mercredi 31 juillet 2024

Rennes libérée, la mise en place du Comité départemental de la Libération.

C’est au mois de décembre 1943 qu’une première réunion clandestine s’est tenue place du Calvaire à Rennes, chez le commissaire de police Le Page, révoqué par Vichy. Le général Allard assure la présidence, les contacts ont été assurés par François Tanguy-Prigent. Parmi les premiers membres du CDL 35, on trouve : Le Gorgeu, Foulon, Level, Kerambrun, Grimault, Galichet, Milon, Heurtier, Commeurec, Louviot, Lavoquer, Chaplet. Les contacts avec les délégués du GPRF (Le Gorgeu et Tanguy-Prigent) se font chez Foulon, qui habite au 7 bis, boulevard Volney. Jusqu’au mois de mai 1944, Tanguy-Prigent se rend régulièrement à Paris. Ensuite, et jusqu’au débarquement, Victor Le Gorgeu, commissaire de la République, et Bernard Cornut-Gentille, préfet, ont les pleins pouvoirs donnés par le gouvernement d’Alger et le CNR. Les dernières réunions ont eu lieu peu de temps avant la libération de Rennes pour préparer la prise du pouvoir local et l’occupation, par la Résistance, des bâtiments administratifs de Rennes. Le Gorgeu, dit Le Guillou, est alors caché chez M. Leray au 4, boulevard Volney. La maison étant située sous la ligne de tir des canons américains à la Maison Blanche et ceux des Allemands à Saint-Jacques, il se réfugie dans une cave de la rue d’Estrées (Le terme de "terrible bataille de Maison Blanche" lu dans Ouest-France me parait bien excessif. Sinon quel terme employé pour celles de Normandie ou des Ardennes ? Ce n'était qu'un combat ou un accrochage). Le CDL clandestin a été très actif, surtout dans les 3 derniers mois qui précédèrent la Libération, les organisations militaires (FFI, FTP, AS) et de Résistance (FN et Libé-Nord) étant plus préoccupées par la libération elle-même que par des considérations politiques. Le CDL se définit comme l’auxiliaire du préfet et du commissaire de la République, tout en étant l’émanation des forces de la Résistance. Le 3 août dans l’après-midi, la véritable prise de pouvoir à Rennes a été assurée par ses membres : Hubert de Solminihac, dit « Hémeric » (MLN) ; Pierre Herbart, dit « Le Vigan » (MLN) et des groupes FTP. À 20 h, les bâtiments publics étaient aux mains de la Résistance. Conséquence des bombardements et des évacuations, la ville avait perdu une bonne moitié de sa population. D'après mon décompte des cartes d'alimentation distribuées par la Mairie, il reste alors environ 35 000 habitants à Rennes. 

Le lendemain 4 août, jour de la libération de la ville, la première réunion non-clandestine du CDL se tient à la préfecture en présence du commissaire de la République Le Gorgeu. Sont présents : Kerambrun, Quessot, Level, de Solminihac, Mme Martin, Cornut-Gentille, Le Vigan et Milon. Charles Foulon est encore dans le Finistère. Il ne rejoindra Rennes que le 8 août. Désireux d’agir légalement, grâce à son président Kerambrun, le CDL n’a ordonné aucune exécution. Il n’y a eu aucun appel aux populations. Les rapports avec le préfet Cornut-Gentille sont plutôt bons. Ils seront plus tendus avec son successeur Bernard Vigier.

Extraits du PV

Le premier procès-verbal, daté du 10 août 1944, indique que le CDL s’est réuni au complet. Sont présents : Kerambrun, président (Radical) ; Becdelièvre (Jeune république) ; chanoine Brassier (Forces spirituelles) ; Collery (FN) ; Foulon (Libé-Nord) ; Geffroy (CGT) ; Grimault (CFTC) ; Guillon (FUJP) ; Level (instituteur résistant) ; Mme Martin (MLN) ; Perennez (PC) ; Quessot (SFIO) ; Riveau (monde paysan) ; De Solminihac (MLN). L’effectif du Comité n’est pas figé. Il atteindra 19 membres. Kerambrun, nommé premier président de la Cour d’appel, sera remplacé par Clément Heurtier (Libé-Nord). Charles Foulon est chargé du secrétariat général du CDL, c’est un poste essentiel. Se pose déjà la question des locaux du Comité. Le CDL reçoit 2 commissaires de police et les informe du scandale que constitue la libération prématurée de certains collabos. Les commissaires répondent que la maison du Cercle Paul Bert, où se faisait le tri des collabos a été débordée pendant trois jours. Au nom du CDL Foulon fait observer que les circonstances sont exceptionnelles et que les arrestations doivent être maintenues lorsqu’elles ont été faites par les CLL ou des groupes de patriotes connus. Les miliciens sont écroués à Jacques Cartier plutôt qu’au quartier Margueritte d’où il est facile de s’évader. L’ex-préfet régional Martin est en surveillance à l’hôtel de France. Le CDL exige qu’il soit mis en prison. Un café de Maurepas a vendu du vin aux Américains 30 F le verre alors que les consommateurs rennais le payait 10 F. Le CDL demande qu'il soit incarcéré et poursuivi.

