Il arrive parfois, dit-on, que
l’histoire bégaie. Toute proportion gardée, le contexte international n’étant
plus le même, ce qui se passe actuellement en Catalogne interpelle car la
situation n’est pas sans rappeler celle des sinistres années 30. Comme on
pouvait s’en douter, après l’insurrection irlandaise, cette crise catalane
était observée de très près par les nationalistes bretons, avec plusieurs
articles dans le journal Breiz Atao.
Cependant, des divergences d’analyse vont progressivement apparaître entre les
fédéralistes du Parti Autonomiste Breton (PAB), généralement de gauche,
souhaitant une autonomie la plus large possible, mais dans le cadre de l’état
existant, et les séparatistes du Parti National Breton (PNB), d’accord pour
soutenir le combat pour l'indépendance des Catalans ou des Basques, mais épuré des anarchistes,
socialo-communistes et autres « éléments d’extrême-gauche ».
- Le 3 janvier 1931, Breiz Atao, alors « Organe du Parti
Autonomiste Breton », titre en une « Vérité au-delà des Pyrénées… ou
le fédéralisme chez les autres ». Retournant la célèbre pensée de Blaise
Pascal « Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà », l’auteur de
l’article, un certain « Karannoz », écrit « Au commandant
aviateur Franco – l’un des héros de la révolution espagnole provisoirement
manquée – le représentant à Lisbonne de l’agence Havas a demandé : " La future République espagnole, telle que vous la concevez, sera-t-elle
fédérative ou maintiendra-t-on l’Espagne actuelle, une et
indivisible ? " Sans hésiter, le commandant Franco répondit : " La future République pour laquelle je combats ne pourra être qu’une
fédération. " Pour peu qu’on connaisse la péninsule, on est frappé de la
dissemblance qu’offrent les régions entre elles (…) Qui contesterait, par
exemple, que Barcelone soit en avance de vingt-cinq ans, du point de vue
syndical, sur bien des parties de la péninsule ? (…) La disparité des
pays qui composent l’Espagne n’est pas plus marquée que celle des pays qui
composent la France ; que s’il y a des différences de mœurs, de langue et
d’évolution politique entre un Castillan, un Biscayen, un Andalou, un Galicien
et un Catalan, il n’y en a pas moins entre un Breton, un Provençal, un Flamand,
un Alsacien et un Corse ; et que si le fédéralisme se justifie pour l’Espagne,
a fortiori s’impose-t-il pour la
France. » Ce plaidoyer pour un état fédéral n’a rien d’étonnant lorsque
l’on sait que derrière ce pseudonyme « Karannoz » (1) se cache
Maurice Duhamel, membre de la Ligue fédéraliste de Bretagne (La double
appartenance était alors possible au PAB) opposée au séparatisme et clairement
de gauche.
- Trois ans plus tard, le 7 janvier
1934, le PAB ayant disparu de la scène politique bretonne et Breiz Atao devenu l’organe du Parti
National Breton (PNB), un article non signé revient sur la disparition du
« grand patriote catalan » Francesco Macià : « Le chef du
gouvernement catalan vient de mourir, après avoir présidé pendant plus de deux
ans au destin de son pays, nouvellement libéré (…) En 1907 Macià fut élu député
aux Cortès par la province de Lérida qui lui renouvela son mandat à chacune des
élections suivantes. A maintes reprises Macià dénonça au parlement espagnol
l’oppression dont étaient victimes ses compatriotes (…) Poursuivi, Macià
s’enfuyait en France, en 1917, lorsqu’il apprit que son premier lieutenant
allait être condamné à mort. Il revint en Catalogne et se constitua prisonnier.
Sous la pression de l’opinion publique, ils furent tous deux relâchés.
Cependant, le nationalisme catalan voyait croître sans cesse son influence.
