Au terme d’un séjour d’une
quinzaine de jours dans un lycée protestant de Strasbourg, début octobre 1944,
le Bezen franchit le Rhin pour se rendre au village d’Ödsbach, à quelques
kilomètres au sud d’Oberkirch, où il s’installe dans la salle d’un café
réquisitionné à leur intention. Après de multiples désertions, le groupe ne
compte guère plus d’une quarantaine de membres. Pendant un mois, l’emploi du
temps est essentiellement consacré à des cours de langue bretonne et des
conférences sur l’histoire et la géographie de la Bretagne, entrecoupés de
marches en Forêt-Noire. Célestin Lainé, qui apparaît très peu, dispose d’une
chambre réquisitionnée dans une ferme proche. En son absence, le véritable
responsable est un officier SS d’origine alsacienne, le lieutenant Wilde,
détaché par Hermann Bickler auprès du Bezen, dont il s’occupe du ravitaillement
et de l’administration, mais c’est Ange Péresse qui transmet les ordres. Wilde
fait également des causeries sur la marche des événements en cours ainsi que
sur les capacités économiques et militaires de l’Allemagne.
Début novembre, le Bezen prend ses
quartiers à Hohenentringen, petite ville située au sud de Stuttgart. Toujours
les mêmes cours et marches à la boussole. Visiblement, les Allemands ne savent pas
trop quoi faire de ces Bretons dont la valeur militaire est quasiment nulle. A
ce moment, c’est Péresse qui dirige le groupe car Lainé est à Marburg où il
doit rencontrer Marcel Guieysse, un des chefs historiques du PNB. De son côté,
Wilde est parti pour Tübingen, où il est projeté d’installer le PC de la
formation. Les membres du Bezen qui étaient revêtus de vêtements civils lors de
leur départ de Rennes touchent un uniforme Waffen SS.
Début décembre, le Bezen s’installe
donc à Tübingen, dans une maison située
à l’écart et près d’un terrain de sport. Lainé a rejoint le groupe mais il loge
toujours chez des particuliers. Au cours et formations, s’ajoutent désormais des
exercices militaires. Le 16 décembre, jour du premier anniversaire de la
création du Bezen après l’exécution de l’abbé Perrot, survenue le 12 décembre
1943, une cérémonie avec appel aux morts est organisée. Alan Heussaf, Marcel
Bibé et Goulven Jacq reçoivent la médaille des blessés allemands. Les membres
du Bezen qui remplissaient les fonctions de chef de groupe en Bretagne font
l’objet d’une promotion dans la Waffen SS, dont les grades se répartissent
comme suit :
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Célestin Lainé « Hénaf » Untersturmführer
(Sous-lieutenant), Ange Péresse « Cocal » : Sturmscharführer (Major), Alan Heussaf « Professeur ou
Rouat » : Hauptscharführer
(Adjudant-chef).
-
Sont nommés au grade
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Louis Feutren "Le Maître" |
d’Oberscharführer (Adjudant) :
Goulven Jacq « Le Maout », Louis Feutren « Le Maître ».
-
Sont nommés au grade d’Unterscharführer
(Sergent) : Joseph Morvan « Konval »,
Jean Bourhis « Guével », Jean Guiomard
« Pipo », Émile Luec « Forster »,
Michel Chevillotte « Bleiz », Jean Le Noac’h « Rouzic ».
-
Sont nommés au grade de Rottenführer
(Caporal-chef) : Marcel Bibé « Targaz », Raymond Jégaden « Le
Coz », François Jarnouen « Moreau », Joseph Cattelliot « Morel »,
André Chevalier « Mareg », René Hervé
« Marcel », Julien Le Boédec « Poher ou Collet », Roger
Legendre « ? », Maurice Lemoine « Manac’h », Jacques
Louboutin « Le Trier », Raymond Magrez « Coquet ». Les
autres membres du Bezen restent simples soldats. La cérémonie se termine par un
banquet d’adieu, au cours duquel Lainé leur annonce que dans quelques jours, ils
allaient passer à l’action et être dispersés par petits groupes dans toute
l’Allemagne.
