain de son arrestation que l’abbé Cariou rencontre pour la première fois le frère Joseph Salaün, alias « Sup » du réseau « Turma-Vengeance », « Soldat de France et soldat du Christ » à la prison Saint-Charles de Quimper. Les deux hommes sont ensuite conduits à la Kommandantur de Carhaix où interrogatoires et tortures vont se succéder dans les caves pendant une semaine avant le retour à Saint-Charles et le départ pour le camp Margueritte « A Rennes, ce fut la faim, un dur apprentissage et combien humiliant car « Frère âne » (1) proteste d’être maltraité à l’excès ». Puis, au mois de juin, c’est un nouveau transfert au camp de Compiègne, qu’ils atteindront en 13 jours. Compiègne n’était qu’une halte. Le 28 juillet 1944, part le dernier convoi de 1 652 hommes pour Neuengamme, le bagne immonde et son four crématoire qui crache sa fumée jour et nuit. Chapelets, médailles, insignes religieux, tout leur est enlevé. Dénudé, l’abbé Cariou, 34 ans, est reconnu apte à la mine de fer ; le frère Salaün, 48 ans, grand blessé de l’autre guerre, reste sur place. Ils ne se reverront plus. Joseph Salaün décèdera le 17 décembre 1944. Après Neuengamme, l’abbé Cariou est déporté au camp de Dachau « Là-bas c’était l’enfer. Les nazis n’avaient pas besoin de nous exécuter : l’environnement était malsain, la nourriture si inconsistante que la tuberculose et la dysenterie se chargeaient d’emporter les prisonniers ». A son retour du camp, au mois de mai 1945, l’abbé Cariou ne pesait plus que 40 kg.

(1) Allusion à Saint François d’Assise ?

Jean-Baptiste Legeay

- Jean-Baptiste Legeay, frère de l’Instruction chrétienne de Ploërmel, entre en résistance dès 1940 à Nantes. Au mois de septembre, repéré, il est affecté au postulat de Roscoat à Pléhédel (22). Il entre alors en contact avec le réseau « La bande à Sidonie ». Sa mission consiste à surveiller les mouvements de troupes et les installations de l’armée allemande sur la côte. Avec son réseau il héberge les premiers parachutistes alliés tombés en Bretagne pour les évacuer ensuite en Angleterre. C’est ainsi que le 28 décembre 1940, un bombardier de la RAF s’écrase aux environs de Lanvollon. Récupérés, les aviateurs britanniques sont cachés au Roscoat. L’abbé, qui parle parfaitement l’anglais, se charge de leur fournir des faux papiers et les faire passer en zone libre. L’opération sera renouvelée en septembre 1941 avec la chute d’un nouvel appareil sur la grève de Saint-Efflam. Jean Flouriot, un jeune homme de Plourivo, m’a raconté comment, désireux de rejoindre le général de Gaulle en Angleterre, il voulait rencontrer Legeay. Trop tard. Le 13 novembre 1941, alors qu’il se dirige vers le Roscoat, une voisine lui apprend que l’abbé vient d’être arrêté dans l’allée du Roscoat alors qu’il se rendait à la poste de Pléhérel. La filière sera entièrement démantelée. Condamné à la peine de mort « pour espionnage et aide à l’ennemi », l’abbé est interné à la forteresse de Rheinbach en Rhénanie puis décapité à la hache à Cologne le 10 février 1943, à 46 ans, jour de son anniversaire. (1)

(1) « Le délinquant écoute dans un petit hall le jugement suprême par le procureur de l’Etat. L’ecclésiastique donne l’absolution. Le bourreau habillé de noir avec gants blancs lui fixe ensuite les pieds et les mains sur une porte avec des courroies ; et lorsque le procureur de l’Etat brise le bâton en bois représentant la vie, le bourreau appuie sur un bouton semblable à celui d’une sonnette électrique, la porte tombe à la manière d’une bascule et, dans le même moment la hache, d’une dimension de quatre-vingts centimètres de long sur quarante de large, décapite le condamné. La hache est ajustée de telle façon que la vertèbre est tranchée avec une précision qu’on ne peut jamais égaler avec la guillotine. L’exécution dure environ quatre secondes ; le bourreau prend ensuite la tête par les oreilles et la montre au tribunal. Cinq minutes avant l’exécution le délinquant reçoit une piqure qui lui paralyse les cordes vocales. D’ordinaire, ce châtiment exemplaire était réservé à des Allemands traîtres à la « communauté populaire » national-socialiste. Pendant la guerre, il est arrivé qu’on l’appliquât à des prisonniers ou déportés des nations vaincues ».

