Bien qu’ayant quasiment tout lu,
je n’aurai pas l’outrecuidance de prétendre être en mesure de cerner l’écrivain
Guilloux, qui fait toujours l’objet de nombreuses publications. Le dernier
ouvrage, mais non le moindre, étant Louis Guilloux politique, publié par les PUR (2016) sous la direction
de Jean-Baptiste Legavre. C’est le chapitre intitulé « La tentation
autonomiste dans l’œuvre de Louis Guilloux », rédigé par Arnaud Flici et
Jean-Baptiste Legavre, qui sera mon fil conducteur.
En effet, les Breiz Atao, ne sont jamais bien loin
dans l’œuvre de Louis Guilloux. S'ils
apparaissent de façon récurrente, mais de manière inégale, dans plusieurs de
ses romans : Le Pain des rêves, Le Jeu de patience, Les Batailles perdues, Carnets 1921-1944, c’est surtout
dans les manuscrits inédits de deux projets inaboutis : Les
Gens du château et L’Autonomiste, qu’ils prennent toute
leur place. Au point que l’on a pu déceler chez l’auteur une certaine
« tentation autonomiste ». S’il ne fait aucun doute que Guilloux, à
l’instar d’un Marcel Cachin, avait une réelle inclination pour la cause
bretonne avant-guerre, il était trop au fait de la chose politique pour ne pas
s’apercevoir que les Breiz Atao, que
l’auteur fait souvent évoluer autour des châteaux et des presbytères, étaient
totalement coupés de la population. Les relations qu’entretenait Guilloux avec
certains « autonomistes » : le celtisant Fanch Éliès (Abeozen), et le poète dilettante Roland
de Coatgoureden, étaient surtout d’ordre affectif et ne semblent pas avoir
dépassé le cadre de Saint-Brieuc. Cette facette de la personnalité de Guilloux,
parfois occultée par ses exégètes, ne sera cependant pas exempte d’ambiguïté sous
l’Occupation avec la publication de quelques articles – il fallait bien faire
bouillir la marmite – dans le journal La
Bretagne de Fouéré. Il rompra d’ailleurs très vite avec Éliès, lorsque
celui-ci rejoindra Roparz Hemon au poste de Radio-Rennes. Cet aspect peu connu
de l’écrivain étant très bien expliqué dans Louis
Guilloux politique, je ne m’étendrai pas davantage. Yannick Pelletier, dans
son livre Des Ténèbres à l’Espoir, avait déjà
constaté que Guilloux
« N’était pas insensible au sort ignominieux auquel l’État a longtemps condamné
la langue bretonne. » Cette prise de conscience, Guilloux l’exprimera à
nouveau dans son recueil de nouvelles, Vingt ans ma belle âge, au travers
du personnage d’un certain
Le Bihan « Qui était né dans un hameau où on ne parlait que le breton. Il
ne savait pas le français du tout. Le peu qu’il en avait appris à l’école, il
l’avait oublié entièrement. Il était donc aussi ignorant qu’on peut l’être, ce
qui ne fût pas arrivé si on l’avait instruit dans sa langue. Il le disait, et
ne comprenait pas pourquoi on ne l’avait pas fait, puisque l’institutrice,
bretonne comme lui, savait naturellement le breton. Mais il était interdit à
l’institutrice de parler le breton à l’école. » Blessé par une balle
à la main droite alors qu’il montait au front, Le Bihan se voit donner l’ordre
par son capitaine de retourner au poste de secours le plus proche. « Rien
ne ressemble tant à un aveugle qu’un homme qui ignore la langue du pays où il
se trouve », écrit Guilloux. Incapable de s’expliquer en français à
l’officier qui l’interroge, Bihan est aussitôt accusé de « blessure volontaire
à la main droite ». Considéré comme déserteur il sera fusillé pour
l’exemple. Guilloux s’est inspiré d’un fait réel, qu’il reprendra dans Carnets
(p. 104).
A la manière d’un Balzac, Guilloux
attache une grande importance à la documentation et est passé maître dans
l’utilisation de faits réels, qui sont relatés avec sens du détail saisissant.
