lundi 30 octobre 2017

Catalogne années 1930: les ambiguïtés de Breiz Atao. Plus quelques reflexions sur la situation actuelle.



Il arrive parfois, dit-on, que l’histoire bégaie. Toute proportion gardée, le contexte international n’étant plus le même, ce qui se passe actuellement en Catalogne interpelle car la situation n’est pas sans rappeler celle des sinistres années 30. Comme on pouvait s’en douter, après l’insurrection irlandaise, cette crise catalane était observée de très près par les nationalistes bretons, avec plusieurs articles dans le journal Breiz Atao. Cependant, des divergences d’analyse vont progressivement apparaître entre les fédéralistes du Parti Autonomiste Breton (PAB), généralement de gauche, souhaitant une autonomie la plus large possible, mais dans le cadre de l’état existant, et les séparatistes du Parti National Breton (PNB), d’accord pour soutenir le combat pour l'indépendance des Catalans ou des Basques, mais épuré des anarchistes, socialo-communistes et autres « éléments d’extrême-gauche ».
- Le 3 janvier 1931, Breiz Atao, alors « Organe du Parti Autonomiste Breton », titre en une « Vérité au-delà des Pyrénées… ou le fédéralisme chez les autres ». Retournant la célèbre pensée de Blaise Pascal « Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà », l’auteur de l’article, un certain « Karannoz », écrit « Au commandant aviateur Franco – l’un des héros de la révolution espagnole provisoirement manquée – le représentant à Lisbonne de l’agence Havas a demandé : " La future République espagnole, telle que vous la concevez, sera-t-elle fédérative ou maintiendra-t-on l’Espagne actuelle, une et indivisible ? " Sans hésiter, le commandant Franco répondit : " La future République pour laquelle je combats ne pourra être qu’une fédération. " Pour peu qu’on connaisse la péninsule, on est frappé de la dissemblance qu’offrent les régions entre elles (…) Qui contesterait, par exemple, que Barcelone soit en avance de vingt-cinq ans, du point de vue syndical, sur bien des parties de la péninsule ? (…) La disparité des pays qui composent l’Espagne n’est pas plus marquée que celle des pays qui composent la France ; que s’il y a des différences de mœurs, de langue et d’évolution politique entre un Castillan, un Biscayen, un Andalou, un Galicien et un Catalan, il n’y en a pas moins entre un Breton, un Provençal, un Flamand, un Alsacien et un Corse ; et que si le fédéralisme se justifie pour l’Espagne, a fortiori s’impose-t-il pour la France. » Ce plaidoyer pour un état fédéral n’a rien d’étonnant lorsque l’on sait que derrière ce pseudonyme « Karannoz » (1) se cache Maurice Duhamel, membre de la Ligue fédéraliste de Bretagne (La double appartenance était alors possible au PAB) opposée au séparatisme et clairement de gauche.
- Trois ans plus tard, le 7 janvier 1934, le PAB ayant disparu de la scène politique bretonne et Breiz Atao devenu l’organe du Parti National Breton (PNB), un article non signé revient sur la disparition du « grand patriote catalan » Francesco Macià : « Le chef du gouvernement catalan vient de mourir, après avoir présidé pendant plus de deux ans au destin de son pays, nouvellement libéré (…) En 1907 Macià fut élu député aux Cortès par la province de Lérida qui lui renouvela son mandat à chacune des élections suivantes. A maintes reprises Macià dénonça au parlement espagnol l’oppression dont étaient victimes ses compatriotes (…) Poursuivi, Macià s’enfuyait en France, en 1917, lorsqu’il apprit que son premier lieutenant allait être condamné à mort. Il revint en Catalogne et se constitua prisonnier. Sous la pression de l’opinion publique, ils furent tous deux relâchés. Cependant, le nationalisme catalan voyait croître sans cesse son influence. Malheureusement sur ce mouvement de réveil national vint se greffer une agitation anarchique, qui, selon certains, fut suscitée par Madrid pour anéantir les efforts des patriotes catalans. Ces troubles justifièrent aux yeux de l’opinion européenne les mesures de rigueur que prit le nouveau capitaine-général de la Catalogne Primo de Rivera, qui devint président du Directoire espagnol, et se vit confier le pouvoir par le roi Alphonse XIII le 14 septembre 1923. Ce jour-là s’ouvrit, pour la Catalogne, l’une des périodes les plus sombres de son histoire. » Breiz Atao rappelle l’oppression exercée par Primo de Rivera sur les militants catalans, l’interdiction du drapeau national ou de la langue catalane dans l’enseignement public et l’exil en France de nombreux patriotes. Après l’échec de sa tentative d’insurrection menée à partir de la France le 1er novembre 1926, Macià est arrêté et emprisonné à Perpignan puis expulsé vers la Belgique. Républicain de gauche, Macià revient définitivement en Catalogne en 1931. Remportant les élections, il proclame la République catalane dont il prend la tête : " Rappelons que Breiz Atao lui envoya un télégramme de félicitations, auquel il répondit par des remerciements. " Le 9 septembre 1932, les Cortès votèrent le statut de « Généralité de Catalogne ». La Catalogne était reconnue comme « région » et non comme « état », écrit Breiz Atao, qui ajoute : « Ces exigences du gouvernement de Madrid qui nous semblent inacceptables et disproportionnées à sa force réelle en face du nationalisme catalan, le président Macià crut pouvoir les accepter ; nous ne connaissons pas suffisamment la situation de son pays pour juger s’il eut tort ou raison ; mais il nous semble qu’en cette circonstance il fit preuve d’une longanimité exagérée. » Décédé le 25 décembre 1933 à Barcelone, les funérailles de Macià furent suivies par un cortège de 400 000 personnes. « Breiz Atao, qui n’a jamais ménagé ses sympathies aux patriotes catalans, notamment lors du procès de 1927, prend part au deuil de la Catalogne. », concluent les nationalistes bretons.
