samedi 2 décembre 2023

Quiquengrogne ou les gardiens de la Constitution

    Alerte ! Alerte ! (sur l’air du Trouvère de Verdi). Téléspectateurs, sachez qu’une sorcière envoûte la chaîne et déchaîne l’unité républicaine. La France prend fin à grands feux ! Mais, ne perdons pas espoir, ça résiste. Trois semaines de grève, des journaux miniature, privés de direct : voilà le prix à payer pour que la France ne périsse pas. 
    «France Télévisions a l’idée derrière de supprimer l’info nationale et internationale sur France 3.» (Le Télégramme, 22.11.23) Plus de nation : que des régions. Mais quelles régions ? 
    Et, comme par hasard, «toutes les régions, sauf la Corse, ont déjà été touchées» par la grève (Le Monde, 21.11.23). 
    La Grande Sorcière s’est penchée sur le berceau d’Ici, a effleuré l’enfant de sa baguette infernale. Qui donc serait aveugle pour ne pas comprendre de quoi il retourne (et ce dont elle détourne) ? Trève de naïveté : la patronne des chaînes est devenue la meilleure alliée des dépeceurs de République, de ceux qui n’aiment pas la France. Redisons-le : «all’erta ! all’erta !» (Il trovatore, acte 1, scène 1)
    Chaque région en prend pour son grade. La Bretagne résiste, mais jusqu’à quand pourra-t-elle tenir ? Par bonheur, la Corse demeure une exception, après tout c’est une île, et les îles ont l’habitude des port(e)s de sortie, exit en anglais. Mais la Bretagne ? ces trois doigts plein ouest avec le pouce normand en arrière-garde, péninsule vigile de l’Hexagone, que dis-je, de l’Europe, du continent eurasiatique, un cap, comme le nez de Cyrano. Allons- nous vers un Breizhxit à la mode écossaise ou catalane ? 
    Heureusement, il y a une constitution. Le meilleur rempart contre l’émiettement de la France. Du haut de ses créneaux se profilent une gardienne et un gardien, regard à l’affût et doigts sur clavier, qui placent l’amour de la France bien au-dessus des tours de la citadelle sur laquelle ils veillent sans relâche, prêts à tirer sur tout ce qui bouge. Hélas, la tâche est ample, longue, exténuante, et l’ennemi passe quand même. Cette grève, qui n’est pas sans effets, n’emporte pas l’adhésion de tous. Et la gardienne et le gardien n’ont pas vu se faufiler la sorcière, déjà ils manquent de voix, leurs mousquets sont encrassés. Nous parlerons pour eux. 
    Autonomiste, séparatiste, indépendantiste, régionaliste, ethnorégionaliste : voilà les ASIRE! Leur meilleur soutien est cette ancienne élève de grande école, elle aussi, (Centrale), et née en périphérie. Encore voit-on que ce n’est pas n’importe laquelle. 

    ASIRE : le sigle qui recouvre la machine dépeceuse, marque de la tronçonneuse qui entame, ampute et gangrène l’Une-et-indivisible. Il ne faut pas faire comme si : ça y est, c’est en marche, ici, là, là-bas. La peste ASIRE. La gardienne et le gardien savent de quoi ils parlent. ASIRE ce n’est pas une révolution, mais une destruction. D’Écosse en Corse, l’Europe est transformée en un puzzle mortel qui, à mesure qu’on ôte l’une de ses pièces, révèle la couleur de fond : le brun ! Car, en effet, pour la fine bouche, ASIRE cache deux I : indépendantiste, identitaire ! 
    La démonstration pourrait s’enrichir du cas irlandais, mais c’est un peu tard : les armes allemandes débarquées sur le solitaire rivage de Banna (comté de Kerry) avaient été livrées par le Deuxième Reich. 
U-boot 19. Roger Casement, marqué par une croix, avant la livraison d'armes du Vendredi Saint 1916 (Padraig Og O Ruairc, Revolution, Cork, 2011).


    La récente république d’Islande, avec sa population équivalant à celle de Rennes et de Brest réunies, c’est trop loin. On laissera aussi de côté ces confettis qui mouchettent d’exotique archaïsme le visage de l’Europe, San Marino, Liechtenstein, Città del Vaticano ; Andorra et Monaco restent sous bénéfice de doute grâce au partage. Mais surtout, ne rentrons pas dans les Balkans, ne remontons pas dans le temps si plastique des cartographies, des dessinateurs de frontières avec leur poker menteur. Mieux vaut rester entre nous, ici, en France. Que serait un Hexagone à cinq côtés ? quatre, comme un cercueil ? on n’ose poursuivre l’émiettement, si semblable à celui de l’Europe, qui à ce titre rejoue à grande échelle l’opposition Jacobins/Girondins (pour ne pas parler des Blancs).          ASIIRE, donc. Le second I, pour identitaire, fait mal. C’est sa raison d’être. Jadis et naguère, on disait facho. Mais l’emploi s’est oralisé. Par écrit, on est censé prendre le temps de penser, de tourner sept fois en l’air ses doigts avant de taper sur le clavier. Mais faut-il entendre : identitaires comme l’antonyme d’altéritaires ? Doit-on postuler, dans un argumentaire bien ficelé, deux grands partis, deux grandes postures, ceux qui défendent le même, et leurs opposés ? La question mérite d’être posée car elle montre qu’«identitaire» est une insulte plus qu’un concept. Son emploi fait l’économie d’une pesée dialectique. C’est un terme cartouche. Je préfère celui de facho : les «identitaires» sont des fachos, point barre. Comme en cuisine, réservons le terme potentiellement dialectique en soi pour des plats plus fins. 
    Donc, fachos et identitaires mis à part, de quoi (et non de qui) parlons-nous ? De ce qui agite les méninges des catastrophistes de toujours ? Chaque année suivant le grand tremblement de terre dit de Lisbonne (Fès aussi s’est écroulée), en 1755, des prophètes se levaient qui annonçaient, le jour anniversaire, la fin du monde. L’exemple est bon car il est ancien. Il illustre une attitude mentale courante, pour ainsi dire, une constante anthropologique, et non une position intellectuelle, de caractère idéologique ou politique. À la rigueur, on insistera sur le caractère religieux de tels phénomènes, mais la notion de religiosité s’applique à toute conduite de type rituel, gestes et pensées profanes inclus : on peut respecter religieusement la constitution laïque de la République française. En latin, relegere est l’antonyme de neglegere
    Restons donc entre nous. La France d’outre-Loire et Couesnon est notre objet. Notre objet chéri : n’avons-nous pas quelques attaches profondes, disons des liens, pour ne pas tomber dans le racinaire qui, par étymologie, tombe dans le radical, ni l’identitaire, dont nous savons à quoi nous en tenir. C’est ce chérissement qui importe : jusqu’où peut-on aller par empathie, par adhésion spontanée, ou encore, pour parler comme les moralistes vieille France, par le cœur, la passion ? Certes, il faut tête froide garder : la constitution est là pour mettre un frein aux passions désordonnées du citoyen tel qu’en lui-même et de la communauté à laquelle il appartient. Mais que faire lorsque le cœur d’un habitant d’une région lui dicte un amour, non pas forcément supérieur, mais plus intense pour celle-ci à l’amour qu’il doit porter à l’ensemble des régions dont l’État est formé ? Un amour à deux étages est-il la seule solution ? Le principe de subsidiarité peut-il dicter des attitudes affectives ? Car c’est bien cet ordre de phénomènes qui affleure, par en dessous donc, et dont il s’agit dans nos positions assumées, raisonnées, ouvertes au débat. Le primum mobile du politique, c’est la passion, mais elle n’en est pas le dernier mot, sinon il n’y aurait pas de politique. Le calcul vient toujours après. Dès lors une passion n’est pas ethnique. La gardienne et le gardien voient mal dans cette nuit entre chiens et loups et où tous les chats sont plus que gris. 
    L’ethno-régionalisme n’est pas une variante du régionalisme. C’est un concept formé par des géographes des années 1960. C’est une approche géocentrée sur le niveau micro de la région. Ainsi les recherches de David Maynard, un New Yorkais devenu Rennais pendant deux ans, portent sur le «mouvement social ethnorégionaliste breton». Compte rendu de sa thèse de 1991, Ideology, collective action and cultural identity in the Breton movement, western France, (Faculté d’anthropologie de l’université de la ville de New York) : «Sur la base d'un travail anthropologique de terrain mené en 1985-1987, les interconnexions entre la production d'idéologie, l'action collective et les expériences de vie des participants au mouvement sont examinées afin de construire un récit holistique d'une culture de résistance contre-hégémonique.» Trente ans plus tard, l’ethnorégionalisme, de catégorie anthropologique, est traité sous la plume du gardien de la forteresse de l’Une-et-indivisible comme une catégorie politique dépréciative. C’est la jonction de l’ethnique et du régional qui fait plaie : ethnie égale identité, région égale anti-nation. Un juriste qui clame sa spécialisation en droit constitutionnel se doit d’éviter les amalgames. Chaque mot simple compte, chaque mot composé se décompte. Faisons comme Stendhal : lire le Code civil avant de s’endormir. L’ennemi, c’est la boursouflure sémantique. 
    Back to fundamentals : la préférence pour le local. Pour Miguel Torga, l’universel, c’était le local moins les murs. 



    Quand ce local est à forte détermination culturelle, dont l’existence de pratiques linguistiques différenciées, menacées ou non, avec la richesse expressive que cela entraîne dans tous les domaines de la vie, il ne faut pas s’étonner que fleurissent des formes d’expression, de reconnaissance et de revendication tout aussi différenciées. Le politique étant le niveau conceptuel ultime par lequel se débattent et se décident les destinées collectives, il ne faut pas non plus s’étonner, voire à crier au loup, que les passions de cet ordre prennent place, cherchent à se faire entendre et à influencer le cours des choses, à l’évidence, démocratiquement. 

    Le gardien et la gardienne aiment à faire rimer leur rôle avec historien et historienne. L’historien (masculin de généralité) est comme le poète, il a toujours raison. En revanche, sa raison n’est pas dans les mots, mais dans les faits. Et le fait est que l’ethnorégion Bretagne a donné dans la peste brune. Mais est-ce la couleur de fond du puzzle ? en a-t-il toujours été ainsi ? 



