mardi 16 juin 2015

29 juillet 1944 : une des dernières rafle à Rennes



Lorsque l’on évoque l’engagement armé des nationalistes bretons au côté des Allemands, c’est immanquablement au Bezen Perrot que l’on fait référence. Moins nombreux, une douzaine d’hommes, les membres bretons du Kommando de Landerneau n’ont pourtant rien à envier à leurs camarades en matière d’exactions contre la Résistance, essentiellement en Basse-Bretagne. Simples agents de renseignement ou indicateurs au début de leur engagement, ces militants du Parti National Breton vont eux-aussi basculer dans la répression armée sous l’uniforme allemand, certains n’hésitant pas à participer aux tortures. Parmi ceux-ci, se distinguent André Geffroy, né à Lannion, et Hervé Botros, né à Lanmeur, ce dernier s’étant spécialisé dans l’infiltration de la Résistance.
C’est à Rennes que l’on retrouve ces deux hommes, à la fin du mois de juillet 1944. On s’en doute, avec la percée d’Avranches par les chars de Patton, l’heure est à la fuite pour les collabos de tout poil. Dès le vendredi 28, Célestin Lainé fait revenir ses hommes du Bezen Perrot encore en opérations dans le Morbihan et sur Scrignac. La veille, ceux qui étaient restés à Rennes faisaient encore le coup de feu contre le petit maquis du moulin d’Éverre à Saint-Marc-sur-Couesnon.
Le samedi 29, dans la matinée, Geffroy et Botros (ils seront identifiés plus tard) se présentent au café « La Chaumière », situé au 6, rue du Lycée à Rennes, pour consommer. Ils ne sont pas entrés dans cet établissement par hasard. En effet, le bar est tenu par Léontine Bohuon, dont les deux frères, Francis et Eugène Bohuon, sont des résistants FTP. Francis Bohuon, qui habite rue Hoche, a combattu aux maquis de Saint-Marcel et de Broualan. « Geffroy et Botros m’ont dit qu’ils étaient de la Résistance. Ils voulaient acheter du sucre et des cigarettes pour ravitailler un maquis de la région de Brest. Botros m’a montré un cachet à croix de Lorraine servant aux réquisitions effectuées en campagne par les maquisards », déclare Léontine Bohuon. Son frère Francis est également présent « Un nommé Herviault André se trouvait au café avec un individu que je ne connaissais pas. Herviault dit qu’il faisait partie de la résistance dans le Finistère. Personnellement j’étais FTP. J’ai bu un verre avec lui et lui ai dit de revenir à 14 heures. Je croyais vraiment que cet homme était un patriote. » Bohuon semble confondre André Herviault avec André Geffroy, qui n’hésite pas à  exhiber son revolver afin de le mettre en confiance.


La rafle
Comme convenu, à 14 heures, Geffroy et Botros reviennent « Ils se sont assis à une table et au moment où nous allions parler, un allemand a forcé la porte et brusquement une vingtaine d’allemands et de civils parlant breton ont fait irruption dans le bar. L’un d’eux a crié « Hauts les mains ! » Ils ont fouillé tout le monde sauf Botros et Geffroy qui étaient pourtant armés puisque j’avais vu leurs revolvers sur le bar », déclare Léontine Bohuon. L’Allemand qui force la porte est Ange Péresse, le chef des opérations du Bezen, en uniforme Waffen SS. Francis Bohuon est aussi présent : « Ma sœur Léontine et mon frère Eugène ont également été arrêtés ainsi que plusieurs clients : André Bordier, Hennequin, Mme Mercier et deux autres dont j’ignore le nom. J’ai été arrêté par Geffroy et un autre agent qui étaient déjà venus au café dans la matinée et qui nous avaient déclaré appartenir à une section de la résistance du Finistère. Ils nous avaient même montré leurs armes. Tout en me parlant, Geffroy avait regardé ma chemise et avait constaté qu’elle était faite avec de l’étoffe qui semblait être de la toile de parachute. Ce qui était exact. Je lui ai dit que j’avais effectivement trouvé un parachute. Geffroy et son équipier avaient précédé dans le café une vingtaine d’agents de la gestapo qui, lorsqu’ils pénétrèrent dans le café mirent les menottes à moi et mon frère mais également à Geffroy et celui qui l’accompagnait. J’ai compris immédiatement qu’il s’agissait d’une mise en scène car mon frère et moi furent les seuls fouillés. » Parmi les clients, se trouve André Bordier, un mai de Léontine, qui tient un bar au 52, rue Poullain-Duparc. Il reconnait Geffroy et Botros assis à une table « Lorsque Botros a été arrêté par les Allemands il criait « Sales boches ! » J’ai remarqué que l’allemand avec une mitraillette ne tenait nullement compte des propos de Botros. Place de la République un civil, Charles Berder, a été arrêté par des civils de la Gestapo, je ne sais pas pourquoi (…) J’ai connu Botros comme client dans mon bar rue Poullain-Duparc, il parlait maquis et résistance. Il avait sorti un soir un revolver de sa poche. Je croyais que c’était un patriote. »