Armand Vallée. Lieux de mémoire
dans les Côtes-du-Nord

Armand Vallée, surnommé le « prêtre rouge » de Saint-Brieuc, s’engage comme aumônier et brancardier au 271e Régiment d’Infanterie à la déclaration de la guerre. Fait prisonnier, Offlag IV D, il est libéré comme aumônier militaire. Dès son retour, en 1941, il rejoint le mouvement de résistance « Combat Zone Nord ». Tant à Paris qu’à Saint-Brieuc, il organise tout un réseau de renseignements et d’établissement de faux papiers dans les milieux démocrates-chrétiens. Il fait également passer en zone libre des aviateurs alliés. Dénoncé, il est arrêté le 2 février 1942 et interné à la prison de Fresnes. Le 9 juillet suivant il est déporté à la prison de Sarrebruck. Le 15 octobre 1943, il est condamné à 5 ans de travaux forcés. Le 8 novembre 1943 il est transféré au bagne de Sonnenburg, puis le 14 novembre 1944 au camp de Sachsenhausen. Le 13 février 1945, l’abbé Vallée est à nouveau transféré au camp de Mauthausen, où il meurt d’épuisement le 29 mars 1945, à 36 ans, n’ayant jamais cessé d’exercer son sacerdoce.

Abbés Tanguy

- Joseph Tanguy, recteur de Pont-Aven, et son jeune vicaire Francis Tanguy ne faisaient pas mystère de leurs sympathies gaullistes. N’hésitant pas à dénoncer la collaboration, même en chaire, Joseph Tanguy incitait ses jeunes paroissiens requis par le STO à se cacher pour y échapper. Le 1er janvier 1944, il accepte d’héberger provisoirement deux aviateurs américains dont le bombardier B 17 « Black Swan » fut abattu la veille par deux avions de la Luftwaffe lors d’un combat aérien au-dessus de Bannalec et recherchés par les Allemands. Le 3 janvier, suite à une dénonciation, les deux prêtres sont arrêtés puis emmenés à la prison Saint-Charles de Quimper. Joseph Tanguy se déclare seul responsable et tente vigoureusement de convaincre les Allemands de relâcher son vicaire, mais Francis Tanguy se déclare solidaire de son recteur dont il tient à partager le sort. Le 27 mars, les deux prêtres sont transférés à Compiègne puis, le 27 avril, à bord du « convoi de la mort » de 1 700 hommes, ils prennent la destination d’Auschwitz-Birkenau où ils sont frappés dès leur descente du wagon « Les soutanes attisaient la haine des SS ». Le 14 mai, c’est un nouveau transfert sur le camp de Buchenwald où Joseph Tanguy arrive très diminué par les mauvais traitements et la faim. Laissé nu pendant deux jours, il contracte une pneumonie et doit être conduit au revier où il décède le 21 mai 1944, à 62 ans. Francis Tanguy, 48 ans, qui n’a jamais pu revoir son recteur est transféré au camp de Flossenburg, où il est affecté au terrible Kommando des carrières. La dysenterie et les sévices des kapos finiront par le tuer le 15 septembre 1944.

