vendredi 30 septembre 2016

Bieuzy-les-Eaux : crimes de guerre du 18 juillet 1944



Le 20 octobre 1945, dans le cadre des enquêtes menées dans les camps de prisonniers de guerre allemands (PGA) par la Délégation régionale pour la recherche des crimes de guerre, Marcel Guégan, inspecteur de Police Judiciaire de Rennes, se rend au camp de PGA de la Motte au Chancelier, route de Lorient à Rennes. Il doit recueillir le témoignage du soldat 2ème classe Hermann Stahl, 44 ans, originaire de Stuttgart. 


Au mois de mai 1940, Stahl était le chauffeur du commandant d’un bataillon d’infanterie à Belfort. Au mois de juin 1941, l’unité est envoyée sur le front russe. Stahl y reste jusqu’en mai 1944. Ayant plus de 40 ans, il est renvoyé en France, à Pontivy, dans la « Festungs-Stamm Reserve Comp. XXV » comme chauffeur de camion jusqu’au 4 août 1944, date à laquelle la compagnie se repliera sur la base de Lorient. Stahl déclare : « Le capitaine Holz a toujours été mon commandant de compagnie. Depuis longtemps je suis au courant des crimes commis par cet officier dans la région de Pontivy, car j’ai été témoin des assassinats. Je n’ai pas pu faire cette déclaration plus tôt car je croyais que le capitaine Holz avait été tué par les Français au sujet des faits que je vais vous relater. Ayant appris que le capitaine Holz était en traitement à l’hôpital de Lorient, j’ai de suite averti le commandant du camp de prisonniers où je me trouvais afin de saisir les autorités françaises des exactions commises par cet officier. » La Festungs-Stamm, régulièrement utilisée dans la recherche des « terroristes », est cantonnée à l’École Supérieure des Jeunes Filles de Pontivy. Stahl ajoute : « Vers la fin de juin ou début juillet 1944, environ 16 ou 18 patriotes furent fait prisonniers dans la région de Locminé, il s’agissait de troupes régulières en uniformes kaki, parachutées la nuit précédente. Ce groupe se composait d’officiers, de sous-officiers, d’officiers sanitaires et d’un policier français en uniforme. La compagnie Holz qui avait effectué cette opération a ramené ses prisonniers à Pontivy, dans le cantonnement de l’école, où une prison avait été aménagée dans la cave. » Dans une déposition du 30 août 1945, Jean Lahrer, 34 ans, surveillant général du Lycée de Pontivy, raconte l’arrivée d’un de ces « terroristes » ou parachutiste : « Je me rappelle très bien que le 15 ou le 16 juillet de l’année passée, alors que je sortais de la Gestapo de Pontivy, j’ai remarqué qu’une voiture s’est arrêtée devant la porte de la Gestapo allemande. De cette voiture sont sortis un feldgendarme, un parachutiste, et un civil armé d’une mitraillette. Le parachutiste est entré dans les locaux allemands, et dès qu’il fut entré dans le couloir, il fut bousculé par les Allemands, et battu à coups de pieds et de mitraillette. Environ deux heures après, le parachutiste est ressorti de la Gestapo, entièrement débraillé, n’étant plus qu’une loque humaine, paraissant complètement épuisé ; alors qu’il y était entré très correctement vêtu, et en bonne condition physique. A l’entrée comme à la sortie il avait les mains liées avec une cordelette. »

