lundi 9 octobre 2023

Louis Feutren, et sa pédagogie inspirée du Bezen Perrot

Plusieurs journaux se sont fait l'écho d'un étonnant article, paru le 3 octobre dans le quotidien The Guardian, où l'on découvre un professeur d'origine bretonne qui n'avait visiblement pas fait ses armes dans la pédagogie Montessori. Accusé de châtiments corporels sur des collégiens irlandais, l'affaire va prendre un tour particulier lorsque l'on apprend par le journaliste Uri Goni, lui-même son ancien élève, que cet enseignant n'était autre que le "séparatiste breton" Louis Feutren, alias "Le Maître" au Bezen Perrot, "They said he wasn't really a Nazi but a Breton separatist," said Goni. "My reaction was, yes, but many Breton separatists didn't join the SS." Uri Goni ne citant pas ses sources et Feutren n'ayant pas été interrogé puisqu'en fuite en Allemagne puis condamné à mort par contumace, c'est à partir des interrogatoires de ses camarades du Bezen qu'il a été possible de se faire une idée de ce personnage.


Tout d'abord, j'ai été surpris par cette affirmation "Le Bezen Perrot, qui traquait les Juifs et les résistants français" et qui figure dans tous les articles des journaux français. Si c'est exact pour les résistants, je n'ai pas connaissance d'une participation de membres du Bezen à une rafle contre les Juifs. Après les grandes rafles de 1942, au même moment que celle du Vel' d'Hiv, il ne reste plus beaucoup de juifs en Bretagne. La dernière grande rafle a eu lieu en janvier 1944. Cependant, lors de son interrogatoire, le jeune Armel Guillo "Jégou", qui n'avait que 17 ans lorsqu'il s'est engagé au Bezen, reconnaît avoir participé au mois de janvier, avec deux autres camarades, Morvan et Chérel, sous la direction d'un policier allemand en civil, à l'arrestation "d'une vieille dame juive sur les quais de la Vilaine" à Rennes. De plus en plus dégouté, Guillo avait écrit à ses parents pour le sortir de "cette sale affaire". 

Le Trégorrois Louis Feutren "Le Maître", né en 1922 à Pleubian, était étudiant en droit. Jacques Malrieu  "Héric", l'avait rencontré à Rennes en février 1943, il était alors hébergé chez Célestin Lainé et faisait partie de son Service Spécial (SS). Lors d'un entrainement organisé du 1er au 13 août 1943, d'après l'interrogatoire de Louis Guervenou "Docteur", "Marche vers le point de rassemblement, abbaye de Boquen. Liaison assurée par des cyclistes pendant la marche d'approche. Repos jusqu'à minuit. Ensuite marche d'approche du château de la famille du Guerny (1). Des chiens avaient été placés dans le château pour voir s'ils n'éventeraient pas la présence des exécutants. La manœuvre réussit. A 8 heures, dans le parc, remise des brevets (kentour) en présence de la famille du Guerny et de deux sous-officiers allemands du SD (Grimm et ?) qui étaient les hôtes de la famille du Guerny. Assistaient à l'opération : Célestin Lainé, son frère commandant Lainé, Chanteau "Mabinog", Feutren, Heussaf "Professeur", Bourhis "Guével". 

Malrieu retrouve donc Feutren au Bezen en décembre 1943 "dont il était l'un des organisateurs. Lainé comptait l'envoyer en Allemagne pour faire une étude comparée des religions celtiques et germaniques. Le projet tomba à l'eau. Feutren était chargé de la surveillance du cantonnement Bd de Sévigné. Très germanophile, il admirait Lainé." D'après Christian Guyonvarc'h "Cadoudal" : "Il était vaniteux et assez sot. Mal vu de ses camarades, c'était le chien du quartier. Il répétait servilement les théories politiques de Lainé. Avec Jacques de Quélen il avait menacé Chevalier à Saint-Brieuc, qui avait déserté, de le faire arrêter par la police allemande s'il ne rejoignait pas immédiatement le Bezen. Il sera arrêté deux jours plus tard."


Le 10 janvier 1944, Feutren est interpellé en gare de Caulnes par deux gendarmes. Invité à décliner son identité, il se met au garde à vous et leur déclare : "Vous avez affaire à un policier allemand", et de l'index leur montre la route en disant : "Filez !". Nullement impressionnés, nos deux pandores insistent. Feutren demande alors s'il y a des troupes allemandes dans la région. Les gendarmes l'emmènent alors au château du Verger à Caulnes. En entrant dans le château, Feutren crie en levant le bras : "Heil Hitler!". Il parlemente alors en allemand avec l'officier de présence. Un coup de fil à Rennes confirme qu'il s'agissait d'un policier bien connu du SD. Comme les gendarmes avaient relevé son identité sur une feuille, Feutren exige devant l'officier allemand qu'ils lui remettent ce papier. Puis à son tour, il exige des gendarmes qu'ils lui donnent leurs papiers et relève les noms et adresses !

Feutren ne s'occupait pas seulement de tâches administratives puisque le 7 juillet 1944, on le retrouve au côté d'Ange Péresse "Cocal" avec trois groupes du Bezen, le Groupe d'Action du PPF et une centaine de miliciens, sous la direction du SD, lors d'une opération contre le maquis de Broualan, petite commune du nord de l'Ille-et-Vilaine. Après des tortures d'une rare violence, laissant quatre cadavres sur place, le convoi de prisonniers s'arrête sur le chemin du retour dans une carrière de Saint-Rémy-du-Plain où huit résistants et un aviateur américain sont à nouveau exécutés. Le Bezen ayant quitté Rennes, le 4 août 1944, Feutren est à nouveau signalé lors d'une opération menée contre un maquis dans la région de Châlons-sur-Marne. Puis c'est le repli sur l'Allemagne et l'exil pour ce qui reste du Bezen, une trentaine d'hommes, les plus compromis avec l'occupant, tous condamnés à mort par contumace.

(1) Jeanne Coroller "Danio", épouse du Guerny, atrocement assassinée dans la forêt de la Hardouinais par ce qu'il y avait malheureusement de moins recommandable dans la Résistance.