vendredi 26 avril 2024

26 avril 1946, l'arrestation de l'abbé Cariou à Douarnenez



Maurice Zeller

Parmi les agents français du Sicherheitsdienst (SD), le Service de sûreté de la SS, Maurice Zeller, né en 1895, était sans aucun doute le plus redoutable. Ancien officier de marine, puis pilote de chasse dans l’Aéronavale, blessé au cours d’une mission, il est titulaire de la Croix de guerre 14-18. Membre des Croix de Feu et du PSF du colonel de La Roque, comme beaucoup d’ancien combattants, il sera rayé des cadres d’active à la suite d’une affaire d’opium. Ce qui aura pour conséquence, en 1939, d’être refusé alors qu’il voulait s’engager dans la marine pour la durée de la guerre. Qu’en aurait-il été de son destin dans le cas contraire ?

Fin septembre 1940, alors qu’il réside chez sa belle-mère à Erquy, il tombe à la mer alors qu’il faisait du canoé et est sauvé de la noyade


par deux jeunes soldats allemands avec qui il va se lier d’amitié. Au mois d’août 1941, Zeller, qui ne s’entend pas avec son épouse, s’engage dans la LVF. Un mois plus tard, il est dirigé sur le camp de Deba, en Pologne, où il est nommé capitaine avec une tenue de la Wehrmacht et fait la connaissance de Doriot. Fin octobre 1941, son bataillon quitte Deba pour Smolensk avant de monter en ligne. Le bataillon prend ensuite la direction de Moscou. Mais, le 28 novembre à Novonicolaïevske, il tombe malade et est évacué sans avoir combattu ! A Smolensk, il avait adhéré au PPF par sympathie pour Doriot qu’il vient de connaitre. Evacué sur Breslau, il est rapatrié en France jusqu’en janvier 1942. Renvoyé sur Breslau, où se trouvait une compagnie de la LVF, il est de nouveau reconnu inapte au combat.

Dégagé de toutes obligations militaires, il est alors nommé délégué de la LVF à Saint-Brieuc, où les recrues ne se précipitent pas.  La LVF étant devenue « Légion Tricolore », il est relevé de ses fonctions et se retrouve sans ressource. C’est alors qu’il rencontre le capitaine Maschke, de la Feldkommandantur de Saint-Brieuc, qui promet d’intervenir en sa faveur, moyennant quelques services, et qui le met en contact avec un certain Fischer, du SD, qui lui propose de faire du renseignement.

Commence alors l’engrenage, avec une première mission à Saint-Quay-Portrieux, où Zeller réussit à identifier les auteurs de bris de vitrines sur les commerces des « collabos » du port, des jeunes gens de la société Saint-Quay-Sport, et rédige un rapport pour Fischer. Ce sera la tragédie du « Viking », ce bateau à bord duquel une vingtaine de jeunes quinocéens, se sachant recherchés par le SD, vont tenter de rejoindre l’Angleterre. Arraisonnés au large de Guernesey par une vedette allemande le 5 avril 1943, tous seront déportés en Allemagne. 13 d’entre eux ne reviendront jamais. Jusqu’à la fin de l’année, les missions vont s’enchaîner dans les Côtes-du-Nord, avec à chaque fois leurs lots d’arrestations et de déportations, jusqu’au jour où, alors qu’il est sur sa bicyclette, il va essuyer des coups de feu tirés par un homme caché derrière un talus à l’entrée de Plouha. Fischer fait alors comprendre à Zeller qu’il était « grillé » sur le département et lui propose d’exercer désormais ses talents sur le Finistère.