            Après la chute du camp de St-Marcel, le 18 juin 1944, les Allemands multiplient les opérations de ratissages pour retrouver les FFI et parachutistes SAS. Pendant un peu plus d’un mois, ce ne sont que rafles, arrestations, tortures et exécutions sommaires dans la région de Plumelec. Les prisonniers les plus intéressants sont transférés à Pontivy, où se trouve l’État-major du XXVème corps d’armée du général Fahrmbacher, dans les bureaux de la Sicherheistdienst (SD), le service de sûreté de la SS (que les témoins appellent Gestapo), situé au 49 bis, rue Nationale. C’est là que Fischer, un policier du SD de St-Brieuc, et Wenzel, du SD de Lorient envoyé à Pontivy, mènent leurs « interrogatoires ». Il faut également ajouter l’équipe des agents français de la Front Aufklärung Truppe (FAT), parmi lesquels les sinistres Zeller, Gross et Munoz, les seuls à avoir été jugés à Rennes puis fusillés. Parmi ces prisonniers de l’EPS, on trouve le chef de la Résistance Mathieu Donnart, alias colonel Poussin, accompagné des deux gendarmes Pierre Mourisset et Jean Jamet, ainsi que deux opérateurs radio, arrêtés le 27 juin à Bubry. Donnart et Jamet seront fusillés le 29 juillet à Pluméliau. L’arrivage le plus conséquent, qu’évoque Stahl, doit être celui du 14 juillet, dont faisait partie le lieutenant FFI Pierre le Bihan : « Arrêté le 14 juillet après la découverte d’un dépôt d’armes à St-Guyomard. Conduit le soir même à Pontivy, je fus enfermé avec 10 camarades dans un cachot absolument obscur et humide où je restai quatre jours, les mains toujours menottées. Le jeudi 20 juillet je fus interrogé par les miliciens. Parce que je refusais de donner les noms des hommes de ma section et de reconnaître ma qualité de lieutenant FFI, je fus bastonné par eux pendant une heure et demie. Les camarades Le Mouée et Gustave Cléro, arrêtés le même jour que moi, ont subi les mêmes traitements. Restés à Pontivy le 28 juillet, ils ont été fusillés le 29 juillet à Pluméliau. Au passage à Locminé, nous avions vu monter dans le même camion que nous : le lieutenant FFI Alain Le Cuillier ; les deux frères Le Grégam, de Séné ; Mahieux, boucher de Guéhenno ; le sous-lieutenant parachutiste Gray ; et Gillet, restaurateur à Guéhenno. Tous à l’exception du dernier, avaient été torturés et semblaient beaucoup souffrir. Le sous-lieutenant Gray après avoir subi la bastonnade comme tous les autres avait été noyé dans un seau d’eau à deux reprises. J’ai su par la suite que le lieutenant Le Cuillier et les deux frères Le Grégam avaient été fusillés après avoir subi de nouvelles tortures. » Pierre Le Bihan et Gustave Cléro ont été arrêtés le 14 juillet 1944 à St-Guyomard, François Le Mouée le même jour à Sérent, après la découverte d’une liste de dépôts d’arme trouvée par les Allemands lors de la capture du lieutenant Marienne à Plumelec le 12 juillet. Alain Le Cuillier, les frères Le Grégam, Mahieux et Gillet ont été arrêtés à Guéhenno dans la nuit du 11 au 12 juillet. Le sous-lieutenant Gray le 11 juillet au matin à Lizio. Tous ont été emmenés aussitôt après leur arrestation à l’école de Locminé, pour y être interrogés et torturés une première fois par le SD et les Bretons de la Bezen Perrot. Le 14 juillet au soir, ces prisonniers sont transférés de Locminé à Pontivy, pour y subir de nouveaux interrogatoires. En effet, le colonel Bourgoin leur ayant échappé le 11 juillet à Guillac, les Allemands ne désespèrent pas de pouvoir localiser son nouveau refuge en faisant parler les officiers parachutistes. Les interrogatoires vont durer jusqu’au 17 juillet au soir. Le lendemain 18, Stahl est appelé dans la cour de l’EPS : « Les jours suivants, j’ai remarqué ainsi que mes camarades que ces prisonniers furent interrogés. Quatre ou cinq jours plus tard, je reçu l’ordre de l’adjudant Muller de me rendre vers 14 h dans la cour de l’école avec mon camion. J’étais accompagné d’autres soldats qui comme moi avaient reçu le même ordre. Nous n’avions aucun renseignement précis sur le motif de ce rassemblement. Sur une des voitures, les 16 prisonniers furent chargés, après environ 30 mn d’attente la colonne se mit en marche. » Un problème se pose en lisant cette déposition. Stahl parle en effet de 16 prisonniers, alors que 14 corps seront retrouvés à Rimaison. Un an après les faits, il est possible qu’il se soit trompé. On objectera qu’en 30 mn d’attente, il a tout de même eu le temps de compter les hommes montés dans le camion.