    Oui, les fachos sont là, en 2023, oui, une marée brune s’observe, qui incruste ses dépôts quand elle semble se retirer pour un moment. Oui, des Bretons ont collaboré avec les nazis, les uns, par la plume, les autres, une centaine, la mitraillette. Et avant de collaborer, ils ont tenu des propos aujourd’hui inacceptables et impardonnables. Oui, ceux-là ont franchi le Rubicon, prenant pied sur le territoires des papes de la haine et de la violence. Oui encore, et toujours, les non-assez-épurés (avec Pierre Hervé, on se rappelle que la Libération a été trahie (1) ont repointé le bout de leur nez, plume et mitraillette en moins. Les uns, responsables de leurs paroles, les autres, de leurs actes. Mais sont-ce ces paroles et ces actes qui donnent leur couleur aux paroles et aux actes de la génération suivante ? Les enfants, petits-enfants, redevables à leurs pères et mères (des femmes aussi ont surfé sur la marée brune de la Seconde Guerre mondiale) ? Les inquisitions ibériques ont condamné des chrétiens, dits alors chrétiens nouveaux, parce que leurs arrière-arrière-arrière-arrière-grands-parents avaient été juifs. Comme si (une locution peu historienne) la génération des lendemains de guerre avait été élevée dans l’entre-deux-guerres. 
    Mais cette histoire-là ne date pas d’hier. Elle est précisément l’histoire qu’ont commencé à écrire ceux de cette génération, et ce, bien avant le gardien et la gardienne. Pour faire bref, Alain Déniel l’avait prévu dans son livre édité chez Maspero voilà presque un demi-siècle : «Bien des esprits se trouvèrent portés à assimiler le mouvement breton à la collaboration ou même à ne voir dans l’Emsav qu’une création de l’Allemagne hitlérienne […], une séquelle du nazisme.» 
    La Bretagne a droit à une mémoire un peu plus longue, étoffée, et débarrassée des hardes de ces soldats de néant. Juste deux exemples. Ce ne sont pas forcément des Bretons dits de souche (gardons les racines pour les mots) qui ont porté haut son particularisme. Dans les années 1570, un médecin normand, Roch Le Baillif, y croyait dur comme fer et, pour honorer la jeune province, il l’a dotée d’un fondateur nommé Armoreus, fils d’Énée, celui de Rome, tout en épousant la thèse du breton comme langue d’origine grecque défendue par l’historien de la Bretagne, Alain Bouchart. Ce cocktail bien à la mode de l’époque reflète et l’absence des murs et le choix du local. Ça n’empêche pas l’amour des vieilles pierres : «Ce sont les gens de boutique qui corrompent le plus la Bretagne. […] On fait sauter les rocs un peu partout. […] C’est à présent, de tous côtés, les hôtels, les hangars, les bicoques d’Asnières et d’Ostende.» André Suarès à Albert Chapon, 5 septembre 1911. Pour un peu, en 1970, le juif breton de Marseille aurait plastiqué un bulldozer à remembrement. 

André Suarès, "L'adieu", Le livre de l'émeraude (Calman-Lévy, 1902) ; eau-forte gravée par Auguste Brouet dans l'édition de 1927.


    Mais de tous ces chansonniers et plumitifs, qu’est-ce qu’on va en faire ? De l’auteur du Recit var ar victor glorius gounezet gant ar bobl a Baris e mis c'hoevrer 1848, evit souten hon liberte hac hor guirion legitim [Récit de la victoire remportée par le peuple à Paris en février 1848 en soutien de nos liberté et légitime vérité] imprimé à Morlaix cette année-là ? ou des chants des sardinières de 1926 ? ou encore, où fourrer Louis Guilloux ? et ceux-ci, les porteurs de gwenn ha du enrubannés de rouge, rue de Siam ou Le Bastard ? Mais ce ne sont là qu’individus et groupuscules. Que faire de la masse qui agite le fanion bicolore, écrase le pied du voisin dans une fisel ? Entonnons un Bro yaouank ma bugale et laissons donc le gardien et la gardienne à leur affût. Tant qu’elle fait de l’histoire, nul mal à cela, encore faut-il apporter du nouveau, pas seulement une rage généralisatrice supra-générationnelle. Bah, on comprend le meurtre du Per, il y avait bien de quoi ester en justice. Mais de là à finir par railler les exilés de Paris, ces faux Bretons, et puis quoi encore ? Déjà que les Français de l’étranger, comme la main, n’ont jamais eu bonne presse. Et puis il y a tous ceux que la gardienne affuble du sobriquet de «barde» (les Gallois respectent les leurs) – des Bretons nouveaux, comme il y eut des chrétiens nouveaux ? –, grossissant, dans la meilleure tradition du pamphlet, silhouettes et poils de barbe, la génération des chanteurs qu’applaudissaient grévistes du Joint français et marcheurs du Trégor en défense de la langue de leurs pères et mères ? En définitive, côté fachos, l’état d’alerte subsiste, s’intensifie même. Mais côté histoire, le gros du travail n’est pas venu de leur tour Quiquengrogne. Il y a des comptines à raconter e brezhoneg ivez, et c’est ce qui devrait fuser des mâchicoulis plutôt que des boulets sur les alliés objectifs. 

"C'est une rapsodie foraine / Qui donne aux gens pour un liard / L'Istoyre de la Magdalayne, / Du Juif-Errant ou d'Abaylar." (Tristan Corbière, Le Pardon de Saint-Anne, bois de Malo Renault, 1920.)

1 - Hervé, Pierre, La Libération trahie, Grasset, 1945.

Yeun Sterneñv, 1.12.2023

lundi 9 octobre 2023

Louis Feutren, et sa pédagogie inspirée du Bezen Perrot

Plusieurs journaux se sont fait l'écho d'un étonnant article, paru le 3 octobre dans le quotidien The Guardian, où l'on découvre un professeur d'origine bretonne qui n'avait visiblement pas fait ses armes dans la pédagogie Montessori. Accusé de châtiments corporels sur des collégiens irlandais, l'affaire va prendre un tour particulier lorsque l'on apprend par le journaliste Uri Goni, lui-même son ancien élève, que cet enseignant n'était autre que le "séparatiste breton" Louis Feutren, alias "Le Maître" au Bezen Perrot, "They said he wasn't really a Nazi but a Breton separatist," said Goni. "My reaction was, yes, but many Breton separatists didn't join the SS." Uri Goni ne citant pas ses sources et Feutren n'ayant pas été interrogé puisqu'en fuite en Allemagne puis condamné à mort par contumace, c'est à partir des interrogatoires de ses camarades du Bezen qu'il a été possible de se faire une idée de ce personnage.


Tout d'abord, j'ai été surpris par cette affirmation "Le Bezen Perrot, qui traquait les Juifs et les résistants français" et qui figure dans tous les articles des journaux français. Si c'est exact pour les résistants, je n'ai pas connaissance d'une participation de membres du Bezen à une rafle contre les Juifs. Après les grandes rafles de 1942, au même moment que celle du Vel' d'Hiv, il ne reste plus beaucoup de juifs en Bretagne. La dernière grande rafle a eu lieu en janvier 1944. Cependant, lors de son interrogatoire, le jeune Armel Guillo "Jégou", qui n'avait que 17 ans lorsqu'il s'est engagé au Bezen, reconnaît avoir participé au mois de janvier, avec deux autres camarades, Morvan et Chérel, sous la direction d'un policier allemand en civil, à l'arrestation "d'une vieille dame juive sur les quais de la Vilaine" à Rennes. De plus en plus dégouté, Guillo avait écrit à ses parents pour le sortir de "cette sale affaire". 

Le Trégorrois Louis Feutren "Le Maître", né en 1922 à Pleubian, était étudiant en droit. Jacques Malrieu  "Héric", l'avait rencontré à Rennes en février 1943, il était alors hébergé chez Célestin Lainé et faisait partie de son Service Spécial (SS). Lors d'un entrainement organisé du 1er au 13 août 1943, d'après l'interrogatoire de Louis Guervenou "Docteur", "Marche vers le point de rassemblement, abbaye de Boquen. Liaison assurée par des cyclistes pendant la marche d'approche. Repos jusqu'à minuit. Ensuite marche d'approche du château de la famille du Guerny (1). Des chiens avaient été placés dans le château pour voir s'ils n'éventeraient pas la présence des exécutants. La manœuvre réussit. A 8 heures, dans le parc, remise des brevets (kentour) en présence de la famille du Guerny et de deux sous-officiers allemands du SD (Grimm et ?) qui étaient les hôtes de la famille du Guerny. Assistaient à l'opération : Célestin Lainé, son frère commandant Lainé, Chanteau "Mabinog", Feutren, Heussaf "Professeur", Bourhis "Guével". 

Malrieu retrouve donc Feutren au Bezen en décembre 1943 "dont il était l'un des organisateurs. Lainé comptait l'envoyer en Allemagne pour faire une étude comparée des religions celtiques et germaniques. Le projet tomba à l'eau. Feutren était chargé de la surveillance du cantonnement Bd de Sévigné. Très germanophile, il admirait Lainé." D'après Christian Guyonvarc'h "Cadoudal" : "Il était vaniteux et assez sot. Mal vu de ses camarades, c'était le chien du quartier. Il répétait servilement les théories politiques de Lainé. Avec Jacques de Quélen il avait menacé Chevalier à Saint-Brieuc, qui avait déserté, de le faire arrêter par la police allemande s'il ne rejoignait pas immédiatement le Bezen. Il sera arrêté deux jours plus tard."


Le 10 janvier 1944, Feutren est interpellé en gare de Caulnes par deux gendarmes. Invité à décliner son identité, il se met au garde à vous et leur déclare : "Vous avez affaire à un policier allemand", et de l'index leur montre la route en disant : "Filez !". Nullement impressionnés, nos deux pandores insistent. Feutren demande alors s'il y a des troupes allemandes dans la région. Les gendarmes l'emmènent alors au château du Verger à Caulnes. En entrant dans le château, Feutren crie en levant le bras : "Heil Hitler!". Il parlemente alors en allemand avec l'officier de présence. Un coup de fil à Rennes confirme qu'il s'agissait d'un policier bien connu du SD. Comme les gendarmes avaient relevé son identité sur une feuille, Feutren exige devant l'officier allemand qu'ils lui remettent ce papier. Puis à son tour, il exige des gendarmes qu'ils lui donnent leurs papiers et relève les noms et adresses !

Feutren ne s'occupait pas seulement de tâches administratives puisque le 7 juillet 1944, on le retrouve au côté d'Ange Péresse "Cocal" avec trois groupes du Bezen, le Groupe d'Action du PPF et une centaine de miliciens, sous la direction du SD, lors d'une opération contre le maquis de Broualan, petite commune du nord de l'Ille-et-Vilaine. Après des tortures d'une rare violence, laissant quatre cadavres sur place, le convoi de prisonniers s'arrête sur le chemin du retour dans une carrière de Saint-Rémy-du-Plain où huit résistants et un aviateur américain sont à nouveau exécutés. Le Bezen ayant quitté Rennes, le 4 août 1944, Feutren est à nouveau signalé lors d'une opération menée contre un maquis dans la région de Châlons-sur-Marne. Puis c'est le repli sur l'Allemagne et l'exil pour ce qui reste du Bezen, une trentaine d'hommes, les plus compromis avec l'occupant, tous condamnés à mort par contumace.

