vendredi 31 juillet 2020

Mme Morvan (marché de Rostrenen), 1998.


Je retrouve dans mes archives une lettre, datée du 3 avril 1998, envoyée par Mme A. Morvan : « J’ai pensé vous adresser une petite anecdote, absolument véridique, susceptible de vous intéresser. » C’est un témoignage particulièrement émouvant, poignant même, car il évoque l’acte de résistance d’un Rostrenois, modeste vendeur de journaux. Cas exemplaire de résistance spontanée, de la part d’un de ceux de la cohorte des anonymes qui ont sauvé l’honneur de la France, et qui n’ont pas toujours retenu l’attention des historiens.  

L’occupation allemande « s’éternisait et pesait lourdement sur
Marché de Rostrenen
le pays », écrit Mme Morvan. Un mardi après-midi de l’été 1943, elle ne se souvient plus si c’était en juillet ou en août, mais je pense qu'il s'agissait du 3 août : « le marché habituel battait quand même son plein : se côtoyant sur la place du Centre, on pouvait voir quelques Allemands dans leurs uniformes un peu passés (« leur vert devient pisseux » avait constaté, non sans malice, l’une de mes amies), des cultivateurs de la campagne environnante : femmes en coiffe et costume breton, hommes abrités par leur grand chapeau « fisel » ; des vacanciers aussi en toilettes claires et modernes, et les habitants habituels de notre petite ville. »


Alors que les troupes du Reich subissaient de cuisantes défaites en Russie, « Voici que le jeune distributeur de journaux s’avança, portant son paquet de quotidiens sous le bras. Il se mit à crier d’une voix allègre et engageante : « Demandez et lisez L’Ouest-Éclair : grande avance des troupes allemandes… vers Berlin ! », raconte Mme Morvan, qui poursuit : « Certaines personnes mettaient un certain temps à réaliser mais bientôt elles riaient et achetaient le journal, visiblement stupéfaites (mais, sans doute aussi, inquiètes) de l’audace du garçon ! Je certifie avoir été témoin de cette scène (J’avais 18 ans et j’étais en compagnie de ma mère, aujourd’hui décédée). Mme Morvan apprendra par la suite que ce jeune homme avait fini par être arrêté, se demandant souvent quel fut son sort : « Peut-être l’apprendrez-vous en approfondissant vos recherches.
Ardina, statue d'un vendeur de journaux place de la liberté à Porto
Si oui, je vous serais reconnaissante de me l’indiquer. D’avance je vous en remercie, vous souhaite bon courage et bonne chance pour votre maîtrise et vous assure de mes sentiments distingués. »

Malheureusement, la question que se posait cette dame, cinquante ans après, n’a pu être résolue car de tels actes, un parmi tant d’autres, étaient le plus souvent voués à l’anonymat et leurs auteurs à de graves sanctions, pouvant aller jusqu'à la déportation.

mercredi 29 juillet 2020

Le repli du Bezen Perrot en Allemagne (2ème partie)


Au terme d’un séjour d’une quinzaine de jours dans un lycée protestant de Strasbourg, début octobre 1944, le Bezen franchit le Rhin pour se rendre au village d’Ödsbach, à quelques kilomètres au sud d’Oberkirch, où il s’installe dans la salle d’un café réquisitionné à leur intention. Après de multiples désertions, le groupe ne compte guère plus d’une quarantaine de membres. Pendant un mois, l’emploi du temps est essentiellement consacré à des cours de langue bretonne et des conférences sur l’histoire et la géographie de la Bretagne, entrecoupés de marches en Forêt-Noire. Célestin Lainé, qui apparaît très peu, dispose d’une chambre réquisitionnée dans une ferme proche. En son absence, le véritable responsable est un officier SS d’origine alsacienne, le lieutenant Wilde, détaché par Hermann Bickler auprès du Bezen, dont il s’occupe du ravitaillement et de l’administration, mais c’est Ange Péresse qui transmet les ordres. Wilde fait également des causeries sur la marche des événements en cours ainsi que sur les capacités économiques et militaires de l’Allemagne.

            Début novembre, le Bezen prend ses quartiers à Hohenentringen, petite ville située au sud de Stuttgart. Toujours les mêmes cours et marches à la boussole. Visiblement, les Allemands ne savent pas trop quoi faire de ces Bretons dont la valeur militaire est quasiment nulle. A ce moment, c’est Péresse qui dirige le groupe car Lainé est à Marburg où il doit rencontrer Marcel Guieysse, un des chefs historiques du PNB. De son côté, Wilde est parti pour Tübingen, où il est projeté d’installer le PC de la formation. Les membres du Bezen qui étaient revêtus de vêtements civils lors de leur départ de Rennes touchent un uniforme Waffen SS.