Quoi qu’il en soit, la colonne comporte une 1ère voiture avec le capitaine Holz et deux membres du SD, dont Stahl ignore les noms (Il s’agit de Fischer et de Wenzel) ; une 2ème voiture avec un chauffeur et 8 soldats ; un camion bâché de 3 tonnes « recouvert d’une bâche, il transportait un sous-officier allemand et les 16 prisonniers qui avaient les mains liées derrière le dos » ; une 4ème voiture avec un chauffeur et 8 soldats ; une 5ème et dernière voiture conduite par Stahl et 8 autres soldats. Dans un premier temps, Stahl pense qu’il s’agit de conduire ces prisonniers à Vannes pour y être jugés. « Après avoir parcouru 5 ou 6 km sur la route de Lorient, la colonne s’est arrêtée. Holz est descendu de voiture avec les deux SD. Tous les trois sont allés dans les champs environnants, le chauffeur du camion est resté au volant. Le convoi s’est arrêté sur une petite route prenant naissance à notre droite, les voitures étaient dans le même ordre qu’au départ et le camion qui conduisait les prisonniers a stoppé juste à la hauteur d’un petit chemin de terre, à gauche et qui pénètre dans un petit bois. Trente minutes plus tard, la capitaine Holz et les SD sont revenus, ayant sans doute trouvé un terrain propice pour l’accomplissement de leurs intentions. » En fait, les Allemands se sont absentés plus de 30 mn. Ils se sont dirigés vers la ferme proche des  ruines du château de Rimaison, tenue par Jeanne Le Gal, 44 ans, qui témoigne lors de sa déposition du 7 février 1946 : « C’est le 18 juillet 1944, vers 13 h que 14 patriotes et parachutistes ont été fusillés par les Allemands à environ 300 mètres de mon domicile. Les allemands sont arrivés en camion de Pontivy. Ils se sont arrêtés dans la vallée et ils se sont répartis dans la campagne. Certains d’entre eux gardaient toutes les issues aboutissant au lieu de stationnement, pendant que d’autres fouillaient entièrement ma demeure et toutes les dépendances. L’officier nous reprochait d’avoir hébergé des patriotes. Ils nous ont demandé où se trouvait le souterrain et le chemin qui y conduisait. Je leur ai montré, ils l’ont fouillé croyant trouver des armes. Après leurs recherches infructueuses, ils sont partis vers les camions et c’est à ce moment que j’ai entendu plusieurs rafales de mitraillettes. Personne n’a pu assister à cette scène lamentable du fait que les Allemands avaient pris toutes les dispositions nécessaires pour empêcher les gens d’approcher. Du reste on ne pouvait supposer qu’ils fusillaient des français. Les gens pensaient plutôt qu’il s’agissait d’une échauffourée avec les maquisards. » Effectivement, les soldats reçurent l’ordre d’établir un barrage et Holz désigna l’emplacement de sentinelles à une vingtaine de mètres de part et d’autre du convoi. Stahl est toujours au volant de son véhicule : « Le sous-officier et les autres soldats furent placés à droite de la colonne et d’autres à gauche à l’intérieur du bois à environ 6 pas de la route, à l’intérieur du chemin de terre. Un buisson situé sur la droite dissimulait un SD armé d’une mitraillette anglaise, en face, le deuxième SD se cachait dans un autre buisson et était également armé d’une mitraillette anglaise. Le capitaine Holz se tenait à l’embranchement. Voyant ces mesures et ce dispositif, nous avons pensé que les prisonniers allaient être exécutés. A la suite de la mise en place du dispositif de barrage, le capitaine Holz a fait descendre les prisonniers un par un, et les appelait en disant : « Le suivant ». L’exécution a du se passer de la manière suivante : le premier prisonnier descendant du camion, les mains toujours liées, Holz le faisait marcher dans le petit chemin. Lorsque la victime était à quelques pas des SD, l’un de ces derniers tiraient dans le dos du Français et aussitôt après on entendait un second coup de feu qui devait être le coup de grâce. Après Holz appelait un autre prisonnier qui subissait le même sort. Cette scène s’est répétée jusqu’au dernier qui était le policier. A vrai dire, aucun de nous n’a vu exactement les diverses exécutions et ce que je viens de vous déclarer n’est qu’une déduction. En effet, aucun des chauffeurs ne devait sortir de sa voiture. Après l’exécution le capitaine Holz est allé dans le petit chemin et a dû s’approcher des cadavres. Dix minutes plus tard il est revenu avec les SD et a donné ordre de partir vers Pontivy où nous sommes arrivés vers 5 heures. La durée de ces exécutions a été de 45 minutes environ, je ne sais pas ce que les cadavres sont devenus et s’ils ont été enterrés, je ne le crois pas et c’est ce qui m’a outré de les voir abandonnés ces cadavres, mes camarades avaient le même sentiment. Nous n’avons pas assisté aux exécutions, mais il est certain que nous avons vu chaque français descendre de la voiture, les mains liées derrière le dos, que nous avons entendu des coups de feu, qu’aucun des Français n’est revenu et que les SD ont rapporté des chaussures, des montres et des bagues qu’ils se montrées les aux autres. Je ne peux pas certifier si le capitaine Holz portait le même butin. En tout cas, je rends le capitaine Holz responsable de ces exécutions sans jugement. » 