Lucie Aubrac à Rennes

Le lendemain, vendredi 11 août 1944, la séance est ouverte par Charles Kerambrun en présence d’Yves Milon, président de la délégation municipale, et de Lucie Aubrac. Le 27 juillet, à Londres, elle s’était vu confier une mission de liaison en France libérée auprès des comités de Libération et des mouvements de résistance par Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Kerambrun signale que les officiers en uniforme prennent petit à petit le pas sur les civils et les jeunes combattants de la Résistance. Il demande au CDL de veiller à ne pas « laisser perdre nos droits et nos devoirs ». Lucie Aubrac prend la parole et indique que le CDL est un organisme de travail « recruté dans tous les mouvements politiques de la Résistance. Il représente l’opinion générale d’un département. Les CDL représentaient le désir de Libération ; ils représentent maintenant l’unanime désir des patriotes de reconstruire la France. » Pour Lucie Aubrac, la priorité c’est l’épuration, « épuration des collaborateurs et aussi des vichyssois. Elle doit se poursuivre de la manière suivante : la Commission d’épuration étudie les noms des gens dont on lui a fait parvenir les dossiers à la maison de la Résistance. Elle dresse l’accusation. Dans le PV de la commission, il est décidé, qu’en raison de tels ou tels faits, tel individu est digne d’une certaine peine : mise en résidence surveillée ; camp de concentration ; prison. Ce PV est présenté chaque jour au CDL, entériné, porté au préfet ; ainsi en moins de 48 heures, chaque dénonciation populaire peut être suivie, étudiée, préparée pour l’accusation et se traduire en actes en 48 heures. L’épuration devient une tâche facile et claire ».

Comme pour la magistrature, dont le procureur général de la cour de Rennes, M. Peyre, est accusé de "couvrir" les membres collaborateurs ou vichystes de son personnel, se pose la délicate épuration des municipalités. « Il y en a 368 en Ille-et-Vilaine. Pour toutes les municipalités de villes de plus de 2 000 habitants, il faudra faire une enquête. Un texte législatif régit cette épuration : c’est l’ordonnance du 21 avril 1944 prise par le ministère de l’Intérieur. Ce texte demande de conserver les conseillers municipaux élus avant le 1er septembre 1939. Ou il faudra les remettre en fonctions. Seront révoqués, par contre, les maires, adjoints et conseillers traîtres de même qu’il faudra dissoudre toute assemblée nommée par Vichy. On revient aux conseils municipaux élus ; par suite des décès et des épurations, il peut se faire que le nombre de conseillers baissera. Quand ils atteindront le quorum (la moitié + 1) on les laissera sans changement. Si au contraire ils ne l’atteignent pas, alors ils seront complétés par le préfet après les avis du CDL, grâce à l’adjonction de personnalités ayant effectivement participé à la résistance, contre l’ennemi et contre l’usurpateur. »

Mme Aubrac ajoute enfin, sous les applaudissements : « Nous voulons réussir. Il ne faut pas perdre l’enthousiasme ; il faut rester près de nos buts ». Á l’unanimité, une motion est votée concernant la réquisition d’une maison appartenant précédemment aux collaborateurs ou à l’ennemi. Le CDL se heurte parfois aux autorités militaires : « Il semble que parmi les officiers qui ont récemment revêtu l’uniforme, tous ne soient pas résistants ». Après avoir félicité M. Kerambrun de sa nomination comme premier président à la Cour d’appel, M. Le Gorgeu demande que « l’épuration soit assez prudente pour ne pas compromettre la marche des services ».