            Début décembre, le Bezen s’installe donc à Tübingen, dans une maison située à l’écart et près d’un terrain de sport. Lainé a rejoint le groupe mais il loge toujours chez des particuliers. Au cours et formations, s’ajoutent désormais des exercices militaires. Le 16 décembre, jour du premier anniversaire de la création du Bezen après l’exécution de l’abbé Perrot, survenue le 12 décembre 1943, une cérémonie avec appel aux morts est organisée. Alan Heussaf, Marcel Bibé et Goulven Jacq reçoivent la médaille des blessés allemands. Les membres du Bezen qui remplissaient les fonctions de chef de groupe en Bretagne font l’objet d’une promotion dans la Waffen SS, dont les grades se répartissent comme suit :

- Célestin Lainé « Hénaf » Untersturmführer (Sous-lieutenant), Ange Péresse « Cocal » : Sturmscharführer (Major), Alan Heussaf « Professeur ou Rouat » : Hauptscharführer (Adjudant-chef).

- Sont nommés au grade
Louis Feutren "Le Maître"
d’Oberscharführer (Adjudant) : Goulven Jacq « Le Maout », Louis Feutren « Le Maître ».

- Sont nommés au grade d’Unterscharführer (Sergent) : Joseph Morvan « Konval », Jean Bourhis « Guével », Jean Guiomard « Pipo », Émile Luec « Forster », Michel Chevillotte « Bleiz », Jean Le Noac’h « Rouzic ».

- Sont nommés au grade de Rottenführer (Caporal-chef) : Marcel Bibé « Targaz », Raymond Jégaden « Le Coz », François Jarnouen « Moreau », Joseph Cattelliot « Morel », André Chevalier « Mareg », René Hervé « Marcel », Julien Le Boédec « Poher ou Collet », Roger Legendre « ? », Maurice Lemoine « Manac’h », Jacques Louboutin « Le Trier », Raymond Magrez « Coquet ». Les autres membres du Bezen restent simples soldats. La cérémonie se termine par un banquet d’adieu, au cours duquel Lainé leur annonce que dans quelques jours, ils allaient passer à l’action et être dispersés par petits groupes dans toute l’Allemagne.

Trois membres du Bezen à Tübingen
Le 29 décembre, Lainé réorganise la formation et convoque à son bureau huit hommes prélevés dans les différents groupes (Le Bezen fonctionnait par groupes de cinq hommes) : Goulven Jacq « Le Maout », Joseph Cattelliot « Morel », Joseph Morvan « Konval », André Chevalier « Mareg », Pierre Hirgair « Yvarc’h » Joseph Le Dret « Melen », Ernest Kerviel « Glaz », et André Geffroy « Ferrand » : « En arrivant dans son bureau, Lainé nous fit savoir que les membres de la formation ne pouvaient rester plus longtemps à Tübingen sans rien faire et que nous devions aider les Allemands en nous engageant soit dans des kommandos de la Waffen SS, soit en suivant des cours dans une école de sabotage ou comme agent radio dans les Services spéciaux. Au cours de cet entretien nous devions remplir chacun une fiche individuelle. Après avoir pris connaissance de nos fiches, Lainé demanda à chacun de nous si nous acceptions d’être admis dans une école pour y suivre des cours spéciaux de sabotage. Nous avons tous accepté car personne ne voulait combattre dans une unité de la Waffen SS. » Péresse et le lieutenant Wilde assistent à l’entretien, à l’issue duquel Lainé ordonne aux volontaires d’aller au cantonnement récupérer leurs bagages et de ne pas faire savoir à leurs camarades qu’ils partaient faire un stage dans une école de sabotage, dont ils ignorent l’emplacement. Vers 17 h, Eugène Schumacher, un aspirant de la Wehrmacht, conduit le groupe à la gare de Tübingen afin de prendre un train à destination de Horb, où il passe la nuit, puis ensuite vers Altensteig (Bade-Wurtemberg) et enfin le village proche d’Ettmannsweiler, où ils sont logés séparément chez des particuliers.

