jeudi 25 décembre 2014

Le gisant de Pleine-Fougères



Les pérégrinations du gisant de Pleine-Fougères
Dès lors que Gambetta lance son célèbre « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » à la Chambre en 1877, la lutte entre républicains et cléricaux ne va cesser de se radicaliser, jusqu’à la séparation entre les Églises et l’État de 1905. Cette bataille – particulièrement vive dans les nombreux journaux locaux de l’époque – va parfois prendre une tournure assez cocasse. Ainsi à propos de cette dalle tumulaire, présente depuis des siècles dans l’église de Pleine-Fougères.
L’affaire commence avec un article intitulé « L’expulsion du chevalier », paru dans l’hebdomadaire malouin Le Salut, daté du 28 décembre 1889 : « C’est à ne pas y croire, mais il parait que c’est vrai. Il existait dans le cimetière de Pleine-Fougères une pierre tombale représentant un chevalier du Moyen-Âge. Tout à coup on constata que cette pierre avait disparu. Qu’était-elle devenue ? » C’est la stupeur dans les milieux cléricaux : « On apprit que le chevalier, le visage retourné, recouvrait très-prosaïquement un égout quelconque. » Et Le Salut de s’interroger : « Qui avait donné à la pierre tombale cette étrange destination ? ». La réponse se trouve dans un autre hebdomadaire, Le Petit-Dolois, qui accuse le maire de Pleine-Fougères : « Ce chevalier avait en effet le don de crisper M. Brune qui se jura un jour de faire disparaitre ce vestige d’ancien régime. » Et c’est sur son ordre, assure le journal : « Qu’un beau soir on procéda à l’enlèvement du chevalier. »
François Brune ne peut évidemment pas laisser passer une aussi grave accusation et répond au Salut le 20 janvier 1890 : « La dalle du chevalier du Plessix a été placée à l’endroit que vous indiquez par un entrepreneur. Vous pouvez être sans crainte sur l’enlèvement de cette pierre. Les habitants de Pleine-Fougères la trouvent trop bien à sa place pour qu’ils essaient de l’enlever. Jetée hors de l’église par vos amis, à cause de son inconvenance, elle ne pouvait avoir d’autre sort que celui qu’elle a. Le seigneur du Plessix respire à son aise les odeurs des descendants de ceux qu’il a fait fouetter. Grandeur et décadence ! » Conseiller général, maire de Pleine-Fougères, futur député, l’homme est certes connu pour ses convictions républicaines et anticléricales, mais de là à faire ôter ce gisant séculaire de l’église, l’affront est grave !
Un autre hebdomadaire, La République de Saint-Malo, daté du 25 janvier 1890, s’empare à son tour de l’affaire : « L’ardeur qu’apporte notre confrère Le Salut, dans ses attaques contre les républicains en général et en particulier contre notre ami, l’honorable M. Brune, maire de Pleine-Fougères, lui fait fréquemment commettre des impairs. » Le journal révèle alors la véritable raison de la translation de ce seigneur du Plessix : « Dans le cours de l’année 1875, M. Rouault, curé de la paroisse, remarquait que la chapelle de la Vierge perdait beaucoup de visiteurs, s’émut et chercha la cause de cette désertion ; il fouilla, fureta, regardant dans tous les coins, sous les chaises, sous les bancs, aspirant à pleines narines, espérant que quelque parfum nauséabond viendrait l’éclairer sur la cause du mal ; mais rien ne s’offrait, ni à ses yeux, ni à son nez. Quel est donc ce mystère se demanda le bon curé ? » Alors qu’il arpentait les dalles de la chapelle déserte, les yeux abaissés sur le sol, notre brave curé s’arrêta tout ému. Il avait trouvé ! Il comprit pourquoi les dévotes de sa paroisse avaient fui la chapelle de la Vierge Marie. « L’une des dalles représentait un grand bonhomme, armé de pied en cap, mais l’artiste sculpteur avait si malheureusement placé l’épée du noble chevalier, que la pointe de l’arme surgissait à un endroit où elle prêtait à une déplorable équivoque. » Le rédacteur du journal n’ayant probablement pas de reproduction de l’objet du délit sous les yeux, il confond la pointe de l’épée avec un pommeau effectivement très suggestif.
