C’est par une
salve d’artillerie, tirée à 15 heures 30, le samedi 19 août 1843, sur la
promenade du Mail, et le bruit des cloches sonnant à toute volée, que les
Rennais apprennent l’entrée en ville de leurs LL. AA. RR. le duc et la duchesse
de Nemours. Louis d’Orléans, duc de Nemours, et son épouse Victoire de Saxe-Cobourg-Kohary,
en provenance de Plélan-le-Grand, sont accueillis au bas de la nouvelle route
qui descend des buttes de Saint-Cyr au Mail, par le préfet d’Ille-et-Vilaine et
le nouveau maire de Rennes, Emmanuel Pongérard, négociant en vins.
Parti fin
juillet de Paris, le couple princier, accompagné d’une véritable cour, est
passé par le Mans, puis gagne Nantes. De là, il se rend au château de Saint-Malo-de-Beignon,
où il séjourne du 16 au 18 août. Le duc et son État-major doivent en effet
assister aux manœuvres militaires du « Camp de Bretagne » installé depuis
un mois sur les landes de Thélin, à proximité de Plélan-le-Grand.
Après les discours
d’accueil, à l’extrémité du Mail, le duc et la duchesse mettent pied à terre.
La duchesse prend alors place « Dans
une élégante voiture qui avait été disposée pour elle », pendant que
le duc monte à cheval. Le cortège s’ébranle alors « à travers la superbe promenade qui vient d’être transformée dans la
plus splendide entrée qu’une ville puisse rêver », puis remonte les
grandes rues en direction de la préfecture. S’il y a foule, ce n’est pas
l’enthousiasme. Le journal « L’Auxiliaire Breton » note en effet
« Peu d’acclamations se faisaient
entendre ; mais il y avait de toutes parts un accueil empressé et mêlé
cependant d’un certain calme qui était loin de ressembler à de la froideur »,
arrivé à la préfecture vers quatre heures, le cortège « à été chaudement accueilli par la garde
nationale qui formait la haie à la droite du Prince ». Certes, le
Rennais n’est pas d’un caractère très expansif, mais le prince n’est pas très
populaire. « C’est un fait certain que si, dans les réunions de fonctionnaires, les
augustes voyageurs ont toujours reçu un accueil bruyant, les acclamations ont
été excessivement rares de la part du public, nul n’oserait nier que la
population a été froide ; que, le premier jour surtout, cette froideur a
été extrême », écrit le reporter du journal « Le Progrès,
courrier de la Bretagne ».
La reine Victoria et sa cousine la duchesse de Nemours |
Leurs Altesses
installées à la préfecture, vingt-neuf demoiselles, que l’on imagine choisies
parmi la meilleure société de la ville, sont admises à présenter un bouquet de
fleur à la duchesse. Vient ensuite la réception des autorités et des corps
constitués, avec ses habituelles querelles de préséance. Les
Lieutenants-généraux voulaient être reçus avant la cour royale. C’est la cour
qui l’emportera. Même conflit entre le tribunal de commerce et l’école de
médecine accompagnée des trois facultés. Le président du tribunal de commerce
était d’accord pour céder le pas aux facultés, mais pas à l’école de médecine
qui n’avait pas ce titre. Du coup, le directeur de l’école a boycotté la
réception. S’ensuit un diner de cinquante-cinq couverts, répartis sur deux
tables, servi aux principales personnalités. Le repas achevé, vers 21 heures
30, le couple princier se rend au Polygone (L’actuelle Courrouze), où plus de
dix mille personnes, selon la presse, attendent le tir d’un feu d’artifice
« très médiocre », écrit
perfidement « Le Progrès ».