(1) Jeanne Coroller "Danio", épouse du Guerny, atrocement assassinée dans la forêt de la Hardouinais par ce qu'il y avait malheureusement de moins recommandable dans la Résistance.


lundi 11 septembre 2023

Ar Seiz Breur : à propos de René-Yves Creston


Comme il fallait s'y attendre, le centenaire de la création du mouvement des Seiz Breur, après celui du Gwenn ha Du et la controversée exposition "Celtique ?" n'allait évidemment pas manquer de susciter de nombreuses réactions indignées. A tout seigneur tout honneur, c'est donc le résistant René-Yves Creston qui va surtout retenir l'attention de nos habituels contempteurs (trices ?). Entre les critiques simplistes et le panégyrique, il n'est pas toujours simple de s'y retrouver . Les documents qui suivent sont des pièces qui proviennent de son dossier d'instruction, puisqu'il sera inquiété par les FFI à la Libération et devra répondre de ses actes. L'enquête terminée, c'est la Commission d'épuration du CDL, qui comporte d'anciens résistants, qui décidera si le dossier doit être transmis à la Chambre Civique pour les faits mineurs de collaboration ou bien à la Cour de Justice pour les cas les plus graves. Ce qui sera pas le cas. Je retrouve ces pièces qui ont été recopiées par mes soins au crayon à papier sur des cahiers, à l'extrême limite du siècle dernier. Il n'y avait pas de smartphones ou d'ordinateurs portables. De toute façon ces dossiers n'étaient consultables que sur dérogations et la reproduction interdite. Puissent-elles nous aider à mieux comprendre ce qu'ont été les années rennaises, et leurs zones d'ombre, de René-Yves Creston. Libre ensuite à chacun de se faire son opinion.

- 17 octobre 1945. Audition de Creston par la gendarmerie de Janzé.

"Arrêté en février 1941 au Musée de l'Homme à Paris ainsi que plusieurs de mes camarades du groupe de résistance que nous avions créé au mois d'août 1940.
Je fus emprisonné au secret à Fresnes. Je suis resté 122 jours en cellule sans être interrogé. Je ne l'ai été que le 122e jour. La Gestapo n'ayant rien trouvé m'a remis en liberté en me disant "ce qui ne veut pas dire que vous soyez innocent, en conséquence vous êtes en régime de liberté surveillée (...) séjour interdit à Paris et fixé à Rennes.
Tous mes camarades n'ont pas été fusillés, heureusement. Deux seulement du Musée et cinq autres de l'organisation. J'indique comme personnes prêtes à témoigner : Albert Jubineau, avocat, Paris 16e. Yvonne Oddon du Musée de l'Homme. Mlle Bordelet. Professeur Rivet. M. Girault, agence Havas de Nantes.
Arrivé à Rennes, je compris immédiatement pourquoi on m'avait fixé cette résidence (Sur le registre du courrier des RG il est écrit : 10 juillet 1941 arrivée à Rennes du nommé Creston René autonomiste breton) En effet, d'anciens camarades à l'idée politique identique à la mienne se trouvaient à Rennes, mais ils avaient changé d'idée et étaient devenus de fidèles serviteurs des nazis. Tous croyaient que j'étais innocent, ce qui n'était pas le cas, car j'avais sur la conscience (...) un acte de résistance (...) l'établissement des plans de défense de Saint-Nazaire. Il me fallait jouer serré. J'ai en effet participé comme beaucoup d'autres personnes qui n'avaient rien de germanophiles aux début de l'Institut Celtique. Mais au bout d'un certain temps, je m'aperçus (...) de ce que voulait faire de cette société que l'on croyait être uniquement culturelle, son directeur M. Hemon. Aussi (...) nous avons donné notre démission. J'ajoute que durant la première année de mon séjour forcé à Rennes, j'ai été l'objet de propositions d'éditions et d'illustrations de livre que j'ai toujours réussi, non sans difficulté, a éluder. Ces proposition qui m'étaient faites indirectement par des anciens camarades passés aux nazis venaient certainement des Allemands.
1941, livre d'or du restaurant La Chope, Rennes

De mon passage à l'Institut Celtique j'ai recueilli une somme de renseignements qui m'ont permis, seul, puis avec le concours de Mrs ; Gaston Sébilleau, Gérault, Geistdorfer, Le Guen artisan à Dinan, Eveillard artisan à Montfort et membre du CDL 35 de saboter et faire échouer l'organisation montée par le PNB et destinée à faire collaborer sous menace de saisie et de déportation les artisans bretons à la fabrication de meubles pour les sinistrés allemands. 
J'étais alors président d'une société d'artistes et d'artisans bretons. L'un des membres de cette société avait organisé cette collaboration en servant pour convaincre les artisans de l'argument suivant : ce n'est pas de la collaboration, la meilleure preuve est que notre président est antiallemand puisqu'il a été arrêté par eux. Quand j'ai appris ça j'ai donné ma démission et j'ai refusé la présidence d'honneur.
Photo extraite du livre La patrie interdite de Yann Fouéré

J'ajoute que le membre en question (...) voulu se venger. Ayant confiance en lui je lui avais donné les raisons de mon arrestation. A la suite d'un congrès de l'Institut Celtique à Dinan puis à Redon, des indiscrétions de la petite organisation que nous avions montée me firent repérer ainsi que Sébilleau et M. Barc, juge à Redon. Notre adversaire fit répéter par sa maîtresse à un collabo notoire les confidences que je lui avais faites. Ces bruits vinrent aux oreilles des allemands et nous échappions de justesse au danger. Mon accusateur dit que je me disait communiste, il semble en douter. J'ai fait partie du Parti Communiste depuis 1936, cellule Vandamme (14e). J'ai contribué à l'organisation des Bretons émancipés dont le président est mon ami Cachin. Mon accusateur me prend pour un séparatiste antifrançais. C'est une légende. Je me suis toujours occupé de ce qu'on appelle le Mouvement breton (...) mais j'ai toujours maintenu mes idées de gauche. Je n'ai jamais voulu me mêler ces dernières années surtout (depuis 1932) au mouvement à tendance fasciste de Mordrel.
En 1938, au moment ou la guerre menaçait et que des bruits semblables à ceux lancés contre moi par mon accusateur couraient sur mon compte (...) Je me suis présenté spontanément avec M. Girault au sous-préfet de Saint-Nazaire pour y faire une déclaration formelle de loyalisme. 
En 1939, en mission à l'étranger (...) j'ai relié avec les plus grandes difficultés la France pour avoir la désillusion de subir à mon arrivée une perquisition en règle. Je n'en ai gardé aucune rancune.
Lors de la débâcle, au lieu de rejoindre les Allemands comme tant d'autres (...) comme Jaffrennou, grand druide et collègue de mon accusateur, j'ai fui devant eux (...) pas assez vite. Revenu à Paris de Bordeaux où j'étais réfugié sur ordre de Rivet, je fondais avec Vildé, Levitsky et Jubineau en août 1940 le groupe de résistance.
Fait et clos à Janzé le 17 octobre 1945."

Vous l'aurez deviné, l'accusateur dont parle Creston n'est autre que Fanch Gourvil, qui a adressé cette note au CDL 35 :
" Lorsqu'il vint me voir de passage à Morlaix, une quinzaine de jours après l'arrivée des troupes d'occupation, il venait de faire une visite à Cachin. A cette époque il était communiste et suivant sa propre expression "jouait la carte russe".
Arrêté courant 1941 comme faisant partie d'une organisation d'espionnage dont le siège se trouvait au Musée de l'Homme et traduit devant un tribunal militaire allemand, il fut libéré dans des conditions plus que troublantes; étant donné que tous ses camarades avaient été condamnés à mort et furent effectivement fusillés.
Rennes lui fut assignée comme résidence obligatoire. Quelques semaines après son installation, il montait avec Trécan l'Institut Celtique inspiré par Weisgerber. Il y aurait lieu de le rechercher à Paris où il habite et a rejoint le Parti Communiste afin de le questionner sur les circonstances qui ont présidé à sa libération que d'aucuns attribuent à son lâchage, sinon à la confusion de ses co-inculpés. Signé Gourvil."
Cette note de Gourvil figure avec la demande d'enquête de la Commission d'épuration du CDL 35. Renseignements divers en la possession de la Commission : "PNB, enquêter sur son activité antinationale dans ces groupements et sur  l'affaire ci-jointe. La personne susnommée n'est pas arrêtée. Rennes le 22 janvier 1945."
- D'après le rapporteur de la Commission d'épuration "Creston a fait à maintes reprises de la réclame pour ses œuvres dans L'Heure bretonne (28 décembre 1940 page 2)". Signé Auffret, 3 avril 1945.

- Note du commissaire de police du 10 février 1945 : "Creston s'agite beaucoup dans les milieux PNB, son attitude peut devenir dangereuse en raison de ses idées très avancées (...) on suppose que Creston n'a en rien renié de ses idées d'antan et qu'il développe clandestinement au sein du PNB ses idées d'extrême gauche. Creston est d'autre part inconnu au bureau régional à Rennes du Parti Communiste."

- 6 novembre 1944. Gendarmerie nationale, audition de M. Giraud (ou Gérault ?), directeur agence Havas de Rennes :
"Je considère que Creston, qui est un très bon camarade, n'a jamais failli à son devoir de français (Gérault retrace l'itinéraire de Creston résistant), il y a quelques mois, Creston est venu me voir pour m'informer qu'il avait surpris une conversation à la radio de Rennes, d'après laquelle une enquête était ouverte par les Allemands sur certains propos tenus à Redon (...) J'ai fait le nécessaire auprès de Sébilleau et Barc, dont je connaissais l'activité clandestine. Je sais également que malgré les insistances du directeur allemand de la radio, René Creston a toujours refusé de donner son adhésion au groupe Collaboration."

- 9 novembre 1944. témoignage de M. Barc qui revient sur le but manifesté par les dirigeants de l'Institut Celtique d'entrainer dans leur sillage des artisans du pays de Redon. Apprenant par Creston le véritable caractère de l'Institut qui n'était qu'un organisme de propagande de l'Allemagne : "Je ne connais rien de l'activité antérieure de Creston, mais j'estime qu'en renseignant Sébilleau sur le caractère véritable de l'Institut, M. Creston a agit en bon français." (Mêmes témoignages de Sébilleau, Emery et Maugendre)

- 23 septembre 1945. Lettre de M. Barc, procureur à Redon :
"Apprenant que l'Institut Celtique n'était qu'un organisme de la propagande allemande, puisque parmi les congressistes officiels devait figurer un conseiller allemand, divers redonnais décidèrent de torpiller le congrès (...) L'un des principaux responsables de ce torpillage fut Sébilleau (arrêté par la Gestapo et déporté). Sébilleau me prévint que les Allemands de la propagande furieux de leur échec à Redon faisaient une enquête sur les causes et l'attribuait à Creston. Creston était parvenu, à la suite de son interrogatoire par les Allemands a prévenir Sébilleau par l'entremise de Giraud. J'estime que Creston a rempli son devoir de français et personnellement je lui en demeure reconnaissant."