Nous ne disposons que d’informations parcellaires sur cette nouvelle organisation en quatre groupes d’une dizaine d’hommes chacun. Les anciens du Bezen ayant pris la fuite en Allemagne et que j’ai pu rencontrer – le premier fut Alan Heussaf, chez lui à Dublin, en 1973 – n’étaient pas très loquaces sur le sujet. Un groupe choisit la Waffen SS, sous les ordres de Péresse, qui entraîne avec lui les plus déterminés, dont Michel Chevillotte « Bleiz », Jean Bourhis « Guével », le jeune Marcel Bibé « Targaz », qui s’était engagé au Bezen alors qu’il n’avait que 17 ans. Il sera capturé par les Russes sur le front de l’Est. Il y a aussi un certain « Teil », que je n’ai pas réussi à identifier. Un groupe radio est basé à Stetten, en Forêt-Noire, où seraient présents Raymond Magrez « Coquet », Maurice Lemoine « Manac’h », René Guyomard « Morin », François Jarnouen « Moreau », Joseph Hirgair « Skav ». Un groupe Propaganda, avec Jean Guyomard « Pipo », Émile Luec « Forster », Gilbert Foix « Eskob », Raymond Jegaden « Le Coz » (1), Jean Guyomard « Pipo », Georges Esnol « Edwin », reste avec Lainé à Tübingen. Ce qui n’empêchera pas des transferts d’un groupe à l’autre.

Pour le groupe de sabotage d’André Geffroy, les cours commencent dès le 2 janvier 1945 à l’école d’Ettmannsweiler. Schumacher leur explique les différentes façons d’utiliser le plastic anglais, sa composition et sa force de déflagration. Le principal avantage de cet explosif étant sa maniabilité, surtout pour le sabotage des voies ferrées. On peut même le faire fondre au bain-marie pour le dissimuler dans un récipient quelconque. Par contre, on ne peut le faire exploser qu’à l’aide d’une mèche lente ou d’un crayon allumeur. Des exercices pratiques sont effectués en campagne, avec également des explosifs allemands. Une semaine après son arrivée, le groupe est divisé en deux équipes sur ordre de Lainé. Goulven Jacq, Joseph Morvan, André Chevalier et Pierre Hirgair sont désignés pour suivre des cours de radio. Ils sont rejoints par Émile Luec, qui arrive de Tübingen. L’objectif est de les utiliser ultérieurement dans les services de renseignements allemands comme opérateurs radio. Le reste du groupe continue l’instruction aux sabotages durant tout le mois de janvier, avec toujours des marches d’une vingtaine de kilomètres en forêt. Ils doivent apprendre à s’orienter à l’aide d’une boussole ou d’une carte d’état-major. A défaut d’instruments, la mousse au pied des arbres indiquera le nord, tandis que l’autel d’une église est généralement orienté vers l’est.

Début mars, commence l’instruction aux méthodes de sabotage, où il est question « d’explosifs en néolite » présentés par Schumacher sous forme de semelles en caoutchouc, de ceintures de pantalons, et d’authentiques imperméables auxquels il suffisait d’installer un détonateur pour provoquer une explosion. Il y a également des engins explosifs présentés sous forme de boîtes de conserves.

Fin mars, face à l’avancée des troupes alliées, les deux groupes doivent se replier sur la Bavière à Fürstenfeldbruck, près de Munich, mais font auparavant une halte à Tübingen. Hirgair et Le Dret se rendent au PC du Bezen et reviennent à la gare en compagnie de Lainé, qui s’entretient avec Schumacher. Arrivés à Fürstenfeldbruck, les hommes s’installent d’abord dans un couvent pendant une semaine, puis se rendent ensuite dans une école de garçons située au village de Hohenweiler, près du lac de Constance. Les repas sont pris dans un restaurant de la ville. Les cours continuent durant tout le mois d’avril, avec deux instructeurs supplémentaires parlant très bien le français. A ce moment, Schumacher leur annonce qu’à l’issue de leur formation, ils seraient envoyés en mission de sabotage en Bretagne, sans plus de précision, sinon qu’il était question de la base sous-marine de Lorient, d’où il serait relativement facile de franchir les lignes alliées pour se rendre dans le centre-Bretagne, où du matériel de sabotage serait parachuté.