« Le passage du cortège, formé
uniquement de S. A. R., de son État-major, et de la voiture de la princesse,
était éclairé somptueusement jusqu’au pont de Chaulnes. La garde nationale à
cheval formait l’escorte et des artilleurs à cheval la précédaient, porteurs de
torches qui produisaient un effet admirable. Malheureusement, cette partie a été la plus brillante, et l’école de
nuit n’a pas répondu à l’attente du public ». Les fusées des feux
d’artifice n’aiment pas l’humidité, aussi convient-il de signaler aux lecteurs
et lectrices de ce blog que le temps était médiocre. Déjà, les deux jours
précédents, il avait plu sans discontinuer sur leurs Altesses lors des
manœuvres du camp de Thélin. Á décharge de la municipalité, il semble surtout
que le maire a manqué de temps et de moyens. Il a fallu improviser. C’est en
effet lors de la séance du 24 juillet 1843, le jour même où il est nommé maire
par le préfet en remplacement de Petiot, démissionnaire, que Pongérard annonce
au Conseil la visite de leurs Altesses Royales, et demande de voter un crédit
de 8 000 francs destiné à pourvoir aux cérémonies et fêtes qui auront lieu à cette occasion.
Le lendemain
dimanche, LL. AA. RR. se rendent à neuf heures à la vieille cathédrale Saint-Melaine,
pour y entendre la messe. Le jeune évêque Mgr Godefroy Brossay-Saint-Marc les
reçoit au pied du grand escalier et prononce une allocution de bienvenue. Après
avoir entendu l’office divin, le duc et la duchesse rendent visite à l’hospice
des vieillards qui jouxte l’église « La
foule avait envahi le Thabor et se pressait sur les pas de Leurs Altesses
Royales, qui en sortant de l’hospice ont regagné leur voiture à pied. »
Après un rapide déjeuner, le couple princier se rend au Palais de justice
« Une société nombreuse et choisie
les y attendait. Trois rangs de chaises, disposés autour de la salle des
Pas-Perdus, étaient occupés par une foule de dames élégamment parées. Les
hommes se tenaient debout derrière elles. Leurs altesses royales ont été reçues
par la cour royale, en robe rouge, ayant à a tête M. le premier président.
Elles ont visité seulement quelques salles. » Après cette visite, c’est
au pas de charge que le duc et la duchesse se rendent au Champ-de-Mars pour la
traditionnelle revue des troupes. Le prince est à cheval, toujours suivi de son
État-major « Le temps était mauvais,
la revue a duré fort peu de temps ».
Pose de la première pierre du pont de
Nemours.
Archives de Rennes 3K51 |
Le pont de Nemours |
La distribution des prix au collège royal
Du pont de
Nemours, le cortège se rend au collège (L’actuel lycée Zola) où une entrée
avait été pratiquée, par le jardin de l’établissement, sur les murs « Le portail gothique établi en cet endroit
était d’une élégance parfaite ». Le couple princier pénètre dans la
cour du collège où les attend le corps universitaire entouré de nombreux
élèves, puis prend place sur l’estrade qui leur avait été préparée. Le recteur
de l’Académie, le libéral et farouche défenseur de l’Université Louis-Antoine
Dufilhol, leur adresse alors un discours vivement applaudi ; puis le
proviseur Faucon lit quelques lignes.
Arrêtons-nous un
instant sur la personnalité de ce recteur, né à Lorient en 1791, car ses
rapports avec l’évêque en place sont tout à fait révélateurs du poids de l’Église
à Rennes. Dufilhol est un brillant universitaire, en plus d’être un excellent
folkloriste breton qui publia son roman Guionvac’h en 1835 sous le pseudonyme
de Louis Kerardven. Il est nommé recteur de l’académie de Rennes en 1839. Avec
l’arrivée dans la capitale bretonne, en 1841, du combatif et légitimiste évêque Brossay-Saint-Marc,
l’Église s’emploie à contrer le développement des facultés dans la ville en
installant des établissements d’enseignement congréganistes – ainsi le nouveau
collège Saint-Vincent qui s’ajoute à celui de Saint-Martin – face à l’Université,
et surtout en agissant au sein même de celle-ci en surveillant son enseignement
et en favorisant le choix de professeurs et d’administrateurs dévoués à la
religion et dociles à l’influence ecclésiastique. Dufilhol, qui n’en peut mais,
s’insurge contre cette ingérence du prélat dans la vie intérieure du collège
royal. Il soupçonne surtout l’évêque d’organiser l’espionnage des professeurs
par le proviseur Faucon et d’agir au ministère par l’intermédiaire de Varin,
doyen de la faculté de lettres. Finalement, face aux assauts répétés de
l’Église, Dufilhol sera mis à la retraite d’office en 1847.