- Je retrouve également dans mes archives cette lettre du 3 novembre 1940 adressée par Creston à Yann Fouéré au sujet d'une réunion de la FRF (Fédération des Régions Françaises) de Jean Charles-Brun :
"Je suis allé ce matin chez Charles-Brun (réunion de la FRF), comme toujours de belles parlotes. Un collaborateur du Garde des Sceaux lui a dit qu'on ferait un essai d'organisation provinciale avec tous les organismes que cela présente y compris une assemblée provinciale  sur la base corporative. On choisirait pour cela une province de France. Plusieurs ont dit : "Il faut que ce soit la Bretagne". Mihura s'y est opposé aussitôt en prétendant que ce n'était pas le moment de tenter une telle expérience en Bretagne à cause du mouvement séparatiste (vives protestations). Pour ma part je me suis contenté de dire que si l'on voulait faire une expérience sur une "Province cobaye" (terme du collaborateur du Garde des Sceaux) et que si d'avance on en excluait la Bretagne, c'était le moyen le plus sûr de conduire celle-ci au séparatisme. J'ai fait ressortir les proportions que prend en Bretagne un mouvement "autonomiste" raisonnable depuis quelque temps (Mihura joue la carte basque). L'épouvantail des séparatistes pourrait peut-être décider le gouvernement a tenter cette expérience chez nous."

dimanche 3 septembre 2023

4 septembre 1943 : un crêpe pour Yann Bricler

Ce samedi 4 septembre 1943, deux jeunes gens à bicyclette se présentent dans l'après-midi aux "Crêperies de Locmaria", à Quimper, et demandent a acheter des crêpes au détail. Il leur est répondu que la maison ne faisait que des expéditions en gros, mais qu'ils peuvent s'adresser au directeur M. Bricler dont les bureaux se trouvent au 22, rue du Parc. Vers 18 H, les deux jeunes, l'un blond, l'autre brun, montèrent les trois étages de l'immeuble de la rue du Parc et pénètrent dans le bureau du personnel et demandent à être introduit dans le bureau de Bricler. Quelques secondes plus tard, les employés perçoivent un bruit "semblable à celui d'une vitre qui se brise", puis le choc d'un corps qui s'affaisse. Aussitôt, les deux jeunes reparaissent dans le bureau du personnel affolé, qu'ils tiennent en respect avec leurs revolvers, puis redescendent les trois étages et enfourchent leurs bicyclettes avant qu'un coup de téléphone ne donne l'alerte au commissariat de police. Arrivé aussitôt sur les lieux, le médecin découvre le corps de Bricler gisant dans une marre de sang. Il avait été atteint de deux balles, l'une en plein front, l'autre un peu au dessus de l'oreille gauche. La mort a été instantanée.

La victime n'est pas une inconnue à Quimper. Né en 1901 à Montfort-sur-Meu (35), licencié en droit, ingénieur en aéronautique, ingénieur frigoriste, Yann Bricler s'est fait une belle situation en devenant directeur des réputées "Crêperies de Locmaria". Mais surtout, il n'a jamais caché ses convictions bretonnes. "Mais il serait injuste de ne pas citer un Yann Bricler, qui fut au premier rang des sacrifices et du combat à compter du premier jour, un Sohier, un Drezen, un Eliès ou un Léon Millardet qui furent des premiers à se joindre à nous, et tant de militants obscurs, sans lesquels Breiz Atao n'aurait jamais été une réalité populaire", écrira plus tard son cousin Olier Mordrel (1). 

En effet, Bricler est un adhérent de la première heure à l'Unvaniez Yaouankiz Vreiz en 1919. En 1922, il représente Breiz Atao lors d'une série de conférences au Pays de Galles. En 1927, lors du congrès de Rostrenen, est créé le Parti Autonomiste Breton, dont il est nommé secrétaire général, et qui deviendra le Parti National Breton (PNB) en 1931. En 1934, Bricler est administrateur de la revue Stur, qui ne cache pas sa sympathie pour les thèses nazies dans un PNB prenant une tournure nettement fascisante sous l'impulsion de Mordrel, lors du congrès de Carhaix en 1937, "Le Breton Total est né !" écrira-t-il. (2) Sous l'Occupation, bien que toujours membre du PNB et fidèle à
la ligne dure d'un Mordrel partisan d'une collaboration totale avec l'Allemagne nazie, Bricler ne partage pas la tendance plus "modérée" des frères Delaporte. Il n'en reste pas moins un notable du parti, que l'on retrouve au banquet de la réunion des cadres de l'arrondissement de Quimper, tenue le 10 décembre 1941 à Kerfeunteun. Quelques jours plus tard, le 13 décembre, les Quimpérois peuvent lire une inscription sur la façade de la préfecture "Breiz Atao vaincra. Malheur aux traîtres : exemple Le Goaziou." Ce libraire est en effet la bête noire des nationalistes bretons. Il avait organisé une manifestation place Saint-Corentin et brûlé des exemplaires de L'Heure Bretonne. Les bonnes relations qu'entretenait Yann Bricler avec les autorités allemandes n'étaient un mystère pour personne sur la place de Quimper. Il invitait même des officiers de la Kommandantur pour des parties de pêche en mer. Le 21 novembre 1942, Marc Le Berre, chef local du PNB, contacte la Propaganda Staffel de Quimper pour faire un cadeau de Noël de la part "d'un commerçant et industriel national breton" aux soldats allemands blessés devant Stalingrad. Le Berre fait alors fabriquer par la crêperie de Bricler un lot de "boites fantaisies de crêpes dentelles". chaque boite est garnie d'un petit mot écrit en allemand "Aux héros de Stalingrad", "Aux libérateurs de l'Europe", "Un joyeux Noël", "Un Breton reconnaissant". Malheureusement pour lui, un exemplaire de ces papillons, subtilisé par une employée de la crêperie et transmis à la Résistance, figure dans son dossier d'instruction. Autre lettre en date du 7 mai 1943 sur papier à en-tête " A la Ville d'Ys", adressée à sa voisine commerçante : "Un coeur de chrétien doit ignorer la haine. Soyez gaulliste si cela vous plait. Et aux ordres des juifs, des métèques, des francs-maçons et des bolcheviques, vous êtes libre de votre choix. Pour moi je ne connais qu'une ligne de conduite : "Breiz ma Bro, kenta havet, kenta servichet". Un but, une Bretagne respectée par une France honnête dans une Europe unie."
Réunion de Kerfeunteun, on distingue au fond de la salle les Bagadoù Stourm

 

Un assassinat lourd de conséquences

Dès la nouvelle de l'assassinat connue, c'est la consternation et l'inquiétude au sein du PNB. L'Heure Bretonne du 12 septembre titre "Un patriote breton assassiné à Quimper" et rappelle les circonstances du meurtre. Prenant prudemment ses distances, le journal précise toutefois "Quoique Yann Bricler ne jouât plus aucun rôle au sein du PNB dont il ne partageait pas l'actuelle tendance, il, demeurait une des notabilités du Mouvement breton." Les obsèques sont particulièrement suivies par les RG : "Note de synthèse du 13 septembre 1943. Obsèques de Bricler : Olivier Mordrelle, ancien chef du PNB et cousin de Bricler était présent, ainsi que M. Pichery, venu de Rennes pour représenter le parti. On a remarqué l'absence de Delaporte, chef du PNB. Selon des informations, le poste de radio clandestin Honneur et Patrie (émissions en français de Radio Londres) aurait diffusé la nouvelle de l'assassinat de Bricler et annoncé le même sort à Le Berre, chef de quimper, et à Le Bec, chef de canton. "La radio de Londres, peu de jours après, avait donné comme motif à "l'exécution" une lettre de la victime contenant une liste de noms de résistants, qui avait été interceptée à la poste. Je savais de quoi il s'agissait, puisque c'était moi le destinataire de la lettre. Mon cousin, en effet, avait dressé la liste de nos ennemis dans la région et, comme j'avais longtemps habité Quimper, il me l'avait adressée pour ma gouverne. Il venait de payer cette lettre de sa vie." écrira Mordrel. (3)

La Dépêche de Brest 6 septembre 1943
En effet, parmi les divers documents accablants trouvés dans le coffre-fort de Bricler, les enquêteurs découvrent une liste datée du 19 février 1943 sur laquelle figure une trentaine de noms de personnes dénoncées à la Kommandantur pour leurs sentiments anti-allemands et suspectées d'être communistes ou gaullistes. Parmi celles-ci, on trouve le libraire Le Goaziou, qui sera arrêté en octobre 1943, le journaliste Fanch Gourvil, de Morlaix, De Cadenet, industriel à Saint-Guénolé-Penmarc'h, Donnart, Jean-Louis Rolland, ancien député SFIO de Landerneau, et... une Mme Duperrier, receveuse des postes à Scrignac. Une lettre, datée du 7 janvier 1943, d'un militant du PNB de Brest et connu pour ravitailler les Allemands, dénonce également comme Juifs un architecte de Brest et son fils, qui seront déportés en Pologne. 