- Le 20 mai 1934, l’intérêt pour l’actualité catalane ne se dément pas et Breiz Atao publie le « Manifeste à l’opinion internationale sur les revendications nationales de Catalogne », rédigé par l’Unió Catalanista « De nouveau, les Cortès ont nié la personnalité de la Catalogne, ont nié ses droits (…) La Catalogne est toute disposée à accepter à être en bonnes relations avec l’État espagnol dans les termes énoncés dans la proclamation de la République catalane, et par la promesse espagnole de respecter sa souveraineté, mais elle refusera, par contre, toute forme qui n’aurait pas pour base un accord librement consenti entre les deux états : le catalan et l’espagnol. La Catalogne, qui se sent appuyée par la raison et par le droit, a la certitude de sortir victorieuse de la lutte contre l’absorption espagnole à laquelle s’efforça de la soumettre la monarchie par force des armes. » Après le décès de Macià, c’est le député de Barcelone Lluìs Companys qui le remplace à la tête du gouvernement autonome et proclame la République catalane le 6 octobre 1934. Elle n’aura duré que dix heures. Arrêté, Companys est condamné à 30 ans de prison et le gouvernement autonome de la Généralité suspendu.

- Le 4 novembre 1934, sur deux pleines pages, Breiz Atao revient sur l’échec de la révolution espagnole du 5 octobre et de la République catalane le lendemain : « Une place importante a été réservée dans ce numéro à des événements étrangers à la Bretagne, mais qui offrent un vif intérêt pour les nationalistes bretons. » Dans un long article intitulé « La leçon de Barcelone » un certain « Halgan » revient sur les raisons de cet échec « A Barcelone comme à Dublin en 1916 la république indépendante n’aura duré que quelques heures. Cependant, les conditions dans lesquelles les deux proclamations d’indépendance ont été faites sont totalement différentes l’une de l’autre. » Si les Irlandais n’avaient aucun soutien et pas de munitions, la répression policière aura eu pour conséquence de déclencher une prise de conscience du peuple irlandais : « Mais après 1916, toute l’Irlande réveillée par le coup de tonnerre de la semaine de Pâques devint Sinn-Fein et les persécutions, les exécutions, la répression sauvage firent plus, peut-être, pour la cause que les meilleurs des coups de main. Vous souvenez-vous des résultats des tracasseries policières contre nos militants après le 7 août 1932 (Attentat contre le monument de Rennes) ? Ainsi en sera-t-il pour la Catalogne. Souhaitons-le. Cependant il nous sera bien permis de critiquer l’action du gouvernement catalan et d’en prendre de la graine. Je ne puis que m’étonner de l’imprudence avec laquelle le Président Companys a déclenché son offensive. Depuis qu’a été instituée la généralité de Catalogne, ses dirigeants auraient eu largement le temps de la doter de la force armée sans laquelle il est vain de déclarer une guerre ou de faire une révolution. Et puis, il y a une autre composante de cette question de l’indépendance catalane et de sa malheureuse proclamation : c’est la politique des partis. On se souvient que c’est de Barcelone qu’est parti le mouvement républicain qui devait renverser la monarchie et libérer ( ?) la Catalogne. Mais depuis, la politique a évolué et les vieux radicaux et socialistes qui détenaient le pouvoir ont dû céder le pas aux conservateurs et aux droites. Aussitôt communistes, socialistes, syndicalistes et anarchistes ont déclaré la grève générale et toute l’Espagne s’est soulevée. Les Catalans ont vu là (un peu à la légère) une trop belle occasion de se libérer définitivement du joug de Madrid et ont proclamé la Catalogne indépendante, dressée contre les « fascistes et les réactionnaires ». Dans la coulisse attendait le vieux radical Azana, tout prêt à manger les marrons, que Companys aurait tirés du feu. Mais alors, les masses catalanes nationalistes certes mais que ne séparent pas leur idéal patriotique de leurs revendications sociales, en majorité socialistes, syndicalistes ou communistes et les paysans méfiants à juste titre, n’ont pas marché avec l’ardeur qu’on attendait d’eux. Pourquoi ? Parce que la république démocratique espagnole les a écœurés et ils ne croient plus à la possibilité d’atteindre leurs buts par le jeu d’institutions à leurs yeux périmées. Si j’insiste sur cette question catalane, surtout au point de vue social, c’est que, demain peut-être, nous autres Bretons, nous nous trouverons en face des mêmes problèmes. Un fait est certain à cette heure, c’est qu’une dictature conservatrice est en gestation en France et que ni les protestations, ni les meetings, ni les fronts communs ne pourront lui barrer la route. Demain peut-être on appellera aux armes le peuple breton pour la défense des libertés républicaines. Qu’il se souvienne de Barcelone. Ni la démocratie actuelle, ni un fascisme français certes ne nous satisfont parce qu’ils sont avant tout et toujours des régimes à nous imposés par l’étranger. Si nous avons un jour à combattre ce ne sera pas pour le roi de France. Si nous avons à combattre ce sera pour la défense de la liberté bretonne, tous unis. »