Fin avril, toujours à Hohenweiler, Le Dret annonce à Geffroy qu’un homme, qui avait sans doute obtenu l’autorisation de Schumacher, demande à lui parler, à côté de l’école. Cet énigmatique visiteur, âgé d’environ 35 ans, qui se présente de la part de Lainé, déclare être le Dr Husson, d’origine alsacienne. Il dit connaître très bien la Bretagne et la question autonomiste car il était déjà en contact avec Lainé avant-guerre. Après un rapide exposé de la situation allemande, et au vu de la rapidité de l’avance des Alliés, il conseille à Geffroy de rentrer le plus vite possible en France puis de chercher du travail dès son arrivée, soit dans une ferme, soit sur son métier (Il était forgeron), et de faire son possible pour entrer en contact avec ses autres camarades du Bezen. Husson ne donne aucune consigne spéciale, sinon celle de tout mettre en œuvre pour faciliter le regroupement des membres du Bezen, à la suite de quoi Lainé rentrerait en Bretagne pour donner des ordres. A l’issue de cet entretien, Husson remet à Geffroy la somme de 16 000 francs en billets, afin de couvrir ses frais, le temps de trouver du travail.

dimanche 10 mai 2020

Le repli du Bezen Perrot en Allemagne (1ère partie)


Après avoir fait sauter le « verrou » d’Avranches, le 31 juillet 1944, les G.I. de Patton déferlent sur la Bretagne. Les deux ou trois groupes du Bezen Perrot, encore en opération contre les maquis à Scrignac et dans le Morbihan, rentrent précipitamment à Rennes. Parmi ceux-ci, André Geffroy « Ferrand », 23 ans, qui participait aux tortures commises par le Sicherheistdienst (SD) dans les geôles de Locminé : (Tous les pseudonymes cités entre guillemets sont de l’auteur) : « Le 2 août 1944, nous avons reçu l’ordre de Péresse « Cocal » de préparer tous nos bagages en vue d’un départ éventuel. Cet ordre fut donné le matin vers 9 h 30 et toutes les valises furent rassemblées dans une pièce. J’ai assuré la garde du quartier rue Lesage de 12 h à 14 h, et c’est à ce moment là que nous avons entendu les canons de l’armée américaine. Aussitôt Péresse a fait conduire tous les bagages au SD et vers 16 h 30 le Kommandeur nous a donné l’ordre de nous rassembler au siège du SD. » Auparavant, Jean Hascouët « Gwinver », Goulven Jacq « Le Maout » et François Le Gallo « Saïck ou Toc’h » restent au quartier pour brûler toutes les archives. Leur mission terminée, ils rejoignent ensuite le siège du SD à la Maison des étudiantes, rue Jules Ferry, où les attend Célestin Lainé « Hénaff », le chef du Bezen.

Siège du SD, rue Jules Ferrry
Le convoi, comportant trois camions, un car et une dizaine de voitures légères, stationne rue Jean Macé, le long de l’EPS, transformé en hôpital militaire. A bord des véhicules ont pris place les policiers du SD (Le personnel féminin a été évacué deux jours auparavant) ainsi que les civils du Parti National Breton (PNB). La plus grande partie des membres du Bezen porte l’uniforme de la Waffen-SS, les autres sont en civil. C’est le cas du camion où se trouve Geffroy avec : Jean Le Boulc’h « Jan », Enest Kerviel « Glaz », Christian Guyonvarc’h « Cadoudal », Yves Le Négaret « Le Floch ou Lizidour », Stanislas Le Rouzic « Peltan ou Félix », Corentin Faou « Mikaël ou Gonidec ».

Le convoi quitte Rennes aussitôt et reste groupé jusqu’à Angers, qui est atteint le soir même. Alors que les hommes du Bezen sont cantonnés dans un baraquement du SD, les civils continuent leur route sur un château de Faye-d’Anjou, où ils vont rester deux ou trois jours. De là un camion prend seul la direction de Paris avec à son bord cinq hommes : Marcel Guieysse, Hervé Botros, Roparz Hemon, Jos Youenou et Joseph Nédélec, plus huit femmes : dont Germaine Péresse et ses deux enfants, Marie Guieysse et sa fille, Mathilde Le Gall, épouse de René Hervé « Marcel », et son bébé, l’épouse d’Émile Luec « Forster » et sa fille, la fiancée de Marcel Pinard « Cardinal », Yvonne Auffret, ancienne secrétaire de Debauvais. Mathilde Le Gall cite également une certaine Simone : « 27 à 28 ans, forte corpulence, maîtresse et fiancée d’un agent de la Gestapo, originaire de Lorraine qui s’occupait de l’unité Perrot et dont je ne puis fournir le signalement. » On aura reconnu l’adjudant Hans Grimm, qui retrouvera sa maîtresse à Strasbourg.