D'après une note des RG, "Les militants du Finistère ne cachent pas à leurs intimes qu'ils ne seraient pas fâchés de se débarrasser de tous leurs membres suspects aux yeux du public d'avoir poussé un peu trop loin l'esprit de collaboration. Ils admettent qu'il est possible que Bricler ait fourni à la police allemande des renseignements qui dépassaient de beaucoup ceux auxquels ils étaient astreints par les bons rapports du parti avec les dirigeants allemands." Pour les cadres du parti, il ne fait aucun doute que cet assassinat n'est qu'un premier coup de semonce. A propos de Bricler, Yves Le Diberder, journaliste à La Bretagne, écrit à Yann Fouéré : "Bien moins coupable que Mordrel ou Debauvais ou même cet illuminé de Guieysse. Il est bien probable que si ces trois hommes avaient aussi habité Quimper ils y auraient passé. Et il nous faut trembler désormais pour d'autres Quimpérois comme Le Guellec, Lannuzel, Marc Le Berre et Le Bec." Le Diberder ne pouvait mieux prophétiser. Le 21 septembre, les RG signalent une tentative d'attentat contre Jean Le Meur, ami de Bricler, architecte et chef de la section de Concarneau : "Il a quitté son domicile pour une adresse inconnue suite à des menaces". Le 28 suivant, c'est le militants Yves Kerhoas qui est à nouveau agressé au bourg de Spézet "par six individus appartenant à la bande réfractaires du bois de Queinnec." Il sera finalement abattu le 16 novembre à Plonévez-du-Faou. Lors d'une émission du 25 octobre, Honneur et Patrie aurait pris à partie plusieurs personnalités de la Collaboration, dont deux membres du PNB de Quimper. Le 20 décembre, la radio anglaise récidive en signalant deux autres militants du PNB de Quimper, dont l'un a la réputation de faire du marché noir avec l'occupant. Gabriel Poquet, un jeune résistant quimpérois du groupe "Vengeance", qu'il trahira en intégrant le Kommando de Landerneau après avoir été par arrêté par les Allemands, déclare lors de son interrogatoire "avoir fait partie du corps-franc chargé de descendre Le M. domicilié à Quimper, dont les attaches avec les Allemands n'étaient pas inconnues." Lors de son interrogatoire du 15 novembre 1944, André Geffroy, de Locquirec, membre du PNB et redoutable agent des allemands du Kommando de Landerneau, déclare à propos de Bricler : "Après sa mort, j'ai eu l'occasion de parler de lui à Célestin Lainé qui me fit savoir que probablement il avait fourni des renseignements à un interprète de la Kommandantur de Quimper, qui était d'origine alsacienne. Celui-ci serait parti en Angleterre et aurait dévoilé le travail de Bricler. Il ajouta même qu'on connaissait l'assassin qui devait être un jeune homme de Scaër." A moins qu'il ne s'agisse plutôt de cet homme, cité par le prisonnier de guerre Georg Roëder, ancien chef du SD de Brest, lors de son interrogatoire du 13 juin 1947 : "Au SD de Quimper, j'ai bien connu l'interprète Schwartz Hans. Il était instituteur à Herbstein dans la Hesse. Il était en captivité en Belgique en 1945. Il n'était pas au parti nazi et ne s'entendait pas du tout avec Fenske (chef du SD de Quimper). Il travailla même en faveur des Français."

Réunion du SD à Quimper : Huenebeck, Baumann, Fenske, Guenther, Wenzel, Wisberg   
 
Quoi qu'il en soit, l'origine scaëroise de l'assassin de Bricler m'a été confirmée par Youenn Gwernig : "J'habitais Scaër. Quelques années plus tard, vers 1943, j'ai rencontré François Kersulec (qu'on appelait Soaïk). Il était chef de la cellule PCF de Scaër, j'en avais rien à foutre, c'était un copain. 
- C'est toi qui a tué Perrot, si c'est vrai je te flingue (à l'époque on ne s'emmerdait pas pour ça !)
- Je sais qui c'est, mais ce n'est pas moi. Moi c'est Bricler, à Quimper. le marchand de crêpes dentelles.
- Ah bon ! Un sacré carton ! On a vu ça dans le journal.
Quant à Jean Thépaut (4), c'était lui aussi un copain de Scaër. Son père était cheminot là-bas mais il était originaire de Scrignac. Jean est mort d'un cancer à Morlaix où il était domicilié."
Scrignac justement, où Yann Bricler se rendait fréquemment chez son ami Yann-Vari Perrot, son fils ayant même passé des vacances d'été au presbytère. Pas plus que les Juifs, les communistes ne trouvent grâce aux yeux de l'abbé : "Il faut d'autant plus s'occuper de nos jeunes qu'un vent de communisme souffle en ce moment violemment sur leurs têtes (...) N'est-il pas temps de protéger sérieusement nos magistrats contre ces bandes d'énergumènes qui n'écoutent que la radio de Londres ? Tu peux profiter de ces détails, sans révéler le nom de celui qui te les a donnés, car ici nous sommes dans un pays aussi communiste que la banlieue rouge", écrivait l'abbé Perrot à Yann Fouéré le 7 mars 1943. (5) Avait-il réellement connaissance de la nature des relations entretenues par son ami avec les Allemands ? Rien n'est moins sûr. Malheureusement pour lui, parmi les documents découverts dans son coffre, figure un rapport de Bricler, en date du 19 février 1943, sur les activités communistes ou anglophiles, qui est bien embarrassant : "Mme Duperrier, receveuse des Postes de Scrignac et son mari qui vit à ses crochets. Communisant et passionnément anti-allemand. Le jour de la prise de l'Afrique du Nord par les Américains, ils ont fait jouer la Marseillaise par un haut-parleur sur la place de Scrignac. Ils dirigent l'opinion de la région et sont à arrêter tous les deux." M. Duperrier sera effectivement arrêté à la suite de cette affaire, interrogé à Brest puis remis en liberté. Il sera de nouveau arrêté le 12 juin 1944 puis déporté. Un lettre, adressée le 24 novembre 1942 à Yann Fouéré, en disait en long sur les rapports qu'entretenait l'abbé avec sa paroissienne : "Je te remercie de ta visite l'autre jour (...) tu disais hier dans un bel article que l'administration centrale des PTT se moque des Bretons. Il faudrait par exemple tout un journal pour raconter les prouesses de Mme Duperrier, notre receveuse des postes à Scrignac. Elle est originaire de Quimper mais son mari est un communiste de la région parisienne et elle a le breton en horreur et par là même son recteur ! (...) Il est grand temps qu'une administration nouvelle renvoie en France tous ces employés qui n'ont que du mépris pour le peuple breton. Puissions-nous arriver à ce résultat grâce à l'action exercée sur l'opinion publique par les journaux que tu diriges." Et l'abbé, décidément, de continuer : "Je crois que ton dépositaire de Scrignac, M. Martin, buraliste, n'épouse pas les idées de La Dépêche qu'il propage. C'est un gaulliste et un ennemi acharné du Mouvement breton, et malheureusement il a une forte influence à Scrignac." De là à faire un lien entre les documents trouvés dans le coffre de Bricler et les opinions de l'abbé, le pas sera vite franchi.

Autre conséquence tragique du contenu de ce coffre, cette copie d'un courrier de Bricler informant Mme Chassin du Guerny, plus connue des nationalistes bretons sous son pseudonyme de Danio (Jeanne Coroller),  qu'Henri Waquet, archiviste du Finistère et résistant, a passé deux mois en prison "pour activités gaullistes (...) il aurait même participé à l'organisation de départs vers l'Angleterre." Bricler espère toutefois "que cet homme très anti-breton commencera à comprendre qu'il n'a qu'à se faire oublier." Dans sa réponse, Mme du Guerny termine sa lettre "en espérant que bientôt pour un indésirable, la prison sera remplacée par un exil définitif." L'issue sera également définitive pour Mme du Guerny, enlevée par la Résistance le 12 juillet 1944 avec ses amis et voisins M. et Mme Le Mintier de la Motte Basse, puis emmenée dans la forêt de la Hardouinaye pour y être "jugés", avant d'être exécutés. Les responsables de ce simulacre de justice font partie de la bande à "Mimile". Cette équipe, qui "épurait" en marge de la Résistance dans la région de Loudéac, sera réputée pour avoir tué plus de Français que de soldats allemands. Ayant à répondre de ses actes, "Mimile" sera incarcéré à Saint-Brieuc le 10 août 1944. L'affaire fera grand bruit à l'époque puisque "Mimile" va s'évader sans grande difficulté avant son jugement. 

Le début de la fin

Quatre-vingt ans plus tard, alors que l'histoire n'a retenu que l'assassinat de l'abbé Perrot, le 12 décembre 1943, et la création du Bezen éponyme, c'est oublier que la décision de créer un groupe armé chargé de protéger les membres du PNB menacés par la Résistance n'est que la conséquence directe de l'assassinat de Yann Bricler, qui est une date majeure dans l'histoire du Mouvement breton sous l'Occupation. Rongeant son frein depuis trop longtemps, Célestin Lainé n'est pas long à comprendre qu'avec l'assassinat de Bricler, l'heure n'est plus aux camps de jeunesse des Bagadoù Stourm. La gravité de la situation nécessite désormais de disposer d'un groupe de protection armé pour protéger les membres du PNB menacés par la Résistance, quitte à participer au besoin avec les Allemands aux opérations de répression. "L'assassinat de Bricler faisant suite à toutes sortes de menaces contre les Breiz Atao rendait urgent la défense efficace du mouvement national. Par contre-coup, il fournissait l'élan pour transformer le "Service Spécial" en unité de combat. Cette unité, appelée Bezen, fût formée à l'époque ou l'abbé Perrot devait tomber au Champ d'Honneur breton. Pour être exact, le Bezen fut créé en novembre 1943." (6) Ce n'est qu'à leur retour à Rennes des obsèques de l'abbé Perrot, où s'étaient rendus Lainé et Jasson, que le nom de l'abbé Perrot, à qui on n'avait évidemment pas demandé son avis, que son nom fût adopté à l'unanimité : le Bezen Perrot était né. Commençait une brève (dix mois) et sanglante histoire qui devait entacher longtemps l'ensemble du Mouvement breton, toutes tendances confondues.

(1) Mordrel Olier, Breiz Atao, Paris, Editions Alain Moreau, 1973, p. 47
(2) Mordrel., op. cit., p. 198
(3) Mordrel., op. cit.,  p. 365
(4) Assassin présumé de l'abbé Perrot.
(5) Hamon Kristian, Le Bezen Perrot, Fouesnant, Yoran Embanner, 2004, p. 161
(6) "Davantage de lumière", article de  Hénaff (pseudo de Lainé), paru en 1956 dans Argoad, revue éditée en Irlande.
 

samedi 29 juillet 2023

Mathieu Donnart, exécuté le samedi 29 juillet 1944 avec trois parachutistes SAS et cinq résistants.