Après les émeutes du 6 février 1934 à Paris, et face au danger d’un fascisme français, les fédéralistes bretons, parmi lesquels ce « Halgan », pseudonyme de René-Yves Creston, avaient réaffirmé leur politique d’union avec les forces de gauche françaises « Face au danger de droite, union des gauches, au coude à coude ! » Et pourtant, on les retrouve sur la même ligne qu’Olier Mordrel pour qui « Le sort du peuple breton et son avenir ne dépendent pas du succès ou de l’échec d’un mouvement fasciste en France, mais d’une révolution bretonne qui rejettera la tutelle étrangère. »
- Le 15 mars 1936, alors que le drapeau catalan flotte à nouveau sur le palais de la Généralité depuis la victoire du Frente Popular en février 1936, Breiz Atao, avec un article signé « Yves Douguet », pseudonyme d’Yves Delaporte, salue la réélection de Companys à la présidence de la Généralité, mais avec certaines réserves « Voilà donc la Catalogne revenue à la situation d’avant octobre 1934. On ne peut pas cependant considérer cette incontestable victoire électorale et gouvernementale, comme une grande victoire nationale ; elle peut être sans lendemain, si les troupes du gouvernement de Madrid n’évacuent pas le territoire de la Généralité, si Barcelone n’organise pas une force militaire catalane (…) En un mot, les patriotes catalans ne doivent pas renouveler les erreurs de 1931. Ils ne doivent pas se reposer sur un succès électoral, ni sur le libéralisme d’un gouvernement madrilène ; même les gauches espagnoles restent, au fond, très unitaristes. Il ne faut pas que l’avenir de la Catalogne dépende d’une crise ministérielle à Madrid. »
- Le 9 août 1936, après l’insurrection militaire de juillet 1936 et le déclenchement de la guerre civile, avec un article intitulé « En face des événements d’Espagne », signé « E. G. », pseudonyme d’Olier Mordrel, dont l’influence s’accroît au sein de Breiz Atao, on peut observer une prise de distance à l’égard des autonomistes : « La cause des autonomistes hispaniques est la notre, et nous ne pouvons aborder les événements d’Espagne qu’avec un parti-pris en leur faveur. Mais la confusion de la situation nous interdit de prendre parti nettement. Nos amis sont-ils tous dans le même camp ? Nous ignorons si les Catalans les plus nationalistes sont engagés du côté du « Frente Popular » en même temps que le reste du mouvement, quoiqu’il semble bien que les patriotes Catalans se soient rangés dans l’ensemble du côté rouge. Les nationalistes Basques, qui sont tous catholiques, paraissent avoir adopté au début une attitude de neutralité, prête à pencher du côté anti-communiste. Mais, depuis nous avons appris que des troupes nationales basques, avec leurs aumôniers, combattaient avec le drapeau rouge sous leur propre drapeau orné d’une croix ! Dans ce cas, elles ne peuvent que s’entre-dévorer, du côté d’Irun, avec les volontaires Navarrais, tous du côté de Franco, qui sont également des Basques et ce qui est plus raide encore, des Basques à inclination autonomiste (…) La situation espagnole présente d’autres incohérences. C’est du côté des Catalans que se rencontrent les anarchistes qui les ont poignardés dans le dos au moment de l’insurrection de Companys, ainsi que de nombreux éléments d’extrême-gauche qui se sont toujours royalement moqués de la cause catalane. Toute cette affreuse guerre civile est au fond bien étrangère aux aspirations de nos amis basques, catalans et galiciens, et l’idéal pour eux eut été d’en attendre la fin sans y prendre part, quittes à intervenir au dernier moment pour leur compte personnel, et d’un commun accord. Bonnes leçons pour certaines minorités françaises. »
- Le 20 septembre 1936, Olier Mordrel, dont la revue STUR s’inspire des thèses nationales-socialistes, renvoie à nouveau dos à dos l’antifascisme et l’antibolchevisme : « La mystique du Front Populaire qui pousse à une guerre contre l’Allemagne au service de la Russie, va directement à l’encontre des intérêts français. En Bretagne, nous devons lutter de toutes nos forces pour empêcher que la question du fascisme ne prenne trop de place dans les esprits. Nous n’avons que faire de cette machine de guerre. La question ici est la vie du peuple breton et le danger à combattre est le gouvernement de Paris, quel qu’il soit. Ne nous laissons ni égarer, ni tromper par les slogans de la Wilhelmstrasse et ceux de la rue Lafayette. »Dans ce même numéro, avec un long article sur deux colonnes «  La guerre civile en Espagne » le très anti-clérical Mordrel, à propos de la situation sur les deux camps en présence « Nous aimerions que les Bretons, avant de se demander si leur sympathie va vers Franco ou vers Caballero », dresse un « échantillonnage » des adversaires :
« Les Gouvernementaux
A tout seigneur tout honneur, parlons d’abord des Républicains. Ils comptent de moins en moins et ont été éliminés des premiers rôles par les extrémistes. Petits propriétaires, ouvriers aisés, professions libérales, dirigés par des intellectuels bourgeois, ils ont été vite effrayés par les excès de leurs trop belliqueux alliés.