Une difficile épuration

5, contour de la Motte. Archives de Rennes. Fonds Foulon.
Le 17 août, le CDL est autorisé à occuper un immeuble réquisitionné au 5, contour de la Motte, en face de la préfecture. Dans un premier temps, les prises de position ou les vœux sont pratiquement tous adoptés à l’unanimité, constate Charles Foulon : « L’enthousiasme y était, avec une atmosphère de fraternité qui était celle de la clandestinité ; le curé et l’ouvrier communiste, le directeur assez riche de la coopérative agricole et le cheminot, le vieux pharmacien et le jeune franc-tireur ». Au sujet des rapports entre communistes et non-communistes, Foulon note que la distinction entre les deux groupes est moins tranchée qu’elle ne le sera plus tard : « L’hostilité de Vichy et la répression nazie avaient rendu les communistes sympathiques à tous les résistants ». Le 23 août, le lieutenant Aubry, des FFI, tondait un jeune homme qu'il appelait un « zazou » sur la lace de la mairie. L'incident, qui causait un scandale et était interprété diversement, paraît à la fois une brimade et une mascarade, surtout qu'un deuxième « zazou » était en même temps mis en demeure de s'engager sous la menace d'une tondeuse.
Lors de sa séance du 28 août, le CDL demande l’épuration des chambres de commerce « lorsque leurs membres ne sont pas restés patriotes : Bessec de Saint-Malo, Bahon-Rault, pétainiste convaincu ». Des marchands de meubles « ayant travaillé avec et pour les Allemands » sont également visés : Rual et Poirier. Une plainte est aussi déposée contre Pelpel. Le 29, le CDL trouve scandaleux que des paysans font des échanges directs d'alcool et de denrées contre de l'essence fournie par les Américains.
Couple rennais de la Milice
Le 4 septembre, le docteur Bianquis transmet une liste de détenus illégalement incarcérés par la Milice à l'asile Saint-Méen. M. Becdelièvre fait savoir que les prisonniers en question ont été transportés vers Redon accompagnés de 30 soldats allemands.
Le 5 septembre, le CDL propose l’arrestation de 75 membres du RNP et 179 membres du PNB. Le 7 septembre, M. Becdelièvre fait observer que le scandale du camp Margueritte continue : « Les nègres font un véritable service de correspondance. Le lieutenant Bietry ou le capitaine Mercier ferment les yeux sur ce manège ». Pour M. Quessot « le clergé doit être épuré au même titre que les autres parties de la population. » Le préfet pense qu’il faut songer aux conséquences… Le 8 septembre, le général Allard vient au CDL pour l’avertir : « Que le public se plaint des FFI vrais ou faux dont l’indiscipline et les mœurs déplaisent. Les gens ne savent pas comment nous faire parvenir des plaintes. Il est inadmissible que les collaborateurs puissent continuer encore longtemps à se promener impunis, autrement les gens finiraient par se faire justice ». Heurtier se plaint qu’il y a autour du CDL de nombreuses fuites : « Des agents auraient prévenu certaines personnes de leur arrestation imminente ». Puis c’est Kerambrun, qui revient de Paris, où il a eu une entrevue avec le ministre de la Justice. En attendant la création de la Cour de justice, le CDL doit faire suivre ses dossiers au tribunal militaire, qui se charge de poursuivre les coupables des délits et crimes commis en contravention des articles 75 à 80 du Code pénal. Kerambrun reconnaît que la constitution du tribunal militaire pose celle de l’épuration de l’armée. En attendant la Cour de justice, le tribunal militaire est donc compétent.

Enquête sur la répression à la Libération. Tribunal militaire Ille-et-Vilaine.

« Non-lieu : 217 fiches

Condamnations : 349 fiches

Total des affaires jugées : 566

Dates extrêmes : 22 septembre 1944 – 29 mars 1949.

Mort suivie d’exécution : 6 en 1944

Mort sans exécution : 3, dont 2 femmes

Le 27 septembre, les Cours de justice, qui devaient être aussi nombreuses que les Cours d’appel et juger dans le ressort régional, sont remplacées par des Cours de justice départementales. En conséquence, deux membres de la Commission d’épuration, proposés comme candidats, pourront aider le Premier président à choisir les noms des personnes parmi lesquelles on tirera au sort la liste des jurés de la Cour de justice : 60 noms seront proposés par Monsieur le Président ; 60 noms par le CDL, 60 noms par les FFI. Une liste d’arrestations était prête, le secrétaire explique que cette liste est celle des plus importants cotisants du groupe Collaboration Alphonse de Châteaubriant (304 fiches d'adhérents). Le préfet a prescrit des enquêtes immédiates et triplé le personnel, 35 équipes de policiers vont travailler 24 heures après les vœux demandant des arrestations, la police donnera les renseignements. Une cour militaire va fonctionner à partir de lundi. Une commission de triage fonctionnera également sur le plan départemental. Le préfet craint que le magistrat par trop d’indulgence ou trop d’esprit partisan n’aiguille vers la cour civile de justice des gens qui devraient être passés devant le tribunal militaire. Le CDL demande que la liste des arrestations soit publiée dans la presse. Le 2 octobre, la Commission d’épuration discute sur l’opportunité d’une arrestation massive des personnes inscrites dans les groupes et associations collaborationnistes. Le secrétaire propose qu’il y ait une arrestation opérée par tranches assez fortes, commençant par des personnalités d’un rang social élevé, désignées nommément par le CDL. Une arrestation massive de plusieurs centaines de personnes étant techniquement difficile. Un vœu est adopté demandant l’internement administratif durant 2 ou 3 semaines des femmes ayant eu des rapports intimes avec les Allemands (Certaines étaient en effet plus en sécurité au camp Margueritte qu'en ville). Par manque de personnel il y a embouteillage du travail d’épuration en cours. 318 dossiers sont en souffrance depuis plusieurs semaines. Le CDL s’interroge sur la culpabilité des membres du PNB ayant adhéré avant 1939 ainsi que sur la responsabilité des adhérents du PNB qui ont assisté en 1940 à la réunion du parti qui a suivi immédiatement l’occupation allemande.