Lorsqu’elles arrivent à Paris, les femmes sont logées à l’hôtel Bachaumont (2ème) pendant quatre ou cinq jours. Elles sont surveillées et ne peuvent sortir qu’accompagnées. Quittant ensuite Paris pour Nancy, elles sont logées pendant quelques jours dans un couvent, puis rejoignent Strasbourg le 18 août, où elles seront accueillies par le Standartenführer SS Hermann Bickler, une vieille connaissance des nationalistes bretons, qui leur procure des saufs-conduits. Anna Youenou, la veuve du chef du PNB Debauvais, et son fils, qui étaient à Colmar, rejoignent les réfugiées : « Nous fûmes reçus royalement au centre d’accueil, rue Saint-Louis, avec biftecks, nouilles et pain à volonté. Il y avait aussi du lait pour les enfants. »

De son côté, le convoi des hommes quitte Angers pour atteindre Paris le 8 août. Dans la capitale, trois hommes en profitent pour s’évader : Louis Nogues « Kémeneur », Corentin Faou et Joseph Le Berre « Stern ou Kernel », ce dernier sera tué le 17 août sur une barricade FFI lors des combats devant la mairie de Drancy. Le séjour à Paris est bref : « Dans la capitale, Le Négaret et Guyonvarc’h ont pris une petite voiture Renault et je ne les ai plus revus avant Chaumont. A Paris également, Le Rouzic et Faou nous ont quittés pour prendre place dans le convoi où se trouvaient ceux qui étaient en uniforme. Je les ai retrouvés aussi à Chaumont. Ainsi il ne restait plus dans mon camion qu’Alphonse Le Boulc’h « Jan », Kerviel, les deux Allemands du SD de Rennes, un Allemand du SD de Brest se nommant Bernard que nous avons embarqué à Paris, et moi », déclare André Geffroy.

Le 10 août, le convoi arrive à Châlons-sur-Marne, où Jacques Malrieu « Héric », 25 ans, se met en civil et en profite pour déserter le 14 août, sans rien dire à personne. Que s’est-il passé lors de cette étape à Châlons-sur-Marne ? D’après une déclaration de Le Négaret, un groupe composé de Geffroy, Michel Chevillotte « Bleiz », Louis Feutren « Le Maître » et Gilbert Foix « Eskob ou Bishop », aurait participé à une opération contre un maquis de la Région. Interrogé à ce sujet, Geffroy répond : « Je ne sais absolument rien de cette expédition et je n’ai participé à aucune expédition durant mon séjour à Châlons-sur-Marne. » Le Négaret, qui ne semble pas jouir de toutes ses facultés, ayant déclaré au juge : « Je dois vous dire que je suis atteint de débilité mentale », il est en effet permis d’avoir des doutes. Quoi qu’il en soit, lors de son séjour à Châlons-sur-Marne, Gilbert Foix reconnaît avoir effectué une patrouille dans une voiture avec Joseph Cattelliot « Morel », Marcel Pinard « Cardinal », et… André Geffroy. Leur véhicule sera mitraillé par un avion américain, les obligeant à se jeter dans un fossé.

Après Châlons-sur-Marne, le convoi se rend à Troyes, où il stationne du 15 au 23 août. C’est durant ce séjour que se produit un crime de guerre qui a fait l’objet de nombreuses publications, notamment dans l’ouvrage de Roger Bruge, 1944 : Le temps des massacres, paru en 1994. Le 22 août 1944, en fin de journée, 49 jeunes résistants sont extraits de la prison de Troyes puis emmenés sur la commune de Creney, au nord de la ville, pour y être exécutés par des Allemands du SD de Rennes, sous les ordres d’Hartmut Pulmer. D’après plusieurs témoignages concordants, il y avait parmi ce peloton d’exécution trois soldats en uniforme allemand parlant le français. Interrogé, Geffroy déclare : « C’est à Chaumont que j’ai appris que des détenus de la prison de Troyes avaient été exécutés. Je l’ai su par mes camarades mais ces derniers ne m’ont pas donné le nom de ceux qui avaient pris part à ces exécutions. Au sujet de cette affaire, je ne peux vous fournir aucun renseignement car personnellement je ne me suis pas arrêté dans cette ville. » S’il est attesté que des éléments du Bezen ont participé à ce crime de guerre, on ne connaît toujours pas leur nom avec certitude, même si celui de Chevillotte revient avec insistance. D’après un prisonnier allemand, interrogé après-guerre, il y avait Michel Chevillotte, Gilbert Foix et Jean Guyomard « Pipo », qui avait la réputation d’être une brute au Bezen (1), tout comme ses deux camarades, qualifiés de « très violents ». Pour Bruge, ce n’était pas Foix mais Le Négaret. D’après Guyonvarc’h, Chevillotte lui aurait dit avoir participé aux exécutions de la prison de Troyes et Émile Luec « Forster », aurait également fait partie du peloton. Interrogé le 17 novembre 1944, Le Négaret déclare : « Séjour à Troyes le 15 août 1944, Foix a été avec les Allemands du SD procéder à des exécutions de résistants, une cinquantaine. Dans le peloton d’exécution il y avait Chevillotte, Jean Guyomard et un autre dont je ne me rappelle plus le nom. » Interrogé à nouveau le lendemain, il parle de quatre autonomistes et cite : « Gilbert Foix, Chevillotte et Jean Guyomard. » Raymond Magré « Coquet », cite également Chevillotte. Xavier Mordellet « Rual ou Le Mousse », cite Chevillotte, mais aussi Geffroy qui : « était toujours volontaire pour ce genre de mission. »