La description des événements du 3 juillet 1940 à Pontivy en est un parfait
exemple. Le narrateur n’apparait pas comme un observateur extérieur aux
événements, il est bel et bien plongé dans la manifestation. Pour composer ses
personnages, Guilloux s’est toujours inspiré de figures plus ou moins connues de
son entourage et va puiser dans toute une galerie de figures singulières du
mouvement breton. Cette façon qu’avait Guilloux de jouer avec ses personnages ayant
excité ma curiosité, j’ai voulu savoir qui se cachait derrière ces « autonomistes »
cités par Flici et Legavre. L’affaire va s’avérer plus compliquée que prévu car
Guilloux se joue des identités, y compris de la sienne, et s’inspire de
plusieurs « autonomistes » pour créer un seul personnage fictif, qui
aura lui-même son double dans un autre roman. Cela ne suffisant pas, il
brouille les pistes en modifiant les noms des lieux, quand il ne les déplace
pas. En conséquence, cet essai n’a donc aucune prétention scientifique ou
historique.
Les
autonomistes dans l’œuvre de Louis Guilloux
D’après Flici et Legavre, c’est
dans Le
Jeu de Patience, désormais abrégé JdP, qu’apparaît pour la première
fois la question autonomiste, et seul le personnage d’Hubert l’incarne. « Il
ne représente pas la figure ordinaire du militant, c’est un doux et un poète »,
raconte le narrateur du JdP qui est attiré par « L’insigne du PNB
qu’Hubert portait au revers de sa veste : le triskell. » Pour ce personnage d’Hubert, mais aussi
celui de son double Yves de Lancieux, Guilloux s’est inspiré de son ami Roland
de Coatgoureden. Emporté par mon élan, j’ai retrouvé tout au long du JdP un
certain nombre de personnages qui ne m’étaient pas inconnus. La résistante
Hélène Le Chevalier par exemple, dont Guilloux s’est inspiré pour le personnage
de Monique. Par contre je n’ai pas réussi à identifier ce Pablo, réfugié
espagnol qui logeait chez le narrateur, ainsi que sa compagne Marie Chevalier. Le
jour de la mort de Pablo (p. 24), donc au mois de janvier 1944, le narrateur revient
d’une visite à la prison « Là, j’avais vu un homme qui serait bientôt
jugé, condamné à mort et fusillé. Personne ne lui avait dit bonjour à son
arrivée dans la pièce : on ne salue pas un traître. Le juge d’instruction,
M. Normand, lui dit quand il parût : « Asseyez-vous, Gautier. »
Le narrateur explique ensuite qu’il avait voulu, de ses propres yeux, voir ce Gautier
pour lui demander quel rôle il avait joué dans l’arrestation d’un pasteur. S’il
a fait cette démarche, c’est qu’il y avait été poussé par Yves de Lancieux « J’avais
toujours été au courant de l’amitié qu’Yves de Lancieux et Gautier avait eue
l’un pour l’autre dans leur jeunesse. Bien que cette amitié se fût depuis
relâchée et que même Gautier et Yves de Lancieux eussent cessé de se voir bien
avant la guerre. » Introduit dans la prison, le narrateur
interroge Gautier : « Vous avez connu le pasteur Briand ? Oui,
me répondit-il. Vous étiez chargé de le surveiller ? J’ai surveillé la
maison du docteur Rank. Gautier raconte comment il a vu un homme sortir de chez
le docteur avec une valise, l’a suivi jusqu’à la gare pour substituer sa valise
à la sienne. Du reste il n’était pas
entièrement responsable de l’arrestation du pasteur. Le vrai coupable était
Goasdoué. Très bien dit le juge. Goasdoué a tout avoué. Condamné au bagne pour
la vie. » Les lecteurs de
mon ouvrage Agents du Reich en Bretagne
n’auront aucun mal à reconnaître le traître Maurice Zeller et le juge
Dauvergne, ainsi que le pasteur Crespin et le docteur Hansen. Ils ont été
dénoncés par ce « Goasdoué », en réalité Yves Le Guilcher, un jeune
membre du PNB. Par contre, Guilloux prend quelque liberté avec la réalité
puisqu’il n’y a jamais eu d’amitié de jeunesse entre Zeller et De Coatgoureden.
