Lorsque l’on évoque les
pendaisons effectuées pendant la Seconde Guerre mondiale, viennent
immanquablement à l’esprit celles commises par la division Das Reich le 9 juin
1944 à Tulle, où 99 hommes seront pendus aux arbres, réverbères et balcons de
la ville. Le massacre de Tulle est sans aucun doute la plus importante
exécution par pendaisons effectuée par les Allemands en France, il préfigure
aussi une longue série de crimes de guerre qui ne s’arrêteront qu’à la
Libération.
En effet, depuis le débarquement
des Alliés, on assiste à une véritable escalade des exactions commises par les
troupes allemandes. Jusqu’alors, les résistants arrêtés étaient envoyés en déportation
ou bien condamnés à mort après un simulacre de jugement. Désormais les
« terroristes », puisque c’est ainsi qu’ils sont désignés par les
nazis, seront fusillés sans autre forme de procès. Mis à mort par les armes
avec lesquelles ils combattent, ces résistants ou maquisards sont littéralement
« passés par les armes ». Vaincus au combat, ces patriotes peuvent se
considérer comme tombés au « champ d’honneur ».
La « dissuasion » (Abschreckung)
par la pendaison
Pendaison de Louis Briand à Rostrenen |
Comment, en effet, justifier ce
qui s’est passé le 8 juin 1944 à la ferme d’Yves Mével, maire de Plounévézel
(29), où s’était réfugié un groupe de onze jeunes résistants ? Ce jour-là,
des soldats allemands se présentent pour procéder à des réquisitions de
charrettes, semant la panique dans la maison. Un des jeunes, Jean Manach, sauve
sa peau en se hissant dans la cheminée. Eugène Léon, qui avait un revolver sur
lui prend la fuite mais est abattu. Les autres tentent bien de se cacher, mais
sont fait prisonniers. La ferme incendiée, commence alors pour les huit
résistants arrêtés un véritable chemin de croix avec une première station au
bois de Coat-Penhoat où ces jeunes, qui ne présentent aucun danger pour leurs
ravisseurs, sont interrogés et torturés. Au fur et à mesure de leur progression
vers Loudéac, les Allemands pendent Jean Le Dain à un poteau électrique à
Moulin-Meur en Plounévézel ; Georges Auffret à l’entrée de Carhaix ;
Marcel Goadec en centre-ville ; Georges Le Naëlou au Moustoir ;
Marcel Le Goff au carrefour de la Pie en Paule ; Marcel Bernard à l’entrée
de Rostrenen et Louis Briand à un balcon de la place de la République, puis
François L’Hostis à Saint-Caradec.
La distinction observée pendant
les premières années de l’Occupation entre la « correction » de la
Wehrmacht et la cruauté de la SS n’a désormais plus aucun sens.
Le 15 juin, cette réquisition de
charrettes se répète à Gomené (22). Trois Allemands se présentent chez le maire
de la commune, Arsène Poupiot, qui tient un café-épicerie. Alors qu’ils
prennent un verre, ces soldats sont visés par trois individus qui
disparaissent. L’un des soldats est blessé puis évacué par ses deux camarades.
Les représailles ne vont pas tarder. Une section allemande revient au bourg et
fait plusieurs otages, rassemblés sur la place. Les soldats allemands
reconnaissent le fils du maire, Marcel Poupiot, et Edmond de Blay de Gaïx. Ces
deux jeunes gens étaient présents au café lors de l’agression. Marcel Poupiot,
qui a eu 18 ans la semaine précédente, reçoit l’ordre des Allemands d’aller
chercher une corde et une échelle dans la maison de son père. Les soldats lui
passent la corde au cou et l’obligent à grimper l’échelle posée contre la
potence d’une installation électrique à l’angle de la maison de M. Basset. Ils
retirent ensuite l’échelle sous les yeux de son père qui devra dépendre
lui-même son fils. Clamant lui-aussi son innocence, Edmond de Blay de Gaïx, âgé
de 17 ans, qui était en vacances chez M. Basset, est emmené sous le préau de la
mairie pour y être pendu à son tour. La corde ayant cédé, le garçon est achevé
d’une rafale de mitraillette.