Fin février 1944, Zeller occupe à Quimper dans une chambre réquisitionnée par le SD rue Saint-François, chez… Adolphe Le Goaziou, le libraire résistant, sous le nom de Georges Évrard, ingénieur à l’organisation Todt. Il se présente ensuite à la villa « Mimosa », siège du SD, où il reçoit les instructions de l’Obergefreiter Henry Armand, de son vrai nom Huschtebrock, 35 ans, un allemand parlant parfaitement le français, plusieurs langues et, d’après certains témoins, un peu le breton. Avant-guerre, il avait fait l’objet d’une condamnation à mort pour espionnage à la poudrerie de Pont-de-Buis.

Parmi les missions que lui confie aussitôt Henry Armand, il y a celle de l’abbé Cariou, soupçonné depuis longtemps d’être un agent actif de la Résistance et peut-être même de l’Intelligence Service et de prendre une part active à l’organisation des départs clandestins pour l’Angleterre et l’évacuation des aviateurs abattus. Henry Armand dit à Zeller qu’il avait déjà envoyé plusieurs de ses agents sans me les nommer, mais qu’aucun d’eux n’avaient réussi à obtenir la moindre précision au sujet de son activité. Lorsqu’il opérait dans les Côtes-du-Nord, Zeller avait mis au point un stratagème particulièrement efficace pour s’attirer la confiance des résistants. Essentiellement des membres de réseaux de renseignement ou de filière d’évasion vers l’Angleterre. Il s’était fait imprimer des papiers à lettre à en-tête « République Française – Comité National de Libération – Sous-Secrétariat à l’Organisation », avec un ordre de mission pour organiser des Comités composés de personnalités sûres destinées à assurer l’administration locale lors de la Libération. C'est ainsi qu'il avait fait arrêter le notaire Le Verger à Loudéac. Soucieux de renforcer l’effet que pourrait produire ce papier à en-tête CLN auprès de l’abbé, Zeller se fit établir des cartes d’identité de chargé de mission avec un cachet portant les mentions « Liberté – Egalité – Fraternité » et, dans le milieu, « CLN secrétariat à l’Organisation », ainsi qu’un autre cachet rectangulaire portant sut trois lignes la mention « British Expéditionary Forces ».

Après avoir réfléchi sur les moyens à employer pour entrer en relation avec l’abbé Cariou, Zeller met sur pied une histoire qui devrait lui permettre d’obtenir les résultats escomptés. Toujours à l’aide de son papier à en-tête du CLN, il rédige une lettre « Mon cher ami. Il ne m’est pas possible de vous rendre moi-même le service que vous me demandez mais adressez vous pour cela à l’abbé Cariou de Douarnenez. Signé : Coffec ».

Interrogatoire de Maurice Zeller. PV du 16 novembre 1945 (80 pages) :

abbé Cariou

« Je me suis donc rendu à Douarnenez et je me suis présenté au presbytère où j’ai été reçu par l’abbé Cariou. J’ai commencé par lui exhiber la lettre en question en lui disant qu’un de mes amis, sans précision, m’envoyait à lui. Il a examiné minutieusement la lettre et après avoir réfléchi un instant il m’a dit qu’il avait connu autrefois un Coffec qui était devenu officier de marine. Je lui ai répondu qu’il s’agissait certainement du même car celui qui m’avait écrit était également officier de marine. L’abbé Cariou n’insista pas sur ce point et me pria de lui dire en quoi consistait le service que j’avais à lui demander.
Je lui ai alors expliqué que mon fils étudiant à Paris avait été mêlé quelques temps auparavant à une rixe au quartier latin au cours de laquelle un soldat allemand avait été tué. Deux de ses camarades ayant été arrêtés et l’un d’eux fusillé depuis, mon fils craignait d’avoir été signalé par ses camarades et d’être arrêté à son tour.

Pour échapper aux recherches mon fils qui résidait avec moi à Paris, avait dû aller se réfugier dans une ferme située dans une localité des environs de Dinan. Là, d’autres jeunes faisant pression sur lui pour l’incorporer dans un maquis, mon fils m’avait fait savoir qu’il craignait d’être embrigadé dans des équipes se livrant plutôt au pillage qu’à une véritable résistance.