Quoiqu’il en soit, la résolution du bon curé fut aussitôt prise : « Des maçons furent appelés et sans plus tarder l’indécente image fut expulsée du saint lieu et reléguée dans un coin du cimetière, qui à cette époque entourait l’église. »
Mal lui en prit ! En effet, à la fin de la même année : « De mauvaises langues prétendaient que parfois on voyait, la nuit, des fantômes dansant autour de l’image du chevalier. »
Du coup, la pierre fut vouée aux gémonies et, en 1876, « M. Cadieu, entrepreneur, demanda s’il pouvait pour couvrir ses caniveaux, disposer de l’indécent caillou, lequel du reste dans ses nombreuses pérégrinations, s’était ouvert en deux. Maire et curé furent d’accord et le portrait en pied du preux chevalier fut utilisé une fois dans sa vie. »
Finalement, c’est au mois de mai 1935 que la dalle sera retirée du ruisseau à l’initiative de l’historien Eugène Jarnouen. Le 29 juin de la même année elle sera inscrite sur la liste des monuments historiques et installée contre le mur extérieur de l’église où elle trouve sa place définitive.

Kristian Hamon.
Article publié dans La Gazette de la Manche, 2014.

mardi 23 décembre 2014

La collaboration en Ille-et-Vilaine



La collaboration politique
Quatre jours après l’arrivée des Allemands, un Rennais fait une entrée plus que discrète en ville et prend possession d’une villa réquisitionnée au 20, rue Waldeck-Rousseau, où il installe sa garde rapprochée. Il s’agit de Fransez Debauvais, le chef du Parti national breton (PNB), réfugié en Allemagne après la dissolution du parti par Daladier en 1939. Situation inédite dans une ville occupée, d’un nationaliste condamné à mort pour trahison, ramenant dans les fourgons nazis une centaine de prisonniers bretons libérés des stalags par les Allemands. Pour l’heure, Debauvais ne doute pas un instant que le Reich victorieux va accorder son indépendance à la Bretagne. On sait ce qu’il adviendra après l’entrevue de Montoire du 24 octobre 1940. Pétain entrant « dans la voie de la collaboration », Hitler n’avait plus aucun intérêt à remettre en cause l’unité territoriale française.
En cette première année d’occupation, il y a bien quelques actes isolés de résistance, mais ils sont rares et vites réprimés. Marcel Brossier sera le premier résistant fusillé à la Maltière le 17 septembre 1940. Globalement, - et comme partout en France –, la population est plutôt pétainiste, ce qui n’implique évidemment pas une adhésion au national-socialisme. Pratiquement tous les partis collaborationnistes autorisés par les Allemands en zone occupée ont une permanence dans la capitale bretonne, devenue préfecture de région et siège d’une importante administration de guerre allemande. Combien de personnes, que l’on désignera plus tard sous le terme de « collabos », vont franchir le pas d’une adhésion ? Des fiches individuelles, établies par la police de Vichy en 1943, permettent de se faire une idée assez précise de la réalité de la collaboration à Rennes et en Ille-et-Vilaine. Encore qu’à cette date, bon nombre d’adhérents, sentant le vent tourner, ont déjà démissionné.
Sur le spectre des partis collaborationnistes, le PNB occupe assurément une place à part. Convaincu que la Bretagne finira bien par trouver sa place dans « L’Europe nouvelle », les nationalistes bretons vont développer leur propagande antivichyste sous la bienveillante protection des autorités d’occupation. C’est le premier parti autorisé par les Allemands à Rennes. Dès juillet 1940, son journal L’Heure Bretonne s’affiche au premier étage de l’immeuble situé à l’angle de la rue d’Estrées et de la place de la Mairie, qui deviendra place du Maréchal-Pétain le 22 janvier 1941. Le siège régional occupe de vastes bureaux quai Lamartine, alors que la permanence départementale est située au 4, rue de Toulouse. D’après les fiches de police, le PNB compte 206 adhérents en Ille-et-Vilaine, sans compter les sympathisants et les 3 000 abonnés du journal. Le parti dispose également d’un mouvement de jeunesse d’une centaine de membres : les « Bagadoù Stourm », reconnaissables à leurs uniformes noirs et cravates blanches.