Les Socialistes et les Communistes. Ils ne forment plus qu’un seul parti unifié dans le cadre des syndicats révolutionnaires. On pourrait assez les comparer à la nouvelle CGT française. Cette masse ouvrière est exactement ce que les journaux français de gauche appellent « le peuple espagnol en lutte pour sa liberté » soit 20 à 30% de la population. En Espagne centrale et au gouvernement de Madrid, les socialo-communistes dominent.
Les Anarchistes. C’est de beaucoup l’organisation la plus agissante. Décidés à tout, méprisant la mort, nombreux, surtout en Catalogne, ce sont les enfants terribles et inquiétants du camp gouvernemental. Ce sont eux qui brûlent les églises et fusillent sur place les passants qui « ont l’air de curés ». Les anarchistes espagnols sont la réplique des nihilistes russes du temps des tsars. Ici, en Bretagne, de tels éléments sont inconcevables.
Les Catalans. Républicains ou socialistes, en grande majorité « rouges », les Catalans ne se battent pas seulement contre Franco à cause de leurs opinions sociales. En échange de leur entrée dans la guerre, le gouvernement de Madrid leur a promis la garantie et l’extension de leur autonomie. Ils se battent avec une double ardeur, en même temps pour leur foi socialiste et pour leur patrie catalane. Si les Républicains espagnols voulaient les réintégrer sous la domination castillane, ils reprendraient les hostilités contre leurs alliés d’aujourd’hui.
Les Basques. On a pu dire en parlant de ces Basques patriotes, traditionalistes, catholiques : Qu’allaient-ils faire dans cette galère ? Nos lecteurs ne peuvent pas mieux se représenter leur cas, qu’en imaginant le pays de Léon se joignant, derrière ses prêtres, aux communistes de Douarnenez et aux socialistes de Morlaix pour barrer la route de Bretagne à un gouvernement fasciste français. Comme les Catalans, les Basques luttent pour leur autonomie, à cette différence près qu’ils sont attachés à leur foi. Malgré leur répugnance du socialisme niveleur et leur exécration des anarchistes qui, chez eux, sont tous des immigrés espagnols, ils ont négocié un accord avec eux. En échange de leur participation, le gouvernement de Madrid leur a promis la liberté.
Les Rebelles
Nous avons vu qu’il y a au moins quatre façons d’être anti-fasciste, il y en a à peu près autant d’être rebelle.
Les Militaires. En terre de langue ibérique, l’armée est sinon un parti, tout au moins un pouvoir. Les chefs militaires représentent incontestablement un élément d’ordre ; leur idéalisme est certain. Mais ils ne semblent apporter aucun principe de gouvernement répondant à l’attente populaire. D’une façon assez simpliste, ils ont rétabli partout où ils ont dominé, propriétaires, nobles, religieux et patrons, dans leurs biens et leurs privilèges.
L’Église les appuie de toute son autorité. Sa participation à la rébellion est prouvée. Dès le premier jour, à Barcelone, des mitrailleuses ont ouvert le feu sur les milices ouvrières du haut des clochers. Des Bretons, qui en reviennent, nous l’ont certifié. On a trouvé des dépôts d’armes dans les sacristies et les couvents, ce qui explique la fureur anti-cléricale des rouges et des Catalans, qui n’ont jamais eu à se louer de l’église espagnole.
Les Navarrais. Ces paysans, moitié-basques, moitié-espagnols constituent, semble-t-il le seul élément vraiment populaire du camp des rebelles. Catholiques d’abord, ils marchent avec le scapulaire au cou comme les chouans d’autrefois. Le général Mola leur a promis une vague, très vague autonomie. Ca leur suffit, et ils jugent sévèrement leurs compatriotes de Guipuzcoa de ne pas s’être joints à eux.
La Droite. Sous cette appellation générale, se groupent tous les partis politiques de droite, allant des monarchistes aux républicains modérés. On y rencontre les nobles dépossédés de leurs domaines par la révolution ; les industriels et les banquiers, qui savent le sort qui les attend si les communistes et surtout les anarchistes leur mettaient la main au collet ; les bourgeois, épouvantés par le spectre des Soviets (…) qui veulent à tout prix empêcher un démantèlement de l’Espagne.