Le 3 novembre, la Cour de justice va fonctionner sous peu. 5 à 600 dossiers lui ont été transmis. Plus insolite « Mme Richelot, 6 rue Martenot, a en sa possession, un porc gras, des bicyclettes et un frigidaire que lui ont laissés les Allemands à leur départ. Prise de guerre qui ne revient pas à Mme Richelot ». Le 22 novembre, le CDL demande l’internement et la mise de biens sous séquestre des entreprises Morel & Gaté et J.B. Martin à Fougères.

Le 29 décembre, Foulon donne lecture de l’ordonnance décrétant l’indignité nationale pour tous les membres, fonctionnaires de propagande, chefs de services aux affaires juives du gouvernement de Vichy, adhérents des organisations : Légion tricolore, LVF, amis de la Légion, Légion africaine, Francisme, collaboration, PPF, RNP, MSR, organisateurs ou participants de manifestations politiques ou économiques, conférenciers, auteurs de brochures ou tracts, affiches de propagande, etc. L’assemblée approuve et demande au ministre d’ajouter à la liste ci-dessus : PNB, CNN (Il doit s'agir plutôt du Comité National Breton créé en 1940 par Debauvais et Mordrel) et Milice Perrot qui intéressent particulièrement la Bretagne.

2ème Unité de marche de la Milice cantonnée rue du Griffon.
 On distingue les hermines sur leur écusson.


Le 10 janvier 1945, épuration de la Chambre de commerce. De nombreuses affaires concernent la ville de Fougères, où la collaboration économique fut importante. Deux vœux sont adoptés pour rechercher les auteurs de l’arrestation de Thérèse Pierre. Le 4 avril, Level signale que le CDL est attaqué de partout, accusé de tous les retards apportés à l’épuration, de toutes les libérations inopportunes ordonnées par les autorités judiciaires ou administratives, et qu’il conviendrait de réagir au plus tôt par la voie de la presse « C’est ainsi que le CDL est accusé dans le public d’avoir fait libérer Berthe Valton et que celle-ci se vante d’obtenir sous peu la libération de M. Moroge. Le CDL travaille en vase clos. Il doit extérioriser ses travaux et faire connaître au public les demandes d’internements qui ne sont pas réalisées, les libérations prononcées contre notre gré ».

Le 16 avril 1945, Le préfet donne les chiffres comparatifs suivants qui démontrent que l’Ille-et-Vilaine est de loin en tête de l’épuration en Bretagne :

Département

 Ille-et-Vilaine

 Finistère

 Morbihan

 Côtes-du-Nord

Internement

415

132

65

110

Cour de Justice

64

15

12

28

Chambre civique

306

54

16

45

Confiscation

 113 millions

 18 millions

 12 millions

 17 millions

 

Le préfet Bernard Vigier de conclure : « L’Ille-et-Vilaine ayant été le département le moins résistant des 4 départements bretons il devait être le plus inféodé au pétainisme et à la collaboration et par conséquent le plus susceptible d’épuration ». 

Aurait-on plus collaboré que résisté en Ille-et-Vilaine ?

 

Jusqu’en octobre 1945, d’après les PV des séances, le CDL a adopté les vœux suivants sur l’épuration :

Demandes d’internement et incarcération = 647 (478 en 1944, dont 179 membres du PNB)

Internements administratifs = 261 (164 en 1944)

Mises en liberté et relaxe = 173

Maintien des arrestations = 99

Demandes d’enquêtes = 133

Le CDL a établi 7 385 dossiers.

Archives de Rennes. Fonds Foulon.
Le 7 novembre 1945, dès réception de la dissolution du CDL d’Ille-et-Vilaine, Foulon a avisé M. Saillant et les présidents de CDL de la décision du préfet. D’après Foulon, « La décision du préfet contre le CDL est une des conséquences de son discours contre Teitgen et le MRP, l’autre conséquence étant l’intervention de Garnot contre lui ». Le préfet d’Ille-et-Vilaine est un des rares préfets à avoir agi de la sorte. Le CDL s’occupe du reclassement du personnel. Le CDL fera l’inventaire des meubles. Foulon propose que l’on transporte les archives dans les locaux de la CGT. Le CDL doit assurer jusqu’au 10 novembre la liquidation des affaires courantes. Le CDL ne se réunira plus qu’une fois par semaine, le mercredi matin.

Le 19 décembre, Foulon donne lecture d’une lettre du CNR concernant la situation des CDL qui, d’après Louis Saillant, ne peuvent survivre qu’en se constituant en associations.