Le 26 juin 1944, la major Cary-Elwes a réussi à établir le contact avec le commandant des SAS, le colonel Bourgoin, qui est toujours au village de La Foliette, en Sérent (56). Cary-Elwes fait part au commandant des nouvelles instructions de McLeod, dont l'enthousiasme du 10 juin s'est sérieusement émoussé. Il n'est plus question de soulèvement. Trois semaines après le Débarquement, la situation n'est pas brillante. Les Britanniques du général Montgomery n'arrivent toujours pas à reprendre la ville de Caen, tandis que les G I du général Bradley piétinent dans le Cotentin. En conséquence, tirant les leçons des échecs des bases de Samwest et de Dingson, McLeod enjoint aux SAS de poursuivre l'instruction et l'armement des résistants en évitant une insurrection précoce, dont l'issue pourrait être dramatique. Les maquis devront rester dispersés pour ne pas renouveler la bataille rangée de Saint-Marcel, tout en continuant leurs actions de sabotage et de harcèlement. Pour l'instant, force est de constater que le harcèlement est plutôt le fait des Allemands, obligeant les parachutistes à se terrer comme des bêtes traquées. Le lendemain 27 juin, toujours à La Foliette, se tient une réunion de travail entre Bourgoin et le capitaine Marienne, arrivé dans la nuit de son QG de Guéhenno. Ce même jour, le colonel Mathieu Donnart, alias Poussin, chef des FFI du Finistère, vient aussi voir Bourgoin. Il est accompagné du lieutenant de gendarmerie de Quimperlé Jean-Louis Jamet, dont la voiture est conduite par le gendarme Pierre Mourisset. A bord du véhicule, ont également pris place Claude Sendral, alias Huissier, ancien adjoint de Paysant au BOA (Bureau des opérations aériennes), l'opérateur-radio François Loscun et le jeune mécanicien René Philippeau. Ceux-ci informent Bourgoin qu'ils n'ont jamais pu établir de contact avec Londres. Par chance, Jourdren, qui était resté au château de Callac après le retrait du camp de Saint-Marcel, sur ordre de Paysant, est présent à la réunion. Il est donc décidé qu'il repartira avec le groupe en emportant le précieux matériel radio. Jeanne Bohec, alias Micheline, devra les rejoindre plus tard. La réunion terminée, douze hommes prennent la route pour le Finistère dans deux voitures de la gendarmerie, en évitant la traversée d'Hennebont. Dans la première voiture, conduite par Jean Garin, adjoint de Le Port, a pris place une équipe du BOA du Morbihan. Lorsqu'il arrive au village de Saint-Trémeur, en Bubry, Garin doit s'arrêter devant un barrage de feldgendarmes, qui laissent passer la voiture. Quelques instants plus tard, la seconde voiture, où ont pris place sept hommes, se présente à son tour devant le barrage. Cette fois-ci, les feldgendarmes ont des doutes et font descendre tout le monde du véhicule, dans lequel ils découvrent des armes et le poste émetteur. Tout à fait par hasard, les Allemands viennent de réaliser un beau coup de filet. Les sept résistants sont aussitôt emmenés à Pontivy pour y être confiés au SD et torturés sans répit. N'en pouvant plus, Mathieu Donnart tentera même de se suicider en se tranchant les veines du poignet, mais ses compagnons de cellule s'en aperçoivent et Paysant lui bande sa blessure comme il peut. (1)


Le samedi 29 juillet 1944, quittant Pontivy à 6 h du matin, Maurice Zeller, que l'on ne présente plus, fait partie d'un peloton pour une exécution qui doit avoir lieu sous les murs d'une ferme située au Rodu, en Pluméliau, sur la route de Baud à Pontivy. "A cette occasion, nous avions touché chacun un uniforme allemand, un casque et une mitraillette Sten. En cours de route, nous étions suivis par une camionnette transportant les neufs condamnés ainsi que par une autre voiture avec Fischer et Pierre Lyon. Dès mon arrivée sur les lieux, Fischer vint vers moi et, me donnant sa carabine américaine en échange de ma mitraillette, il me pria d'aller sur la route à une cinquantaine de mètres afin d'effectuer un barrage en compagnie d'un soldat allemand. A l'issue des exécutions, les neufs corps des condamnés ont été laissés sur place et nous sommes rentrés à Pontivy." (2)

C'est la dernière exécution collective comportant des parachutistes SAS. Ils sont trois : Jacques Brouiller, qui avait été fait prisonnier le 15 juillet dans des circonstances non élucidées, Charles Flament, capturé à Kerihuel, et le sous-lieutenant Georges Willard, dont le groupe avait été cerné et attaqué au village du Resto en Bignan, le 20 juillet. Les six autres résistants fusillés sont : Mathieu Donnart Poussin, Jean-Louis Jamet, lieutenant de gendarmerie de Quimperlé, François Loscun et René Philippeau, arrêtés à Bubry le 27 juin. Quant à François Le Mouée et Gustave Cléro, ils avaient été arrêtés le 14 juillet par l'équipe de Zeller lors de la recherche des dépôts d'armes après la chute du camp de Saint-Marcel. (3)

1 - Hamon Kristian, "Chez nous il n'y a que des morts" Les parachutistes de la France Libre en Bretagne -été 1944, Skol Vreizh, 2021, p. 209-210.

2 - Le juge d'instruction n'avait pas l'air d'être très convaincu par les explications de Zeller.

3 - Hamon Kristian, op. cit., p. 308.


lundi 17 juillet 2023

Plœuc-L’Hermitage : à propos de la profanation du monument de la Butte Rouge

Officier américain enquêtant sur les crimes de guerre
La récente profanation du monument de la Butte Rouge, dont la date ne relève pas du hasard, a suscité une très forte émotion  parmi la population et dans les médias, les journalistes reprenant tous le communiqué du préfet des Côtes-d'Armor : "Le monument honore la mémoire des 55 martyrs, résistants ou otages, exécutés par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, en 1944, dans la forêt de la Perche" (Le Télégramme, Ouest-France et France Bleu du 16 juillet).


Le problème, c'est que cela est en partie inexact. Il faut remonter au 28 octobre 1944 : "Nous Mauclair, MDLC, Tanguy Jean et Ozouf André, gendarmes de service à L'Hermitage-Lorge avons été prévenus par M. Duault, entrepreneur, qu'un nommé Le Pêcheur Alphonse, du village des Forges avait découvert en forêt de Lorge, à

500 m environ du village, ce qu'il croyait être l'emplacement de 10 fosses susceptibles de contenir plusieurs cadavres chacune. Nous avons fait creuser un des emplacements désignés et mis à jour à 60 cm de profondeur, une partie des corps humains, habillés, sans cercueil." Avant d'aller plus loin dans leurs investigations, les gendarmes alertent les autorités : "Le 30 octobre 1944, à 10 heures, nous avons assisté à l'exhumation de 28 cadavres dont 24 hommes et 4 femmes. Cette exhumation a eu lieu en présence de M.le Maire de L'Hermitage, du docteur Le Jeune, médecin légiste, de M. le Procureur de la République et de différentes personnalités civiles et militaires. D'après M. Le Jeune, la plupart des dix premières victimes auraient été pendues. Les autres auraient été tuées d'une balle dans la nuque. Toutes, sauf les femmes, avaient les mains liées par un fil de cuivre muni d'un isolant." Six corps ayant été exhumés les jours précédents, ce sont donc 34 résistants et résistantes, Mme Gouelibo, ses deux filles et la jeune Mireille Chrisostome, qui ont été exécutés à la Butte Rouge. Ils avaient été amenés là par un camion allemand le 14 juillet, après avoir été longuement interrogés et torturés dans l'école d'Uzel par les SS et un groupe de bretons du Bezen Perrot (1)

Docteur Le Jeune médecin légiste
Deux mois auparavant, le 18 août, à 200 mètres de la Butte Rouge, 19 corps avaient également été exhumés. Ces jeunes résistants (FTP), condamnés à mort, avaient été fusillés le 6 mai 1944 à Ploufragan, puis enterrés sur place sans cercueil. Les Allemands, voyant la population venir se recueillir et y déposer des fleurs, firent exhumer les corps par la Croix-Rouge, qui furent ensuite déposés dans des caisses en bois. Les Allemands les transportèrent ensuite discrètement dans cette forêt de Lorge. Dire qu'ils y ont été exécutés est donc inexact.

Les noms de ces résistants ont été ajoutés sur le monument de la Motte Rouge, d'où une certaine confusion probablement.

(1) Kristian Hamon, Le Bezen Perrot, 2004, p. 142-143.

samedi 22 avril 2023

La pendue de Gahard

    Voilà sept ans maintenant, le 3 mars 2015, dans une communication "Quelques exemples de pendaisons effectuées en Bretagne en 1944", j'évoquais le sort tragique de deux femmes pendues en Ille-et-Vilaine au mois de juillet 1944, quelques jours avant la Libération. Cet article fut consulté à 3627 reprises. Peu de temps après, le 27 juillet 2015, j'évoquais à nouveau le cas, qui eut un fort retentissement dans la presse, des trois femmes pendues à Monterfil le 4 août 1944, quelques jours après la Libération. Cet article fut consulté 3675 fois.

    Une fidèle lectrice de ce blog m'a fait part récemment du "martyre d'une femme allemande mariée à une personne du coin", et dont elle a gardé le pénible souvenir. L'affaire se passe à Gahard, une charmante localité située au nord de Rennes, sur la route nationale d'Antrain, qu'empruntèrent les GI de la 4e DB du général Wood, descendant d'Avranches vers Rennes, le 1er août 1944 :

    "On a contraint la population, enfants compris et sous la menace d'armes à défiler devant elle, ligotée sur une chaise dans le café du village, on nous a contraints à cracher sur elle. Ensuite, ses bourreaux l'ont fait monter dans un camion en hurlant et ils sont allés pendre cette femme, uniquement parce qu'elle était allemande. Les gens autour étaient révoltés et tous disaient être indignés, Mon Grand-Père avait fabriqué un poste à galènes pour écouter en cachette (c'était dangereux !) la voix de la Résistance... L'indignation était générale et pour ceux qui ont fait couvrir cette femme de crachats, au seul motif qu'elle était allemande, j'éprouve comme les gens de Gahard ou les réfugiés - dont nous étions -, le plus profond mépris. Ma petite sœur avait 2 ans1/2 au moment de ce crime, ses souvenirs de cette atrocité correspondaient aux miens et mon étonnement est grand vu son jeune âge... Cette injustice-là ne passe pas, ma sœur nous a quittés aujourd'hui.
    Ce qui m'étonne, c'est le silence sur ce crime... Cela s'est passé à Gahard, après la libération et les Américains qui sont venus dans le village: ils nous prenaient dans leurs bras dans leurs jeeps et nous donnaient des chewing-gum que nous prenions pour de petits savons, ces moments heureux sont gravés mais le crime, l'inhumanité sont gravés plus profond encore, d'autant plus que nulle trace n'en subsiste, c'était après la Libération de Gahard en 1944..."