L’épuration par pendaison
Qu’elles aient eu lieu sous
l’Occupation, ou après la Libération, les pendaisons effectuées par des
résistants sont assez méconnues. Les archives comme les témoins sont rares ou
peu bavards lors des enquêtes effectuées par la gendarmerie. Cette face obscure
de la Résistance reste donc aujourd’hui encore un sujet tabou. En temps de
guerre, il y a des actes de trahison qui ne pardonnent pas. Lorsqu’un traitre
ou un agent des Allemand infiltré dans un maquis est découvert, l’exécution est
généralement immédiate, les résistants s’arrangeant ensuite pour faire
disparaitre le corps. Face aux actes de barbarie commis par les nazis et
l’entrée en jeu de la Milice, on assiste à une multiplication des attentats et
des exécutions de « collabos ». Les résistants n’hésitent désormais
plus à exposer en public les corps de ces traîtres. Il s’agit tout autant d’impressionner
la population qu’à avertir les « collabos » du sort qui leur sera
réservé. Ainsi le 18 juillet 1944, au village du Faoudic, en Glomel, où les
Allemands doivent décrocher un pendu entièrement nu portant de nombreuses
traces de coups. D’après les gendarmes : « Il s’agirait d’un
« soi-disant milicien » exécuté par des patriotes d’un maquis local
dirigé par un espagnol nommé Icard ». Il faut plutôt lire
« Icare », pseudonyme de Carrion Roque, jeune officier de l’aviation
républicaine espagnole. Une semaine plus tard, c’est au lieu-dit Keraven,
qu’une jeune femme de Cléguérec est pendue pour après avoir avoué qu’elle avait
dénoncé des patriotes.
Ces pendaisons, effectuées par
des maquisards qui ne connaissent qu’une seule loi – celle de ne pas se laisser
surprendre par des dénonciateurs – vont parfois prendre une tournure
dramatique. Ainsi au maquis de la forêt de Haute-Sève en Saint-Aubin-du-Cormier,
dont le chef et cinq de ses hommes devront rendre des comptes devant le
tribunal militaire de Rennes au mois de janvier 1945. Tout commence à
Saint-Médard, où une cinquantaine de jeunes gens tiennent un maquis FTP. La
discipline y est très sévère. Le chef du groupe ayant menacé de peine de mort
ceux qui ne la respecte pas, chacun s’y soumet. Un de ces résistants est marié avec
une femme d’origine alsacienne, qui lui reproche de façon un peu trop véhémente
de combattre l’armée allemande dans laquelle servent plusieurs de ses frères
incorporés de force. Le maquis attaqué, elle est accusée d’avoir dénoncé le
groupe aux Allemands et condamnée à mort par le chef avec, semble-t-il, l’accord
du mari. Saisie par deux maquisards le 13 juillet 1944, elle est emmenée sur
les lieux de l’exécution où elle doit être pendue. L’affaire se passe mal. La
condamnée, découvrant ce qui l’attend, ne se laisse pas faire. Ses hurlements
risquant d’attirer l’attention des Allemands cantonnés à proximité, les deux
hommes étranglent la femme sur place en présence de son mari. Ce maquis n’étant
plus sûr, le groupe se rend dans la forêt de Haute-Sève. Les femmes agents de
liaison logent dans une ferme à proximité, les hommes cantonnent en forêt. Le
chef du groupe ne tarde pas à constater que le maquis est également surveillé.
Il est vrai qu’à ce moment, la Milice est très active dans la région de
Saint-Aubin-du-Cormier. Déjà, le 24 juillet, un groupe de jeunes maquisards
avaient abattus trois allemands lors d’une embuscade tendue au lieu-dit
« Le Rocher » à Andouillé-Neuville. Quoi qu’il en soit, deux hommes
et une femme sont à nouveau suspectés d’avoir dénoncé le groupe aux Allemands.
Ils sont connus dans le pays pour leurs relations commerciales avec un nommé
Zimmerman, qui ravitaille la Gestapo de Rennes en s’approvisionnant au marché
noir, très florissant dans cette région qui n’était pas dépourvue de
ressources. Un soir, deux maquisards qui partent en mission sont attaqués par
les Allemands à proximité du cantonnement, ce qui confirme les soupçons du chef
à l’égard des deux hommes, dont l’un est surnommé « Bec de puce », et
de sa concubine. Du trafic à la délation, le pas est vite franchi, et les voilà
eux-aussi condamnés à être pendus. Mais, le chef du maquis devant exécuter
immédiatement un coup de main à Gosné, il donne l’ordre à ses hommes, s’ils ne
le voient pas revenir à une heure fixée, de procéder à l’exécution eux-mêmes. Retardé
à Saint-Aubin-du-Cormier, le chef constate à son retour que ses ordres ont été
exécutés par trois maquisards. Le 31 juillet, les cadavres des deux hommes et
de la femme se balancent aux branches des arbres de la forêt. Lors du procès au
tribunal militaire, le commissaire du gouvernement, dans un réquisitoire très
dur à l’égard des accusés, réclame la peine de mort contre le chef du maquis,
lieutenant FFI, qui couvre ses hommes, expliquant qu’ils n’ont fait qu’exécuter
ses ordres, et les travaux forcés contre les cinq autres. Plusieurs témoins
louent la bravoure et le patriotisme de ces jeunes résistants. Après le
témoignage d’un colonel de gendarmerie, lui-même résistant, le groupe est
finalement acquitté. Quelques années plus tard, une contre-enquête sera
effectuée. Elle met en évidence que l’accusation de dénonciation prononcée
contre l’Alsacienne ne reposait sur rien de solide. Selon ses voisins, elle
était incapable de dénoncer des patriotes. Et si les trois autres trafiquants
n’étaient guère fréquentables, rien ne permettait de dire qu’ils étaient des
indicateurs.