Autre spécificité rennaise, la forte présence du groupe Collaboration, dont L’Ouest-Éclair du 15 novembre 1941 annonce l’ouverture d’une permanence au 4, rue Du Guesclin, suivie d’une conférence donnée par Alphonse de Châteaubriant au théâtre : « Devant une salle comble, l’orateur souligne les nécessités du rapprochement franco-allemand. Dans la salle, on remarque le préfet et Bahon-Rault, conseiller national, président de la Chambre de commerce ». Il ne s’agit pas d’un parti politique et la double appartenance est fréquente. Le recrutement du groupe est nettement élitiste : Pierre Sordet, directeur de L’Économique ; René Guillemot, des Nouvelles Galeries ; Pierre Arthur, de L’Ouest-Éclair ; le peintre Louis Garin, etc. La section économique de Collaboration permet en effet d’établir des contacts fructueux avec l’occupant. Parmi les 304 adhérents, on trouve aussi de nombreux commerçants, souvent en situation de dépendance à l’égard de l’occupant. Le groupe a également sa section de jeunesse d’une cinquantaine de membres : les Jeunes de l’Europe nouvelle.
L’époque est aux « partis uniques et chefs suprêmes ». Ceux-ci ont tous pignon sur rue, le plus souvent dans un local « aryanisé ». Le Rassemblement national populaire, avec ses bureaux situés au 1 quai Lamennais, est bien implanté en ville avec 143 adhérents d’après les fiches de police. Un autre fichier, retrouvé au siège du parti à la Libération indiquera 335 membres pour l’Ille-et-Vilaine. À l’image de son chef Marcel Déat – un normalien, ancien député de la SFIO issu de la petite bourgeoisie républicaine – le RNP recrute surtout parmi les fonctionnaires, employés ou enseignants. Le parti dispose également d’une section d’environ 70 jeunes : les Jeunesses nationales populaires.
Moins implanté à Rennes, le Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot, tient permanence au 6, rue Du-Guesclin. La police a établi 114 fiches, dont une bonne partie à Saint-Malo. Cultivant le culte du chef d’un « pays totalitaire », plus actif que le RNP, le PPF séduit les jeunes, mais aussi les classes moyennes avec aussi bien d’anciens militants du PCF que de l’Action Française. Passant ses vacances au Val-André, le « Grand Jacques » a la sympathie des autonomistes, auxquels il assure que la Bretagne aura sa place « dans un France fédéraliste au sein d’une Europe fédérale ».
On retrouve pratiquement le même effectif, avec 111 fiches de police, pour le francisme, dont le chef Marcel Bucard vient en personne inaugurer la « Maison bleue », située au 13 rue du Chapitre. Sorte d’avatar d’un fascisme mussolinien, le francisme va progressivement recruter parmi les milieux marginaux afin de constituer son groupe la « Main bleue », réputé pour sa violence. Son chef local, Paul Gallas, sera finalement abattu par la Résistance. Le francisme dispose également de deux sections de jeunesse d’une centaine d’éléments : Les Chemises bleues.
Peu implanté, avec 52 adhérents fichés, dont une moitié sur Dinard, ville d’origine de Raymond du Perron de Maurin, chef départemental et délégué aux affaires juives, le Mouvement social révolutionnaire (MSR) trouve quand même les moyens de disposer d’un bureau au 8 quai Émile Zola.
En l’absence de toute perspective électorale, l’activité de ces partis est assez restreinte. Les manifestations sur la voie publique sont interdites et les réunions, soumises à l’autorisation des Allemands, doivent se tenir dans des locaux privés. Hors de question d’y entonner La Marseillaise ou de brandir le drapeau national. Reste les conférences. Elles n’ont jamais été aussi nombreuses. Celle donnée le 19 avril 1942 par Doriot de retour du front russe, rassemble plus de mille personnes au théâtre municipal. On organise également des concerts et autres galas de bienfaisance en faveur des prisonniers. Les bombardements de l’aviation anglaise sont également l’occasion d’une intense propagande anglophobe, complaisamment relayée par L’Ouest-Éclair. De la collaboration à la délation, le pas est vite franchi. Ainsi ce groupe La Rose des vents, dont la police a fiché une trentaine de membres sur Rennes. Cette appellation fait référence à l’émission La Rose des vents, diffusée chaque jour sur le poste Radio-Paris. Les lettres de dénonciation envoyées par les auditeurs sont lues à l’antenne par l’animateur Robert Peyronnet, qui les transmet ensuite à la Gestapo, au commissariat aux questions juives ou à la Milice.