Le lendemain de ce massacre, les membres du Bezen se rendent à Chaumont, où sont regroupés les agents du SD de Rennes et leurs supplétifs du Groupe d’Action du PPF, qui avaient aussi pris la fuite le 2 août. Ils sont cantonnés dans un Centre de formation professionnelle, boulevard Gambetta, en centre ville.

Depuis Paris, Xavier Mordellet « Rual ou Le Mousse », 17 ans, envisageait de quitter le Bezen. Lorsque le groupe quitte Troyes, il en parle à Christian Guyonvarc’h, 18 ans, et Yves Le Négaret, 27 ans, chauffeur d’une camionnette. Les deux premiers se cachent à l’arrière du véhicule qui se laisse distancer par le convoi en route pour Chaumont et prend une petite route qui mène à Prez-sous-Lafauche. Au village, les trois hommes tentent de se faire passer pour des prisonniers des Allemands souhaitant rejoindre un maquis FFI. Les Américains approchant de la région, ils décident de quitter Prez-sous-Lafauche pour rentrer en Bretagne. Ils n’iront pas loin. Comble de malchance en effet, alors qu’ils sont à Colombey-les-Deux-Eglises, ils sont reconnus par un gendarme de Chaumont qui avait repéré Guyonvarc’h à Troyes en compagnie d’un Allemand. Arrêtés, ils seront transférés sur Rennes.