Malheureusement sur ce mouvement de réveil national vint se greffer une
agitation anarchique, qui, selon certains, fut suscitée par Madrid pour
anéantir les efforts des patriotes catalans. Ces troubles justifièrent aux yeux
de l’opinion européenne les mesures de rigueur que prit le nouveau
capitaine-général de la Catalogne Primo de Rivera, qui devint président du
Directoire espagnol, et se vit confier le pouvoir par le roi Alphonse XIII le
14 septembre 1923. Ce jour-là s’ouvrit, pour la Catalogne, l’une des périodes
les plus sombres de son histoire. » Breiz
Atao rappelle l’oppression exercée par Primo de Rivera sur les militants
catalans, l’interdiction du drapeau national ou de la langue catalane dans
l’enseignement public et l’exil en France de nombreux patriotes. Après l’échec
de sa tentative d’insurrection menée à partir de la France le 1er novembre
1926, Macià est arrêté et emprisonné à Perpignan puis expulsé vers la Belgique.
Républicain de gauche, Macià revient définitivement en Catalogne en 1931.
Remportant les élections, il proclame la République catalane dont il prend la
tête : " Rappelons que Breiz
Atao lui envoya un télégramme de félicitations, auquel il répondit par des
remerciements. " Le 9 septembre
1932, les Cortès votèrent le statut de « Généralité de Catalogne ».
La Catalogne était reconnue comme « région » et non comme
« état », écrit Breiz Atao,
qui ajoute : « Ces exigences du gouvernement de Madrid qui nous semblent
inacceptables et disproportionnées à sa force réelle en face du nationalisme
catalan, le président Macià crut pouvoir les accepter ; nous ne
connaissons pas suffisamment la situation de son pays pour juger s’il eut tort
ou raison ; mais il nous semble qu’en cette circonstance il fit preuve
d’une longanimité exagérée. » Décédé
le 25 décembre 1933 à Barcelone, les funérailles de Macià furent suivies par un
cortège de 400 000 personnes. « Breiz
Atao, qui n’a jamais ménagé ses sympathies aux patriotes catalans,
notamment lors du procès de 1927, prend part au deuil de la Catalogne. », concluent les nationalistes
bretons.
- Le 20 mai 1934, l’intérêt pour
l’actualité catalane ne se dément pas et
Breiz Atao publie le « Manifeste à l’opinion internationale sur les
revendications nationales de Catalogne », rédigé par l’Unió
Catalanista « De nouveau, les Cortès ont nié la personnalité de la
Catalogne, ont nié ses droits (…) La Catalogne est toute disposée à accepter à
être en bonnes relations avec l’État espagnol dans les termes énoncés dans la
proclamation de la République catalane, et par la promesse espagnole de
respecter sa souveraineté, mais elle refusera, par contre, toute forme qui
n’aurait pas pour base un accord librement consenti entre les deux états :
le catalan et l’espagnol. La Catalogne, qui se sent appuyée par la raison et par
le droit, a la certitude de sortir victorieuse de la lutte contre l’absorption
espagnole à laquelle s’efforça de la soumettre la monarchie par force des
armes. » Après le décès de Macià, c’est le député de Barcelone Lluìs
Companys qui le remplace à la tête du gouvernement autonome et proclame la
République catalane le 6 octobre 1934. Elle n’aura duré que dix heures. Arrêté,
Companys est condamné à 30 ans de prison et le gouvernement autonome de la
Généralité suspendu.