Le 16 mars 1946, réunion extraordinaire pour transformer le CDL en association. Au mois d’octobre, la CGT lui demande de quitter ses locaux.










jeudi 6 juin 2024

Le Sourn : les deux fusillées du 20 juillet 1944

J’ai souvent évoqué sur ce blog le sort de ces femmes accusées de dénonciations par des maquisards puis exécutées par pendaison après un simulacre de jugement, principalement durant l’été meurtrier de 1944. D’autres pendaisons, plus rares, se produiront ensuite dans le cadre de l’épuration « extra-judiciaire » après la Libération. L’un des articles le plus consulté sur ce blog, avec plus de 4 012 visites à ce jour, étant sans aucun doute celui du 27 juillet 2015 consacré aux pendues de Monterfil.

Depuis la révélation, en 2014, de cette tragique histoire de Monterfil, d’autres affaires méconnues de « collaboratrices », cette fois-ci fusillées, sortent de l’ombre. En 2018, par exemple, l’enquête minutieuse d’un historien local a permis de mettre à jour ce qui se murmurait depuis des années chez les anciens de Scaër, dans le Finistère. En effet, deux jeunes filles, Marie-Jeanne Noac’h, 22 ans, et Jeannette Laz, 21 ans, à qui la rumeur leur prêtait des « rapports trop proches » avec l’occupant, furent arrêtées le 10 août 1944. Accusées, sans la moindre preuve, d’avoir dénoncé le lieu d’un parachutage allié, elles furent fusillées au lieu-dit Stang-Blanc après avoir été humiliées publiquement. (1)

Dans mon dernier ouvrage Chez nous il n’y a que des morts (2), j’évoque l’assaut que les Allemands menèrent le 27 juillet 1944 contre la 1ère compagnie de maquisards du 3ème bataillon FFI (ORA) du lieutenant-colonel Félix Robo. Cette compagnie, placée sous les ordres de Roger Massardier, avait installé son campement au lieu-dit Guerlogoden, en Kergrist. Afin d’éviter l’encerclement, Massardier engagea le combat avec quelques maquisards équipés de FM pour protéger la retraite du groupe, avant d’être obligés de se retirer à leur tour. Lors de cet assaut, trois maquisards furent tués, puis deux autres exécutés après avoir été capturés et emmenés à Pontivy pour y être torturés.

Je reviens sur cet épisode car j’ai retrouvé ce même Roger Massardier dans un document d’archives que j’avais mis de côté et oublié car sans lien direct avec mon sujet. Celui-ci est intitulé « Affaire contre X… meurtre femme et fille D. » (Je n’ai pas jugé nécessaire de révéler leurs patronymes), puis il est indiqué que « Cette affaire a été réglée par une ordonnance d’incompétence car elle est, comme les précédentes, du ressort de la Justice Militaire ». Comme tant d’autres affaires similaires, j’ignore si elle est connue localement ou a fait l’objet d’une publication. J’en doute. Il s’agit en l’occurrence de l’exécution d’une femme et de sa fille Jacqueline qui fut ordonnée dans les circonstances suivantes : D’après le « Service de renseignements », comprendre le 2ème Bureau FFI, cette femme, débitante de boisson au lieu-dit Collédo, en la commune de Le Sourn, près de Pontivy, était suspecte avec sa fille « d’intelligences avec l’ennemi », sans plus de précision. C’est alors que Massardier « commandant d’une compagnie du 3ème bataillon FFI », le 20 juillet 1944, donne l’ordre à des « soldats de sa formation » de procéder à leur interrogatoire et « le cas échéant, de les exécuter ». C’est ainsi que « les nommés », dont les noms figurent sur le document, « entrèrent en contact avec les deux femmes, qui furent passées par les armes ». Il n’est plus question de maquisards, mais bien de « soldats », donc d’une armée régulière.

Cependant, et tandis que ces quatre « soldats » procédaient à l’exécution des deux femmes au Collédo, le mari de la débitante « quoique non visé par les instructions qui avaient été données » fut « grièvement atteint d’une balle et la blessure ainsi causée eut comme conséquence la perte de l’œil droit ». A-t-il voulu s’interposer ?

D’après ce document, ces quatre « militaires » déclarent avoir reçu de leur capitaine l’ordre formel « de fusiller les deux femmes, sans aucune condition visant le degré de leur culpabilité. Il s’agit de considérer, en manière de conclusion, sans aller plus au fond, qu’il s’agit, d’une part, de la personne d’un chef militaire donnant dans l’exercice de ses fonctions un ordre à exécuter, d’autre part, que les exécutants du dit ordre étaient des soldats FFI justiciables par conséquent de la juridiction militaire ».

Les maquisards FFI sont des engagés, donc considérés comme des soldats, qui avaient tout intérêt à comparaître devant la justice militaire, considérée comme plus discrète et surtout moins sévère, ces affaires se terminant généralement par un acquittement.