Sans autre forme de procès, des officiers français, revêtus de leur uniforme, ont donc été exécutés d’une balle dans le dos. Ce qui est contraire à toutes les lois de la guerre. Zeller, qui avait déjà procédé de la même manière à Kerihuel contre les SAS de Marienne, avait déclaré au juge qu’un officier allemand lui avait dit : « Que je n’avais qu’à faire comme lui et exécuter les ordres qui m’étaient donnés. Cet officier me précisa qu’un ordre absolu et général prescrivait d’exécuter sans délai les civils armés et même les parachutistes en uniforme capturés à plus de dix kilomètres au-delà des lignes, les uns et les autres étant considérés comme des francs-tireurs. » Rappelons également l’article 10 de l’armistice franco-allemand du 22 juin 1940, qui prévoit que : « Le gouvernement français interdira aux ressortissants français de combattre contre le Reich dans les armées d’Etat qui se trouvent encore en guerre avec celui-ci. Les ressortissants français qui ne se conformeront pas à cette prescription seront traités par les troupes allemandes comme des francs-tireurs. »

Visiblement, personne n’a cherché à aller voir de plus près ce qui s’était passé à cet endroit, puisque c’est seulement  le 29 juillet que les corps seront découverts par un couple d’agriculteurs, intrigués par une odeur pestilentielle, alors qu’ils moissonnaient dans une prairie voisine. Ce jour-là, Jean Lahrer, qui est également le responsable de la Croix-Rouge locale, reçoit vers 10 h 30 un appel du sous-préfet de Pontivy l’avisant que 14 corps se trouvaient au lieu-dit Rimaison. Il se rend immédiatement sur place, retrouve le secrétaire général de la sous-préfecture et quelques membres de la Croix-Rouge de Bieuzy. De retour à Pontivy, il se rend à la Feldgendarmerie pour demander l’autorisation d’inhumer les corps : « Vers trois heures l’équipe était à pied d’œuvre, et nous avons commencé l’identification, la mise en bière, et le transport des corps au cimetière de Bieuzy. C’est au cours de l’identification que j’ai reconnu le corps du parachutiste Fleuriot, sous-lieutenant au 4ème Bataillon, comme étant celui que j’avais aperçu le 15 juillet 1944, à l’entrée de la Gestapo. Nous avons pu reconnaitre également les corps du lieutenant De Kerillis (dit Skinner), du sergent-chef parachutiste André Cauvin, des nommés Claustre (dit Castagne), Mourisset, gendarme à la brigade de Quimperlé, et de neuf patriotes, dont un, non encore identifié, pourrait être le lieutenant parachutiste Gray, fait prisonnier par les Allemands, alors qu’il était en mission, et en civil. Je ne puis vous dire à que endroit ces parachutistes et patriotes ont été exécutés, mais vu la position des corps, tout laisse supposer qu’ils ont été jetés là, et entassés alors qu’ils étaient déjà morts. Je puis vous dire que de nombreux corps étaient affreusement mutilés, et portaient des traces de coups, ce qui laisse supposer que tous avaient été torturés avant d’être fusillés. De plus tous ont été fusillés d’une balle dans la nuque. »

En raison de la chaleur, et laissés à l’air libre, les corps sont dans un état épouvantable. Ce sont les parachutistes : Alain Calloch de Kerillis, alias « Skinner » (28 ans) ; André Cauvin (32 ans) ; Louis Claustre, alias « Castagne » (37 ans) ; Jean Fleuriot, alias « Riordan » (30 ans) ; Jean Pessis, alias « Gray » (24 ans) ; les patriotes : Robert Jourdren (27 ans) ; Émile Le Berre (24 ans) ; François Le Pavec (31 ans) ; Pierre Mourisset (45 ans) ; Maurice Penhard (20 ans) ; Robert Rouillé (19 ans) ; Claude Sendral (19 ans), et deux inconnus. On pense qu’il s’agirait d’Édouard Paysant et de son radio René Hallimbourg. Les SAS en uniforme, comme le gendarme Mourisset, ont pu être identifiés assez rapidement. Le corps de Skinner sera exhumé le 12 octobre 1944 et reconnu par son beau-frère le commandant Charbonneau. Quant à Gray, habillé en civil et sans papiers d’identité, il ne sera formellement identifié que le 17 janvier 1946.