- Le 4 novembre 1934, sur deux pleines pages, Breiz Atao revient sur l’échec de la révolution espagnole du 5 octobre et de la République
catalane le lendemain : « Une place importante a été réservée dans ce
numéro à des événements étrangers à la Bretagne, mais qui offrent un vif
intérêt pour les nationalistes bretons. » Dans un long article
intitulé « La leçon de Barcelone » un certain « Halgan » revient
sur les raisons de cet échec « A Barcelone comme à Dublin en 1916 la
république indépendante n’aura duré que quelques heures. Cependant, les
conditions dans lesquelles les deux proclamations d’indépendance ont été faites
sont totalement différentes l’une de l’autre. » Si les Irlandais n’avaient aucun soutien
et pas de munitions, la répression policière aura eu pour conséquence de
déclencher une prise de conscience du peuple irlandais : « Mais après
1916, toute l’Irlande réveillée par le coup de tonnerre de la semaine de Pâques
devint Sinn-Fein et les persécutions, les exécutions, la répression sauvage firent
plus, peut-être, pour la cause que les meilleurs des coups de main. Vous
souvenez-vous des résultats des tracasseries policières contre nos militants
après le 7 août 1932 (Attentat contre le monument de Rennes) ? Ainsi en sera-t-il pour la Catalogne.
Souhaitons-le. Cependant il nous sera bien permis de critiquer l’action du
gouvernement catalan et d’en prendre de la graine. Je ne puis que m’étonner de
l’imprudence avec laquelle le Président Companys a déclenché son offensive.
Depuis qu’a été instituée la généralité de Catalogne, ses dirigeants auraient
eu largement le temps de la doter de la force armée sans laquelle il est vain
de déclarer une guerre ou de faire une révolution. Et puis, il y a une autre
composante de cette question de l’indépendance catalane et de sa malheureuse
proclamation : c’est la politique des partis. On se souvient que c’est de
Barcelone qu’est parti le mouvement républicain qui devait renverser la
monarchie et libérer ( ?) la Catalogne. Mais depuis, la politique a évolué
et les vieux radicaux et socialistes qui détenaient le pouvoir ont dû céder le
pas aux conservateurs et aux droites. Aussitôt communistes, socialistes,
syndicalistes et anarchistes ont déclaré la grève générale et toute l’Espagne
s’est soulevée. Les Catalans ont vu là (un peu à la légère) une trop belle
occasion de se libérer définitivement du joug de Madrid et ont proclamé la
Catalogne indépendante, dressée contre les « fascistes et les
réactionnaires ». Dans la coulisse attendait le vieux radical Azana, tout
prêt à manger les marrons, que Companys aurait tirés du feu. Mais alors, les masses
catalanes nationalistes certes mais que ne séparent pas leur idéal patriotique
de leurs revendications sociales, en majorité socialistes, syndicalistes ou
communistes et les paysans méfiants à juste titre, n’ont pas marché avec
l’ardeur qu’on attendait d’eux. Pourquoi ? Parce que la république
démocratique espagnole les a écœurés et ils ne croient plus à la possibilité
d’atteindre leurs buts par le jeu d’institutions à leurs yeux périmées. Si
j’insiste sur cette question catalane, surtout au point de vue social, c’est
que, demain peut-être, nous autres Bretons, nous nous trouverons en face des
mêmes problèmes. Un fait est certain à cette heure, c’est qu’une dictature
conservatrice est en gestation en France et que ni les protestations, ni les
meetings, ni les fronts communs ne pourront lui barrer la route. Demain
peut-être on appellera aux armes le peuple breton pour la défense des libertés
républicaines. Qu’il se souvienne de Barcelone. Ni la démocratie actuelle, ni
un fascisme français certes ne nous satisfont parce qu’ils sont avant tout et
toujours des régimes à nous imposés par l’étranger. Si nous avons un jour à
combattre ce ne sera pas pour le roi de France. Si nous avons à combattre ce
sera pour la défense de la liberté bretonne, tous unis. »
Après les émeutes du 6 février 1934 à
Paris, et face au danger d’un fascisme français, les fédéralistes bretons,
parmi lesquels ce « Halgan », pseudonyme de René-Yves Creston,
avaient réaffirmé leur politique d’union avec les forces de gauche françaises
« Face au danger de droite, union des gauches, au coude à
coude ! » Et pourtant, on les retrouve sur la même ligne qu’Olier
Mordrel pour qui « Le sort du peuple breton et son avenir ne dépendent pas
du succès ou de l’échec d’un mouvement fasciste en France, mais d’une
révolution bretonne qui rejettera la tutelle étrangère. »