Le narrateur évoque ensuite un
certain Lucien (p. 56), membre du PCF, qui avait été arrêté puis
« retourné » par la police de Vichy « Ils l’auraient torturé, ou
quoi : on ne savait pas. En tout cas Lucien était dans le pays depuis
quinze jours et il avait complètement tourné casaque. En plein pour les
Boches ! Son frère a donné l’ordre de l’abattre. » Guilloux
s’est probablement inspiré de Léon Renard, un cadre du PCF qui avait dénoncé le
cordonnier Ernest Le Guern, arrêté le 7 août 1943 à Ploufragan, puis déporté. Le
narrateur cite aussi (p. 100) « Le trésorier de la section du Secours
Rouge, le vieux père Louis Calvez, mort au camp de Voves près de Chartres, en
mai 1943. Mort à Dora le pasteur Briand et à Mauthausen l’abbé Clair, à
Buckenwald le petit cordonnier Bébert. » A mon grand regret, je n’ai pas
réussi à identifier ce Louis Calvez, mais on reconnaîtra sans difficulté l’abbé
Armand Vallée.
« Faire souffrir, voir
souffrir ; c’est la grande passion des hommes – la mienne aussi peut-être
hélas – sinon je n’aurais pas assisté au procès de l’interprète, il y a huit
jours de cela », écrit le narrateur (p. 253). « J’aime les causes
perdues » lui fait écho Lady
Glarner. (p. 214) Il faut reconnaître que la cause de cet interprète, jamais
nommé, auquel j’ai consacré un chapitre dans Agents du Reich en Bretagne,
avait de quoi intéresser Guilloux. Ce
jeune homme, agent des Allemands, s’appelle Roger Elophe, et son procès devant
la Cour de justice de Saint-Brieuc fut très mouvementé. « La situation
était assez belle, l’intéressé n’ignorant pas que si la cour ne le condamnait
pas à mort il serait abattu en sortant », écrit le narrateur. « En
tout cas il n’avait pas de sang sur les mains. Il n’avait été pour rien dans le
meurtre de Marguerite Bourcier. Oui ou non était-il présent lors de l’exécution
de Marguerite ? Non dit-il. Il se trouvait bien dans le bistrot de
campagne où les Allemands avaient pris Margueritte, mais c’était par pur
hasard. Oui ou non, avait-il entendu les hommes de la Gestapo menacer
Marguerite : « Salope, tu ne veux pas nous dire qui est Robert, tu
vas nous payer cela sur la route. » Qui pouvait-être cette Margueritte,
sinon la jeune résistante Mireille Chrisostome ? Conséquence des incidents
de ce procès, des résistants attendaient Elophe à la sortie du tribunal pour
l’abattre séance tenante, celui de Zeller sera transféré à Rennes.
Lorsqu’il évoque les arrestations
du lycée Anatole Le Braz, le narrateur cite le témoignage d’un des jeunes
lycéens, revenu de déportation « Il m’a parlé d’un certain Benoist qui a
dénoncé toute la bande. Et Benoist est toujours en liberté, pas de preuves. » (p. 304) Guilloux, qui fréquente le
juge Dauvergne, est parfaitement au courant du dossier, mais il ne cite pas le
suspect Yves Ricard, qui a été interné puis relâché, faute de charges
suffisantes.
Toujours d’après Flici et
Legavre, c’est dans Les Batailles perdues, désormais abrégé BP, que l’on dénombre le
plus d’autonomistes, avec un certain Abgrall comme figure principale « Ropartz
Abgrall venait de temps en temps trouver le recteur. Il arrivait sans prévenir.