    S'il n'est pas possible d'établir formellement un lien entre elles, il est difficile de ne pas faire un rapprochement avec les deux autres affaires évoquées plus haut, au mois de juillet, et qui concernent aussi deux "Alsaciennes", de langue allemande probablement. En effet, à quelques kilomètres à l'ouest de Gahard, sur la commune de  Saint-Médard-sur-Ille, une cinquantaine de jeunes FTP tiennent un petit maquis où la discipline est très sévère. Le chef du maquis ayant menacé de la peine de mort tous ceux qui ne la respectent pas. Parmi ces maquisards, l'un d'eux est marié avec une alsacienne qui lui reproche de façon un peu trop véhémente de combattre l'armée allemande dans laquelle servent plusieurs de ses frères incorporés de force. Le maquis attaqué, elle est accusée de les avoir dénoncés aux Allemands et condamnée à mort par le chef du groupe avec, semble-t-il, l'accord du mari. Saisie par deux maquisards le 13 juillet, elle est emmenée sur le lieu de l'exécution où elle doit être pendue. Les choses ne se passent pas comme prévu. La condamnée, découvrant ce qui l'attend, ne se laisse pas faire. Ses hurlements risquant d'attirer l'attention des Allemands cantonnés à proximité, deux maquisards l'étranglent en présence de son mari. 

    Ce maquis n'étant plus sûr, décision est prise de le transférer en forêt de Haute-Sève, justement située entre la commune de Gahard et Saint-Aubin-du-Cormier (proche du Camp de la Lande d'Ouée, du 11e RAMA). Si les hommes cantonnent en forêt, les femmes logent dans une ferme voisine. Là encore, le chef constate que le maquis est très surveillé, par les Allemands mais aussi par la Milice, arrivée à Rennes et très active dans la région. Deux hommes et une femme sont à nouveau suspectés d'avoir dénoncé le groupe aux Allemands. Ils sont connus pour ravitailler au marché noir les policiers du SD de Rennes. Deux maquisards qui partaient en mission ayant été attaqués par les Allemands à proximité du camp, il ne fait plus aucun doute pour le chef du groupe qu'ils ont été dénoncés par ces deux hommes et cette femme, qui sont ensuite capturés puis condamnés à mort. Le 31 juillet, on retrouvera les corps des deux hommes et de la femme se balançant aux branches des arbres de la forêt. 

    En 1945, lors du procès au tribunal militaire, le commissaire du gouvernement, dans un réquisitoire très dur à l’égard des accusés, réclame la peine de mort contre le chef du maquis, lieutenant FFI, qui couvre ses hommes, expliquant qu’ils n’ont fait qu’exécuter ses ordres, et les travaux forcés contre les cinq autres. Plusieurs témoins louent la bravoure et le patriotisme de ces jeunes résistants. Après le témoignage d’un colonel de gendarmerie, lui-même résistant, le groupe est finalement acquitté. Quelques années plus tard, une contre-enquête sera effectuée. Elle met en évidence que l’accusation de dénonciation prononcée contre l’Alsacienne ne reposait sur rien de solide. Selon ses voisins, elle était incapable de dénoncer des patriotes. Et si les trois autres trafiquants n’étaient guère fréquentables, rien ne permettait de dire qu’ils étaient des indicateurs.

 

vendredi 27 janvier 2023

Gwenn ha Du, du blanc au noir : les engagements de Morvan Marchal

Rarement un parcours politique aura été aussi sinueux et déconcertant que celui de Morvan Marchal, né à Vitré en 1900, à qui l'on doit la renaissance du mouvement breton d’après-guerre, le second Emsav, dont la meilleure traduction serait en italien Risorgimento. (1) Tout commence en 1918, avec un bref passage à l’Action Française. En septembre de la même année, tout juste bachelier aspirant à des études d’architecture à Rennes et désireux de rompre avec le régionalisme conservateur de l’Union Régionaliste Bretonne du marquis régis de l’Estourbeillon, Marchal et quelques jeunes gens de son âge fondent le Groupement Régionaliste Breton (GRB), « de tendance Maurrassique et provincialiste », dont il devient le secrétaire général. Quelques mois plus tard, deux autres jeunes gens, appelés à une certaine renommée, Debauvais et Mordrel, rejoignent le groupe. « En cette fin d'année 1918, l'homme du destin fut Maurice Marchal, étudiant en architecture à l’École des Beaux-Arts de Rennes. Au milieu de ses jeunes camarades, dont la culture bretonne se résumait souvent au souvenir de quelques chansons de Botrel, il était celui qui savait. Il possédait à fond son histoire de Bretagne et avait quelques lumières sur les réveilleurs de la nationalité assoupie. Nous accourions à lui comme à un oracle.» (Breiz Atao, p. 42, Olier Mordrel). Au mois de janvier 1919, parait le premier numéro de Breiz Atao, journal du GRB, codirigé par Mordrel et Marchal, ce dernier se faisant déjà remarquer par ses articles :

« La création d’une langue littéraire unique et le perfectionnement de la langue, œuvre de bretons admirables, sont une tache indispensable et sacrée. Mais pas d’illusions, ce travail formidable ne  trouvera sa pleine expansion que chez un peuple enflammé par un ardent sentiment national. Seul un peuple qui aimera sa patrie, son passé, sa nationalité, aimera sa langue, seul il veillera à la sauvegarder de tout abâtardissement et a l’assouplir aux exigences modernes (…) C’est cela et uniquement cela le vrai « nationalisme breton. » (B.A. N°8, 1920)

L'adresse du journal, 4, place de Bretagne, est celle du domicile de ses parents. Sa mère est née à Piré (35), son père, Victor Marchal, originaire de Gerardmer dans les Vosges, est contrôleur des PTT.

En 1921, leurs relations étant de plus en plus tendues, Marchal démissionne du GRB pour divergence de vues avec Mordrel, sur lequel il avait pourtant exercé une certaine ascendance. Mais le ver était dans le fruit. S’il n’est pas le plus assidu à l’école régionale d’architecture, dont il est pourtant perçu comme l’un des élèves les plus brillants de sa promotion, son intempérance est déjà légendaire. C’est durant cette période qu’il conçoit le fameux Gwenn ha Du et adhère en 1924 à l’Union de la jeunesse de Bretagne, Unvaniez Yaouankiz Vreiz (UYV), tout en continuant d’écrire dans Breiz Atao. En septembre 1925, Breiz Atao lance une souscription pour un drapeau de l’UYV « étendard symbolisant notre patrie et nos idées ». Le journal précise : « N’est-ce pas un paradoxe que le groupement qui, le premier s’est réclamé de la nation bretonne, ne possède pas orgueilleusement le drapeau de ses idées et de ses espoirs : le drapeau national ? » Un  an plus tard, le journal informe ses lecteurs que « Jos Le Gars de Rosporden, prépare un fanion breton pour les propriétaires de moto, vélo, auto, sur le modèle du futur drapeau de l’UYV. » 
Si elle affiche son nationalisme breton et adopte le Gwenn ha Du comme emblème du parti, l’UYV incline nettement à gauche avec l’arrivée de nouvelles recrues comme Maurice Duhamel, Goulven Mazéas, René-Yves Creston ou Youenn Drezen. Cet afflux de nouveaux adhérents séduits par le fédéralisme incite ses fondateurs à transformer l’UYV en Parti autonomiste breton (PAB) lors du congrès de Rosporden en 1927 et dont Marchal s’impose comme le théoricien. Rejetant le séparatisme, le PAB est partisan d’une autonomie administrative et politique de la Bretagne dans le cadre d’une France fédérale. Cependant, la crise ne tarde pas à éclater entre les nationalistes et les fédéralistes, qui voit de nouveau Marchal démissionner en juillet 1928 pour divergences de vues avec son alter-ego Mordrel. Cette même année, alors qu’il vient d’obtenir son diplôme d’architecture, Marchal est recruté par Creston, qui apprécie sa solide culture et surtout sa belle plume, pour rejoindre le groupe des Seiz Breur. Marchal avait déjà expliqué dans Breiz Atao le retard artistique de la Bretagne par l’inexistence d’un pouvoir politique « Là où il n’y a plus de Bretagne, il ne saurait y avoir d’art breton. Essayer de réveiller l’art breton pour lui-même, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Il faut des organismes de vie, des institutions bretonnes, un nationalisme breton » (B.A. n° 7, 1924)
 

Après la scission de 1931, le PAB n’existe plus. La tendance séparatiste, emmenée par Mordrel et Debauvais, fonde le Parti national breton (PNB), qui ne s’encombre pas de considérations démocratiques et met la main sur Breiz Atao. En réaction, les fédéralistes de gauche, emmenés par Marchal, se regroupent dans la Ligue fédéraliste de Bretagne qui reprend peu ou prou les principes du PAB. La double appartenance est acceptée. C’est ainsi que Marchal adhère au Parti radical-socialiste. La Ligue publie une revue, La Bretagne Fédérale, dont le contenu se démarque totalement de Breiz Atao :

« Le langage des feuilles nationalistes bretonnes n’est pas différent de  celui des journaux chauvins du monde entier (…) La pensée des racistes bretons semble singulièrement dangereuse pour la figure du futur état breton. Un pays aussi varié que le notre ne saurait s’accommoder d’un État fondé sur un principe unitaire, ni au nom de la race aryenne, ni au nom d’une confession déterminée, ni au nom d’un celtisme imposé et de commande (la Bretagne n’est, anthropologiquement parlant, que fort peu nordique). Il n’y a jamais eu, il n’y a pas, il ne peut y avoir en Bretagne de mise à l’index contre l’un quelconque de ses enfants. Derrière le drapeau, même breton, largement déployé, il y a presque toujours un coffre-fort. »

Les intentions sont louables, mais les effectifs squelettiques, une demi-douzaine de membres en 1933. Le journal ne parait plus que sur une feuille et entre peu à peu en sommeil. En ces années troubles, où tout semble réussir au fascisme, la dynamique est du côté du PNB et son culte du chef.

La rupture avec l’Emsav

En 1935, Marchal, toujours hanté par ses vieux démons au point d’être révoqué de son emploi de professeur à l’école régionale d’architecture, quitte Rennes pour Laval. Toujours membre du Parti radical-socialiste, il rédige des articles pour Les Nouvelles Mayennaises et pour La Mayenne Laïque. Il est également membre de la section lavalloise de la Ligue des droits de l’Homme. Avec de telles dispositions, c’est tout naturellement qu’il sollicite une entrée en franc-maçonnerie à la loge « Volney », dont Marius Lepage, fonctionnaire à la préfecture, est le vénérable maître :

« Je connaissais Marchal. Sa réputation était très attaquée et attaquable car il buvait tellement qu’on pouvait le taxer d’alcoolisme (…) Marchal faisait preuve d’une intelligence remarquable en ce qui se rapportait à l’architecture et au druidisme. En 1937 il sollicita son admission à la loge de Laval (Volney). Cette admission était très discutée et plusieurs enquêtes furent faites sur son compte, tant à Laval qu’à Rennes (…) Il fut reçu en loge en avril 1938. Il nous donna toute satisfaction par la nature et la valeur de ses travaux littéraires, dont le dernier et le plus important sur « La notion des nombres en architecture opérative », publié dans la revue maçonnique internationale « Le Symbolisme ».