Les Fascistes. Je les ai gardés pour la fin, car ils constituent l’inconnu du problème. Représentent-ils un sursaut populaire comparable par sa sincérité au nazisme ? Ne sont-ils en réalité qu’une milice de volontaires, simples auxiliaires de l’armée ? Nous avons là peu de renseignements à leur sujet. Jusqu’à nouvel ordre, nous nous les représentons volontiers comme une organisation analogue à nos J. P. (Mordrel fait allusion au mouvement d’extrême-droite des Jeunesses Patriotiques), c’est-à-dire des gens incontestablement dévoués à un idéal patriotique élevé, se croyant sincèrement révolutionnaires et amis des travailleurs, mais au demeurant, assez pauvres en idées sociales constructives. Pour corser la salade, du côté du « Frente Popular », combattent des milliers d’Irlandais, d’Italiens, de Français, de Belges, d’Allemands, et du côté des rebelles, des milliers de Biffins. Pour ce qui est des atrocités, les anciens soldats d’Abd-el-Krim n’ont rien  à apprendre des anarchistes, ni des bandits de droit commun qu’ils ont libéré de prison. L’Espagne d’ailleurs n’a jamais été tendre. Les soldats de Napoléon ont raconté autrefois de bien terribles histoires à nos arrières grand-mères. Pour finir, il semble que la Russie et la France favorisent les gouvernementaux, tandis que l’Italie, l’Allemagne et le Portugal soutiennent les rebelles, avec tous les démentis nécessaires à l’appel bien entendu. »
- Le 4 octobre 1936, un certain « Allbrogat », pseudonyme de Célestin Lainé, livre sa vision des « Événements d’Espagne » et rappelle à son tour la nécessité d’une neutralité : « Les nationalistes basques et catalans s’étaient alliés au Front Populaire ; on ne peut plus dire qu’ils le soient aujourd’hui, mais bien plutôt qu’ils sont submergés par les extrémistes de ce Front auquel ils ont lié leur fortune, ils y sont traités en auxiliaires suspects à juste titre… de non-orthodoxie vis-à-vis du marxisme. Quelles sont les chances du Front Populaire ? Je parle en empirique et non en partisan, et voici : je les crois très faibles, car nous avons toujours vu qu’une armée disciplinée l’a emporté sur les cohues populaires ; les chefs de celles-ci sont poussées par leurs troupeaux bien plus qu’ils ne les dirigent. Les masses populaires n’ont de chances sérieuses que lorsque l’armée est en décomposition, ou bien neutre ou complice. L’armée espagnole étant intacte, et décidée à ce qu’il semble, j’ai bien peur que nationalistes basques et catalans n’aient misé sur la mauvaise carte. Pourtant, me direz-vous, ils ne pouvaient guère faire autrement, le Front Populaire étant le seul à leur promettre quelque autonomie ? Mais voilà, il ne fallait pas se laisser séduire par le mirage de ce qui n’était d’ailleurs qu’une promesse d’autonomie, et quelle autonomie ! Dans le genre de celles de l’Ukraine et de la Géorgie en URSS. Puisque les nationalistes basques et catalans n’étaient pas assez forts chez eux pour y mâter tous les partis espagnols simultanément, ce qui était le cas en Irlande en 1921 en face du gouvernement anglais, il fallait officiellement rester neutres et reconnaître que la partie ne se jouait pas pour eux cette fois-ci. Pour nous Bretons, la leçon des événements me paraît claire : en cas de troubles analogues en France, gardons-nous de prendre parti dans notre situation matérielle actuelle. Restons neutres. »
Après l’occupation de la Catalogne par les troupes franquistes le 5 février 1939, Companys passe la frontière
et se réfugie en France.
- Le 9 avril 1939, une semaine après la fin de la guerre civile, Breiz Atao, qui sera interdit de publication le 27 août de la même année, publie le dernier article sur les événements espagnols : « Voici terminée pour de bon la croisade contre le « fascisme international » par la victoire du dit fascisme. Le colonel Casado a eu le temps de s’enfuir et il a trouvé un refuge confortable à Londres où on l’attendait. Ce petit détail n’est pas fait pour démentir le bruit selon quoi les propositions de « paix honorable » de la Junte de Madrid émanaient de l’Intelligence Service, tardif ouvrier de la onzième heure. C’est que l’Angleterre qui depuis le début tient la balance égale entre Valence et Burgos, aurait bien aimé une paix de « réconciliation » impliquant l’expulsion des germano-italiens. On se souvient de l’effort énergique mené naïvement dans le même sens par MM. Bérard et Pétain. On aime à se faire des gorges chaudes en France des fameux manques de tact allemands. Que dire alors de l’impudeur des Franco-Anglais osant demander aux Espagnols de trahir leurs camarades de combat contre un peu d’argent ! Cette lourde, trop lourde manœuvre a fait long feu. C’est à Berlin qu’on a ri et une mission militaire allemande est partie pour l’Espagne. Tout ceci est régulier et nous n’y trouverons rien à redire si Franco daignait accorder au noble peuple basque le quart du respect qu’il a pour les Marocains. »
Alors que les Catalans luttaient les armes à la main contre le fascisme, les nationalistes bretons se déshonoraient totalement en ayant placé leurs espoirs d’indépendance dans la victoire des nazis. C’est en Bretagne, à La Baule, que Companys est arrêté par la police allemande le 13 août 1940, puis livré à la dictature militaire espagnole. Jugé et condamné à mort, il sera fusillé à Barcelone le 15 octobre 1940.
1 – Ce « Karannoz » m'a donné pas mal de fil à retordre car il ne figure pas dans Les pseudonymes des Bretons, l’ouvrage de référence de Jean Malo-Renault.
Pour les lecteurs qui souhaiteraient consulter Breiz Atao, il suffit de se rendre à la bibliothèque des Champs Libres à Rennes où une collection complète est consultable sur microfilms et duplicable sur clef USB.

J’ai demandé à mon ancien camarade du Parti Communiste Breton (Pour reprendre l'expression vue sur un site d'information breton que j'ai ironiquement rebaptisé « Le monde comme si » pour ne pas le nommer, nous étions alors les « boulets rouges » du mouvement breton) et bon connaisseur de la péninsule hispanique, de bien vouloir conclure mon exposé :
« La dépouille de Companys fut jetée dans une fosse commune où l’on mêlait indigents et fusillés anti-fascistes. Aujourd’hui, le Fossar de la Pedrera, sur la colline de Montjuïc à Barcelone, est le lieu du mémorial catalan. Mais l’histoire ici enterrée, dont les franquistes avaient voulu réduire les ossements sous des pelletées de chaux, ne se revit sous forme ni de tragédie ni de farce mais elle se réveille. 2017 n’est pas 1934, ni 1931, ni 1873, ni 1641, 2017 est la cinquième proclamation de la république catalane. Quoi que l’on en pense, cette proclamation a eu lieu. Et ni les historiens du passé ni les analystes politiques de l’avenir n’auront le dernier mot sur celle qui est en train de se faire. Contentons-nous de reconnaître que l’histoire est une auberge espagnole. Et que chacun y trouvera toujours de quoi faire de beaux rêves ou provoquer des cauchemars.