Stanislas Le Compagnon.
René Le Guénic, Morbihan, Mémorial de la Résistance

Est-ce la forte présence allemande à Pontivy avec le QG du XXVe corps d'armée allemand du général Fahrmbacher ? Toujours est-il qu’au Sourn, une autre affaire impliquant deux femmes, une mère et sa fille, qui ne connaîtront pas le sort funeste des précédentes, mais qui aurait pu très mal finir ; les maquisards chargés de leur exécution n’ayant pas osé tirer sur des femmes, elles ont réussi à s’enfuir. Pauline, 20 ans, ayant appris l’allemand, avait été recrutée par l’occupant comme interprète. Plusieurs témoins l’ont accusée de dénonciations, de participation aux rafles et aux interrogatoires (on retrouve le même cas avec le jeune Roger Elophe au SD de Saint-Brieuc). En effet, le 19 juillet 1944, soit la veille de l’affaire Massardier, les Allemands, renseignés par une dénonciatrice, arrêtèrent 14 personnes au Sourn, dont le jeune FFI Stanislas Le Compagnon, qui sera emmené à Pontivy pour y être interrogé et torturé. Son corps sera retrouvé au mois d’octobre par un chasseur dans un bois à proximité de Le Sourn. (3)

Le 1er août 1944, les deux femmes quittent Le Sourn pour Paris lors du repli des Allemands. Condamnées à mort par contumace le 4 juillet 1945 par la Cour de justice de Vannes, elles vont être retrouvées puis arrêtées à Paris au mois d’avril 1947, puis rejugées par la Cour de justice de Rennes deux mois plus tard. Malgré ses dénégations, la Cour maintient la peine de mort pour Pauline, qui sera graciée par Vincent Auriol, sa peine étant commuée en dix ans de réclusion. Sa mère sera acquittée.

 

(1 (1)  Le Télégramme, 7 août 2018.

(2 (2)  Hamon Kristian, Chez nous il n’y a que des morts. Les parachutistes de la France Libre en Bretagne, été 1944, p. 307, Skol-Vreizh, 2021.

(3 (3) Pour Stanislas Le Compagnon, voir sa notice sur Le Maitron : https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article21059

jeudi 16 mai 2024

Le martyre des prêtres résistants bretons

La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné où gisent, sans honneur, des morts qu'ils ont cessé de chérir.
Marguerite Yourcenar, Les Mémoires d'Hadrien, (Œuvres romanesques, coll. Pléiade, p. 449).

    

    De la déclaration du cardinal Gerlier « Car Pétain, c’est la France et la France, aujourd’hui, c’est Pétain ! », prononcée le 19 novembre 1940 à la primatiale Saint-Jean de Lyon en présence du maréchal, à la si belle messe du cardinal Suhard donnée à Notre-Dame de Paris, toujours avec le maréchal, le 26 avril 1944, ce furent quatre années de compromission entre les évêques et le régime de Vichy. La plupart de ces évêques étant restés fidèles au maréchal et à sa politique de « régénération morale ». N'est-ce pas Mgr Serrand, évêque de Saint-Brieuc, qui exhorta son clergé « Sans arrière-pensée aucune, apportons lui notre concours le plus total et le plus désintéressé » ? En février 1943, dans une note à ses doyens, il exigea l'obéissance du clergé au STO et s'emporta contre les « dissidents ». Si cette image d’un clergé maréchaliste perdure encore largement aujourd’hui, il convient toutefois de la nuancer en faisant une distinction, particulièrement en Bretagne, terre catholique et résistante, entre les représentants du haut clergé et ceux du bas clergé. Nombreux, en effet, furent ces humbles prêtres et fidèles anonymes à s’engager dans la Résistance avec, comme le montrent ces quelques exemples, un sens du sacrifice qui confine à l’héroïsme :