- Le 15 mars 1936, alors que le drapeau
catalan flotte à nouveau sur le palais de la Généralité depuis la victoire du Frente Popular en février 1936, Breiz Atao, avec un article signé
« Yves Douguet », pseudonyme d’Yves Delaporte, salue la réélection de
Companys à la présidence de la Généralité, mais avec certaines réserves « Voilà
donc la Catalogne revenue à la situation d’avant octobre 1934. On ne peut pas
cependant considérer cette incontestable victoire électorale et
gouvernementale, comme une grande victoire nationale ; elle peut être sans
lendemain, si les troupes du gouvernement de Madrid n’évacuent pas le
territoire de la Généralité, si Barcelone n’organise pas une force militaire
catalane (…) En un mot, les patriotes catalans ne doivent pas renouveler les
erreurs de 1931. Ils ne doivent pas se reposer sur un succès électoral, ni sur
le libéralisme d’un gouvernement madrilène ; même les gauches espagnoles restent,
au fond, très unitaristes. Il ne faut pas que l’avenir de la Catalogne dépende
d’une crise ministérielle à Madrid. »
- Le 9 août 1936, après l’insurrection
militaire de juillet 1936 et le déclenchement de la guerre civile, avec un
article intitulé « En face des événements d’Espagne », signé
« E. G. », pseudonyme d’Olier Mordrel, dont l’influence s’accroît au sein
de Breiz Atao, on peut observer une
prise de distance à l’égard des autonomistes : « La cause des
autonomistes hispaniques est la notre, et nous ne pouvons aborder les
événements d’Espagne qu’avec un parti-pris en leur faveur. Mais la confusion de
la situation nous interdit de prendre parti nettement. Nos amis sont-ils tous
dans le même camp ? Nous ignorons si les Catalans les plus nationalistes
sont engagés du côté du « Frente Popular » en même temps que le reste
du mouvement, quoiqu’il semble bien que les patriotes Catalans se soient rangés
dans l’ensemble du côté rouge. Les nationalistes Basques, qui sont tous
catholiques, paraissent avoir adopté au début une attitude de neutralité, prête
à pencher du côté anti-communiste. Mais, depuis nous avons appris que des
troupes nationales basques, avec leurs aumôniers, combattaient avec le drapeau
rouge sous leur propre drapeau orné d’une croix ! Dans ce cas, elles ne
peuvent que s’entre-dévorer, du côté d’Irun, avec les volontaires Navarrais,
tous du côté de Franco, qui sont également des Basques et ce qui est plus raide
encore, des Basques à inclination autonomiste (…) La situation espagnole présente
d’autres incohérences. C’est du côté des Catalans que se rencontrent les
anarchistes qui les ont poignardés dans le dos au moment de l’insurrection de
Companys, ainsi que de nombreux éléments d’extrême-gauche qui se sont toujours
royalement moqués de la cause catalane. Toute cette affreuse guerre civile est
au fond bien étrangère aux aspirations de nos amis basques, catalans et
galiciens, et l’idéal pour eux eut été d’en attendre la fin sans y prendre
part, quittes à intervenir au dernier moment pour leur compte personnel, et
d’un commun accord. Bonnes leçons pour certaines minorités françaises. »
- Le 20 septembre
1936, Olier Mordrel, dont la revue STUR
s’inspire des thèses nationales-socialistes,
renvoie à nouveau dos à dos l’antifascisme et l’antibolchevisme :
« La mystique du Front Populaire qui pousse à une guerre contre
l’Allemagne au service de la Russie, va directement à l’encontre des intérêts
français. En Bretagne, nous devons lutter de toutes nos forces pour empêcher
que la question du fascisme ne prenne trop de place dans les esprits. Nous
n’avons que faire de cette machine de guerre. La question ici est la vie du
peuple breton et le danger à combattre est le gouvernement de Paris, quel qu’il
soit. Ne nous laissons ni égarer, ni tromper par les slogans de la
Wilhelmstrasse et ceux de la rue Lafayette. »Dans ce même numéro, avec un
long article sur deux colonnes « La
guerre civile en Espagne » le très anti-clérical Mordrel, à propos de la situation sur
les deux camps en présence « Nous aimerions que les Bretons, avant de se
demander si leur sympathie va vers Franco ou vers Caballero », dresse un
« échantillonnage » des adversaires :
« Les Gouvernementaux
A tout seigneur tout honneur, parlons
d’abord des Républicains. Ils
comptent de moins en moins et ont été éliminés des premiers rôles par les
extrémistes. Petits propriétaires, ouvriers aisés, professions libérales,
dirigés par des intellectuels bourgeois, ils ont été vite effrayés par les
excès de leurs trop belliqueux alliés.