Vus de Bretagne, les événements de l’Entre-deux-guerres eurent un sens tout particulier mais une chose manquait à ceux qui y voyaient tantôt un exemple, tantôt une leçon : les Catalans brisaient là d’avec une monarchie, comme firent les Irlandais et le désirent beaucoup d’Écossais. Ne faut-il pas considérer ce séparatisme comme l’expression toujours vive de l’idéal clef des Lumières, un régime laïc émancipé de formes politiques héritées du passé féodal ? Un défi majeur, le choix d’une forme suprême d’intranquillité par la mise au rancart des successions toutes trouvées. L’Espagne d’aujourd’hui repose sur une constitution monarchiste et c’est le franquisme qui a déroulé le tapis rouge du retour de ses têtes couronnées. Certes, les monarchies constitutionnelles pullulent dans notre vieille Europe. Mais leur mémoire n’a pas subi la chaux de Montjuïc ni été soumise au blanchiment forcé du « pacto del olvido », le pacte de l’oubli voté en 1977 au lendemain du retour de la démocratie. Rappelons-nous le juge Baltazar Garzón, qui sait ce que signifie l’oubli au nom de la loi. Les Catalans ne sont pas oublieux. Mais nous ne croyons pas, ni même ne pourrions le souhaiter, que l’indépendantisme catalan soit mû par l’esprit de revanche. Et, indéniablement, il dessine une forme de résurgence de cette mémoire non neutre, ineffaçable, à travers la revendication d’indépendance et de changement de régime.
Au lendemain du 27 octobre 2017 quelques soutiens publics significatifs : îles Féroé, Ossétie du Sud, Flandre, Corse…En Catalogne, en ce nouvel an 01 dont nul ne saurait dire vers quoi il évoluera, un fossé s’est ouvert, en Espagne aussi. L’Europe, pataude, y trouve un nouveau sujet de crise. Les États s’empressent de condamner. Rien que de très prévisible, pour ainsi dire, de normal dans tout cela. Mais les solidarités des uns et les antagonismes des autres, les craintes et les désirs qui s’opposent, trouveraient peut-être moins de quoi se déclarer, se nourrir de logiques de virulence et de confrontation en croissance si la vieille Europe se gérait à la façon de la Suisse, le seul exemple d’une confédération qui fonctionne comme tel. Les logiques supranationales de l’Union européenne ne sont pas encore fédérales. Tant qu’il y aura des entités dites États nations, il y aura des nations sans état et des nations nationalistes. De ce point de vue, Madrid et Barcelone jouent au chat (les griffes de l’article 155) et à la souris (l’astuce des urnes). Nous devons seulement espérer ou faire en sorte qu’un ogre n’en profite pas pour mettre fin au jeu. »

mercredi 18 octobre 2017

Crimes de guerre à Sainte-Anne d'Auray



La libération de Vannes s’est effectuée dans une certaine confusion entre les 4 et 6 août 1944. Avertis de l’approche des troupes américaines, les Allemands avaient commencé à organiser leur évacuation dans la nuit du 3 au 4 en détruisant du matériel et incendiant des bâtiments. Le vendredi 4 au matin, les derniers éléments ennemis quittent la ville et les premiers FFI arrivent dans l’après-midi. Le préfet en place est aussitôt démis et remplacé par M. Onfroy. Dans la soirée, deux jeeps américaines pénètrent en ville. Cependant, tout danger n’est pas écarté. Le samedi 5 août, des convois de troupes allemandes en déroute traversent la ville pour tenter de rejoindre les poches de Lorient ou Saint-Nazaire. Le soir même les Américains arrivent en force. Le dimanche 6 août à l’aube, les Allemands, environ 2 000 hommes, tentent de reprendre la ville en venant d’Auray. Ils sont stoppés à l’entrée de Vannes, vers Keranguen, par une contre offensive américaine qui fait environ 800 prisonniers et de nombreux tués.
Le vendredi 4 août dans la matinée, désireux de couvrir leur retraite vers Lorient, les Allemands avaient installé un canon, pointé en direction de Vannes, sur la place de la République d’Auray. Ceux-ci se retirant en début d’après-midi, les Alréens, pensant leur ville libérée, manifestent leur joie en descendant dans la rue et en hissant le drapeau national sur l’hôtel de ville. Mal leur en a pris. En effet, le lendemain, prenant conscience de cette erreur tactique et désireux de maintenir une liaison permanente entre les troupes de la région de Lorient et celles de Saint-Nazaire, le général Fahrmbacher donne l’ordre de reconquérir le secteur que venaient d’investir les hommes du 2e Bataillon FFI de Le Garrec. Les escarmouches, violentes, vont durer tout le week-end et faire quelques victimes.