            Lors de l’instruction de son procès – il sera jugé le 13 mai 1946 – le juge soupçonne Zeller d’avoir participé à ce crime. Le 1er mars 1946, la question lui est posée : « Avez-vous participé avec les autres FAT à l’exécution de 14 hommes, dont un certain nombre de parachutistes à Rimaison le 18 juillet 1944 ? » Réponse de l’inculpé : « J’affirme que je n’ai même pas eu connaissance de cette exécution. Je ne puis donc rien vous dire à cet égard. » Le juge insiste : « En outre ces trois hommes étaient détenus à Pontivy. Fleuriot et De Kerillis y avaient été emmenés après leur arrestation le 14 juillet. Le même jour, le convoi avait pris Grey à Locminé pour l’emmener à Pontivy. Ces trois hommes se trouvaient à la disposition des FAT et des SD à la prison de Pontivy. Ils ont incontestablement été interrogés dans l’immeuble de la rue Nationale entre la date où ils sont arrivés à Pontivy : 14 juillet au soir, et la date de leur exécution : 18 juillet au matin. Leur témoignage pouvait en effet être très utile. Il résulte d’ailleurs de la déclaration du témoin Lahrer que Fleuriot a été interrogé dans l’immeuble de la rue Nationale le 15 ou le 16 juillet pendant une heure et demie environ et qu’il a été torturé. Il semble donc invraisemblable que vous n’avez pas été au courant du sort réservé aux trois parachutistes en question et que les FAT n’aient pas participé à leur exécution, comme ils l’ont fait un peu plus tard au Rodu en Pluméliau. » Zeller, qui ne se fait aucune illusion sur son sort, a cette stupéfiante réponse : « Le vrai peut n’être pas vraisemblable. » On ne sait pas si Zeller et ses comparses étaient présents sur les lieux mais, sachant qu'ils ont souvent endossé l’uniforme allemand lors de certaines opérations, comme ce fut le cas à Pluméliau le 29 juillet, jour de la découverte des corps de Rimaison, c’est tout à fait plausible. 

Au mois de février 1946, le témoin Jean Lahrer doit se rendre au camp de la Motte au Chancelier pour être confronté aux PGA qui étaient présents à Rimaison : « Il y a quinze jours j’ai été mis en présence d’Allemands ayant fait partie de la garnison de Pontivy, et en particulier d’un chauffeur nommé Stahl et du capitaine Holz, ce dernier coupable des crimes de Rimaison. Ainsi donc la brute sanguinaire paiera son forfait. Inutile de vous dire mon état d’âme quand j’ai eu sous les yeux cette brute abjecte, reniée par son chauffeur, qui devant son cynisme et ses mensonges, l’a étendu devant nous à deux reprises de deux coups de poings, l’un « pour les Français morts », l’autre pour « les copains » et repoussé du pied en lui crachant à la figure en le traitant de « cochon d’assassin ». Ce fut je crois la plus belle vengeance, car cet homme arrogant sous les coups français, en pleura et avoua avoir dépouillé les cadavres et volé une montre en or, ainsi que le pantalon de Cauvin et les souliers qu’ils trouvaient « beaux » ainsi que la veste de Kerillis pour faire de l’espionnage (…) Qu’est devenu le parachutiste encore présent à l’EPS le 28 juillet, jusqu’ici nous n’avons rien pu tirer du capitaine Holz qui prétend ignorer les noms de ceux qu’il avait exécuté à titre volontaire, mais ne veut donner d’autres précisions que « Les SD me les désignaient[1] ». Ce parachutiste, encore présent le 28 juillet, donc susceptible d’avoir été fusillé le 29 à Pluméliau, est cité par le résistant Jacques Bruhat, de Pontivy : « Monsieur Bruhat a eu comme voisin de cellule un jeune parachutiste dont il ignore le nom mais dont le père aurait été fonctionnaire en Algérie. Ce parachutiste âgé d’environ 20 ans se serait rendu d’Algérie en Angleterre. Fait prisonnier en costume civil, aurait passé un moment donné dans le Finistère avant sa capture. A quitté l’EPS en compagnie de son camarade de cellule Émile Le Berre de Plémet, le 18 juillet 1944. Le Berre fusillé à Rimaison ce même jour, on peut supposer que ce parachutiste se trouverait dans les 14 corps trouvés à Rimaison. Monsieur Bruhat signale également avoir eu comme compagnon de captivité un lieutenant parachutiste capturé à St-Marcel. Il en connait les renseignements suivants : Israélite, originaire d’Algérie, avocat à Paris dans le civil, très grand et très brun, portant l’uniforme. On ignore ce que ce dernier a pu advenir, étant encore à l’EPS lors du transfert de Monsieur Bruhat le 28 juillet[2]. » Ce témoignage de Jacques Bruhat est curieux. Le seul SAS en civil était Gray, étudiant en médecine à Paris, il n’a pas été droppé dans le Finistère, et son père n’était pas fonctionnaire en Algérie. Un autre parachutiste se trouvait effectivement toujours prisonnier le 28 juillet. Il s’agit de Charles Flament, originaire du Pas-de-Calais, qui faisait partie du groupe de Marienne. Capturé le 12 juillet à Kerihuel, il sera interrogé le 20 juillet à Pontivy, puis exécuté le 29 à Pluméliau.