L’abbé Cariou a été de mon avis pour reconnaître que malheureusement beaucoup de jeunes sous couvert de patriotisme passaient leur temps à faire des attaques à main armée qui n’avaient rien à voir avec la lutte contre l’occupant. En conclusion de cela j’ai déclaré à l’abbé Cariou que mon fils et moi-même désirions qu’il parte en Angleterre afin de contracter un engagement dans l’armée française.

Après avoir terminé mon exposé, l’abbé Cariou réfléchit un bon moment puis me déclara qu’il s’était tout d’abord méfié de moi mais qu’à présent il voyait à qui il avait à faire et qu’il allait s’occuper de ce que je lui demandais. Je pris donc congé de lui en lui déclarant que je reviendrais le voir dans quelques temps.

Au cours de ma visite suivante, l’abbé Cariou me dit qu’il s’était occupé de mon fils mais que pour le moment en ce qui le concernait, son passage en Angleterre se heurtait à quelques difficultés. D’abord le départ d’un bateau clandestin de la région de Douarnenez était à peu près impossible car depuis un certain temps la côte était extrêmement surveillée, car en février un bateau de pêche ayant à son bord une trentaine de personnes s’était échoué dans le raz de Sein et une bonne partie de son équipage avait été fait prisonnier.

Ensuite, entre ma première visite et celle-ci, il avait reçu des instructions pour ne plus faire passer en Angleterre de Français s’ils n’étaient nominativement désignés ou autorisés. Il ne précisa d’ailleurs pas de qui et comment il avait reçu ces instructions. Sur le moment, je n’ai pas insisté pour essayer de savoir car cela ne rentrait pas dans la personne que je représentais. Il ajouta qu’il avait reçu des ordres pour ne rapatrier uniquement que des aviateurs abattus dans la région. Je fis semblant d’être très ennuyé de cette mesure et je lui ai demandé s’il ne pouvait pas obtenir pour mon fils l’autorisation exigée. L’abbé Cariou me répondit que cela ne lui était pas possible et il me suggéra que M. Coffec était bien placé pour cela.

Je suis resté en relation avec l’abbé Cariou pendant deux mois environ et en tout j’ai eu cinq ou six entretiens avec lui. Au cours de l’une de ces entrevues je me suis rendu chez lui avec un jeune homme du service d’Henry Armand, que j’ai présenté à l’abbé comme étant mon fils. L’abbé l’a fortement encouragé de persévérer dans sa résolution d’aller s’engager dans les troupes françaises.


Il m’indiqua une personne à qui je devais m’adresser pour obtenir satisfaction. Il s’agissait de M. Salaün, directeur de l’école du Likès à Quimper. Sur ma demande il me donna un mot m’introduisant près de M. Salaün lui disant que j’avais un service à lui demander. Il authentifia le mot en y apposant le cachet de sa paroisse.

A Quimper, je me suis présenté à M. Salaün à qui je remis le billet de Cariou. La première fois je n’eus avec lui qu’un très court entretien et je n’ai fait que lui exposer l’intention de mon prétendu fils. J’ai eu l’impression que Salaün était habitué à recevoir des visites analogues à la mienne car dès que je lui ai montré le mot de Cariou il me dit : Je me doute du service que vous avez à me demander.

A la seconde visite il me dit qu’il avait rencontré la personne qui s’en occupait et que d’ici quelques jours il pourrait me fixer le rendez-vous auquel mon fils devait se rendre.

Je suis revenu le voir assez rapidement durant sa classe mais j’ai eu l’impression que son attitude n’était plus la même. Je me suis donc demandé si ce changement provenait du dérangement que lui causait ma visite ou des soupçons qu’il avait pu avoir à mon égard pour une raison ou pour une autre.

