vendredi 18 juin 2021

La bataille de Saint-Marcel : L'autre 18 juin

Il y a 77 ans aujourd’hui, se déroulait la bataille du camp de Saint-Marcel, qui a fait l’objet d’un chapitre : 18 juin 1944 : le « combat légendaire » de Saint-Marcel, dans mon prochain livre Chez nous il n’y a que des morts, à paraître lors de la prochaine rentrée littéraire.

En voici quelques extraits :   

P. 125

La bataille de Saint-Marcel, qui occupe une place particulière dans la mémoire collective de la Résistance bretonne, a fait l’objet d’une multitude d’ouvrages dans lesquels il n’est pas toujours évident de se retrouver. Dès le mois d’octobre 1944, paraît une petite brochure intitulée Jours d’épreuve dans le Morbihan. D’après son auteur, le docteur Devau, l’arrivée d’une patrouille allemande près du camp était intentionnelle :

 

« Les Allemands avaient envoyé huit policiers en voiture à Saint-Marcel probablement pour tâcher d’avoir des renseignements précis sur le camp. Les avant-postes du camp attaquèrent les deux voitures de la police allemande dans le bourg de Saint-Marcel. Quatre Allemands furent tués, deux furent faits prisonniers, l’un d’eux fut blessé. Le huitième put s’échapper et réussit à avertir le cantonnement allemand se trouvant à Malestroit, à 8 km de la bourgade de Saint-Marcel. Ceci s’est passé vers 6 heures du matin. Jusqu’à 10 h 30, tout resta calme. Puis on entendit les premiers coups de feu qui déclenchèrent la bataille[1]. »

 

Au mois de décembre suivant, c’est le journal Ouest-France, nouveau titre de L’Ouest-Éclair, qui publie un article signé Jean Le Duigou, où l’on retrouve bien ces deux voitures allemandes mais aussi l’étonnante présence d’automitrailleuses sur le champ de bataille :

 

« Pour armer ces milliers d’hommes, le camp de Saint-Marcel est constitué. Les bataillons défilent et repartent, armés, à travers le département. Nuit après nuit, les vagues d’avions déversent leur chargement : 700 containers en une seule nuit, 25 automitrailleuses et, plus tard 25 « Jeeps ». Le dimanche matin 18, deux autos de feldgendarmes parviennent jusqu’au PC de La Mouette (sic). Un seul Allemand réussit à s’échapper. C’est l’alerte, le combat. Non, la bataille. Des troupes de Villeneuve[2] engagent le contact dans la matinée. Les quatre bataillons qui se trouvent au camp, 2 000 hommes, font feu[3]. »

 

Au mois de mai 1945, paraît le livret Une heure avec les FFI du Morbihan du  résistant Joseph Gasnier. L’auteur, qui a probablement lu l’article d’Ouest-France, évoque lui aussi la présence d’automitrailleuses, mais situe l’attaque proprement dite du camp à 6 heures : « 200 Allemands environ attaquèrent en formations serrées croyant ne rencontrer qu’une résistance très faible. Ce premier détachement fut complètement anéanti par les armes automatiques et les automitrailleuses sans aucune perte pour les défenseurs du camp[4]. » En 1946, le petit ouvrage collectif Dans le maquis breton avec ceux de l’ORA revient à son tour sur la bataille, mais en se concentrant sur l’épopée du bataillon Le Garrec, avec toujours cette idée d’Allemands envoyés en reconnaissance : « Prudemment, ils envoyèrent deux voitures avec 8 feldgendarmes qui s’engagèrent sur la route partant de Saint-Marcel vers l’ouest et qui traverse tout le camp. Sept sur huit furent tués ou faits prisonniers. Du côté FFI il y eut un mort : le sergent-chef Le Canu, et deux blessés. Après cette avant-garde, vers 6 h 30, les Allemands attaquèrent en force sur le front au nord du château de Les Hardys[5]. »


 

En 1947, dans le contexte d’affrontement mémoriel entre communistes et gaullistes, la bataille de Saint-Marcel - Ce combat légendaire dont on s’entretiendra longtemps à la veillée[6] - avec ses anciens officiers de carrière ou de réserve de l’ORA et des FTP réduits à la portion congrue, réunit toutes les conditions pour devenir un des symboles fondateurs du mythe résistancialiste gaullien en Bretagne. La consécration aura lieu le 27 juillet 1947, avec la venue du Général en personne pour poser la première pierre du monument de La Nouette. Ce sera aussi l’occasion pour Le Maquis breton de publier un long article « Ce que fut la Bataille » qui, longtemps après-guerre, restera une référence pour de nombreux historiens. Après avoir fait un état des lieux des forces en présence, Le Maquis breton évoque bien l’accrochage avec les deux voitures, mais n’explique pas leur présence en ce lieu à une heure aussi indue :