Qu’adviendra-t-il de Walter Holz, fait prisonnier à Lorient le 10 mai 1945 ? La procédure a été suivie d’abord devant le tribunal militaire permanent de Rennes jusqu’à sa suppression en décembre 1947, puis devant celui de Paris. Le 28 mars 1949, le juge militaire rend l’ordonnance suivante : non-lieu pour Fischer et Wenzel, au motif qu’ils étaient déjà poursuivis pour ce fait, entre autres crimes, dans le cadre de la procédure suivie contre le SD de Rennes, dont dépendait celui de Pontivy. De toute façon ils sont en fuite. Le 17 mai 1949, la chambre des mises en accusation renvoyait Holz et autres inculpés devant le tribunal militaire permanent de Paris pour être jugés sur les crimes de guerre sur cette affaire de Rimaison. Le 28 janvier 1950, Holz est condamné à la peine de mort. Saisi de la procédure, après deux arrêts de cassation successifs, le tribunal militaire permanent de Marseille, le 14 décembre 1950, déclarait Holz non coupable de complicité dans la tuerie de Rimaison, mais le condamnait à la peine de travaux forcés à perpétuité en raison de sa participation à d’autres crimes. Le 2 mai 1952, par un décret présidentiel, sa peine de TFP est commuée en une peine de vingt ans. Par un arrêté du 15 mars 1954, Holz est admis à la libération conditionnelle sous réserve d’expulsion du territoire. Le 29 septembre 1953, un non-lieu est prononcé pour Wenzel, insuffisamment identifié, alors que Fischer est condamné à mort par contumace. Il aurait été tué sur le front de l’Est en avril 1945, sans plus de précision[3].


Ajout du 6 octobre 2016.

21 janvier 1946 : PV d'interrogatoire du capitaine Holz.

Je reçus l’ordre du colonel Witt, qui commandait le XXVème Festungs-Stamm Gruppen de mettre à la disposition du I.C. une section et un camion pour accompagner deux SD du kommando spécial ; le camion était destiné à recevoir des prisonniers français. Cela se passait dans la cour de l’école des filles de Pontivy. Quand je suis arrivé dans la cour, les voitures et les soldats étaient prêts, mais je ne sais pas si les prisonniers avaient déjà pris place dans leur automobile. Les SD Fischer et Werner étaient auprès de celle-ci. L’un d’eux s’approcha et me montra sur la carte un château en ruines où il avait l’intention d’aller ainsi que le chemin que nous devions suivre. Ayant moi-même l’intention de visiter le château, je décidai de les accompagner. La colonne se mit en mouvement au début de l’après-midi. En cours de route, le SD qui avait pris place avec moi dans ma voiture se vit demander par moi ce qu’il avait l’intention de faire de ces civils. Il m’a montré une liste de noms et m’a dit : « Ceux-ci seront fusillés ». Je lui ai demandé pourquoi ; il m’a répondu que c’était un ordre du Politzei-Führer SS de Rennes.

En cours de route nous avons longé le Blavet au sud de Pontivy, puis nous nous sommes arrêtés en face d’une petite ferme située à 3 ou 4 km de là où des armes devaient être cachées. Les 2 SD, 5 ou 6 de mes soldats et moi-même, avons donné un coup d’œil. Sur l’ordre d’un des SD nous sommes repartis aussitôt et nous avons continué jusqu’au vieux château. Je crois que nous sommes restés environ une heure dans cet endroit. Les soldats et les SD ont cherché des armes dans ce château puis sont repartis avec une voiture pour chercher le lieu où devait se passer l’exécution. Pendant ce temps je suis monté à une tour de château. Une demi-heure après les SD sont revenus et m’ont dit que nous pouvions y aller, que tout était en ordre.