- Louis Didier, recteur d’Ambon, est arrêté le 18 mars 1944 puis dirigé sur Compiègne, où il rencontre le père Guénaël, de l’abbaye de Thymadeuc, qui avait été arrêté le 14 juin 1943 puis emprisonné à Rennes pour y être durement interrogé. Il décèdera à Neuengamme le 3 janvier 1945. A Compiègne, l’abbé Didier célèbre sa dernière messe avant l’Allemagne « Car si nous avions bien été munis tous officiellement et avec autorisation en règle, d’autels portatifs (hypocrisie supérieure de ces messieurs) nous n’avons pu nous en servir pour la bonne raison qu’ils nous ont été enlevés dès notre arrivée en Allemagne ». Le convoi qui quitte Compiègne le 4 juin 1944, emportant 2 062 hommes dont près de la moitié ne reviendra jamais. Trois jours et trois nuits d’un voyage épouvantable vers Neuengamme sans eau, avec plusieurs morts et cas de folie. L’arrivée au camp se fait sous les coups de trique des SS « La vue d’une soutane les rend enragés et ils s’acharnent ». Deux jours plus tard, ils apprennent, Dieu sait comment, l’heureux débarquement des Alliés. Puis c’est le tri pour les kommandos de travail « Au début, juifs, prêtres et médecins sont éliminés de ces transports ». L’interdiction ayant été levée, Louis Didier part à son tour, seul prêtre du kommando de travail à Porta Wesphalica, près de Minden. 12 heures de travail de comme de nuit pour l’évacuation des pierres du creusement d’une galerie pour une usine souterraine à flanc de colline, et cela jusqu’au 21 novembre. Puis, au mois de décembre, c’est le transfert à Dachau « Ici nous n’avons plus travaillé, nous n’avons plus été frappés, surtout nous étions unis entre prêtres en deux blocs spéciaux. En janvier, nous étions environ 1 400 prêtres, dont la moitié de Polonais » (1). Le camp étant ravagé par une épidémie de typhus, l’abbé est volontaire pour s’occuper des malades dans les blocks contaminés. Atteint à son tour, il est entre la vie et la mort pendant un mois, recevant même l’extrême onction d’un prêtre polonais. Lors de la libération du camp par les Américains, il ne pesait plus que 42 kilos.

(1) A la suite d’une convention signée entre le IIIe Reich et le Vatican, les prêtres de toutes nationalités, initialement dispersés dans les autres camps de concentration, devaient être regroupés à Dachau fin 1940. La mesure ne sera systématique qu’à partir de novembre 1944. 2 271 religieux ont été comptabilisés à Dachau. 700 y sont morts et 300 disparus au cours de transports d’évacuation. 156 prêtres français y ont été déportés, dont Monseigneur Piguet, le seul évêque à avoir été déporté par les Allemands.

Joseph Martin

- L’abbé Joseph Martin, originaire d’Auray, reprend ses fonctions comme professeur au collège Saint-Ivy de Pontivy fin 1940, après avoir été mobilisé. En juillet 1942, la totalité du collège étant réquisitionnée par l’armée allemande, l’abbé Martin est logé chez Pierre Ropert, un commerçant qui accueille également une trentaine de collégiens. Cette même année, les Alliés décident de mettre en place des réseaux d’évacuations pour les aviateurs tombés en territoire occupé. Une mission est constituée avec à sa tête le docteur belge Albert Guérisse, alias « Pat O’Leary », assisté de Louis-Henri Nouveau, alias « Saint-Jean ». Nouveau prospecte en Bretagne, dans la région de Pontivy, au mois de janvier 1943, et recrute Pierre Ropert qui est chargé de mettre sur pied une antenne locale de ce réseau, « Pat O’Leary », que l’abbé Martin rejoint aussitôt. Malheureusement, le réseau était infiltré à Paris par un des plus redoutables agents de l’Abwehr, Roger Le Neveu, dit « Le Légionnaire », et « Saint-Jean » est arrêté le 13 février 1943. Quelques jours plus tard, à Toulouse, c’est au tour de « Pat O’Leary » d’être à son tour capturé. Le réseau est décapité mais continue son activité en Bretagne, ses membres ignorant l’arrestation de leurs chefs.
Roger Le Neveu

Aussi, quand Le Neveu se présente en Bretagne comme envoyé de « Saint-Jean », personne ne se méfie. Jusqu’à la fin juin, les dégâts vont être considérables et le réseau totalement anéanti. Le 11 juin, lorsque les Allemands se présentent chez Ropert, qui est absent, ils arrêtent l’abbé Martin. Emmené à Rennes puis transféré à Compiègne, il est déporté à Auschwitz le 27 avril 1944 à bord de ce que l’on a appelé le « convoi des tatoués ». L’abbé est dépouillé de sa soutane et de ses chapelets. Transféré à Buchenwald quelques jours plus tard, il est ensuite conduit au camp de travail de Flossenburg et affecté de juin 1944 à avril 1945 au kommando de Mulsen où il endure les pires traitements tout en continuant son rôle de prêtre, baptisant même un camarade. Le 13 avril 1945, face à l’avancée de l’armée américaine, les nazis évacuent le camp, ce sont les « marches de la mort ». Le 4 mai 1945, Joseph Martin, 41 ans, à bout de force, meurt sous la balle d’un SS.