- Maurice Barré, prêtre à Dinan, officier de réserve, est mobilisé en 1939. Fait prisonnier, il s’évade et entre en résistance dès décembre 1940, « Organisation Civile et Militaire » (OCM). Il fournit à Maurice Halna du Fretay tous les renseignements qu’il a pu recueillir sur la présence allemande dans la région de Dinan et Saint-Malo. En 1942, il est agent du réseau « Delbos » puis, en 1943, avec son ami Jules Guéhéneuc, responsable régional du réseau « Centurie » de Dinan à Morlaix sous le pseudonyme « Beaumanoir ». Il participe également à l’évasion d’aviateurs alliés. Se sachant traqué, il doit se réfugier à Dinan dans la clinique de son ami le docteur Legrand qui l’hospitalise et s’oppose à son enlèvement par les Allemands qui l’avaient retrouvé. Mais le médecin allemand qui avait été dépêché pour l’examiner ne se laisse pas convaincre par le diagnostic du docteur Legrand. L’abbé qui aurait eu le temps de fuir avant que la police allemande ne revienne l’arrêter reste sur place et se laisse prendre, sachant que le docteur Legrand aurait été arrêté à sa place. Arrêté le 13 décembre 1943 il subit les interrogatoires sous les coups et la torture avant d’être interné au camp Margueritte à Rennes d’où il est déporté vers l’Allemagne à bord du fameux train de Langeais. Lors de l’attaque aérienne du convoi, le 6 août 1944, il aurait pu en profiter pour s’évader mais il choisit d’assister son camarade Jules Guéhéneuc, blessé par les Allemands alors qu’il tentait de s’enfuir, mais qui meurt dans ses bras. Parti de Rennes le 3 août, veille de la libération de la ville, le long convoi mettra 13 jours pour atteindre Belfort. Le 29 août, via Strasbourg, le train déverse sa cargaison humaine à la gare de Rothau sous les coups de crosse ou de cravaches des SS. « C’est la montée au calvaire qui commence, monsieur l’abbé » lui dit une femme à la sortie du bourg, alors qu’il se trouve en fin de la colonne qui mettra deux heures pour parcourir les 9 km qui mènent au camp de Natzwiller-Struthof. Les SS n’aiment pas les soutanes. Pliant sous les coups, l’abbé s’évanouit dès l’entrée du camp et doit être transporté au ravier. Après un court séjour, les troupes alliées s’approchant de Strasbourg, Maurice Barré est transféré sur le camp de Dachau : lever à 4 heures du matin, appels interminables dans le froid et la neige, les coups, le travail exténuant sans nourriture, les kommandos dans les carrières, etc. En tant que prêtre catholique, l’abbé est logé dans un bloc spécial avec plusieurs autres religieux de nationalités différentes. Là, les SS leur font subir des persécutions les plus raffinées. Sa santé décline, congestion pulmonaire puis typhoïde. L’abbé n’en continue pas moins d’apporter aux mourants les secours de son ministère. Le 29 avril1945, le drapeau blanc flotte sur le camp. L’abbé et deux de ses camarades se faufilent à travers les barbelés électrifiés pour joindre les troupes américaines. « Le premier soldat que je vis était une femme. Une jeune femme en pantalon, blouson, avec casque et … un appareil photographique. Nous lui fîmes visiter l’infirmerie, les blocs 11, 13, 28 où se mouraient des hommes pesant de 40 à 45 kilos, je pesais moi-même 43 kilos ». Maurice Barré ne le savait pas. Cette jeune femme n’était autre que la célèbre photographe Lee Miller.

Pierre Cariou
- Pierre Cariou, vicaire de Douarnenez, est soupçonné depuis longtemps par les Allemands de prendre une part active dans l’organisation des départs clandestins pour l’Angleterre et l’évacuation des aviateurs alliés abattus. J’ai raconté dans l’article précédent le piège que lui avait tendu Maurice Zeller qui voulait faire passer en Angleterre son fils recherché par les Allemands « Il paraissait si sincère, il était si persuasif, que je lui indiquai le nom de M. Salaün, directeur du Likès à Quimper, comme étant susceptible de lui rendre service ». On sait ce qu’il adviendra des deux hommes, arrêtés le 26 avril 1944. C’est le lendemain de son arrestation que l’abbé Cariou rencontre pour la première fois le frère Joseph Salaün, alias « Sup » du réseau « Turma-Vengeance », « Soldat de France et soldat du Christ » à la prison Saint-Charles de Quimper. Les deux hommes sont ensuite conduits à la Kommandantur de Carhaix où interrogatoires et tortures vont se succéder dans les caves pendant une semaine avant le retour à Saint-Charles et le départ pour le camp Margueritte « A Rennes, ce fut la faim, un dur apprentissage et combien humiliant car « Frère âne » (1) proteste d’être maltraité à l’excès ». Puis, au mois de juin, c’est un nouveau transfert au camp de Compiègne, qu’ils atteindront en 13 jours. Compiègne n’était qu’une halte. Le 28 juillet 1944, part le dernier convoi de 1 652 hommes pour Neuengamme, le bagne immonde et son four crématoire qui crache sa fumée jour et nuit. Chapelets, médailles, insignes religieux, tout leur est enlevé. Dénudé, l’abbé Cariou, 34 ans, est reconnu apte à la mine de fer ; le frère Salaün, 48 ans, grand blessé de l’autre guerre, reste sur place. Ils ne se reverront plus. Joseph Salaün décèdera le 17 décembre 1944. Après Neuengamme, l’abbé Cariou est déporté au camp de Dachau « Là-bas c’était l’enfer. Les nazis n’avaient pas besoin de nous exécuter : l’environnement était malsain, la nourriture si inconsistante que la tuberculose et la dysenterie se chargeaient d’emporter les prisonniers ». A son retour du camp, au mois de mai 1945, l’abbé Cariou ne pesait plus que 40 kg.