Ainsi donc, si l’on fait le décompte de ces fiches, ce sont environ 1 200 personnes qui ont fait le choix d’adhérer à un parti collaborationniste. Ces chiffres ne tiennent évidemment pas compte de tous ces anonymes se contentant de soutenir discrètement ces mouvements en contrepartie d’une faveur ou d’une intervention auprès de l’occupant. Maréchalistes en 1941, ils seront attentistes l’année suivante…

La collaboration armée
Aux « collabos » impatients d’en découdre avec les bolcheviques, le déclenchement de l’offensive allemande contre l’URSS, le 22 juin 1941, offre la possibilité de s’engager dans la Légion des volontaires français (LVF). Une officine de recrutement est bien ouverte au 9 rue Nationale, mais les candidats ne se bousculent pas. Un Comité des amis de la Légion est même constitué avec les docteurs Tizon, Perquis, Massot et l’avocat Perdriel-Vaissière.
Les plus téméraires, tentés par l’uniforme allemand, peuvent s’engager dans la Waffen-SS, qui ouvre un bureau de recrutement au 27 boulevard de la Liberté. Ceux que la discipline militaire rebute peuvent combattre localement « le communisme, le gaullo-swing et la juiverie maçonnique », en s’adressant au Comité d’action antibolchevique, dont L’Ouest-Éclair précise qu’il n’est pas un parti politique mais un « groupe d’action », situé au 24 rue de la Chalotais.
Ces permanences avec vitrines sur rue sont particulièrement visées par la Résistance. Le 28 septembre 1941, un attentat détruit le premier local du francisme au 55 boulevard de la Tour-d’Auvergne. Lors de sa conférence au théâtre, une grenade lancée contre Doriot explose sans l’atteindre. Le 3 juin 1942, un autre attentat à l’explosif provoque de gros dégâts à la LVF. Puis c’est au tour du bureau de la Waffen-SS, boulevard de la Liberté. Le 31 mars 1944, c’est le RNP qui est visé, puis à nouveau la LVF le 26 avril 1944.
Le tournant décisif se produit le 8 novembre 1942, avec le débarquement des Anglo-américains en Afrique du Nord, suivi de l’occupation de la zone sud par les Allemands. Mieux organisée, la Résistance monte en puissance. Jusqu’à présent, la lutte contre les « terroristes » était du ressort de la « Geheime Feldpolizei »(GFP), police de sûreté de la Wehrmacht, installée rue de Robien. Au mois d’avril 1942, celle-ci se voit retirer ses pouvoirs de police au profit de Karl Oberg, chef des SS en France. Aussitôt, la « Sicherheitspolizei » (SD) « Service de la sécurité » de la SS, s’installe à la Maison des étudiantes, rue Jules Ferry. Souvent confondu avec la Gestapo, dont elle n’a rien à envier question « méthodes de travail », la SD est d’une redoutable efficacité et dispose d’un vaste réseau d’indicateurs et d’agents chargés d’infiltrer les mouvements de résistance. On estime à 2 000, le nombre de résistants arrêtés ou déportés par la SD en Bretagne.
La multiplication des actions de la Résistance – surtout après l’instauration du STO en février 1943 – a pour corollaire une implacable répression allemande. La SD peut désormais s’appuyer sur ce qu’il convient d’appeler la Collaboration armée. Le premier de ces groupes est la Formation Perrot, ou Bezen Perrot en breton, créé en décembre 1943. Les membres de cette  Bretonische Waffenverband der SS, issus pour la plupart du PNB, ont signé un engagement sous un pseudonyme et dépendent de la SD. Ces Bretons, moins d’une centaine, sont cantonnés dans une propriété au 19 rue Lesage, ainsi que dans un hôtel particulier au 19 Bd de Sévigné. Dans un premier temps ils montent la garde au siège de la SD, où ils prennent leurs repas. Puis ils servent de supplétifs lors des rafles effectuées par les policiers de la SD, n’hésitant pas à manier la cravache lors des interrogatoires pratiqués dans les caves de la Maison des étudiantes. Au printemps 1944, c’est l’escalade. Armés et revêtus de leurs uniformes Waffen-SS, ils vont participer aux pires exactions contre les maquisards et résistants bretons.