Eugène Fleury

- Eugène Fleury
, vicaire, Saint-Brieuc, entre en résistance dès le début de l’Occupation et devient chef départemental du mouvement « Défense de la France ». Depuis un moment, l’abbé et son voisin résistant Jean Métairie se savaient repérés. Des précautions avaient pourtant été prises, mais trop tard. Le 1er juillet, vers midi, ils sont arrêtés au domicile de M. Métairie. Quelques instants plus tard, alors qu’il se présente au domicile de la famille, Pierre Kerautret, agent de liaison de Jean Métairie, est à son tour arrêté. Tous sont emmenés au siège du SD, Bd Lamartine pour y être martyrisés sans relâche à coups de nerfs de bœuf. Le dimanche 9 juillet, le SD au complet se réunit en cour martiale. Kerautret est amené « Krawl (lire plutôt Kroll) tape à la machine, Rudolf est accoudé au lit, l’interprète fait face à la fenêtre (Roger Elophe ?), Muller et un quatrième Gestapo sont assis près de la TSF. Emile garde la porte. Rudolf, cravache en main, commence l’interrogatoire : Kerautret s’entend accuser d’avoir donné des renseignements sur les mouvements de troupes, d’être le chef d’un groupe de résistance ; il nie et reçoit une volée de coups. M. Métairie entre péniblement « un vrai cadavre ambulant ». Puis l’abbé est introduit ; par deux fois Rudolf lui demande s’il connaît Kerautret : « Non, jamais ce jeune homme n’est venu chez moi. » Deux coups de cravache que M. Fleury esquive du bras gauche. Kerautret déclare qu’il ne connaît ce prêtre que « comme vicaire de sa paroisse ». Fleury est emmené à ce moment, il devait déjà être avisé de sa condamnation. Rudolf annonce à Kerautret : « Vous êtes condamnés aux travaux forcés en Allemagne. » (Les dénégations du prêtre lui sauvaient la vie) ». Emmené à Rennes pour être déporté à bord du dernier convoi, Kerautret réussira à s’évader lors du mitraillage du train à Langeais. Le 10 juillet, à l’heure du laitier, un camion bâché pénètre dans la cour de la prison. Un policier du SD fait l’appel des condamnés qu’un gardien allemand amène immédiatement : « Métairie Jean père, Métairie Jean fils, Fleury Eugène ». Les suppliciés sont fouillés, dépouillés de tout, les gardiens arrachent à l’abbé Fleury sa soutane, son chapelet. Le camion démarre, précédé d’une voiture du SD, jusqu’au lieu de l’exécution, le bois de Malaunay. Muller et Rudolf avaient été vus le samedi, repérant les lieux probablement. Mode opératoire habituel du SD, les victimes furent probablement extraites une à une du camion puis abattues à coups de mitraillettes. Du sang coulait dans la fosse commune sommaire lorsque les 17 corps furent découverts le lendemain par un garçon de passage. Parmi ceux-ci, celui de l’abbé Fleury, 41 ans.