Les pendues de Monterfil
Germaine Guillard, Suzanne Lesourd, Marie Guillard |
Les pendaisons de soldats américains
Louis Guilloux, dans son roman O.K., Joe !, paru en 1976, raconte
comment James Hendricks, un GI noir de 21 ans, a été jugé puis condamné à mort
par un tribunal militaire américain où l’écrivain briochin officiait comme
interprète. Alors qu’il était ivre, Hendricks voulait entrer dans une ferme de
Plumaudan (22) où il avait repéré une jolie fille. Comme on ne lui ouvrait pas,
il tire un coup de feu à travers la porte derrière laquelle se trouvait le père
de la jeune fille, qui décède aussitôt. Dans son livre, Guillou met aussi en
évidence la différence de traitement entre ce GI noir qui sera pendu le 24
novembre 1944, et un capitaine blanc, nommé Whittington, acquitté pour des
faits similaires survenus à Landerneau.
Ces GI noirs sont tous issus
d’unités d’intendance ou de transport. Autour de ces dépôts de l’armée US
s’organise tout un trafic de cigarettes ou d’essence contre des bouteilles de
calva ou de « goutte ». Si l’on ajoute à une certaine misère sexuelle
le fait que ces hommes ne sont pas habitués à boire, les délits sont fréquents.
La Chronique Républicaine de Fougères article du 10 juillet 2014 |
Ainsi au Ferré, petite commune
d’Ille-et-Vilaine, proche de la Manche, un agriculteur et sa fille voient
arriver deux soldats noirs américains enivrés. Ils gravissent l’échelle de
meunier pour accéder à la chambre où le père et sa fille se sont barricadés.
Comme à Plumaudan, les deux GI font usage de leurs armes sur le palier. La
jeune fille, touchée à la jambe, résiste à ses agresseurs et s’échappe en rampant,
dans la nuit, jusqu’à une antenne médicale américaine. Blessé à la tête, le
père réussit à prévenir le maire. Les deux soldats dorment encore dans la
chambre lorsqu’on les retrouve toujours alcoolisés. Condamnés, les deux hommes
sont pendus en public à Montours. La potence, sous laquelle est aménagée une
grande trappe, provient du centre disciplinaire de l’armée américaine, situé au
Mans. L’exécution terminée, les corps sont enveloppés dans un linceul puis la
corde brulée.
Même agression sur fond d’alcool
à Locmenven, en Guiclan (29), où un GI ayant trop bu s’en prend à une jeune
femme, mère d’une fillette. Sans que l’on sache exactement ce qui s’est passé,
ce soldat tire avec son arme. La jeune femme, atteinte au ventre, décèdera le
22 août 1944. Au terme d’une enquête menée par la police militaire américaine,
le GI est condamné à mort et pendu en public le 27 décembre. Comme il est de
règle dans l’armée américaine, les GI coupables de crimes contre des civils
français sont en effet sanctionnés dans la commune où le crime a été commis. Le 21 janvier 1945, un GI condamné à mort pour viol est également pendu dans la cour de l'école des garçons de Saint-Sulpice-la-Forêt (35). Je n'ai pas réussi à savoir plus sur cette affaire. Si ce GI a été pendu dans cette école, c'est que son crime a été commis sur la commune. Je ne sais pas la couleur de sa peau. (Ajouté le 9 février 2016)
Il y aura une exception. Un autre
GI noir, Charles Robinson, amène à son campement basé à Messac, une femme
rencontrée au « Café des sportifs », situé sur le Mail et tenu par
Henri Belunza, un joueur du Stade Rennais. Robinson s’est-il mépris sur la
réalité de sa relation avec cette femme ? Toujours est-il qu’il la
retrouve ensuite dans les bras d’un autre GI et la tue d’un coup de revolver le
1er avril 1945. Jugé par une cour martiale à Ploërmel les 18 et 19
avril, il est condamné à mort. Est-ce à cause du caractère particulier de cette
affaire ou du fait que la victime n’était pas de la commune ? Robinson
sera pendu le 28 septembre 1945 au centre disciplinaire du Mans. Il est inhumé
au cimetière américain Oise-Aisne, dans la parcelle E. Dans cette même parcelle,
située à l’écart et non reconnue officiellement, reposent les corps de 96
soldats américains, dont 80 noirs, classés sous l’étiquette « Morts
indignes ». Ainsi donc, l’armée américaine pratiquait la ségrégation, non
seulement au sein de ses unités, mais également devant les cours martiales où
le châtiment variait selon la couleur de peau.