La colonne s’est donc mise en mouvement et nous nous sommes arrêtés à environ 1, 5 km de là. Nous sommes tous descendus de voiture. Je suis allé avec les deux SD à l’endroit désigné et je suis revenu quelques instants plus tard et ai placé les soldats au-delà de la route et à ses deux extrémités, puis l’exécution a commencé ; elle a duré 25 minutes. Ces français ont été exécutés l’un après l’autre. Je ne puis vous dire exactement combien ils étaient, mais je crois qu’il y en avait huit ou dix. Je ne puis non plus vous indiquer s’il y avait des parachutistes et un gendarme parmi eux.

Après l’exécution je suis allé avec les SD et un ou deux sous-officiers dont Eggert, sur les lieux de l’exécution et j’ai demandé aux SD : « Que va-t-on faire de ces cadavres ? » Ils m’ont répondu : « Le Maire du pays s’en occupera, c’est un ordre et nous faisons toujours ainsi ». Un des cadavres avait une chainette au bras, quia été enlevée par le SD Fischer, puis nous avons rejoint nos voitures et sommes rentrés à Pontivy. Je me rappelle qu’un français a été tué à l’EPS de Pontivy par le caporal Redemund, mais je ne sais pas où il a été enterré, c’est la Feldgendarmerie de Pontivy qui s’en est occupé. A Lorient j’ai appris que peu de temps avant notre départ de Pontivy, l’un  des détenus de l’EPS a été tué par l’adjudant Egert. 


18 février 48. Déposition de Jean Jourdren, Douarnenez.

« Mon neveu Robert Jourdren a été arrêté le 29 juin 1944 à St-Trémeur en Bubry avec le lieutenant Jamet, le colonel Donnard le gendarme Mourisset, et un autre homme originaire d’Afrique du Nord. Aussitôt après leur arrestation ils ont été conduits à l’Eps de Pontivy. Mon neveu est resté à Pontivy jusqu’au 18 juillet. Ce jour là, il a été transporté en camion à Rimaison ou il fut exécuté par les allemands. Le gendarme Mourisset ainsi que le Nord-Africain furent fusillés en même temps que lui. » Ce Nord-Africain est le jeune résistant Claude Sendral, né à Rabat au Maroc.



Des bracelets plaques d’identité d’hommes ont été trouvés dans la terre du jardin de Mlle Le Cadre, 49 bis rue Nationale à Pontivy, immeuble qui était réquisitionné par les Allemands de la Gestapo.  

 - André Cauvin sur l’avers. Au revers : 31/10/12 C/OXEKN. 193/1. Il s’agit d’une plaque rectangulaire de 32 mm sur 12 mm, constituée par un métal ayant l’appartenance de l’argent. Le bracelet est une chaine à maillons ovales et robustes du même métal.

 - Castagne L. n° 2.000. 359-C, sur l’avers. Aucune inscription au revers. Figurant sur une plaque en carton comprimé, de couleur rouge-brique de forme ronde de 35 mm de diamètre. Ce cercle est percé excentriquement et dans ce trou est noué un fragment de ficelle.

- Odienne CI (deux fois) sur l’avers et 1935-10.A 91886 (deux fois) sur le revers. Plaque d’identité militaire, percée en ligne dans son milieu maintenue par une chaine ordinaire à laquelle est fixée une plaque en zinc, ainsi qu’en ont été dotés les prisonniers de guerre en Allemagne, portant l’inscription Frtstalag 203-6.312.
Je ne sais pas s'il s'agit du même homme, mais sur une liste de résistants homologués FFI, on trouve Odienne André, né le 19 avril 1905 à Criqueville-en-Bessin. On retrouve ce même homme au Frontstalag 203, qui était situé au Mans, soldat 2ème classe du 434ème RP. 


[1] Extraits d’une lettre du 8 mars 1946 (Archives privées).

[2] Extraits d’une lettre adressée à la Croix-Rouge en 1945 par Jean Lahrer.