D’un abord farouche, Abgrall était un homme de quarante ans, d’assez petite
taille, trapu. Né du côté de Roscoff dans une famille de paysans pauvres. Le
curé de son village l’avait fait entrer dans un petit séminaire. » D’après le recteur Kérauzern « Il s’était de très bonne heure
passionné pour la langue bretonne (…) Quand on mit Ropartz à l’école, il ne
savait pas un mot de français. Tu sais bien aussi comment on punit les enfants
les enfants qui parlent le breton à l’école. Qu’il fût né du côté de Roscoff
dans une famille de paysans pauvres et qu’il fût devenu très savant, cela n’y
changeait rien : c’était un chien. » (p. 26) Le narrateur raconte
qu’Abgrall s’était battu en brave lors de la Grande Guerre et qu’il avait
remisé ses médailles à son retour en déclarant qu’il ne serait plus jamais
prêtre « Là-dessus il partit
pour l’Irlande d’où il revint en disant qu’il prenait boutique à Roscoff où il
s’établirait comme marchand de graines. Rien de tout cela n’empêchait qu’il fut
un chien. Il ne manifesta pendant longtemps aucun intérêt pour les affaires
publiques. Cependant, en avril 1932, quand les autonomistes firent sauter à Rennes
le monument symbolisant l’union de la Bretagne à la France, il se frotta les
mains… » On retrouve Abgrall en juillet 1940 au château de Pontivy « Où
il dispose de responsabilités, imagine que les nationalistes sont devenus les
maîtres. » Lors de la vente aux enchères sur saisie d’une ferme, une
bagarre éclate « Dans le tumulte une voix violente s’éleva : c’était Abgrall,
qui parlait aux gens en breton. Dehors les fransquillons ! La Bretagne aux
Bretons ! » (p. 242). Il a
ses entrées chez Lady Glarner, qui lui glisse une liasse de billets pour ses
activités bretonnes (p. 212). De tous les personnages fictifs de Guilloux, c’est
celui qui m’a donné le plus de fil à retordre. J’ai fini par admettre qu’il
était inutile de chercher un personnage unique derrière cet Abgrall qui ne
correspond finalement qu’à l’idée que se faisait Guilloux de l’archétype du
militant « autonomiste » de l’entre-deux-guerres. Un intellectuel,
souvent issu d’un milieu très modeste, ne parlant qu’en breton avant d’aller à
l’école, puis ayant fait ses études au séminaire (Drezen, Riou, Éliès, Le
Moal, etc.) On peut y voir aussi un Taldir Jaffrennou, qui bénéficiait des
largesses de Lady Glarner. On retrouve également certains traits du communisant
et anticlérical Fanch Éliès. On peut aussi citer cet Erwan ar Moal, que
Guilloux a probablement rencontré. Issu d’une famille de paysans pauvres, Yves Le
Moal n’a parlé que le breton jusqu’à l’âge de six ans. Après quelques années de
séminaire à Saint-Brieuc, il devient enseignant et entame une carrière
littéraire. Parmi ceux qui ont connu les tranchées comme Abgrall : Saïg ar
Go, Job de Roincé ou Loeiz Herrieu, celui qui inspira le plus Guilloux semble
bien être Goulven Mazéas, décoré pour sa bravoure lors de la Première Guerre
mondiale, puis négociant après-guerre. Dans la documentation réunie par
l’écrivain, figure d’ailleurs un beau texte intitulé « Monsieur
Roparz », qui correspond point par point à la biographie de Mazéas.
« D’autres personnages
s’inscrivent dans cette cause », écrivent Flici et Legavre. Parmi ceux-ci,
celui qui revient le plus est un certain Papillon « Un jeune homme très
distingué, une nature… angélique ! Le château de lady Glarner appartenait
autrefois à la famille de Papillon. En réalité Papillon n’est pas son nom. Il
s’appelle de… de quelque chose… » Là encore, Guilloux s’est à nouveau
inspiré de Roland de Coatgoureden pour créer ce Bertrand de Kervraz, alias
« Papillon », issu d’une vieille famille de la noblesse bretonne,
mais désargentée, autrefois propriétaire du château de Ker-Goat, que le
narrateur situe près de Kergrist, dans la région de Tréguier, et dont lady
Glarner a fait l’acquisition. Guilloux ne pouvait évidemment pas faire
l’impasse sur l’étonnante lady Mond, et de son château de Coat-an-Noz, situé entre
Belle-Isles-en-Terre et Loc-Envel « Quand on n’est qu’une petite paysanne
pauvre comme Job – le père de Maria Le Guen, sabotier de son état, s’appelait
justement Job – que la nature vous a faite belle à ravir, n’y a-t-il pas là de
quoi courir se jeter dans l’étang », écrit le narrateur. (p. 114) On retrouvera
Coat-an-Noz dans les Carnets « Au
pays misérable de Loc-Envel. Les hommes nus sur la terre nue ! Ici, un
certain effroi me gagne. Et pourtant ce que disent les enfants… Vie misérable
d’une institutrice (…) Il y a ici une vieille femme délicieuse qui s’appelle
Maharit. Et un château, qui appartenait à un prince, qui l’a vendu. Dans la
forêt. Le garde et ses enfants. La petite fille de deux ans qui va chercher des
champignons. » (p. 61) L’histoire de la belle Marie-Louise Le Manach,
rebaptisée Maria Le Guen par le narrateur, est trop connue pour qu’il soit
nécessaire d’y revenir.