De toutes ces affaires, j’avais établi après chaque entretien un rapport détaillé au nommé Henry Armand. L’abbé Cariou a été arrêté à une époque que j’ignore, quant à M. Salaün il a été appréhendé peu de jours après ma dernière visite par Henry Armand, un nommé Alex et moi-même. En même temps que M. Salaün, un professeur du Likès, le père Flochlay a été arrêté par la même équipe, mais en allant se changer dans sa chambre, accompagné d’Henry Armand, il a réussi à se sauver. Quelques jours après nous avons effectué des perquisitions dans tout le collège du Likès. »

Arrêté le 26 avril 1944, l’abbé Cariou sera déporté à Neuengamme puis à Dachau à la fin de l’année 1944. Il reviendra des camps au mois de mai 1945.

Zeller va continuer ses « missions » au service du SD jusqu’au mois de juillet 1944, cette fois-ci dans le Morbihan, avec la capture du lieutenant Marienne à Plumelec. J’y reviendrai plus tard.

vendredi 19 avril 2024

Mathurin Morvan, un résistant breton rescapé de Natzwiller-Struthof

La Résistance française aurait-elle commencé le 3 septembre 1939, comme l'affirma le général de Gaulle lors de son célèbre discours du 30 mars 1947 à Bruneval, le combat sous l'uniforme précédent la lutte clandestine ? Dans ce cas, Mathurin Morvan, né le 22 juillet 1911 à Plérin, marié, un enfant, en serait un parfait exemple.

Mathurin Morvan

Engagé volontaire pour 5 ans dans la marine, sorti quartier-maître de seconde classe, puis agent de la SNCF depuis 1937, il est mobilisé comme second maître fusilier dès l'entrée en guerre de la France, puis affecté au 2e dépôt de la flotte à Brest. Le 22 janvier 1940, il se voit confié la conduite vers Dunkerque d'un détachement de 150 marins pour les mettre aux ordres de "l'amiral Nord" Jean-Marie Abrial. C'est ainsi qu'il participa au "bastion 32", ces casemates qui servaient de QG aux forces françaises et alliées lors de la "bataille de Dunkerque" pour permettre le rapatriement du corps expéditionnaire britannique. Ce qui lui valut la Croix de guerre (1er juin 1940). Evacué vers l'Angleterre puis rapatrié en France, il est dirigé sur Cherbourg où l'amiral Abrial (qui rejoindra le régime de Vichy) avait replié son QG. 

Fait prisonnier par les Allemands, Mathurin Morvan va s'évader et regagner Saint-Brieuc à pied, pour être une des premières recrues de Maurice Poge, alias "Godin", chef du réseau de renseignement Confrérie Notre-Dame, CND-Castille, créé par le colonel Rémy, couvrant le secteur du littoral allant de Saint-Malo à Lannion. Une trentaine d'agents sur cette zone. Le groupe est démantelé au mois de mai 1942, probablement sur dénonciation. Poge est déporté en Allemagne, d'où il ne reviendra pas. Déporté lui aussi, Yvon Pageot reviendra. Mathurin Morvan, qui s'était réfugié à Paris, sera arrêté à la sortie de sa chambre pour être interné à Fresnes, 3ème division, cellule 253.

Le 9 juillet 1943, avec 54 autres prisonniers, il quitte la prison pour être transféré au camp de Natzwiller, où il arrive le soir-même. Il y restera jusqu'au 3 septembre 1944, date à laquelle les déportés ont été évacués sur le camp de Dachau. Le 6 janvier 1951, il a témoigné sur les conditions de détention endurées par lui-même et ses camarades :