Les
Socialistes et les Communistes. Ils ne forment plus qu’un seul parti
unifié dans le cadre des syndicats révolutionnaires. On pourrait assez les
comparer à la nouvelle CGT française. Cette masse ouvrière est exactement ce
que les journaux français de gauche appellent « le peuple espagnol en
lutte pour sa liberté » soit 20 à 30% de la population. En Espagne
centrale et au gouvernement de Madrid, les socialo-communistes dominent.
Les
Anarchistes. C’est
de beaucoup l’organisation la plus agissante. Décidés à tout, méprisant la
mort, nombreux, surtout en Catalogne, ce sont les enfants terribles et
inquiétants du camp gouvernemental. Ce sont eux qui brûlent les églises et
fusillent sur place les passants qui « ont l’air de curés ». Les
anarchistes espagnols sont la réplique des nihilistes russes du temps des
tsars. Ici, en Bretagne, de tels éléments sont inconcevables.
Les
Catalans. Républicains
ou socialistes, en grande majorité « rouges », les Catalans ne se
battent pas seulement contre Franco à cause de leurs opinions sociales. En
échange de leur entrée dans la guerre, le gouvernement de Madrid leur a promis
la garantie et l’extension de leur autonomie. Ils se battent avec une double
ardeur, en même temps pour leur foi socialiste et pour leur patrie catalane. Si
les Républicains espagnols voulaient les réintégrer sous la domination
castillane, ils reprendraient les hostilités contre leurs alliés d’aujourd’hui.
Les
Basques. On
a pu dire en parlant de ces Basques patriotes, traditionalistes, catholiques :
Qu’allaient-ils faire dans cette galère ? Nos lecteurs ne peuvent pas
mieux se représenter leur cas, qu’en imaginant le pays de Léon se joignant,
derrière ses prêtres, aux communistes de Douarnenez et aux socialistes de
Morlaix pour barrer la route de Bretagne à un gouvernement fasciste français.
Comme les Catalans, les Basques luttent pour leur autonomie, à cette différence
près qu’ils sont attachés à leur foi. Malgré leur répugnance du socialisme
niveleur et leur exécration des anarchistes qui, chez eux, sont tous des
immigrés espagnols, ils ont négocié un accord avec eux. En échange de leur
participation, le gouvernement de Madrid leur a promis la liberté.
Les
Rebelles
Nous avons vu qu’il y a au moins quatre
façons d’être anti-fasciste, il y en a à peu près autant d’être rebelle.
Les
Militaires.
En terre de langue ibérique, l’armée est sinon un parti, tout au moins un
pouvoir. Les chefs militaires représentent incontestablement un élément
d’ordre ; leur idéalisme est certain. Mais ils ne semblent apporter aucun
principe de gouvernement répondant à l’attente populaire. D’une façon assez
simpliste, ils ont rétabli partout où ils ont dominé, propriétaires, nobles,
religieux et patrons, dans leurs biens et leurs privilèges.