Roger Elophe

Parmi les membres du SD de Saint-Brieuc, le jeune Roger Elophe, qui parlait parfaitement l’allemand, s’était mis au service de l’occupant comme interprète. D’abord à Quimper, puis au SD de Saint-Brieuc. Si l’on en croit son dossier d’instruction, de sa fonction d’interprète à celle d’agent participant activement aux missions et interrogatoires, le pas était vite franchi. Interrogé sur cette affaire de Malaunay le 7 octobre 1944 à la prison de Saint-Brieuc, il sait qu’il doit sauver sa tête : « Je suis complètement étranger à l’arrestation de Métairie et Fleury. En rentrant au service, j’ai aperçu M. Métairie, que je ne connaissais d’ailleurs pas, assis dans le bureau d’attente. Je lui ai parlé pour lui demander ce qu’il désirait, car je supposais qu’il désirait avoir un entretien avec quelqu’un du service. Ce n’est que dans l’après-midi que j’ai appris, en ville par la rumeur publique, qu’il devait être arrêté ainsi que l’abbé Fleury. Je n’ai aperçu ce dernier, qu’une seule fois, alors qu’il sortait d’une salle d’interrogatoire pour être reconduit à la prison. Je ne lui ai jamais parlé. J’affirme n’avoir pas participé à l’interrogatoire des sus nommés et j’ignore s’ils ont été torturés (…) Le 5 juillet, je crois, je me suis rendu à Guingamp avec l’inspecteur Thurau de la SD, qui voulait s’entretenir avec le sous-préfet de cette ville et le procureur de la République au sujet d’une découverte de cadavres dans le bois en question. Le sous-préfet a exposé à Thurau dans quelles circonstances la découverte avait eu lieu, que le Procureur de la République s’était rendu sur place pour y faire les constatations réglementaires et que parmi les corps identifiés se trouvaient ceux de M. Métairie et de l’abbé Fleury. L’inspecteur allemand a fait semblant de tout ignorer au sujet des exécutions et a déclaré qu’il allait faire effectuer une enquête à ce sujet. Je me suis entretenu à part avec le procureur et je lui ai fait connaître que les membres de la SD étaient parfaitement au courant de ces exécutions car l’abbé Fleury et M. Métairie avaient été arrêtés par ses services et n’avaient donc pas pu quitter la maison d’arrêt sans que la SD ne soit avisée de leur sortie. Cette idée s’est trouvée confirmée par la conversation que j’ai surprise au retour dans la voiture entre l’inspecteur Thurau et le chauffeur Adam. J’ai mis au courant 3 ou 4 jours plus tard le sous-préfet de Guingamp, que j’ai rencontré par hasard à la sous-préfecture, ainsi que M. Bonafous, secrétaire général de la préfecture (…) L’expédition de Saint-Nicolas-du-Pélem a été organisée par un Kommando SD de Rennes, auquel s’était joint un fort contingent de la formation Perrot (Waffen SS bretonne). Après les opérations cette formation a cantonné, durant 2 ou 3 jours, au SD de Saint-Brieuc et c’est ainsi que j’ai pu reconnaître, parmi ses membres, le nommé Le Bourhis, ancien élève de l’Ecole Normale d’Instituteurs de Quimper (Jean Bourhis, alias « Guével », violent, condamné à mort, en fuite en Allemagne, s’engage dans la Waffen SS). Un autre individu appartenant à cette organisation, participait à l’enlèvement des marchandises de la maison Métairie et m’a déclaré être originaire de Baud, sans autres précisions (Louis Nogues, alias « Kémeneur », déserte à Paris). L’expédition de Moncontour a été dirigée par l’Inspecteur Kiekhafer Rudolphe, de la SD, avec le Dr Maschke et la Feldgendarmerie ».

Wilhelm Funke
Arnold Thurau
Rudolf Kieckhaefer








A partir du mois de mai 1944, le chef du SD de Saint-Brieuc est Georges Kupper, SS Hauptscharführer, venant du SD de Rennes, ne parle pas français, très dur avec son personnel ; son second, Arnold Thurau, SS Hauptscharfürher, ne parle pas français, dur et brutal ; Wilhelm Funke, SS Hauptscharführer, parle peu le français ; Rudolf Kieckhaefer, SS Sturmscharführer, ancien des SA, parle très bien le français, s’occupe des affaires politiques importantes, très brutal avec les détenus ; Friedrich Wierse, SS Scharführer, parle assez bien le français, s’occupe des affaires de résistance, très nerveux ; Ernst Adam, SS Rottenführer, chauffeur, très dur et brutal avec les Français, torture les détenus ; Kroll, SS Rottenführer, ancien des SA, ne parle pas français, aucune activité policière. Il est cité également
un certain Muller, il doit s’agir de Robert Muller, sergent-chef, originaire de Dantzig et venant du SD de Rennes. Le capitaine Maschke, de la FK 665 de Saint-Brieuc, qui travaillait beaucoup avec le SD et était en relations avec le PNB, donnait des renseignements.

Merci à Daniel Heudré de Fougères

- Pierre Leroy, curé de Montreuil-sous-Pérouse (35), membre du réseau "Alliance". Secrétaire de mairie, l'abbé fournit des faux papiers aux réfractaires du STO. Il est arrêté le 20 avril 1944 puis dirigé sur Compiègne. Le 4 juin il est déporté à Neuengamme. Il est ensuite transféré au camp de Misbourg où il sera le seul prêtre à avoir été autorisé à célébrer la messe de Noël. Puis c'est un nouveau transfert au terrible camp de Bergen-Belsen où il va mourir d'épuisement et de faim le 13 avril 1945.