Pendant ce temps, non loin de là, à Sainte-Anne d’Auray, va se dérouler un drame qui suscitera une réelle émotion à la Libération car les deux abbés étaient très connus et estimés dans la région. Selon Roger Leroux : « Le commandant Le Garrec pense que le moment est venu de liquider la présence ennemie à Sainte-Anne d’Auray. Il cerne l’hôpital militaire installé dans le juvénat des Filles du Saint-Esprit ; établi à l’hôtel de la Paix, il y convoque deux prêtres, l’abbé Le Barh, recteur de la paroisse et l’abbé Allanic, professeur économe au petit Séminaire et conseiller municipal de Pluneret, et leur confie la mission d’aller sommer de se rendre le médecin-chef, le docteur Ernest Berges. Vers 19 h, ils remettent l’ultimatum à Berges qui les reçoit courtoisement mais leur oppose une fin de non-recevoir : « Nous ne pouvons nous rendre à une troupe irrégulière sans des instructions formelles de nos chefs. »Dès qu’ils sont partis, il téléphone à Lorient pour demander qu’on vienne évacuer l’hôpital et des camions chargés de soldats arrivent vers 22 h. Une heure plus tard, une patrouille guidée par Berges se risque hors de l’hôpital et lance quelques grenades puis échange des coups de feu avec des patriotes postés aux alentours. Berges et plusieurs sous-officiers reçoivent de graves blessures.  » (1) Dans le cadre des enquêtes sur les crimes de guerre commis par les Allemands, ces événements ont fait l’objet d’une enquête, suivie d’un rapport, rédigé le 14 mars 1945 par la gendarmerie d’Auray. Extraits :
« Le vendredi 4 août, vers 16 h 30, sur la demande du commandant Le Garrec, chef des FFI de la région d’Auray, les abbés Allanic et Le Barh ont accepté la mission d’aller présenter au médecin-chef allemand de l’hôpital militaire de Sainte-Anne d’Auray, une proposition de capitulation rédigée comme suit :
Monsieur le Médecin-Chef,
A titre de délégué de la Croix Rouge et de conseiller municipal, nous avons l’honneur de remplir envers vous une mission délicate que nous ne croyons pas devoir refuser pour raison d’humanité.
A l’instant, un Chef des Forces Françaises de l’intérieur nous propose de vous transmettre son invitation de vous constituer prisonnier avec votre personnel. A cette condition, et qu’aucune destruction ne soit faite à l’immeuble et à vos armes, il garantit, dit-il, qu’il n’y aura pas d’effusion de sang. Dans le cas contraire, il ordonnerait à ses hommes d’engager une action par les armes. Ce chef vous demande de lui faire connaître votre réponse avant ce soir à 20 h, soit en vous présentant à l’hôtel de France, soit en hissant le drapeau blanc à la porte d’entrée du Lazaret. Notre rôle consistant uniquement dans un sentiment d’humanité, nous sommes persuadés que vous voudrez bien le comprendre ainsi. Veuillez agréer, Monsieur le Médecin-Chef, nos respectueuses salutations. »
Médecin-chef Ernst Bergues
D’après Roger Leroux, le commandant Le Garrec était installé à l’« Hôtel de la Paix » de Sainte-Anne d’Auray, alors que dans le rapport il est fait état d’un « Hôtel de France », qui se situait rue Billault à Vannes. Toujours est-il que vers 19 h 30, les deux abbés se sont bien présentés à la grille du Lazaret et ont été conduits aussitôt au sous-chef, lequel, après avoir pris connaissance et communiqué l’ultimatum au médecin-chef alors occupé : « A fait connaître aux parlementaires que le commandant, médecin-chef Bergues, n’était pas disposé à se rendre à une troupe irrégulière. » Selon le rapport, les deux abbés ont déclaré le soir même que « l’attitude du sous-chef a été d’une correction parfaite. » Reconduits jusqu’à la sortie, ils ont cependant constaté que dès qu’ils avaient quitté l’hôpital des dispositions avaient été prises pour le défendre et que l’alerte avait pu être donnée pour obtenir des renforts. Jusqu’alors en effet, il n’y avait à Sainte-Anne d’Auray que le détachement de santé qui occupait le juvénat.
D’après l’enquête, de brèves attaques menées par des patriotes ont lieu le soir même vers 23 h autour de la Scala Sancta, mais sans résultat.
Le samedi 5, vers 6 h 30, une colonne de plusieurs camions allemands, chargés de nombreux militaires armés, arrive à Sainte-Anne en provenance de Pluneret. Elle est accrochée à l’entrée du bourg par quelques coups de feu tirés par plusieurs FFI qui disparaissent aussitôt, ce qui provoque des représailles immédiates. Un vieil homme, Stanislas Le Louër, âgé de 74 ans, jardinier à Sainte-Anne, est massacré à coups de crosses et sa maison incendiée. Le cadavre de Xavier Brianceau, 33 ans, rédacteur à la préfecture de Vannes et domicilié à Sainte-Anne, sera retrouvé affreusement mutilé dans une prairie, à proximité de la scierie Cicarec. La troupe, commandée par un certain lieutenant Roschlau, d’après Roger Leroux, traverse Sainte-Anne en formation de combat, se rend à l’hôpital et rafle en cours de route tous les hommes qui circulaient. Un groupe de soldats allemands se dirige ensuite vers la basilique mais est attaqué par des résistants, dissimulés derrière des maisons rue de la Fontaine. Les Allemands font immédiatement évacuer tous les hommes, femmes et enfants du quartier puis les regroupent dans la cour de l’hôpital. Lors de cette embuscade, Mme Augustine Henry, veuve Guégant, 64 ans, réfugiée de Lorient, est tuée d’une balle dans le dos et deux immeubles de la rue sont incendiés. Au même moment, les soldats qui avaient cerné la basilique et le petit séminaire font feu dans toutes les directions pour en interdire la sortie. Ceux qui avaient pénétré dans l’édifice font également usage de leurs armes (Des traces de balles seront longtemps visibles à la sacristie et dans les couloirs du séminaire). L’office interrompu, les religieux sont  immédiatement rassemblés puis conduits sous la menace des armes dans la cour de l’hôpital où se trouvaient déjà les civils, bras en l’air face au mur qui longe la route de Brec’h.