L’Église
les
appuie de toute son autorité. Sa participation à la rébellion est prouvée. Dès
le premier jour, à Barcelone, des mitrailleuses ont ouvert le feu sur les
milices ouvrières du haut des clochers. Des Bretons, qui en reviennent, nous
l’ont certifié. On a trouvé des dépôts d’armes dans les sacristies et les
couvents, ce qui explique la fureur anti-cléricale des rouges et des Catalans,
qui n’ont jamais eu à se louer de l’église espagnole.
Les
Navarrais. Ces
paysans, moitié-basques, moitié-espagnols constituent, semble-t-il le seul
élément vraiment populaire du camp des rebelles. Catholiques d’abord, ils
marchent avec le scapulaire au cou comme les chouans d’autrefois. Le général
Mola leur a promis une vague, très vague autonomie. Ca leur suffit, et ils
jugent sévèrement leurs compatriotes de Guipuzcoa de ne pas s’être joints à
eux.
La
Droite. Sous
cette appellation générale, se groupent tous les partis politiques de droite,
allant des monarchistes aux républicains modérés. On y rencontre les nobles
dépossédés de leurs domaines par la révolution ; les industriels et les
banquiers, qui savent le sort qui les attend si les communistes et surtout les
anarchistes leur mettaient la main au collet ; les bourgeois, épouvantés
par le spectre des Soviets (…) qui veulent à tout prix empêcher un
démantèlement de l’Espagne.
Les
Fascistes. Je
les ai gardés pour la fin, car ils constituent l’inconnu du problème.
Représentent-ils un sursaut populaire comparable par sa sincérité au
nazisme ? Ne sont-ils en réalité qu’une milice de volontaires, simples
auxiliaires de l’armée ? Nous avons là peu de renseignements à leur sujet.
Jusqu’à nouvel ordre, nous nous les représentons volontiers comme une
organisation analogue à nos J. P. (Mordrel
fait allusion au mouvement d’extrême-droite des Jeunesses Patriotiques),
c’est-à-dire des gens incontestablement dévoués à un idéal patriotique élevé,
se croyant sincèrement révolutionnaires et amis des travailleurs, mais au
demeurant, assez pauvres en idées sociales constructives. Pour corser la
salade, du côté du « Frente Popular », combattent des milliers
d’Irlandais, d’Italiens, de Français, de Belges, d’Allemands, et du côté des
rebelles, des milliers de Biffins. Pour ce qui est des atrocités, les anciens
soldats d’Abd-el-Krim n’ont rien à
apprendre des anarchistes, ni des bandits de droit commun qu’ils ont libéré de
prison. L’Espagne d’ailleurs n’a jamais été tendre. Les soldats de Napoléon ont
raconté autrefois de bien terribles histoires à nos arrières grand-mères. Pour
finir, il semble que la Russie et la France favorisent les gouvernementaux,
tandis que l’Italie, l’Allemagne et le Portugal soutiennent les rebelles, avec
tous les démentis nécessaires à l’appel bien entendu. »
- Le 4 octobre 1936, un certain « Allbrogat »,
pseudonyme de Célestin Lainé, livre sa vision des « Événements
d’Espagne » et rappelle à son tour la nécessité d’une neutralité :
« Les nationalistes basques et catalans s’étaient alliés au Front
Populaire ; on ne peut plus dire qu’ils le soient aujourd’hui, mais bien
plutôt qu’ils sont submergés par les extrémistes de ce Front auquel ils ont lié
leur fortune, ils y sont traités en auxiliaires suspects à juste titre… de
non-orthodoxie vis-à-vis du marxisme. Quelles sont les chances du Front
Populaire ? Je parle en empirique et non en partisan, et voici : je
les crois très faibles, car nous avons toujours vu qu’une armée disciplinée l’a
emporté sur les cohues populaires ; les chefs de celles-ci sont poussées
par leurs troupeaux bien plus qu’ils ne les dirigent. Les masses populaires
n’ont de chances sérieuses que lorsque l’armée est en décomposition, ou bien
neutre ou complice. L’armée espagnole étant intacte, et décidée à ce qu’il
semble, j’ai bien peur que nationalistes basques et catalans n’aient misé sur la
mauvaise carte. Pourtant, me direz-vous, ils ne pouvaient guère faire
autrement, le Front Populaire étant le seul à leur promettre quelque
autonomie ? Mais voilà, il ne fallait pas se laisser séduire par le mirage
de ce qui n’était d’ailleurs qu’une promesse d’autonomie, et quelle
autonomie ! Dans le genre de celles de l’Ukraine et de la Géorgie en URSS.