Au siège du SD
Les personnes arrêtées sont immédiatement emmenées en autocar au siège du SD. « On a mis tout le monde debout mains au mur rue Jules Ferry. Un Allemand et un Breton nous gardait » déclare Léontine Bohuon. André Bordier est également présent « Arrivés rue Jules Ferry nous étions dix, parqués dans une pièce à l’entresol. Berder a été frappé à coups de pieds et de coups de poings. Je suis resté jusqu’à 21 heures et on m’a dit de partir avec mon camarade Hennequin. Je n’ai pas été inquiété, n’étant pour rien dans cette rafle ». Ce sont bien évidemment les frères Bohuon qui intéressent les policiers du SD. Nous ne disposons – et pour cause – que du seul témoignage de Francis Bohuon « On nous a emmené rue Jules Ferry au siège du SD. On a envoyé mon frère qui avait de faux-papiers rue Lesage. Je suis resté rue Jules Ferry au 2ème étage. On m’a attaché sur une table en présence d’un individu nommé Geffroy André que je connaissais comme client chez ma sœur. » Son frère emmené rue Lesage, où est cantonné le Bezen, Francis Bohuon est « accueilli » par Hervé Botros qui lui brise les dents avec un coup de matraque « Il s’est acharné sur moi. Les Allemands ont été contraints de l’arracher car il m’aurait tué. Je l’avais traité de « Sale Boche ! », et c’est la raison pour laquelle il m’a battu si violemment. Geffroy m’a tordu le gros orteil du pied gauche et me l’a déboité en présence des autres individus. Étant attaché je ne pouvais me défendre ». Á coups de matraque et de nerfs de bœuf, le mouchoir enfoncé dans la bouche pour ne pas crier « C’est Péresse qui opérait » le SD veut faire avouer à Francis Bohuon où était caché un supposé dépôt d’armes à proximité de chez sa sœur, en plein Rennes. Une alerte à la bombe va interrompre cet « interrogatoire » et obliger tout le monde à descendre à la cave. Bref intermède « Ils ont remis ça peu après dans la salle de torture, j’ai été assommé d’un coup de matraque derrière la tête. J’ai été réveillé à coups de talon de soulier dans la figure. Comme je refusais de parler ils m’ont étendu sur un bureau, m’ont attaché et déchiré mon pantalon. Péresse me donnait des coups de stylets dans les jambes et dans les fesses. J’en porte encore les traces. Puis on m’a fait des pointes de feu (aiguilles chauffées sur un petit réchaud à alcool) dans les parties sexuelles. On m’a rué de coups de pieds. Geffroy, Péresse et Botros riaient quand je criais de douleur.  Comme je persistais à me taire ils m’ont plongé dans une baignoire pleine d’eau et à chaque fois que je remontais la tête pour respirer ils me l’enfonçaient à nouveau à coups de matraques. Je pense que ce fut ma dernière torture car je me suis retrouvé dans la nuit dans une cellule de Jacques Cartier (…) Péresse dans un interrogatoire m’a rapporté mon emploi du temps pendant les 15 jours qui précédèrent mon arrestation. Je pense que le milicien Béllier m’avait reconnu pendant l’opération de la Milice à Broualan et avec qui j’avais échangé des coups de feu. » Effectivement, dans une seconde déposition, Francis Bohuon se rappelle avoir perdu connaissance vers 20 heures et s’être réveillé le lendemain à la prison Jacques Cartier « Un docteur allemand m’a soigné et j’ai uriné du sang pendant une semaine. »



Nous sommes à une semaine de la libération de Rennes. Transférés à Jacques Cartier, Léontine, Francis et Eugène Bohuon, ainsi que Charles Berder, seront déportés le 3 août 1944 par le dernier convoi, connu sous le nom de « train de Langeais ». Arrivés à Belfort, Léontine et son frère Francis sont libérés le 26 août, ainsi que Charles Berder. Eugène Bohuon n’aura pas cette chance. Déporté sur Dachau, il ne reviendra pas.
Botros et Geffroy vont prendre la fuite vers l’Allemagne dans le convoi du Bezen Perrot. C’est Botros qui va conduire le car transportant les civils, femmes et enfants, jusqu’à Strasbourg. Ne voulant pas passer en Allemagne, il s’engagera dans la Légion Étrangère. Démasqué, il sera jugé  puis condamné à mort le 21 septembre 1945. Il a été exécuté à Quimper le 8 novembre 1945. Condamné à mort lui aussi, André Geffroy sera gracié.