"En arrivant au camp j'ai été employé comme terrassier à la grande carrière puis au service de désinfection du four crématoire. J'ai encore été employé peu de temps à l'épluchage des légumes de la cuisine. Le lendemain de notre arrivée au camp, mes camarades et moi, avons été employés à la corvée de cailloux au cours de laquelle de nombreux camarades disparurent. Cette corvée dura deux jours. Nous avons été conduits au sommet d'une côte située à proximité du camp, puis on nous a obligés à dévaler la côte à toute allure. Les SS et les kapos nous poursuivaient à coups de matraques et les chiens nous mordaient. En bas de la côte nous devions charger nos bras de cailloux et remonter la pente dans les mêmes conditions. Ces allées et venues étaient continuelles et certains d'entre nous, ne pouvant supporter la fatigue et les coups, moururent. En outre, lorsque nous étions arrivés presqu'au sommet de la côte, le nommé Seuss, dit "Créature" lançait sur nous un genre de civière à claire-voie. Cette civière tombait à chaque fois sur l'un de nous qui était assommé. Les autres camarades devaient prendre celui qui était assommé et le transporter en haut d'un talus d'où il était projeté dans un bas-fond. Le soir les Allemands venaient faire le tri. Ceux qui pouvaient se relever sous les coups de matraques partaient vers le baraquement, mais les autres étaient dirigés vers le four crématoire. Les camarades qui avaient pu rejoindre le baraquement étaient astreints à une douche froide. J'ai été témoin oculaire et direct de tous ces sévices pour les avoir personnellement supportés. Nos gardiens profitaient de toutes les occasions pour que les coups pleuvent sur nous. Ces faits ont duré deux jours. Le lendemain et le surlendemain de notre arrivée au camp. Je ne me rappelle plus le nom des victimes. La corvée de cailloux terminée, nous avons été conduits à la carrière de Kartofvelnkeller où les mauvais traitements ont encore été plus pénibles. Nous avions constamment un matraqueur, un SS et un chien derrière nous. Lorsqu'un camarade ne pouvait plus se trainer il était transporté par les autres sur la place où se faisait l'appel. Du fait qu'il ne pouvait plus travailler, il ne recevait aucune nourriture. Le lendemain il était transporté dans les mêmes conditions sur les lieux de travail. S'il ne pouvait pas travailler il était noyé dans une mare d'eau. On lui mettait dessus un gros caillou pour l'empêcher de sortir de la mare. Le soir, les survivants devaient transporter les morts sur la place où se faisait l'appel et les tenir debout pendant l'appel qui durait parfois deux heures. Ensuite ils les transportaient jusqu'au four crématoire crématoire. Je suis resté dans ce camp jusqu'au 3 septembre 1944. Là encore j'ai été témoin direct et oculaire des sévices exercés et des assassinats perpétrés. Tous les moyens étaient bons pour nous exterminer. Nous avons été prévenus en arrivant au camp qu'aucun d'entre nous n'en sortirait. Comme victimes des atrocités, je peux citer :

Menute, économe dans un hôpital de la région normande. Le secrétaire de la mairie de Broons je crois. Comme survivants je me rappelle l'abbé Bidault qui doit être professeur dans un collège d'Alençon (1). Roger Chanteloup, chef de brigade à la surveillance de la gare Saint-Lazare. François Tanguy, pont de l'hôpital à Pontivy (2). 

Les faits se sont passés au camp de Natzwiller entre le 9 juillet 1943 et le 3 septembre 1944. La corvée était commandée par Kramer assisté du nommé Seuss, dit "Créature", Hermann Traut, dit "Fernandel", le kapo Koln était le matraqueur. J'ajoute aussi qu'une centaine environ de déportés passaient journellement au four crématoire. François Tanguy, je me rappelle la mort de Joseph Laboureau, de Messac ? Isidore Le Corre de Kergrist (3). Raymond Devos, arrêté le 22 mai 1942 à Saint-Brieuc, déporté au Struthof du 8 juillet 1943 au 1er février 1944 (4). Maurice Poge de Saint-Brieuc, décédé aussitôt (5). Louis Le Deuff de Rennes (6). Louis Turban, SNCF à Rennes (7). Ernest Delaunay, de Brélévenez. Arrêté à Lannion le 22 mai 1942, déporté au Struthof du 9 juillet 1943 au 4 septembre 1944 (8). Morts : Louis Le Deuff de Rennes. Un prénommé Etienne de Montfort-sur-Meu (9). Turban de Rennes."