Puisque les nationalistes basques et catalans n’étaient pas assez forts chez
eux pour y mâter tous les partis espagnols simultanément, ce qui était le cas
en Irlande en 1921 en face du gouvernement anglais, il fallait officiellement
rester neutres et reconnaître que la partie ne se jouait pas pour eux cette
fois-ci. Pour nous Bretons, la leçon des événements me paraît claire : en
cas de troubles analogues en France, gardons-nous de prendre parti dans notre
situation matérielle actuelle. Restons neutres. »
Après l’occupation de la Catalogne par
les troupes franquistes le 5 février 1939, Companys passe la frontière
et se
réfugie en France.
- Le 9 avril 1939, une semaine après la fin
de la guerre civile, Breiz Atao, qui
sera interdit de publication le 27 août de la même année, publie le dernier
article sur les événements espagnols : « Voici terminée pour de bon
la croisade contre le « fascisme international » par la victoire du
dit fascisme. Le colonel Casado a eu le temps de s’enfuir et il a trouvé un
refuge confortable à Londres où on l’attendait. Ce petit détail n’est pas fait
pour démentir le bruit selon quoi les propositions de « paix
honorable » de la Junte de Madrid émanaient de l’Intelligence Service,
tardif ouvrier de la onzième heure. C’est que l’Angleterre qui depuis le début
tient la balance égale entre Valence et Burgos, aurait bien aimé une paix de
« réconciliation » impliquant l’expulsion des germano-italiens. On se
souvient de l’effort énergique mené naïvement dans le même sens par MM. Bérard
et Pétain. On aime à se faire des gorges chaudes en France des fameux manques
de tact allemands. Que dire alors de l’impudeur des Franco-Anglais osant demander
aux Espagnols de trahir leurs camarades de combat contre un peu d’argent !
Cette lourde, trop lourde manœuvre a fait long feu. C’est à Berlin qu’on a ri
et une mission militaire allemande est partie pour l’Espagne. Tout ceci est
régulier et nous n’y trouverons rien à redire si Franco daignait accorder au
noble peuple basque le quart du respect qu’il a pour les Marocains. »
Alors que les Catalans luttaient les
armes à la main contre le fascisme, les
nationalistes bretons se déshonoraient totalement en ayant placé leurs
espoirs d’indépendance dans la victoire des nazis. C’est en Bretagne, à La
Baule, que Companys est arrêté par la police allemande le 13 août 1940, puis
livré à la dictature militaire espagnole. Jugé et condamné à mort, il sera
fusillé à Barcelone le 15 octobre 1940.
1 – Ce « Karannoz » m'a donné pas mal de fil à retordre car il ne figure pas dans Les pseudonymes des
Bretons, l’ouvrage de référence de Jean Malo-Renault.
Pour les lecteurs qui souhaiteraient consulter Breiz Atao, il suffit de se rendre à la bibliothèque des Champs Libres à Rennes où une collection complète est consultable sur microfilms et duplicable sur clef USB.