En janvier 1944, la Milice française de Joseph Darnand est étendue à la zone nord. Au mois d’avril, elle s’implante à Rennes. Sans grand succès, si l’on en croit une liste retrouvée à la Libération, indiquant 120 membres pour le département, dont une cinquantaine à Rennes. Le bureau de recrutement est situé au 11 rue Le Bastard. Les miliciens sont cantonnés au 110 de la rue de Saint-Brieuc, au lieu-dit « la Croix-Rouge », là où se situe une station météo du ministère de l’Agriculture. C’est dans les caves de la maison que les miliciens, sous les ordres d’Émile Schwaller, un ancien légionnaire de sinistre réputation, torturent les résistants. Au mois de juin 1944, peu après le Débarquement, deux « centaines » de jeunes miliciens de la Franc-Garde, en uniforme bleu-marine avec le fameux béret, arrivent à Rennes. Un groupe s’installe dans le pensionnat de la rue du Griffon, déjà occupé par des francistes, avant de gagner Fougères. Ces miliciens de la Franc-Garde prennent leurs quartiers au château d’Apigné et à l’asile Saint-Méen, l’actuel hôpital psychiatrique, dont les caves desservent de cellules aux patriotes qui vont y subir les pires sévices.
Le 8 mai 1944, une unité de douze hommes de la « Selbstschutzpolizei » (SSP), arrive de Paris et s’installe dans une maison réquisitionnée au 76 boulevard de la Duchesse-Anne. Comme la Formation Perrot, aux côtés de laquelle elle participe aux opérations, c’est une unité allemande composée de jeunes Français revêtus d’un uniforme de chasseurs alpins bleu et d’un calot de la même couleur.
Le 8 juin 1944, le Groupe d’action pour la justice sociale, une émanation du PPF, arrive à son tour. Recrutés dans les bas-fonds de la collaboration malouine, cette quinzaine de voyous de la pire espèce prend possession d’une maison au 25 rue d’Échange. Ces hommes en civil sont armés et disposent de cartes de police allemande. Leur spécialité est la chasse aux réfractaires au STO et l’infiltration de la Résistance. Ce qui n’exclut pas un marché noir à grande échelle. Qualifiés de véritables gangsters, ils sont responsables des pires atrocités commises à Rennes sous l’Occupation.
Alors que les Américains sont à Maison Blanche, c’est le sauve qui peut général pour les « collabos ». Les moins compromis, qui n’ont fait que fricoter avec l’occupant, vont essayer de se faire oublier quelque temps, puis réapparaitre lorsque la situation sera plus calme. Les Rennais n’échapperont pas au triste défilé de ces femmes tondues place de la Mairie. Le 24 août, un lieutenant FFI va même jusqu’à tondre un jeune homme qu’il appelait un « zazou » ! Spectacle diversement apprécié par la population.
Ceux qui ont fait le coup de feu sous l’uniforme allemand, sachant ce qui les attend s’ils tombent aux mains de la Résistance, se regroupent le 2 août à la SD où un convoi, stationné rue Jean-Macé, les évacue vers l’Allemagne. Commence alors la délicate période de l’épuration. Dans un premier temps elle est assurée par le tribunal militaire, qui a jugé 566 « collabos », dont 7 qui seront fusillés immédiatement. À partir du 3 novembre 1944, la justice civile prend le relais. Au mois de mars 1945, la Cour de justice d’Ille-et-Vilaine avait jugé 489 individus et la Chambre civique 988. C’est deux fois plus que dans chaque département breton.
Pourquoi cet écart ? La réponse est probablement dans cette note, rédigée par le préfet le 16 avril 1945 : « L’Ille-et-Vilaine ayant été le moins résistant des quatre départements bretons, devait être le plus inféodé au pétainisme et à la collaboration et par conséquent le plus susceptible d’épuration ».

Kristian Hamon
Article publié dans le hors-série du magazine Les Rennais « Une mémoire à partager », 2014.