Après avoir quitté Chaumont, le convoi arrive à Saint-Dié, dans les Vosges. Geffroy envisageait-il lui aussi de déserter ? : « C’est dans cette ville que je me suis emparé d’une carte d’identité au nom de Tougat Joseph, qui se trouvait dans une malle avec divers autres papiers. Cette malle appartenait à un Allemand. » Lorsqu’elle était interprète au SD de Rennes, Paule Norsbach, 32 ans, d’origine allemande mais de nationalité française, entretenait une liaison avec Louis Guervenou « Docteur », 22ans, du Bezen : « Il m’a confié un jour qu’il s’occupait de la partie administrative au sein de la sûreté allemande et qu’il avait même assisté à diverses perquisitions chez des habitants de Rennes. Le 31 juillet 1944, j’ai quitté Rennes pour me replier à Angers avec les femmes des services allemands. Guervenou m’a rejoint dans cette ville dans la nuit du 2 au 3 août 1944. » Le 14 août, Paule Norsbach arrive à Chaumont, où se replie le SD : « Mon service est resté momentanément dans cette ville ; j’en ai profité pour aller rendre visite à Guervenou, dont la formation se trouvait à Troyes. Je suis restée à Troyes du 20 au 22 août, que j’ai quitté en compagnie de Guervenou pour me rendre à Bar-sur-Aube dans une voiture réquisitionnée par le Service Allemand. De Bar-sur-Aube nous sommes partis à Chaumont. Nous nous sommes quittés momentanément, dans cette ville, ma formation s’y trouvant toujours. » Elle retrouve Guervenou le 27 août à Vittel. De là, le 29, le couple file sur Colmar, puis se rend à Épinal où il séjourne jusqu’au 1er septembre. La ville étant bombardée, ils partent précipitamment sur Saint-Dié, où ils passent deux nuits dans une caserne occupée par les Allemands. Guervenou porte toujours l’uniforme Waffen-SS. « Depuis notre départ de Troyes, nous avions décidé de quitter le convoi dont nous faisions partie, mais aucune occasion propice ne s’est présentée avant Saint-Dié », déclare Paule Norsbach. Le 4 septembre, en soirée, le couple quitte la caserne de Saint-Dié. Guervenou est au volant : « Profitant d’une réparation à effectuer à ma voiture, je me suis rendu dans le maquis de Xertigny, dans les Vosges, avec armes et bagages (Une mitraillette et son chargeur, un pistolet, deux chargeurs FM garnis, des grenades et 150 cartouches de pistolet et un lot de cartouches de mitraillettes). J’y suis resté quinze jours environ, jusqu’à l’arrivée des Américains. Puis ensuite je suis rentré au Chesnay (Seine-et-Oise) le 23 septembre 1944 et j’ai quitté le domicile de mes parents le 3 octobre 1944 pour me rendre à Paris afin d’y trouver du travail et où j’ai été reconnu et arrêté. » Comme ses camarades à Colombey-les-Deux-Églises, c’est tout à fait par hasard que Guervenou se fait prendre : «  Le 7 octobre 1944, vers 14 h, je me trouvais à la station de métro Havre-Caumartin, quand j’ai été reconnu par une dame de Rennes, qui m’a interpellé en ces termes : « Vous êtes un soldat allemand, suivez-moi au commissariat ! » J’ai essayé de m’enfuir, mais cette femme a appelé deux FFI qui m’ont arrêté et conduit au Commissariat Central, ensuite à la Conciergerie et le Fort de Noizy-le-Sec. » Cette Rennaise est Mme Jagu, dont le mari avait été arrêté par un groupe du SD, dont faisait partie Guervenou, rue de Dinan, le 18 février 1944. Auparavant, Stanislas Le Rouzic « Peltan ou Félix », 23 ans, avait également déserté : « Je fus arrêté par Péresse à Chaumont, durant l’exode de la Formation vers l’Allemagne, mais je réussis à m’évader à Vittel avec la complicité de Magré qui refusa de me suivre parce qu’il avait peur d’être pris et qu’il comptait trouver une occasion plus favorable à Nancy (…) J’ai entendu dire qu’à Troyes, Péresse avait demandé des volontaires pour faire partie d’un kommando chargé non pas de fusiller des prisonniers politiques, mais seulement d’extraire ceux-ci de la prison pour les conduire jusqu’à la gare d’où ils furent envoyés sur l’Allemagne. »

Le 15 septembre 1944, au terme d’une fuite d’un mois et demi, parsemée de nombreuses désertions, le Bezen Perrot arrive à Strasbourg, où il reste cantonné avant de franchir le Rhin.
Carte publiée dans Agents du Reich en Bretagne    

 

(1) Jean Guyomard était un ancien élève du lycée Anatole le Braz de Saint-Brieuc et copain du jeune Paul Chaslin, entré au mouvement « Défense de la France » en septembre 1942. Chaslin voulait rejoindre la France libre en passant par l’Espagne en entrainant avec lui trois autres lycéens : Jean Le Bail, Jean-Paul Le Moël et Jean Guyomard. Malheureusement, ce dernier était déjà tenté par les thèses autonomistes et préféra rester en Bretagne pour préparer le concours d’entrée à l’école d’Hydrographie de Paimpol. Il s’engagera ensuite à la Bezen. Grande figure de la Résistance mais aussi des Éclaireurs de France, Paul Chaslin a été fait commandeur de la Légion d’honneur, décoration remise par son amie Marie-Josée Chombart de Lauwe. Il est décédé en 2012. Dans le livre De la nuit à l’aurore, des lycéens dans la guerre 1939-1945, Lycée Anatole Le Braz, publié en 1995, Paul Chaslin revient sur son étonnante rencontre avec Guyomard.

vendredi 10 avril 2020

L'étonnante analyse du Mouvement breton sous l'Occupation, par Jacques Vassal


Le confinement, cela peut-être aussi l’occasion de faire un peu de « désherbage ». Ainsi cet ouvrage, que je retrouve avec sa première de couverture tout à fait dans le style de l’époque : la nouvelle chanson bretonne, de l’excellent Jacques Vassal dans lequel l’auteur aborde brièvement la période de « L’Occupation et l’Épuration » du Mouvement breton. Il est paru il y a près de 50 ans maintenant, c’est-à-dire avant le livre de référence d’Alain Deniel, Le Mouvement breton 1919-1945, Maspéro, 1976 ; puis celui de l’historien « autonomiste » Michel Denis, Mouvement breton et fascisme : signification de l’échec du second Emsav, PUF, 1977 ; et enfin les travaux qui font autorité de Michel Nicolas, Histoire du Mouvement breton, Syros, 1982. Le texte de Vassal, qui n’est pas historien, est daté, sans aucun doute ; mais c’est précisément ce qui en fait son intérêt. Imagine-t-on aujourd’hui un historien, fût-il « autonomiste » asymptomatique, se livrer à une telle analyse ? J’entends d’ici les cris d'orfraie :



L'OCCUPATION ET L' « ÉPURATION ».