J’ai demandé à mon ancien camarade du Parti Communiste Breton (Pour reprendre l'expression vue sur un site d'information breton que j'ai ironiquement rebaptisé « Le monde comme si » pour ne pas le nommer, nous étions alors les « boulets rouges » du mouvement breton) et bon connaisseur de la péninsule hispanique, de bien vouloir conclure
mon exposé :
« La dépouille de Companys fut
jetée dans une fosse commune où l’on mêlait indigents et fusillés
anti-fascistes. Aujourd’hui, le Fossar de
la Pedrera, sur la colline de Montjuïc à Barcelone, est le lieu du mémorial
catalan. Mais l’histoire ici enterrée, dont les franquistes avaient voulu
réduire les ossements sous des pelletées de chaux, ne se revit sous forme ni de
tragédie ni de farce mais elle se réveille. 2017 n’est pas 1934, ni 1931, ni
1873, ni 1641, 2017 est la cinquième proclamation de la république catalane.
Quoi que l’on en pense, cette proclamation a eu lieu. Et ni les historiens du
passé ni les analystes politiques de l’avenir n’auront le dernier mot sur celle
qui est en train de se faire. Contentons-nous de reconnaître que l’histoire est
une auberge espagnole. Et que chacun y trouvera toujours de quoi faire de beaux
rêves ou provoquer des cauchemars.
Vus de Bretagne, les événements de
l’Entre-deux-guerres eurent un sens tout particulier mais une chose manquait à
ceux qui y voyaient tantôt un exemple, tantôt une leçon : les Catalans
brisaient là d’avec une monarchie, comme firent les Irlandais et le désirent
beaucoup d’Écossais. Ne faut-il pas considérer ce séparatisme comme
l’expression toujours vive de l’idéal clef des Lumières, un régime laïc
émancipé de formes politiques héritées du passé féodal ? Un défi majeur,
le choix d’une forme suprême d’intranquillité par la mise au rancart des
successions toutes trouvées. L’Espagne d’aujourd’hui repose sur une
constitution monarchiste et c’est le franquisme qui a déroulé le tapis rouge du
retour de ses têtes couronnées. Certes, les monarchies constitutionnelles
pullulent dans notre vieille Europe. Mais leur mémoire n’a pas subi la chaux de
Montjuïc ni été soumise au blanchiment forcé du « pacto del olvido », le pacte de l’oubli voté en 1977 au
lendemain du retour de la démocratie. Rappelons-nous le juge Baltazar Garzón,
qui sait ce que signifie l’oubli au nom de la loi. Les Catalans ne sont pas
oublieux. Mais nous ne croyons pas, ni même ne pourrions le souhaiter, que
l’indépendantisme catalan soit mû par l’esprit de revanche. Et, indéniablement,
il dessine une forme de résurgence de cette mémoire non neutre, ineffaçable, à
travers la revendication d’indépendance et de changement de régime.
Au lendemain du 27 octobre 2017 quelques
soutiens publics significatifs : îles Féroé, Ossétie du Sud, Flandre,
Corse…En Catalogne, en ce nouvel an 01 dont nul ne saurait dire vers quoi il
évoluera, un fossé s’est ouvert, en Espagne aussi. L’Europe, pataude, y trouve
un nouveau sujet de crise. Les États s’empressent de condamner. Rien que de
très prévisible, pour ainsi dire, de normal dans tout cela. Mais les
solidarités des uns et les antagonismes des autres, les craintes et les désirs
qui s’opposent, trouveraient peut-être moins de quoi se déclarer, se nourrir de
logiques de virulence et de confrontation en croissance si la vieille Europe se
gérait à la façon de la Suisse, le seul exemple d’une confédération qui fonctionne
comme tel. Les logiques supranationales de l’Union européenne ne sont pas
encore fédérales. Tant qu’il y aura des entités dites États nations, il y aura
des nations sans état et des nations nationalistes. De ce point de vue, Madrid
et Barcelone jouent au chat (les griffes de l’article 155) et à la souris
(l’astuce des urnes). Nous devons seulement espérer ou faire en sorte qu’un
ogre n’en profite pas pour mettre fin au jeu. »