mardi 9 juin 2015

Pierre-Antoine Cousteau en reportage avec la Milice à Rennes


Moins célèbre que son jeune frère Jacques-Yves Cousteau – le commandant au bonnet rouge – Pierre-Antoine Cousteau (1906-1958) fut un collaborationniste résolument engagé, notamment au journal Je suis partout, avec Lucien Rebatet ou bien encore Robert Brasillach. Les deux articles qui suivent ont été publiés au tout début du mois de juillet 1944. Il s’agit d’un « reportage » de Cousteau « venu rejoindre en Bretagne mes camarades les francs-gardes bénévoles de la région parisienne partis comme volontaires ». La « Deuxième unité de marche » de la Milice française arrive en effet le 8 juin 1944 à Rennes, en provenance de Poitiers. Ces francs-gardes sont cantonnés dans un premier temps rue de Griffon, avant de prendre leurs quartiers à l’Asile Saint-Méen et au château d’Apigné. 
Bâtiment où séjourna la Milice au 5, rue du Griffon
Comme l’écrit Cousteau, c’est la déception « Les francs-gardes de Paris étaient partis pour se battre. Ils étaient pressés de décerveler des terroristes, de venger sur les salopards de la résistance juive tous nos camarades assassinés. Mais au lieu d’embuscades meurtrières et romantiques (…) Il a fallu déblayer les décombres de Rennes et de Fougères. » La ville de Fougères a été durement touchée par deux vagues de bombardement les 6 et 8 juin 1944, faisant plus de 200 victimes. Á peine arrivé à Rennes, un groupe de miliciens, parmi lesquels le jeune « Fernand », dont on lira la lettre plus bas, est envoyé là-bas pour déblayer. Le reste de la troupe prêtera main forte aux secouristes lors des bombardements des 9 et 12 juin 1944 à Rennes. Ces corvées de déblaiement n’empêchent pas les miliciens, sous les ordres du sinistre De Constanzo, dont Cousteau nous dresse un véritable panégyrique, de procéder aux arrestations de « terroristes » qui sont ensuite emprisonnés à l’asile Saint-Méen. « Allons au « trou » jeter un coup d’œil sur les captifs. Ils sont une cinquantaine, dont une demi-douzaine de femmes » écrit Cousteau. 
Durant tout le mois de juillet et jusqu’à l’arrivée des Américains, ce ne seront que rafles, arrestations, tortures et exécutions sommaires. Cousteau est déçu. Ses camarades lui proposent bien une expédition le jour même de son arrivée « Oh ! une toute petite expédition », mais il aurait préféré « l’assaut d’un bourg FTP ». Notre reporter devra donc se contenter d’une « capture sans histoire » de ses deux premiers « clients », puis d’un troisième « cueilli » sans difficulté. Ils seront d’ailleurs relâchés plus tard ! Quoi qu’il en soit « c’est toujours excitant de jouer au gendarme et au voleur en pleine nuit avec de vraies armes… » Comble d’ironie, le jour-même ou parait l’article de Cousteau dans Je suis partout, daté du 7 juillet 1944, les francs-gardes sont engagés dans une opération contre le maquis du bois de Buzot à Broualan. Le reporter eut alors pu voir ses « camarades » à l’œuvre, notamment Constanzo, qui va se défouler à coups de ceinturon sur l’adjudant Imbert, obligé de se déshabiller. Un autre résistant, René Capitan, nu lui aussi, sera frappé à coups de nerf de bœuf, avant d’être abattu d’une balle dans la tête. Son corps sera laissé sur place. Après avoir fait trois autres victimes dans le bourg de Broualan, les miliciens rentrent sur Rennes en effectuant plusieurs arrestations. 
Patriotes encadrés par la Milice à l'asile Saint-Méen
Sur le chemin du retour, ils font halte à Saint-Rémy-du-Plain, où huit résistants sont abattus dans une carrière. Les patriotes restants sont ensuite amenés à l’asile Saint-Méen où s’effectue un premier tri avant les tortures au château d’Apigné. 
Je suis partout (ADIV)