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Trois membres du Bezen à Tübingen |
Le 29 décembre, Lainé réorganise la
formation et convoque à son bureau huit hommes prélevés dans les différents
groupes (Le Bezen fonctionnait par groupes de cinq hommes) : Goulven Jacq
« Le Maout », Joseph Cattelliot « Morel », Joseph Morvan
« Konval », André Chevalier « Mareg », Pierre Hirgair
« Yvarc’h » Joseph Le Dret « Melen », Ernest Kerviel
« Glaz », et André Geffroy « Ferrand » : « En arrivant dans son bureau, Lainé nous fit
savoir que les membres de la formation ne pouvaient rester plus longtemps à Tübingen
sans rien faire et que nous devions aider les Allemands en nous engageant soit
dans des kommandos de la Waffen SS, soit en suivant des cours dans une école de
sabotage ou comme agent radio dans les Services spéciaux. Au cours de cet
entretien nous devions remplir chacun une fiche individuelle. Après avoir pris
connaissance de nos fiches, Lainé demanda à chacun de nous si nous acceptions
d’être admis dans une école pour y suivre des cours spéciaux de sabotage. Nous
avons tous accepté car personne ne voulait combattre dans une unité de la
Waffen SS. » Péresse et le lieutenant Wilde assistent à l’entretien, à
l’issue duquel Lainé ordonne aux volontaires d’aller au cantonnement récupérer
leurs bagages et de ne pas faire savoir à leurs camarades qu’ils partaient
faire un stage dans une école de sabotage, dont ils ignorent l’emplacement. Vers
17 h, Eugène Schumacher, un aspirant de la Wehrmacht,
conduit le groupe à la gare de Tübingen afin de prendre un train à
destination de Horb, où il passe la nuit, puis ensuite vers Altensteig
(Bade-Wurtemberg) et enfin le village proche d’Ettmannsweiler, où ils sont
logés séparément chez des particuliers.
Nous ne disposons que
d’informations parcellaires sur cette nouvelle organisation en quatre
groupes d’une dizaine d’hommes chacun. Les anciens du Bezen ayant pris la fuite en
Allemagne et que j’ai pu rencontrer – le premier fut Alan Heussaf, chez lui à Dublin, en
1973 – n’étaient pas très loquaces sur le sujet. Un groupe choisit la Waffen SS, sous les ordres de Péresse,
qui entraîne avec lui les plus déterminés, dont Michel Chevillotte
« Bleiz », Jean Bourhis « Guével », le jeune Marcel Bibé
« Targaz », qui s’était engagé au Bezen alors qu’il n’avait que 17
ans. Il sera capturé par les Russes sur le front de l’Est. Il y a aussi un
certain « Teil », que je n’ai pas réussi à identifier. Un groupe
radio est basé à Stetten, en Forêt-Noire, où seraient présents Raymond Magrez
« Coquet », Maurice Lemoine « Manac’h », René Guyomard
« Morin », François Jarnouen « Moreau », Joseph Hirgair
« Skav ». Un groupe Propaganda,
avec Jean Guyomard « Pipo », Émile Luec « Forster », Gilbert
Foix « Eskob », Raymond Jegaden « Le Coz » (1), Jean
Guyomard « Pipo », Georges Esnol « Edwin », reste avec
Lainé à Tübingen. Ce qui n’empêchera pas des transferts d’un groupe à l’autre.