Pour l’heure, au
collège, on procède donc à la distribution. Les prix d’honneur sont proclamés
et les lauréats se présentent pour les recevoir des mains de S. A. R. « Le proviseur, en montrant ces splendides
récompenses, a appris aux élèves qu’elles leur seraient doublement précieuses,
car elles sont dues à la munificence de M. le duc de Nemours ».
Malheureusement, un accident va entacher cette fête « Un accident affreux, survenu quelques moments avant l’arrivée du
cortège a attristé tout le monde ; une estrade s’est écroulée sous le
poids de la foule, et un jeune élève, M. Lepage, a eu la jambe fracturée en deux
endroits. La vue de cet enfant porté à travers la foule, la jambe pendante, et
soutenu par un chirurgien était horrible ». En sortant du collège, le
prince est allé visiter l’hôpital militaire et la caserne du Colombier. De son
côté, la duchesse s’est rendue à la salle d’asile.
Archives de Rennes 3K51 |
Après un diner
qui a réuni comme la veille 55 invités choisis parmi les autorités militaires,
en présence de M. le maire et Mme Pongérard, leurs Altesses Royales se sont
rendues au bal qui leur était offert par la ville. Dès six heures et demie, les
voitures envahissent la place. Les portes n’ouvrant qu’à vingt heures, la file
des invités s’étend jusqu’à la rue aux Foulons. « La salle de la mairie était disposée avec une élégance et un bon goût
qui font honneur à ceux de MM. Les commissaires du bal chargés de cette partie
de la fête, et l’ordre le plus parfait régnait dans cette charmante réunion,
dont LL. AA. RR. ont complimenté M. le maire de Rennes avec une amabilité
charmante. » La duchesse de Nemours, arrivée vers neuf heures et
demie, « avait choisi pour ornement
à sa toilette de bal de simples bruyères de notre Bretagne, cueillies la veille
au camp de Thélin et complétées par d’autres bruyères rares qui, pour former sa
coiffure, avaient été empruntées à la corbeille de fleurs offerte avant-hier
par les jeunes filles. A peine entrées LL. AA. RR. ont pris place dans deux
fauteuils qui avaient été élevés au-dessous du portrait du roi, et aussitôt le
premier quadrille a commencé. Après avoir dansé deux contredanses, Mme la duchesse
de Nemours en a vu danser une troisième puis elle s’est retirée. » Si
« Le Progrès » note le lendemain « Qu’il ne s’est rien vu de plus beau à Rennes », le journal
estime de son devoir de « révéler
une contrariété ». En effet, il y avait foule sur la place et leurs
Altesses voulaient paraitre au balcon « Malheureusement une disposition du plancher mobile n’a pas permis que
l’on ouvrit la grande fenêtre, et cette circonstance a été vivement regrettée
par le prince ».
Archives de Rennes 3K51 |
Malgré cette fausse note, la soirée fut une réussite
et le buffet somptueux, avec des vins fournis par la maison Pongérard (fils). Sur les 1 200 cartons d’invitation envoyés, 950
personnes ont retiré leur carte d’entrée puis dansé au son d’un orchestre de
seize exécutants. Le couple princier est reparti le lendemain à neuf heures pour
le camp de Thélin.
Un siècle après
sa mise en service, le 4 août 1944 au matin, le pont de Nemours sera détruit
par les Allemands. Il serait intéressant de savoir si la reconstruction s’est
faite sur les culées d’origine et, dans ce cas, si la fameuse boite de plomb
est toujours en place.