 

« Á 4 h 30, heure solaire (qui sera seule utilisée dans l’étude du combat) deux voitures de feldgendarmes pénétraient dans le camp par la route de Saint-Marcel à l’Abbaye. La première passe le barrage, mais la deuxième est détruite par un tir anti-char. Les feldgendarmes du premier véhicule ouvrent le feu immédiatement sur le poste des maquisards qui tiennent la route, tuant le sergent-chef Le Canut et blessant deux FFI du bataillon Le Garrec. Les maquisards ripostent, tuent cinq Allemands et font deux prisonniers, dont l’un va réussir à s’échapper et donner l’alarme[7]. »

 

P. 129

Le 3 novembre 1948, les policiers qui enquêtent sur les crimes de guerre commis à Saint-Marcel interrogent le PGA Peter Kruchten, 43 ans, qui était feldgendarme à Ploërmel au moment des faits. Malgré les réserves d’usage, notamment sur le nombre de tués, sa déposition est intéressante car on se retrouverait dans le même cas de figure qu’à Duault, avec des Allemands égarés qui ne s’attendaient pas à tomber sur des maquisards :

 

« Notre section n’a pas participé aux combats de Saint-Marcel. Toutefois la découverte de notre camp est due à notre groupe. Voici les faits : le dimanche 18 juin dans la matinée, 3 voitures ayant à son bord 5 hommes, sont parties de Ploërmel pour se rendre à Malestroit afin d’y surveiller un chargement de bétail. Ces voitures n’ont pas emprunté la route directe, elles ont fait un crochet par la Chapelle-Caro et le Roc-Saint-André pour passer ensuite par une route longeant le canal de l’Oust et conduisant à Malestroit. En cours de route ils tombèrent sur les barrages du maquis de Saint-Marcel, dont ils ignoraient l’existence. Un combat s’engagea aussitôt, mais devant la supériorité numérique du maquis, les feldgendarmes tentèrent de prendre la fuite. 12 hommes furent tués, 2 faits prisonniers et 1 seul, le feldgendarme Wiehweger, fut blessé aux jambes et réussit à s’échapper, gagna Le Roc et téléphona à la compagnie de Malestroit pour la mettre au courant de ce qui venait de se dérouler[8]. »

 

Si Kruchten dit vrai, il y avait donc cinq hommes à bord de chaque voiture. Avec douze feldgendarmes tués et deux prisonniers, on ne sait pas comment le seul rescapé, blessé aux jambes, a pu se rendre au Roc-Saint-André. Ou alors, ce qui est le plus probable, à bord du troisième véhicule qui aurait pu faire demi-tour. Un autre PGA, Paul Knuppel, 50 ans, est également interrogé sur ce qui s’est passé ce matin-là : « D’après ce que m’avait confié Koth (feldgendarme de Vannes), l’origine de cette attaque remonte à l’attaque de trois voitures de feldgendarmes de Ploërmel. Ces gendarmes avaient été avertis que des armes avaient été parachutées dans la région de Saint-Marcel près d’un château. C’est en s’approchant trop près de ce château que les feldgendarmes ont été attaqués par le maquis et que deux d’entre eux ont été faits prisonniers par les patriotes. »

 

P. 139

Au terme de cette bataille, écrit Le Maquis breton : « 42 Français avaient été tués, 60 avaient été blessés. Les blessés furent évacués au cours de la nuit et dispersés dans les fermes. Ceux qui avaient besoin de soins chirurgicaux furent opérés et soignés en clinique. » Ce total inclut des non-combattants assassinés par les Allemands et des FFI ou parachutistes tués les jours suivants. Les dernières estimations les plus fiables font état de dix-huit FFI[9] et six parachutistes tués au combat[10], la jeune Suzanne Berthelot étant la première victime civile[11]. Le camp vide de ses occupants et les habitants chassés des environs, il n’y a aucun témoignage sur le nombre de cadavres laissés sur le champ de bataille par les Allemands mais, d’après Le Maquis breton : « Les pertes ennemies furent extrêmement élevées. Les renseignements recueillis après la Libération ont permis de chiffrer à 560 le nombre des Allemands mis hors de combat (Chiffres allemands). » Tout cela étant évidemment invérifiable. On retrouve ce chiffre dans le livret Avec ceux de l’ORA, qui se réfère à une enquête menée par le colonel Morice, donc forcément sérieuse, d’après le « nombre de cercueils commandés » :

 

« Bilan de la journée : 560 Allemands restés sur le terrain (chiffre donné par le colonel Morice après enquête). Le 2e bataillon a perdu dans le combat 24 tués et 22 blessés. Saint-Marcel est la première bataille rangée livrée par les FFI en Bretagne. C’est une grande victoire et la preuve que, mal équipés, mal instruits, mal vêtus et mal nourris, les maquisards avaient malgré tout su prendre l’ascendant sur un ennemi aguerri[12]. »