Retranscription (avec les fautes) de la lettre en date du 19 juin 1944, adressée à son chef par le jeune milicien Fernand :

Chef,
Deux mots pour vous donner de mes nouvelles qui ne sont pas trop mauvaise et j’espère que vous c’est de même ainsi que celle des copains.
Notre départ de Paris a été un peut mouvementé, arrivé à Falguère station, alerte, arrêt des trains, je dessent et à la surface bombardement en règle, tire de DCA. J’ai vue pour mon compte descendre 7 saloparts. Arrivé à Auteuil le car était partit depuis ¼ d’heure, aucun officier pour me renseigner, le matin j’ai rencontré à la gare un chef de dizaine qui a téléphoner rue Drouot et ces le chef de la Rivière qui a répondu. Le train était à un km de la gare mais qu’il fallais rejoindre Drouaot qu’il y aurais une voiture pour ravitailler les copains, pour finir nous avons retrouver les copains à Auteuil, nous avons pas retrouver les camarades dans le train pour les ravitailler. Nous avons eut des camions pour aller d’Auteuil à Austerlitz car l’autre gare était foutue.
Dans le train petit accident, nous avons croisé un train du génis Français avec sur les portes des croix de Lorraine, sur les interpellations de nous autres, ils ont montré le point lever. Nous avon été trouvé notre chef de convois, il nous a répondu qu’il nous interdisais formellement toute manifestation, qu’elle plaisir que l’on aurai eut de les descendres. Nous sommes a 10 heures du matin nous avons roulé jusqu’à 1 heure. Arret d’une heure sur la voie ensuite nous sommes repartit, arrivé à Poitier à 9 heures du soir, le matin lever à 7 heures, petit déjeuner à 8 heures. Ensuite distribution des effets, j’ai été désigné pour essayer les complets, chaussures etc. ensuite distribution d’arme par les chefs de dizaine. J’ai récolté un fusil américain, je fais remarquer que les armes ont été distribuées par camaraderie ainsi que la désignation des chefs de dizaine et de main, pour les corvés de casernement ca na pas manqué, enfin nous avont avec 5 jours sans aucun maniement d’arme, une chose bien maleureuse c’est que nous avons beaucoup de jeune qui n’ont pas été militaires. Resu l’ordre de prendre juste le néssaissaire de linge de corps, le matin lever à 2 heures, départ à 3 heures nous arrivons à la gare pas de train tout les employés partit, nous avons réquisisionner des cars et des voitures particulières qui nous ont emmener à Rennes. De Rennes nous avons rester 2 jours dans les cars a coucher ensuite départ pour Fougère arrivé dans les environs nous avons assisté au bombardements de cette ville qui n’était pas objectif militaire, le lendemain après-midi noud avons pus rentré en ville rien que des ruine avec des bombes a retardements enfin comme les anglais revenais nuit et jours nous avons été forcé de couché dans les cars hor de la ville.
Depuis quelques jours nous avons réquisissionner un pensionnat de jeunes filles tenu par des sœurs nous avons un lit de pensionnaire de jeune fille des photo de piété, mais toutes les nuits c’est un bombardement formidable, des bombes a retardements qui éclate, quelle musique !
Notre travail consiste a faire la police à descendre les pillards à déterrer les cadavres à dégager les ensevelis vivants, en un mots a faire un travail pour lequelle l’ont n’est pas venu, depuis le matin 6 heures1/2 jusqu’au soir 11heures on ne fait qu’a être en service, jamai un jours de liberté, tenu comme au bataillon de discipline, tout les camarades en ont mare car l’ont nous prend pour des imbéciles, nous n’avons pas encore eut l’occasion de faire un combat, notre moral est a bout. Quand a mois il n’en manque de peu que je prenne la déssision de retourner a Melun et si l’ont ne veut pas me laisser partir en prenant une voiture, car jamais ici ont ne prendra part au combat.
Je suis venu comme volontaire pour me batre et non comme planqué pour mener une vie de caserne, j’ai un grand regret d’avoir accepté cette campagne. J’aurai mieux fait de partir dans la Waffen SS que de venir à la milice pour éplucher les patates, corvé de tinette, fossoyeur en un mots faire l’imbécile. Je ne conseillerais jamais a personne de partir de cette manière.
Chef ne voyant plus rien à vous dire pour l’instant je termine en vous serrant une cordiale poignée de mains et vous donnant le salut milicien. Signé : Fernand
PS : Je mescuse au-près des copains de n’avoir pas écris mais réellements cela m’est impossible pour l’instant, à tous une fraternelle accolade.

Je suis partout du 7 juillet 1944 (ADIV)