[3] Document de la Direction de la Gendarmerie et de la Justice Militaire.

jeudi 8 septembre 2016

Martial Ménard est décédé



Depuis quelques mois les nouvelles n’étaient pas très rassurantes. L’Ankou a fauché Martial Ménard aujourd’hui. Je ne partageais pas toutes ses opinions politiques sur le mouvement breton, loin s’en faut. Peu importe. Deux années nous séparaient et nous avions en commun les mêmes origines très modestes, vécus dans les mêmes HLM, quittés l’école un peu trop vite, n’ayant jamais mis les pieds au lycée et se retrouvant au travail à 15 ou 16 ans sans que l’on nous demande trop notre avis. Dotés d’une excellente mémoire, comme tous les autodidactes, notre formation intellectuelle fut d’abord celle de l’engagement syndical ou politique. Puis arrivèrent les années 70-80. Celles du renouveau de la culture bretonne, de la gauche au pouvoir, des luttes communes pour la défense de la langue bretonne. Des opportunités professionnelles s’offraient alors aux jeunes que nous étions et inconcevables pour ceux d’aujourd’hui. Puis ce fut chacun sa route, chacun son chemin. Douze métiers, treize misères. Après quelques années d’exil professionnel à Lyon puis Toulon, je retrouvais Martial en Bretagne dans les années quatre-vingt-dix. Lui, l’ancien apprenti sans aucun diplôme, devenu un excellent bretonnant, reconnu par les universitaires comme un brillant linguiste, dirigeait les éditions en langue bretonne An Here. Pour ma part, en 1993, à quarante ans, je décidais de passer mon baccalauréat et d’entamer des études d’histoire à l’université. Après un mémoire de maîtrise sur le journal L’Ouest-Éclair, dont une synthèse sera éditée aux PUR, je soutenais un mémoire de DEA sur les nationalistes bretons dont je n’imaginais pas un seul instant en faire un livre. La soutenance terminée, en juillet 2000, je suis contacté par Martial qui me propose de l’éditer sous le titre Les nationalistes bretons sous l’Occupation. L’ouvrage sort en 2001 et connaîtra trois rééditions avec un certain succès. Ce qui vaudra à l'éditeur quelques lettres d'insultes assez étonnantes et des menaces de procès de familles du mouvement breton "L'Emsav", qu'il est inutile de nommer. Commencent ensuite les conférences, parfois perturbées par l'extrême-droite bretonne, et séances de dédicaces lors des salons du livre. Nous avons eu alors le temps de discuter et de mieux nous connaître. J'ai découvert un homme extrêmement sensible et très chaleureux, auquel la vie n'a pas toujours souri. C’était aussi des moments de franche rigolade car Martial, en bon Gallo qu'il était resté, était un garçon truculent avec un sens de l’humour à toute épreuve. Pour An Here, c’était alors les années fastes, avec l’immense succès du livre de Jean-Marie Déguignet dont les bénéfices serviront à l'édition de son dictionnaire de la langue bretonne. Martial fut très affecté par le dépôt de bilan de sa maison d'édition. C'est dans ces moments que l'on compte ses "meilleurs amis". Bien qu'il n'en laissait rien paraître, il fut également blessé par les attaques calomnieuses dont il fut victime. C'est alors que Ouest-France eut l'excellente idée de lui proposer une chronique hebdomadaire sur la langue bretonne, bouée d'oxygène morale et forme de reconnaissance de son travail accompli.

Martial à gauche, à son côté Claude Boissière et en face Yann Goasdoué
Qu’il me soit permis de conclure ce modeste hommage avec cette anecdote vécue lors du festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo. Le terme anecdote étant un peu ringard, allons-y pour celui de "sketch". J’étais assis au stand An Here pour dédicacer mon ouvrage avec, comme c’est l’usage, mon nom écrit sur un bristol devant une grosse pile de livres. Á coté de moi, une autre pile plus importante du best-seller Mémoires d’un Paysan Bas-Breton avec également un bristol au nom de Jean-Marie Déguignet. Un acheteur se présente et demande à Martial si l’auteur est là pour une dédicace. Lequel, le plus sérieusement du monde, lui répond que Déguignet n’a pas pu se libérer, mais qu’il était son éditeur. Le client, qui visiblement était venu spécialement au salon pour avoir ses livres dédicacés, demanda alors à Martial de se substituer à Déguignet pour avoir un peit mot signé… Un "collector" comme on dit aujourd'hui. Et cet autre, lors d'un salon du livre à Lorient : un acheteur se présente devant le stand, prend quelques ouvrages et demande : "Vous faites combien pour les enseignants ?" Martial, sans rire, répond : "Plus 10 %".
Martial est parti, mais il reste parmi nous avec une œuvre que lui envieraient bien des universitaires celtisants.

Kristian Hamon, historien non conventionné.