 

Toute proportion gardée, au regard des effectifs engagés, ce serait un pourcentage de pertes supérieur à celui enregistré par les Américains sur la plage d’Omaha Beach, justement surnommée « la sanglante ». Le plus étonnant dans cette histoire, c’est que personne ne s’est posé la question de savoir ce que les Allemands avaient pu faire de tous ces cadavres qui, de toute évidence, n’ont pas été laissés sur place ni enterrés dans une fosse commune. Même provisoire, dans l’attente de sépultures individuelles, celle-ci n’aurait pas manqué d’être découverte. Il y a bien cette solution, citée par Leroux, mais qui laisse perplexe : « Des habitants de Malestroit se souviennent d’avoir vu passer des camions de cadavres, ceux-ci auraient été incinérés dans un four crématoire de campagne installé près du château de Josselin[13]. » Sous l’Occupation, chaque Feldkommandantur dispose de son propre cimetière militaire où sont inhumés les soldats tués dans son département respectif. Dans le cas présent, la FK 750 de Vannes a réquisitionné le nouveau cimetière de Balmont en 1942. Á la fin du conflit on y dénombrera 587 sépultures[14]. Les responsables de la Résistance en auraient-ils conclu un peu rapidement que ces morts provenaient de Saint-Marcel ? Quoi qu’il en soit, dès lors qu’il sera gravé sur le monument de La Nouette en 1951, ce chiffre de 560 tués va revêtir un caractère officiel, que personne ne songera à contester. Il sera révisé à la baisse une vingtaine d’années plus tard par Baudot, qui ne cite pas ses sources : « Les pertes allemandes peuvent être évaluées à environ 300 hommes[15]. » Leroux, constatant lui aussi qu’il était impossible de vérifier ce chiffre « probablement exagéré », de 560 tués, retiendra cette estimation de 300 morts, établie par le capitaine britannique Fay[16]. C’est à la fin des années 1990 que le conservateur du musée de la Résistance de Saint-Marcel, Patrick Andersen Bo, remet totalement en cause ces estimations en dénombrant sur le registre 27 soldats allemands inhumés au cimetière de Balmont à l’issue des combats. Plus récemment, d’après Alain Floch, qui a consulté lui aussi les registres d’inhumation : « La Résistance revendique 560 tués alors qu’il n’y avait tout au plus que 250 soldats sur le terrain. En réalité il y a eu 16 morts côté allemand, plus les 7 feldgendarmes tués avant le déclenchement des combats. Notons que la Wehrmacht n’a perdu que 87 hommes en juin dans le Morbihan[17]. » Dans son dernier ouvrage, il se fait plus précis : « 13 soldats tombés à Saint-Marcel ont été enterrés au cimetière militaire allemand de Vannes : 9 parachutistes, 2 pionniers, 2 grenadiers du 983e et 5 feldgendarmes tués avant l’assaut. Si l’on comptabilise les 5 corps inconnus trouvés le 26 juin près de Saint-Marcel, eux aussi enterrés au cimetière militaire de Vannes, cela porte à 23 le nombre de pertes allemandes à Saint-Marcel[18]. » Parmi les neuf parachutistes de Deffner morts au combat, le plus âgé avait 27 ans, les trois plus jeunes 17 ans.


 

            Ni victoire ni défaite, la bataille de Saint-Marcel, qui eut un grand retentissement au sein de la Résistance bretonne, a suscité un réel enthousiasme auprès des jeunes patriotes. Encore qu’il soit bien difficile d’en mesurer l’impact psychologique. Pendant toute une journée, parachutistes du SAS et jeunes FFI, qui n’étaient pas préparés à ce type de combat d’infanterie, et dont c’était le baptême du feu, ont résisté courageusement aux assauts de l’armée allemande. Saint-Marcel n’étant ni le Vercors ni les Glières, la configuration du terrain ne permettait pas de tenir plus longtemps. Eu égard à la dureté des combats et au nombre des protagonistes, les pertes sont relativement faibles. Cependant, Puech-Samson n’ayant pas eu le temps de tout faire sauter, les Allemands ont pu mettre la main sur un important stock de matériel :

 

« Bien que les terroristes aient fait sauter un dépôt de munitions pendant les combats, les armes suivantes ont été saisies : 66 mitrailleuse légères avec 30 canons de rechange, 400 chargeurs de mitrailleuses, 3 mitrailleuses légères pour avion, 54 mitraillettes avec 250 chargeurs, 176 carabines, 255 fusils anglais, 14 fusils américains, 32 bazookas, 1 mortier avec 40 obus, 44 baïonnettes anglaises, 5 tonnes de munitions diverses, 4 tonnes et demie d’explosifs et de cordons d’allumage, 50 grenades à main et 200 grenades à fusil. De plus, ont été saisi 671 parachutes, 6 casques, 1 détecteur de mines, des médicaments et des pansements. Cet inventaire n’est certainement pas exhaustif, car les actions ont été menées par des troupes combattantes qui restent très discrètes sur de telles indications. En tous cas, 100 camions ont encore été envoyés. Le camp était organisé en défense circulaire et occupé par plus de 2 000 FFI et 200 parachutistes. Á Saint-Marcel, ne restent plus que l’église, le presbytère, l’école et la mairie. Tous les autres bâtiments ont été détruits pendants les combats[19] . »