Mathurin Morvan sera libéré par les Russes dans le village de Röbel, après l'évacuation du camp de Ravensbrück. On peut remarquer que les déportés qu'il cite sont tous des agents de réseaux de renseignement ou de filières d'évasion vers l'Angleterre, CND-Castille étant particulièrement bien implanté en Bretagne. Ces réseaux vont subir une implacable répression et être démantelés en 1942 et 1943. D'où une moyenne d'âge de ces déportés plus élevée que celle des jeunes maquisards.

(1) Il doit s'agir de l'abbé Paul Bidault, surnommé "le curé rouge", né en 1904, membre du réseau Alliance au Mans.

(2) François Tanguy, né en 1907 à Cléguérec, déporté le 11 novembre 1943 à Natzwiller puis transféré à Dachau où il est libéré  le 29 avril 1945.

(3) Isidore Le Corre, né en 1910 à Croixanvec (56). Son crime fut d'avoir recueilli des aviateurs américains après que leur appareil avait été contraint d'effectuer un atterrissage forcé près de Saint-Caradec le 29 mai 1943. Arrêté le 7 septembre 1943 puis déporté, il décède le 5 avril 1944.

(4) Raymond Devos, né en 1901 à Tourcoing, alias "Visseaux", réseau CND-Castille à Saint-Brieuc. Arrêté le 22 mai 1942, revient des camps le 22 mai 1945.

(5) Maurice Poge, né en 1888 au Mans, alias "Godin", chef du réseau CND-Castille à Saint-Brieuc. Arrêté le 22 mai 1942, décède au Struthof le 19 juillet 1943.

(6) Louis Le Deuff, né en 1894 à Saint-Caradec (22), agent du réseau Overcloud, sous les ordres de Louis Turban. Arrêté le 13 mars 1942 à Rennes. Déporté le 8 juillet 1943 à Natzwiller où il décède le 21 février 1944.

(7) Louis Turban, né en 1901 à Villeneuve-sur-Seine, ingénieur principal SNCF. Membre du réseau Overcloud. Arrêté le 3 février 1942. Déporté le 8 juillet 1943 à Natzwiller où il décède le 10 mai 1944.

(8) Ernest Delaunay, né en 1907 à Ploubazlanec, revient des camps le 13 mai 1945.

(9) Il doit s'agit d'Etienne Maurel, né en 1915 à Bollène (84). Secrétaire de mairie, membre du réseau Overcloud. Il est arrêté le 12 février 1942 à Montfort-sur-Meu puis interné à Fresnes le 20 mars 1942. Déporté à Natzwiller le 8 juillet 1943 où il décède le 23 août 1943.

Maurice Poge

Raymond Devos






Louis Turban

samedi 17 février 2024

Capitaine Crochet

Sur l'air de Joyeux anniversaire, avec un chœur de bougies. 

Pour JRLN

Il est des anniversaires qui se suivent et se ressemblent. Notre-Dame attendra encore un peu, mais comment ne pas y penser en ce lendemain de nuit du 4 au 5 février ? Même si certains, qui préfèrent la nommer Votre-Dame, rappellent que ce sanctuaire "de la sacralité d'Etat" (Frédéric Le Moigne, "1944-1951 : Les deux corps de Notre-Dame de Paris" (1) fut un temps la maison du cardinal Suhard, qui y donna en si belle compagnie la si belle messe du 26 avril 1944.