Abgrall a ses entrées au château.
Lorsqu’il est mis en présence du sénateur Bozec, Guilloux s’étant visiblement inspiré
du docteur Yves Bouguen pour ce personnage, il fait preuve d’une certaine
complicité avec son hôtesse et lui parle en breton : « Gompzomp brezonek, mil malloz Doue !
Gompzomp brezonek ! répondit joyeusement Maria. » (p. 212) Cette scène est l’occasion pour Guilloux d’introduire un de ces
personnages excentriques qu’il affectionne. Lady Glarner est réveillée en
pleine nuit par un admirateur déclamant ses poèmes sous ses fenêtres « A
cause du vent, elle ne comprenait pas les mots mais elle savait que cette voix
tonitruante ne parlait que de gloire et de grandeur et proclamait qu’il n’y a
jamais eu au monde qu’un seul poète de génie, qu’une seule femme digne de ce
poète, que ce poète c’était justement lui : Maxime d’Armor, et cette femme
unique dans l’histoire du monde : lady Glarner en personne. » Ce Maxime
d’Armor, poursuit le narrateur, portait « une
couronne de lauriers sur sa tête. » (p.
236) Guilloux s’est inspiré de l’original poète « pindarique »
Auguste Boncors. Le « Barde de Rostrenen », auteur des Odes triomphales, exclu lui aussi d’un établissement
catholique de Saint-Brieuc. Guilloux en parle dans les Carnets « 29 avril
1939. Avec Roland et Grégoire, fait visite à Boncors, dans sa prison. Huit
jours fermes pour avoir pissé le long du comptoir, dans une auberge, étant
ivre. » (p. 237)
Dans la même veine des
personnages atypiques aux convictions chevillées au corps, il convient de
mentionner cette autre figure du mouvement breton : la comtesse Vefa de
Saint-Pierre, châtelaine à Pléguien, non loin de Saint-Brieuc. Guilloux devait la
connaître car on trouve dans la documentation de l’auteur une lettre de
témoignage de la comtesse en faveur de Jacques de Quélen, responsable local du
PNB, interné à la Libération. Vefa de Saint-Pierre n’apparaît pas directement
dans les BP, mais elle apparaît en filigrane dans de nombreux personnages
fictifs des BP et du JdP. Cette femme de caractère et exaltée, destinée à
entrer dans les ordres, abandonna le voile pour se marier. Union éphémère qui ne
durera que trois mois. Désormais libre, cette amazone passionnée de chevaux et
de chiens, de chasse et de grand air, va parcourir le monde. Vefa de
Saint-Pierre, admise au Gorsedd de
Bretagne, était très attachée à la culture bretonne, qu’elle soutiendra
financièrement.
Parmi ces figures singulières du mouvement
breton susceptibles d’inspirer Guilloux, il est difficile de faire l’économie
de ce Louis-Napoléon Le Roux, ancien employé de Taldir, qui va partir se battre
aux côtés des Irlandais pendant la Première Guerre mondiale.
Les Gens du château (1959), texte dactylographié d’environ
150 pages, et un projet de roman intitulé L’Autonomisme, sont deux inédits de
Guilloux ayant pour thème la cause bretonne. Le lecteur y reconnaîtra les
personnages et les lieux des BP et du JdP. Pour des questions de droits, il est
impossible d’en faire une reproduction. Dans un petit carnet, Guilloux en a
dressé quelques notes manuscrites :
« Bretons
Du château de Pontivy (29 juillet
1940) au camp Sainte Marguerite à Rennes (sic)
Pontivy : Napoléonville.
Épilogue à Guingamp. Les
drapeaux déchirés.
Villes : Pontivy, Rennes,
Guingamp.
Lieux : le Menez-Bré.
Saint-Michel de Braspar. La maison de la ponte du Roselier.