 

            Un repli parfaitement organisé, avant que le camp ne soit totalement encerclé et que les Allemands n’acheminent de l’artillerie lourde, a permis d’éviter un véritable massacre. Mais, comme l’écrira justement Corta : « La méthode de base était fausse, car fatalement un tel rassemblement devait être découvert un jour ou l’autre et, ce qui est pire, nous obligeait à une bataille rangée, rôle pour nous impossible à tenir. » Plus gênante pour les Allemands, la dispersion dans la nature de tous ces parachutistes va rester une menace permanente, les obligeant à fixer de nombreux bataillons pour des opérations de ratissage et de répression, retardant ainsi l’envoi sur le front de Normandie d’une bonne partie de la 275e division. Mais surtout, et cela on ne le souligne pas assez, durant sa brève existence, la base Dingson aura permis de ravitailler et d’équiper en armes, munitions et matériels divers des milliers de maquisards du Morbihan. 

P. 276 (Conclusion)

Sans être une véritable défaite – les parachutistes et FFI ont quand même tenu tête aux Allemands pendant une journée avec des pertes relativement faibles – sur le plan strictement militaire, la bataille de Saint-Marcel fut un échec. Malgré leur bravoure, ces hommes, qui n’étaient visiblement pas préparés à ce type de combat d’infanterie, ont dû se replier face à un ennemi pourtant largement inférieur en nombre. Résister plus longtemps n’ayant plus de sens, un décrochage parfaitement organisé a permis d’éviter l’encerclement avec un probable massacre. Mais le pire était à venir. Pendant plus d’un mois, vont s’enchaîner des crimes de guerre d’une violence inouïe contre les parachutistes et les patriotes qui les cachaient. Si dans le contexte du mythe résistancialiste gaullien d’après-guerre, la bataille de Saint-Marcel et ses 560 Allemands tués est entrée dans la légende, il ne faudrait pas verser dans l’excès inverse en présentant ce combat comme un désastre ou une déconfiture. Ce serait oublier l’élan de patriotisme qui a caractérisé cette période et l’idéal qui animait ces jeunes hommes et femmes qui ont tout risqué et parfois sacrifié leur vie. Á cet égard, la bataille de Saint-Marcel fut un incontestable succès moral et psychologique pour la Résistance bretonne.

 



[1] Devau Dr., Jours d’épreuves dans le Morbihan, 1944, p. 9.

[2] Château de Villeneuve à Pleucadeuc.

[3]Ouest-France, 20 décembre 1944.

[4] Gasnier J., Une heure avec les FFI du Morbihan, 1945, p. 15.

[5]Avec ceux de l’ORA, p. 48.

[6]Le Maquis Breton, juillet 1947.

[7]Le Maquis Breton, juillet 1947, qui ne fait que reproduire l’article paru dans La Liberté du Morbihan à l’occasion de la visite du général de Gaulle du 27 juillet 1947.

[8] ADIV 1045W16. Interrogatoire du 3 novembre 1948.

[9] Charles Goujon, Paul Guégan, Roger Le Berre, Jean Le Blavec, Paul Le Blavec, Louis Le Bouëdec, Adrien Le Canu, Émilien Le Grel, Laurent Le Lem, Vincent Le Sénéchal, François Le Yondre, Robert Ménard, Georges Moizan, Joseph Planchais, Henri Rio, André Robino, plus deux inconnus.

[10] Henri Adam, Michel Brès, Daniel Casa, Louis Malbert, Jean-René Mollier, Nicolas Schmitt.

[11] Son corps, ainsi que ceux de quatre FFI seront découverts le 10 juillet 1944.

[12]Avec ceux de l’ORA, p. 50.

[13] Leroux R., op. cit., p. 467.

[14] Les dépouilles de ces soldats seront transférées au mausolée allemand du Mont d’Huisnes, dans la Manche, en 1961.

[15] Baudot M., op. cit., p. 108.

[16] Leroux R., op. cit., p. 467.

[17] Floch A., La guerre et l’après-guerre en Bretagne (1939-1948), par l’auteur, 2016, p. 329.

[18] Floch A., L’occupation allemande dans les 261 communes du Morbihan, par l’auteur, 1999.

[19] Rapport du chef d’état-major Bader.