« À l'approche de la guerre et dans ses premiers mois, la diplomatie allemande laissa croire à qui voulait l'entendre qu'elle serait favorable, dans le cas d'une « liquidation » de l'État français, à l'indépendance de la Bretagne. Il n'en fallut pas plus à Mordrel et à Debauvais pour s'exiler à Berlin dès la déclaration de guerre. Pendant plusieurs mois, ils y plaidèrent la cause de leur pays, mais en vain. Deux tendances, en effet, s'affrontaient dans l'entourage d'Hitler celle du démembrement total de l'État français (cf. ci-dessus) et celle de la collaboration avec un gouvernement fantoche, qui devait prévaloir dès juin 1940. Le revirement fut brusque puisque, si l'on en croit Yann Fouéré (cf. La Bretagne écartelée), les journaux de Berlin venaient de préparer des articles annonçant l'indépendance de la Bretagne, et ces éditions furent suspendues en cours de tirage « sur ordre d'en haut ».

Olier Mordrel à Rome, 1939
Faisant succéder la maladresse à la naïveté, Mordrel et Debauvais rentrèrent en Bretagne en empruntant une colonne de blindés allemands. Les accusations, non vérifiées, allèrent bon train évidemment. Pourtant, si l'on se réfère à leurs attitudes d'avant-guerre, les Breiz-Atao n'étaient pas nazis : en 1929, ils avaient supprimé de leur emblème la svastika celtique, avec laquelle Hitler commençait déjà à pavoiser. Tout au plus pourrait-on dire que Breiz-Atao avait subi la fascination et le mimétisme des mouvements de droite parisiens comme les Croix de Feu ou les Camelots du Roi, très en vogue dans les années 30. Le Conseil national breton, formé en 1940, n'eut qu'un rôle limité, puisque le gouvernement de Vichy ne voulait lâcher aucun morceau de la France. En revanche, Pétain s'étant prononcé pour un retour à un « provincialisme » au demeurant aussi vague que désuet, les hommes de pointe de l'Emsav en profitèrent pour réclamer et obtenir, de 1940 à 1944, ce que dans l'histoire aucun gouvernement français n'avait accordé aux Bretons : l'enseignement de leur langue dans les écoles et un certain nombre de droits culturels. Roparz Hémon fut speaker à Radio-Rennes, et les journaux bretons, dans les deux langues, purent aussi utiliser les presses réquisitionnées des quotidiens d'avant-guerre. Le plus connu de ces journaux, l’Heure Bretonne, ne ménagea du reste pas ses critiques à l'adresse de Vichy comme de Berlin.

Il est donc fallacieux de dire, comme certains s'en empressèrent : «Breiz-Atao égale collabo.» Mais il est exact que Vichy et les Allemands tolérèrent l'activité bretonnante. Maigres concessions qui n'empêchèrent pas la Bretagne de devenir l'un des plus précoces et des plus actifs foyers de la Résistance. Elles furent pourtant, dès la Libération, prétexte à une répression féroce et insatiable pour justifier la liquidation à bon compte de l’Emsav, la République renaissant de ses cendres, le jacobinisme suivait de près. L'épuration « légale » fut, comme dans l'ensemble de la France, précédée d'une série de règlements de comptes, d'assassinats et d'arrestations tout à fait arbitraires. Toute personne qui montrait le moindre signe de bretonnité était suspecte de collaboration : dessins celtiques sur les sabots d'un enfant, sonneur de biniou, ancien abonné à Breiz-Atao (les listes dataient d'avant-guerre!), voilà qui suffisait pour dénoncer et abattre quelqu'un. Les procès « légaux » de militants bretons durèrent jusqu'en 1947 et leur sévérité indigna les Gallois qui envoyèrent une commission d'enquête. Elle rapporta des témoignages accablants contre la justice française, mais cela resta ignoré chez nous : le mouvement politique breton était anéanti et voué à l'opprobre national. Aujourd'hui encore, l'Emsav en subit les conséquences lointaines. »
Jacques Vassal, la Nouvelle Chanson bretonne, Albin Michel, 1973, p. 57-59