Alors que son Gwenn ha Du flotte au sommet du mât du pavillon de la Bretagne à l’exposition universelle de 1937, gagnant ainsi un statut quasi-officiel, Marchal prend ses distances avec le mouvement breton, hormis sa signature au bas d’une déclaration des Fédéralistes en 1938 « Dénonçant le fascisme en Europe et les idées fascistes en Bretagne dont Mordrel se faisait le représentant ainsi que Debauvais. » En 1939, dans le journal Le Fédéraliste, Marchal conclut un article en ces termes « A la veille d'une rupture désespérée, que je sens imminente, entre toute une partie,  dévouée à la Bretagne jusqu'au suprême sacrifice, de la jeunesse bretonne, et l’État français, je ne puis, républicain et laïc sans reproche, loyal citoyen de l’État français que je crois perfectible, Breton jusqu'aux moelles, taire ma pensée. Il est urgent pour Paris d'envisager, avec des yeux dénués de passion, le problème breton. » Au mois de janvier de la même année, face au sectarisme anti-gallo des extrémistes du PNB et soucieux de réveiller la conscience bretonne en Haute-Bretagne, il est sollicité par le vitréen Jean Choleau qui vient de fonder l’association des Compagnons de Merlin.

Les années noires

Alors qu’il avait cessé toute activité politique, en mars 1941, après sa démobilisation, Marchal adhère au parti collaborationniste le Rassemblement National Populaire (RNP) de l’ancien socialiste Marcel Déat, qu’il quitte en juillet 1943. Ce qui lui sera reproché à la Libération et figure sur l’acte d’accusation de son procès. Après la déposition de Marius Lepage, il sera finalement disculpé de cette accusation :

« La situation était devenue difficile pour tous les francs-maçons de Mayenne, tant par les poursuites de Vichy que par l’action du sieur Leloup, un agent des plus actifs de la police allemande. C’est alors qu’en qualité de plus haut dignitaire de la maçonnerie en Mayenne, je résolus de parer dans la mesure du possible les coups qui pouvaient bientôt être portés à plusieurs membres de la loge de Laval. En conséquence, Marchal étant maçon depuis peu de temps, n’étant par conséquent guère connu comme tel, je lui fis savoir que je verrais d’un bon œil son entrée dans le RNP afin de surveiller Leloup et de me tenir informé de son attitude et de ses intentions, l’individu étant bavard et hâbleur. C’est dans ces conditions que Marchal entra au RNP où il nous fut très utile. A l’époque j’avais fait connaître cette méthode à mon préfet, ainsi que plus tard à son successeur et nous en retirâmes profit en plusieurs occasions. »

Réunion de l'Institut Celtique devant le restaurant La Chope


Bien qu’il ait rompu avec le mouvement breton, qui se résume alors au PNB, Marchal, converti au néo-paganisme, n’en continue pas moins de retrouver régulièrement ses amis des Seiz Breur à Rennes. Du 20 au 25 octobre 1941, il participe à la Semaine celtique, sorte d’états généraux de la culture bretonne, qui verra Creston annoncer la création de l’Institut Celtique de Bretagne. Un premier congrès se tiendra à Nantes au mois de mai 1942, suivi par un second à Rennes au mois de juin. Toutes ces activités font l’objet d’une surveillance discrète des Renseignements Généraux « 10 juillet 1941, arrivée à Rennes du nommé Creston René, autonomiste breton. 4 novembre 1941, demande de renseignements : Hemar, Tullou, Marchal, Choleau, Danio. 12 novembre 1941, au sujet de Marchal désigné pour exercer une fonction aux Compagnons de Merlin. » (2)

En 1942, c’est un Marchal en totale rupture avec ses idées d’avant-guerre qui publie Nemeton, une revue « d’études druidiques », dont l’ennemi est la civilisation judéo-chrétienne, avec des articles antisémites que ne renieraient pas un Céline ou un Mordrel :

« Devant nous, l’Europe, pensée millénaire se refait. Elle se refait cette fois, non plus aux abords de la vieille Méditerranée, mais autour des peuples du Nord. Le monde neuf devra donc beaucoup, par le peuple qui le construit et par son chef, à l’esprit nordique. Deux millénaires de judaïsation se terminent. » (N°1, 1942)

« La forêt qui entoure la clairière druidique se dresse partout en terre du Nord-Ouest, sur le sol des Celtes ; les dattiers et les grenadiers de Judée ou d’Arabie n’y peuvent que dépérir. Aussi nous serons-nous absolument étrangers aux métaphysiques sémites, desquelles nous n’excluons nullement le christianisme. » (N°2)

« Or, maintenant que, sous les coups de la force nordique, s’écroule le temple du dernier dieu juif, de l’or, avec tout ce qu’il contenait de cosmopolitisme grégaire, pour ses esclaves aryens, il nous apparaît, plus qu’à tout autre moment de l’histoire, que nous, Celtes de l’Occident européen, avons été frustrés au cours des âges, d’un héritage magnifique. » (N°2)

« Tous les États autoritaires d’Europe ont dû adopter une législation d’exception concernant les Juifs. En Allemagne, cette législation est fondée, d’une part, sur les principes ethno-eugéniques formant la base de la communauté germanique, d’autre part, sur le rôle économique purement parasitaire que joue l’israélite au sein de la société. » (N°5)

« Nous attendons de Vichy une loi complémentaire précisant que, parmi les                              nombreux agitateurs juifs crucifiés voilà 20 siècles, Jésus fils de Marie était                         également fils du Maître de l’Univers, et que   les Israélites sont punis pour cela et                 rien que cela. »

Sans emploi, Marchal reconnaît avoir perçu des appointements de la part de l’occupant du mois de novembre 1942 au mois de février 1943, alors qu’il était employé comme dessinateur dans un  bureau du génie allemand. Arrêté à la Libération, il est interné au camp Margueritte le 28 septembre 1944. Traduit devant la Chambre civique de Rennes, on lui reproche ses relations avec les membres du PNB, mais l’accusation principale repose sur les déclarations d’un certain Claude Geslin, l’accusant « d’avoir été une vingtaine de fois » au Sicherheitsdienst (SD), le service de sureté de la SS, souvent confondu avec la Gestapo. Accusation d’autant plus grave que son nom figure sur une liste d’agents du SD sous le N° SR 700. Il y est présenté comme « économiste » et inscrit au RNP. Ce qui ne manque pas d’étonner Marius Lepage : « J’ignore absolument tout des rapports que Marchal a pu avoir avec des membres de la Gestapo (…) qui ne faisaient pas partie du plan d’action très précis et très délimité que je lui avais tracé dans le cadre du RNP. Dans le cas ou ces relations auraient existées il conviendrait de bien préciser si Marchal a été un élément actif ou un        imbécile. En effet, jusqu’à preuve du contraire je le tiens pour un homme de caractère        faible mais sincère. Physiquement très diminué son sens moral est affaibli mais nous    avions je crois sous l’influence de la discipline maçonnique réussi à le relever et à lui redonner quelque dignité. Je serais extrêmement surpris et douloureusement peiné qu’à la fois il nous eut trahi et commis une infamie. » (3)

Adjudant Hans Grimm
Cette accusation de Claude Geslin, personnage peu recommandable qui fait fonction d’interprète au SD dont il est l’un des agents les plus redoutable, N° SR 923, mais également membre de la Milice après avoir été exclu du PNB, est vivement contestée par Marchal : « Je reconnais mes torts d’avoir été demander des services aux allemands à Rennes car j’ignorais que la maison des étudiantes était le siège de la Gestapo. C’est surement sur ma carte d’identité qui a été deux fois entre leurs mains que mon identité et mon adresse ont été relevées. » Cette fameuse liste d’agents de la Gestapo, dressée par les Américains à partir de fiches individuelles, comportant un N° suivi des lettres SR (pour Sicherheistpolizei), saisies à la Libération au siège du SD, est à manipuler avec beaucoup de précaution. Aux côtés d’authentiques indicateurs ou agents du SD, comme par exemple : Maurice Zeller SR 205, Guy Vissault SR 913, Émile Schwaller SR 921, sont inscrites des personnes dont on se demande bien quels renseignements elles pouvaient fournir sur la Résistance. Ce que confirmera le prisonnier Adolf Breuer, adjudant du SD, lors de son interrogatoire : « Je dois préciser qu'il peut arriver qu'un n° SR ait été attribué à un homme qui n'a pas travaillé pour nos services comme indicateur. Ainsi, pour pouvoir rencontrer nos fournisseurs habituels, au marché noir, nous renseignions à nos chef sous un N° SR, bien qu’ils ne fussent pas agents indicateurs. » (Breuer évoque aussi des maîtresses d'officiers du SD). Agent des Allemands, Marchal aurait du logiquement comparaitre devant la Cour de justice, et non devant la Chambre civique, qui ne juge que des faits mineurs de collaboration avec des peines d'indignité nationale. Il déclare s’être rendu au siège du SD par l’intermédiaire de Mordrel début 1942 pour obtenir l’autorisation de paraître pour sa revue Nemeton. Il y retourne une deuxième fois en compagnie de Mordrel pour empêcher la réquisition de l’appartement de sa mère, place de Bretagne, puis une troisième fois pour échanger un exemplaire de Nemeton contre un ouvrage de Hans Grimm, un officier du SD, qu’il lui rendra au mois de mai 1944. Il déclare également n’avoir vu que deux fois Geslin, dont une lorsqu’il arrive en gare de Rennes pour assister au congrès celtique et rencontre Mordrel en compagnie de Louis-Ferdinand Céline. Geslin emmène Mordrel et Marchal en voiture et se vante auprès de Mordrel d’avoir abattu la veille un individu armé rue Dupont-des-Loges

Arrêté puis transféré au camp de détention administrative de Margueritte le 28 septembre, Marchal est condamné à quinze ans d’indignité nationale. Peine qui sera amnistiée en 1951. Il est libéré le 2 mars 1945, avec une mesure d’éloignement de la Bretagne.

1 - Le terme est attesté dans le journal Peuples et Frontières, N° 11, 1938 « en général toutes les publications ayant joué un rôle dans notre Risorgimento »

2 – Registre des courriers et notes des Renseignements Généraux.

3 – Déposition de Marius Lepage, PV du 10 octobre 1944. J’ai volontairement retiré les passages concernant la vie privée de Marchal.

Entendu lundi 12 février sur France Culture, dans l'émission Enjeux territoriaux "Décentralisation ou décomposition nationale ?", le  très médiatique Benjamin Morel déclarer le plus sérieusement du monde que le créateur du Gwenn ha Du avait été un "collabo" membre de l'hebdomadaire "Je suis partout" ! (On ne prête qu'aux riches) Notre brillant politologue a probablement confondu avec Morvan Lebesque...