L'événement commémoré, qui s'est produit il y a trente ans, n'est pas une messe, mais une émeute, ou plutôt, sa conséquence immédiate, l'incendie du parlement de Bretagne. Pourtant à l'époque, personne ne parlait de parlement mais on disait palais de justice, ce qu'il est encore, quoique à l'échelon supérieur de cour d'appel. A l'époque, on n'entrait pas dans un monument historique, on ne béait pas sous du Coypel, ce n'étaient pas les explications des guides du patrimoine qui résonnaient dans la salle des pas tordus. Les marches du palais, le perron, privé depuis 1960 de ses statues du XVIIe, menaient à des salles d'audience au sols froids, aux murs froids, aux voix roides de la justice qui se rend. Et au faîte du toit, l'hermine ne faisait pas soldat de plomb entre deux lys d'or. 



Un beau jour de 1972, passé les cordons casqués avec nos tracts sous des poireaux, nous envahîmes les lieux en solidarité avec les accusés qui passaient devant la cour de sûreté de l'Etat à Paris. Comme du haut des falaises de la Cinquième Avenue, il pleuvait des confettis FLB sur le perron que reconquéraient les crosses des brigades de l'ordre public. 

Un autre beau jour de 1974, en compagnie d'un copain mineur, je comparaissais à huis-clos pour dégradation d'édifice public. Le troisième larron, majeur de peu, eut droit aux feux de la rampe en ces temps où les murs étaient feuilles de poèmes. C'est une collègue de maître Yann Choucq que nous avions chargée de tempérer les ardeurs du procureur, ce qu'elle fit en grand costume et sans frais. On écopa quand même un peu. 



Bien sûr, personne n'avait oublié que l'hermine n'y figurait pas à l'origine pour border l'épitoge des magistrats. Manif bretonne à l'angélus, défilé devant le palais de justice. Les portes étaient grandes ouvertes, ça avait l'air vide. Flottait un drapeau tricolore sur le balcon central. C'est alors que Guy Caro dit à Kristian : "On monte le décrocher pour mettre un gwenn ha du !" Aussitôt dit, aussitôt fait. On grimpe les marches, se retrouve dans la grande salle des pas perdus, personne, "j'ouvre la porte-fenêtre et tente de décrocher le drapeau de sa hampe sous les applaudissements des gugusses de la rue Victor Hugo, quand tout à coup les lumières s'allument et deux gendarmes sortent d'une salle d'audience ! Je me fais embarquer, évidemment. En bas ça crie : "Libérez nos camarades !" Caro a réussi à s'échapper pendant que les pandores m'emmènent par une porte arrière vers la cour intérieure et me conduisent au poste de police où j'ai passé la nuit. Il n'y avait rien de méchant, ni effraction, ni dégâts, le drapeau restitué..."

Tout ceci avait eu lieu au palais de justice de Rennes. Comme c'est le palais de justice que, ce jour de 1994, encerclent les marins-pêcheurs bretons et manifestants venus les soutenir. "J'en ai encore l'odeur des lacrymo dans ma tête. Avec un copain nous nous étions réfugiés dans le bar La Cité d'Ys, rue Vasselot, le bar des militants bretons à l'époque. Les CRS chargeaient pour repousser les marins-pêcheurs au sud de la Vilaine, de l'autre côté des quais. L'air était irrespirable. Les manifestants venaient dans le bar pour respirer un peu et Pedro, le patron, avait organisé une cagnotte pour leur payer une bière avant qu'ils ne retournent au combat. Les CRS en ont pris plein la gueule, ou plutôt les jambes, avec les fusées de détresse en tir tendu. Puis dans la nuit, de mon quartier en hauteur, j'ai vu cette lueur étrange au dessus du centre-ville. Nous avons vite compris. Le spectacle était dantesque, entre les dégâts laissés par la manif, il y avait même un bus encastré dans l'angle de la bijouterie Prieur au bas de la place, et les pompiers."

Certains se sont alors peut-être rappelé cette phrase de la marquise de Sévigné demandant, le 10 novembre 1675, si "l'armée de Catalogne s'en va punir Bordeaux comme on a puni Rennes" durant l'insurrection des Bonnets rouges. 