La rafle terminée, le médecin-chef Ernst Bergues se présente dans la cour, accompagné de quelques militaires et d’une interprète, Madeleine Heit. Aussitôt, Bergues demande après les abbés Le Barh et Allanic. Il ne semble pas les connaître puisque c’est Madeleine Heit qui les désigne. Sortis du rang, ils sont brièvement interrogés sur leur intervention de la veille. Conduits un peu à l’écart des autres prisonniers, une vingtaine, l’abbé Louis Allanic, 57 ans, né à Lignol, et l’abbé Joseph Le Barh, 48 ans, né à Pluvigner, sont immédiatement abattus d’une double rafale mitraillettes suivie de deux coups de grâce. Pendant ce temps, les Allemands s’organisent pour évacuer l’hôpital car les Américains ne sont plus qu’à quelques kilomètres de Sainte-Anne. Laissant les prisonniers face au mur, le convoi prend se replie sur la poche de Lorient, non sans qu’un soldat, au moment du départ d’une des dernière voiture, balance une grenade par-dessus le mur de clôture, blessant les professeurs Caudal, Bouchet, Derian et Le Bourhis ; tous du petit séminaire. Auparavant, deux autres soldats allemands, descendus d’une des voitures sur l’esplanade de la basilique avec des seaux d’essence, mettent le feu aux stalles des chœurs, ainsi qu’aux bancs et aux confessionnaux. L’alerte donnée dès leur départ va heureusement permettre de circonscrire les sinistres.
Ernst Bergues et son épouse
La reddition de ce Lazaret, avec sa faible garnison, présentait-elle un intérêt militaire stratégique ? N’eut-il pas été plus sage d’attendre l’arrivée des colonnes blindées américaines qui étaient proches ? Quoi qu’il en soit, cette initiative du commandant Le Garrec, de proposer au Médecin-chef du Lazaret de se constituer prisonnier afin d’éviter des combats inutiles, partait certainement d’une bonne intention, mais force est de constater qu’elle avait peu de chance d’aboutir, tant il était probable qu’un officier supérieur allemand répugnerait à déposer les armes pour se rendre à un « terroriste », fut-il commandant FFI. En effet, le même jour, à quelques kilomètres de là, un clerc de notaire, Eugène Pillet, est également missionné pour aller au château d’Éreck, en Questembert, afin de remettre aux Allemands qui s’y trouvent une sommation de se rendre. Arrêté, Pillet sera fusillé dans la soirée au lieu dit « Le Rosier » en Péaule.
Luchmann
Comme souvent, dans ces enquêtes sur les crimes de guerre, il ne sera pas simple d’identifier les coupables et d’établir les responsabilités de chacun. La tache sera d’autant plus difficile que les suspects, s’ils n’ont pas pris la fuite vers l’Allemagne, doivent se trouver dans la poche de Lorient qui, à cette date, n’est toujours pas libérée. D’après le rapport des gendarmes, il ressort clairement qu’Ernst Bergues est le principal responsable des toutes ces atrocités. Deux autres allemands, les officiers Reckitt et Luchmann, inspecteurs au ravitaillement, sont également impliqués. Karl Strobl, qui faisait partie de l’état-major du Lazaret, aurait également joué un rôle important « Pendant l’occupation il s’est fait remarqué à Sainte-Anne par sa nervosité et sa méchanceté envers les Français. » Cité également dans le rapport, un certain Bauer, officier SS « Pur nazi, il était fréquemment en civil. Il a été atteint d’une paralysie faciale et il en porte les traces. » D’après une interprète de nationalité belge, Yvonne Libricht, le docteur Rainer, témoin des faits, serait susceptible de fournir toutes les indications nécessaires.  Le docteur Jules Tinschert aurait également participé à ces crimes. L’interprète Madeleine Heit était d’origine alsacienne « Il a été constaté qu’elle avait des idées nettement allemande. Sa part de responsabilité n’a pu être définie. Personne ne peut affirmer si elle a été arrêtée et remise aux autorités américaines. Il semble plutôt qu’elle se trouverait à Lorient où sont également les principaux auteurs des faits relatés. C’est également l’avis des employés de la Mairie de Lorient repliés à Auray qui la connaissent parfaitement. » Et le rapport de conclure « Malgré les recherches effectuées, il n’a pas été possible de savoir quel était le nombre exact des militaires qui participaient à ces crimes ni à quelle unité ils appartenaient. Il s’agissait d’une unité appelée en renfort par le Médecin-Chef Bergues. » D’après Roger Leroux, Karl Strobl, surnommé « Pistol », sera condamné à Paris à 5 ans de travaux forcés et Roschlau aux travaux forcés à perpétuité.
(1) Roger Leroux, Le Morbihan en guerre, p. 540