Scènes : Histoire du revolver. Les
leçons de breton. Les armes enterrées.
Plan : Première partie (ou
introduction) : de l’arrivée des Allemands (18 juin 1940 date du départ de
Gaulle) au retour des prisonniers. Échec. Pas d’État breton. La propagande dans
les camps. La liberté, mais à une condition.
Histoire : Peuple deux fois vaincu,
quand il quitte l’Angleterre, puis par la France. La chouannerie.
Personnages : Le borgne. Adrien
l’aveugle.
Bretons : Paul Féval Châteaupauvre
Études : le protestantisme
en Bretagne.
Plan : Introduction. Le voyage
de Monsieur Hervé, accompagné de sa femme, conduite par son chauffeur : il
se rend chez son frère l’abbé, près de Pontivy. Exode. Action de retardement
sur la route. Baroud d’honneur.
Remarques : Monsieur Hervé. Madame
Hervé. Léon (le chauffeur). L’abbé.
.
Bretons (notes)
Pilier Kranket ?
L’interprète (et l’attaque de la prison). François – le communiste.
L’autonomiste. Marguerite. La petite maison à la campagne. Le feu dans la
grande cheminée. Le militant exécuté. M. de Quélen. Les évêques. Le Trocquer
(l’homme breton). Éliès. Tonton. L’abbé Perrot. Zaïk. Le capitaine au long
cours en retraite. Les objets chinois. Histoire de l’interprète Elof.
L’officier allemand. Présence de Lambert au Roselier. Les Espagnols. La vierge
Rouge. La révolte des Bonnets rouges (le sel). Brizeux. Les Bretons. »
Ce qui surprend, lorsque l’on
dépouille les archives du fonds Guilloux, c’est de découvrir tout un ensemble remarquable
de notes de travail sur l’autonomisme et la Résistance en Bretagne. Rédigées en
1957, elles sont tout à fait révélatrices de l’intérêt que l’écrivain portait à
la cause bretonne. Prenons par exemple ce long document intitulé
« Questions », où il s’interroge sur plusieurs points de son roman :
« Les autonomistes arrêtés
en 1939 / Pourquoi le mouton / Mers-el-Kébir 3 juillet 1940 / Date de la
conquête de l’Algérie / Y avait-il au château un drapeau breton ? Quelque
signe extérieur de la présence autonomiste ? / La liberté des peuples à
disposer d’eux-mêmes. La question des minorités / Célestin Lainé sortant de la
prison de Clairvaux en 1940 / Le personnage autonomiste / Le goût de la défaite
chez les Bretons / Peuple deux fois, trois fois conquis / Le traître breton /
Je trompe tout le monde comme tout bon Celte / Et en même temps des guerriers
et des héros. Goût de l’absolu. Romantisme / Ce Mordrel, il est moitié Corse je
crois ? / A quelle date à commencer à fonctionner Radio-Rennes sous
l’Occupation ? / Légion Perrot, vers avril ou mai 1944 / Pouvions nous
être rapatriés si nous fournissions l’engagement de militer dans les rangs
autonomistes bretons ? / Les frères Le Boulc’h autonomistes marquants avec
la sœur. Se mettent à la disposition des Allemands. »
Chaque sujet fait l’objet d’une
description très réaliste de quelques feuillets. J’ai retenu les extraits de
trois d’entre eux :
- L’arrivée des Allemands « Aux dernières heures de la
guerre, la radio belge, dit-on, lança sur les ondes l’incroyable nouvelle de la
création d’un gouvernement local breton. A vrai dire, seuls quelques jacobins
de Rennes, Morlaix ou Quimper, avaient envisagé une telle éventualité. Le
peuple désorienté, ne se préoccupait que de réadapter son existence... »
- La réunion du Conseil National
Breton au château des ducs de Rohan à Pontivy avec Mordrel « On le disait
revenu en officier allemand. Ils rencontrèrent un type qui venait de
Rennes : Péresse qui, plus tard, devait être tué aux côtés de Lainé (sic).