Jean-Bernard Chalette, Allégorie de la révolte du papier timbré, 1676, Rennes, musée des Beaux-Arts


Somme toute, palais de justice, parlement, la différence ? Sis à Rennes, il avait été instauré par le pouvoir royal deux décennies après l'édit du Plessis, dit d'Union. Mettant fin à l'indépendance du duché, il avait institué les libertés de la province nouvellement rattachée à la couronne capétienne. Tous les députés n'en étaient pas originaires, un principe du fonctionnariat s'appliquant déjà en ce qu'on ne recrutait pas que local.

Bonnets rouges ou bleus, le palais-parlement est donc un de ces lieux où souffle l'esprit de révolte. 

4 février 1994, ça pète de partout dans le centre-ville. La colère enfle dans le goulot d'étranglement de la rue Edith-Cavell. Juge instructeur, Van Ruymbeke entend la marée gronder. Le garrot policier ne suffit pas à l'étancher et la place du palais est inondée. Le vent était à l'ouest sud-ouest. Mais les gars de la Turballe ou du Diben s'en fichent : le pavé fait d'autres remous. La pluie n'est pas d'eau, le brouillard attaque les yeux et la gorge et les détonations ne viennent pas de la coque. A un moment, une détresse fusa, des heures couva, enfin embrasa. Passé minuit, la justice de bois et de papier partit en fumée : nuit de pluviôse où "il pleuvait du feu" (un pompier).

A quelque chose malheur est bon. Une fois passée la gueule de bois (calciné), ce fut la divine surprise. Un "phénix" renaquit de ses cendres, entend-on-dire. Le Vésuve n'a-t-il pas embaumé de lave des bibliothèques à présent lisibles par spectrographie ? Le réchauffement climatique ne résout-il pas bien des énigmes suite à la fonte des glaciers ? Haro, donc, sur les repeints de la République : voici le Grand Siècle et celui des Lumières ! Le feu a révélé des fresques de la splendeur du parlement ! Résultat de la grande marée de la veille, des angelots tendant leurs doigts potelés et exhibant leurs fesses rebondies aux députés de la province domptée. On restaure ce qui peut l'être, avec, cerise sur le kouign-amann, le carton du (second) mariage d'Anne de Bretagne, l'ado résignée, comme l'a qualifiée l'historien non autonomiste, celui-là, Georges Minois, avec le roi de France Charles VIII (Georges Minois, Anne de Bretagne, Fayard, 1999, p. 275-292). 

Carton de la tapisserie représentant le (second) mariage d'Anne de Bretagne, dévoilé le 13/09/2017. (6x5 m, parlement de Bretagne. Rennes)


Il n'y a ni grande ni petite histoire. A quelqu'un malheur fut grand en cette nuit de pluviôse de 1994. Trente ans en deçà. Son souvenir me hante dès que le parlement rayonne de l'après-minuit toutes flammes de détresse. On ne saura jamais quelle main brandit la fusée qui mit le feu aux poutres. Moi, je vois un corps courbé, une main qui frôle le pavé et saisissant une lacrymo se fait pulvériser avant d'avoir pu la renvoyer à l'expéditeur. Rien à faire à Pontchaillou, plus rien à recoller dans cette chair en charpie, tandis que, là-bas, la charpente s'effondrait et que fondait l'armoire métallique de van Ruymbeke.

Des mois plus tard, le Finistérien reprenait la mer, mais c'était capitaine Crochet. Il n'a cessé de naviguer, de débusquer le poisson jusque dans l'océan Indien, tenant son palais de peine contre vents et marées d'une main de fer. "Déjà trente ans, j'arrose ça tous les jours et ça repousse pas... vive la révolution".

1 - LE MOIGNE Frédéric, 1944-1951 : les deux corps de Notre-Dame de Paris, Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 78, avril-juin 2003, p. 75-88.

Hervé ha Kristian