Pour le groupe de sabotage
d’André Geffroy, les cours commencent dès le 2 janvier 1945 à l’école
d’Ettmannsweiler. Schumacher leur explique les différentes façons d’utiliser le
plastic anglais, sa composition et sa force de déflagration. Le principal
avantage de cet explosif étant sa maniabilité, surtout pour le sabotage des
voies ferrées. On peut même le faire fondre au bain-marie pour le dissimuler
dans un récipient quelconque. Par contre, on ne peut le faire exploser qu’à
l’aide d’une mèche lente ou d’un crayon allumeur. Des exercices pratiques sont
effectués en campagne, avec également des explosifs allemands. Une semaine
après son arrivée, le groupe est divisé en deux équipes sur ordre de Lainé.
Goulven Jacq, Joseph Morvan, André Chevalier et Pierre Hirgair sont désignés
pour suivre des cours de radio. Ils sont rejoints par Émile Luec, qui arrive de
Tübingen. L’objectif est de les utiliser ultérieurement dans les services de
renseignements allemands comme opérateurs radio. Le reste du groupe continue
l’instruction aux sabotages durant tout le mois de janvier, avec toujours des
marches d’une vingtaine de kilomètres en forêt. Ils doivent apprendre à s’orienter
à l’aide d’une boussole ou d’une carte d’état-major. A défaut d’instruments, la
mousse au pied des arbres indiquera le nord, tandis que l’autel d’une église
est généralement orienté vers l’est.
Début mars, commence
l’instruction aux méthodes de sabotage, où il est question « d’explosifs
en néolite » présentés par Schumacher sous forme de semelles en
caoutchouc, de ceintures de pantalons, et d’authentiques imperméables auxquels
il suffisait d’installer un détonateur pour provoquer une explosion. Il y a
également des engins explosifs présentés sous forme de boîtes de conserves.
Fin mars, face à l’avancée des
troupes alliées, les deux groupes doivent se replier sur la Bavière à
Fürstenfeldbruck, près de Munich, mais font auparavant une halte à Tübingen.
Hirgair et Le Dret se rendent au PC du Bezen et reviennent à la gare en
compagnie de Lainé, qui s’entretient avec Schumacher. Arrivés à
Fürstenfeldbruck, les hommes s’installent d’abord dans un couvent pendant une
semaine, puis se rendent ensuite dans une école de garçons située au village de
Hohenweiler, près du lac de Constance. Les repas sont pris dans un restaurant
de la ville. Les cours continuent durant tout le mois d’avril, avec deux
instructeurs supplémentaires parlant très bien le français. A ce moment,
Schumacher leur annonce qu’à l’issue de leur formation, ils seraient envoyés en
mission de sabotage en Bretagne, sans plus de précision, sinon qu’il était
question de la base sous-marine de Lorient, d’où il serait relativement facile
de franchir les lignes alliées pour se rendre dans le centre-Bretagne, où du
matériel de sabotage serait parachuté.
Fin avril, toujours à
Hohenweiler, Le Dret annonce à Geffroy qu’un homme, qui avait sans doute obtenu
l’autorisation de Schumacher, demande à lui parler, à côté de l’école. Cet énigmatique
visiteur, âgé d’environ 35 ans, qui se présente de la part de Lainé, déclare
être le Dr Husson, d’origine alsacienne. Il dit connaître très bien la Bretagne
et la question autonomiste car il était déjà en contact avec Lainé
avant-guerre. Après un rapide exposé de la situation allemande, et au vu de la
rapidité de l’avance des Alliés, il conseille à Geffroy de rentrer le plus vite
possible en France puis de chercher du travail dès son arrivée, soit dans une
ferme, soit sur son métier (Il était forgeron), et de faire son possible pour
entrer en contact avec ses autres camarades du Bezen. Husson ne donne aucune
consigne spéciale, sinon celle de tout mettre en œuvre pour faciliter le
regroupement des membres du Bezen, à la suite de quoi Lainé rentrerait en
Bretagne pour donner des ordres. A l’issue de cet entretien, Husson remet à
Geffroy la somme de 16 000 francs en billets, afin de couvrir ses frais, le
temps de trouver du travail.