Un autre, aux cheveux en brosse, et en pantalon de cheval. Tous les chefs du
Parti seront là : Mordrel, Debauvais, Lainé. A la réunion on ne parlait
que breton. Il y avait des types qui portaient un semblant d’uniforme, et un
revolver à la ceinture. L’armée bretonne. Elle devait s’emparer des
préfectures. Drôlement durs ! se dit papillon en admirant Vissault de
Coëtlogon, tout guêtré. Guieysse, aveugle, homme très digne, protestant, très
religieux. Après la réunion, tout le monde se rend à l’hôtel en défilant dans
la rue où ils furent accueillis par les cris : Salauds !
Traîtres ! »
- Le défilé en ville « Ils
ont fait une démonstration un lundi soir, aux alentours du 20 juin. La
population n’était pas prévenue mais on faisait courir le bruit qu’il y aurait
un magnifique défilé le soir. Dans le château 60 autonomistes de tous les
départements bretons se montraient. La manifestation a lieu rue Nationale. En
tête un mouton blanc avec les drapeaux blancs et noirs. Tenu en laisse le
mouton. Les gens très curieux mais écœurés de les entendre chanter en breton.
Vive la Bretagne, à bas la France. Pas encore d’uniforme, mais pantalon de
cheval, bottes, bandes molletières, ceinturons et couteaux. Après ce défilé un
drapeau tricolore avait été placé dans la nuit sur le haut de la colonne de la
Fédération. Les autonomistes signalent le fait à la kommandantur et aussitôt le
drapeau tricolore est remplacé par le drapeau autonomiste. » La présence
de ce « mouton blanc » s’explique par le fait que les frères Le
Boulc’h, dont l’un rejoindra le Bezen Perrot, et leur sœur, sont membres du
groupe folklorique de Pontivy « Les mouton blancs ».
- Le congrès régional des cadres
du PNB, tenu le 8 avril 1942 à l’hôtel de la Croix-Rouge à Saint-Brieuc, sera
lui aussi suivi d’une bagarre. Guilloux ne pouvait évidemment pas manquer le
spectacle dans la rue. Delaporte ayant conclu son discours : « Mes
chers camarades, nous laisserons à nos enfants un pays libre, uni et riche, si
nous savons utiliser les incomparables circonstances qui se présentent à nous
», tout le monde rejoint ensuite le restaurant Le Covec pour le banquet, sauf
Goulet et ses hommes qui restent emballer les décorations. Le commissaire
Marquette, qui avait été la cible du journal L’Heure Bretonne, saisi l‘occasion pour se venger. « Il attend
la sortie des Bagadoù Stourm avec ses agents les plus costauds, et en avant, il
stoppe Yann Goulet et ses gars. Yann Goulet exhibe une autorisation
préfectorale, contresignée de la Kommandantur de Rennes, de circuler, ce
jour-là, en rang et en uniforme.
- « Oui, rétorque Marquette,
mais je vous interdis de défiler avec votre drapeau breton ».
- « Ce n’est pas le drapeau
breton, c’est un fanion, qui n’a rien à voir avec le drapeau »
- « Enlevez-le !
Ordonne Marquette à ses flics. Pour moi c’est un drapeau breton ».
- « Nous sommes ici en
Bretagne, je défilerai avec mes hommes, et vous n’aurez pas mon fanion »
- « Arrêtez cet
homme », crie Marquette. Bing ! Bang ! Goulet envoie Gludig
rouler d’un coup de poing ; vlan ! Un autre tombe à genoux, etc. De
Quélen saisit le fanion et veut le porter à l’Hôtel du Commerce, mais il le
tient levé, au lieu de le rouler et de mettre sous son bras. Marquette ordonne
à des flics de lui enlever le fanion. De Quélen résiste, en dépit des coups de
poing. Marquette vient au secours de ses agents. Le fanion est brisé, restant
mi-partie aux flics, mi-partie aux PNB. De Quelen se défend toujours contre les
flics et saute à la gorge de Marquette. Bataille générale, Delaporte arrive et
rétablit l’ordre. De leur côté, les autorités allemandes interrogent Marquette
et lui expliquent que le PNB à le droit de passage (Marquette et ses agents
avaient, un moment, ligoté et emporté Yann Goulet dans le café, face à l’Hôtel
de la Croix-Rouge ; les PNB, qui avaient le dessus en nombre et en force,
menacèrent alors tellement Marquette qu’il relâcha Goulet). Les Bagadoù Stourm
se rendent alors au restaurant Le Covec, en rang et au pas. » J'ai également trouvé ce petit texte manuscrit
« Ceci aussi te servira peut-être : le père Thomas (1), qui ouvrit le congrès, rapporta comment il avait pris conscience, pendant la guerre de 14-18, du sort indigne fait à la Bretagne, et le remord qu’il a eu alors de ne pas savoir le breton, quand un soldat bas-breton lui avait fait ses dernières recommandations peut-être « Pendant la bataille de Champagne 1915, un obus de gros calibre tombait en plein sur l’unité que j’avais l’honneur de commander, composée presque uniquement de Bretons. 22 hommes, 40 chevaux gisaient pêle-mêle, après ce coup malheureux. Dans la nuit, je distinguai au milieu des plaintes, une voix faible : « Mamm !... Mamm ! » Je retrouvai à tâtons celui qui gémissait ainsi, horriblement mutilé, il murmura encore quelques paroles en breton que je ne pus comprendre et mourut, en me tenant la main. N’ais-je pas le droit de croire que les dernières pensées de celui-là s’en allaient vers ce coin du Finistère d’où il était originaire ? »
« Ceci aussi te servira peut-être : le père Thomas (1), qui ouvrit le congrès, rapporta comment il avait pris conscience, pendant la guerre de 14-18, du sort indigne fait à la Bretagne, et le remord qu’il a eu alors de ne pas savoir le breton, quand un soldat bas-breton lui avait fait ses dernières recommandations peut-être « Pendant la bataille de Champagne 1915, un obus de gros calibre tombait en plein sur l’unité que j’avais l’honneur de commander, composée presque uniquement de Bretons. 22 hommes, 40 chevaux gisaient pêle-mêle, après ce coup malheureux. Dans la nuit, je distinguai au milieu des plaintes, une voix faible : « Mamm !... Mamm ! » Je retrouvai à tâtons celui qui gémissait ainsi, horriblement mutilé, il murmura encore quelques paroles en breton que je ne pus comprendre et mourut, en me tenant la main. N’ais-je pas le droit de croire que les dernières pensées de celui-là s’en allaient vers ce coin du Finistère d’où il était originaire ? »
Le manuscrit de Guilloux ne sera jamais
publié. « Un refus de Gaston Gallimard en personne », dont on ignore
les raisons, écrivent Flici et Legavre, qui émettent une hypothèse
« Ancrage romanesque jugé trop local, substance polémique du sujet ? »
Pour ma part, je vous livre une explication, qui vaut ce qu’elle vaut. Dans l’immédiat
après-guerre, les Breiz Atao les moins
compromis, et qui n’ont pas pris la fuite à la Libération, vont se refaire une
virginité dans la « lessiveuse » du mouvement culturel breton. On
assiste ensuite à une certaine renaissance de l’Emsav avec l’émergence d’une nouvelle génération de militants alors
que nous sommes en pleine guerre d’Algérie. Parmi les appelés du contingent,
ces jeunes militants progressistes, déjà sensibilisé à la cause bretonne,
prennent conscience qu’ils mènent une sale guerre coloniale. A leur retour, ils
vont rompre avec un MOB qui se refuse à couper les liens avec les anciens Breiz Atao, et fonder l’UDB en 1964. De
nouvelles revendications bretonnes s’affirment. La publication du livre de
Guilloux ne pouvait donc tomber au plus mauvais moment.
Si Guilloux a fait œuvre
d’historien du mouvement breton, et en cela il en est indéniablement le
précurseur, il reste surtout un écrivain témoin de son temps, avec toute
sa part d’humanité. Certes, il ne partage pas les choix idéologiques de ces
« autonomistes » sous l’Occupation, mais son courage est qu’il ne s’interdit pas d’en rechercher les raisons, qui apparaissent
nettement, pour qui veut bien le comprendre, au travers de ses personnages.
(1). Il s'agit du commandant Édouard Thomas, un « brave type» selon Guilloux, qui sera abattu par les Allemands le 3 août 1944 à Broons, lors d'un contrôle d'identité.
(1). Il s'agit du commandant Édouard Thomas, un « brave type» selon Guilloux, qui sera abattu par les Allemands le 3 août 1944 à Broons, lors d'un contrôle d'identité.