(1) Allusion à Saint François d’Assise ?

Jean-Baptiste Legeay

- Jean-Baptiste Legeay, frère de l’Instruction chrétienne de Ploërmel, entre en résistance dès 1940 à Nantes. Au mois de septembre, repéré, il est affecté au postulat de Roscoat à Pléhédel (22). Il entre alors en contact avec le réseau « La bande à Sidonie ». Sa mission consiste à surveiller les mouvements de troupes et les installations de l’armée allemande sur la côte. Avec son réseau il héberge les premiers parachutistes alliés tombés en Bretagne pour les évacuer ensuite en Angleterre. C’est ainsi que le 28 décembre 1940, un bombardier de la RAF s’écrase aux environs de Lanvollon. Récupérés, les aviateurs britanniques sont cachés au Roscoat. L’abbé, qui parle parfaitement l’anglais, se charge de leur fournir des faux papiers et les faire passer en zone libre. L’opération sera renouvelée en septembre 1941 avec la chute d’un nouvel appareil sur la grève de Saint-Efflam. Jean Flouriot, un jeune homme de Plourivo, m’a raconté comment, désireux de rejoindre le général de Gaulle en Angleterre, il voulait rencontrer Legeay. Trop tard. Le 13 novembre 1941, alors qu’il se dirige vers le Roscoat, une voisine lui apprend que l’abbé vient d’être arrêté dans l’allée du Roscoat alors qu’il se rendait à la poste de Pléhérel. La filière sera entièrement démantelée. Condamné à la peine de mort « pour espionnage et aide à l’ennemi », l’abbé est interné à la forteresse de Rheinbach en Rhénanie puis décapité à la hache à Cologne le 10 février 1943, à 46 ans, jour de son anniversaire. (1)

(1) « Le délinquant écoute dans un petit hall le jugement suprême par le procureur de l’Etat. L’ecclésiastique donne l’absolution. Le bourreau habillé de noir avec gants blancs lui fixe ensuite les pieds et les mains sur une porte avec des courroies ; et lorsque le procureur de l’Etat brise le bâton en bois représentant la vie, le bourreau appuie sur un bouton semblable à celui d’une sonnette électrique, la porte tombe à la manière d’une bascule et, dans le même moment la hache, d’une dimension de quatre-vingts centimètres de long sur quarante de large, décapite le condamné. La hache est ajustée de telle façon que la vertèbre est tranchée avec une précision qu’on ne peut jamais égaler avec la guillotine. L’exécution dure environ quatre secondes ; le bourreau prend ensuite la tête par les oreilles et la montre au tribunal. Cinq minutes avant l’exécution le délinquant reçoit une piqure qui lui paralyse les cordes vocales. D’ordinaire, ce châtiment exemplaire était réservé à des Allemands traîtres à la « communauté populaire » national-socialiste. Pendant la guerre, il est arrivé qu’on l’appliquât à des prisonniers ou déportés des nations vaincues ».

Armand Vallée. Lieux de mémoire
dans les Côtes-du-Nord

Armand Vallée, surnommé le « prêtre rouge » de Saint-Brieuc, s’engage comme aumônier et brancardier au 271e Régiment d’Infanterie à la déclaration de la guerre. Fait prisonnier, Offlag IV D, il est libéré comme aumônier militaire. Dès son retour, en 1941, il rejoint le mouvement de résistance « Combat Zone Nord ». Tant à Paris qu’à Saint-Brieuc, il organise tout un réseau de renseignements et d’établissement de faux papiers dans les milieux démocrates-chrétiens. Il fait également passer en zone libre des aviateurs alliés. Dénoncé, il est arrêté le 2 février 1942 et interné à la prison de Fresnes. Le 9 juillet suivant il est déporté à la prison de Sarrebruck. Le 15 octobre 1943, il est condamné à 5 ans de travaux forcés. Le 8 novembre 1943 il est transféré au bagne de Sonnenburg, puis le 14 novembre 1944 au camp de Sachsenhausen. Le 13 février 1945, l’abbé Vallée est à nouveau transféré au camp de Mauthausen, où il meurt d’épuisement le 29 mars 1945, à 36 ans, n’ayant jamais cessé d’exercer son sacerdoce.

Abbés Tanguy

- Joseph Tanguy, recteur de Pont-Aven, et son jeune vicaire Francis Tanguy ne faisaient pas mystère de leurs sympathies gaullistes. N’hésitant pas à dénoncer la collaboration, même en chaire, Joseph Tanguy incitait ses jeunes paroissiens requis par le STO à se cacher pour y échapper. Le 1er janvier 1944, il accepte d’héberger provisoirement deux aviateurs américains dont le bombardier B 17 « Black Swan » fut abattu la veille par deux avions de la Luftwaffe lors d’un combat aérien au-dessus de Bannalec et recherchés par les Allemands. Le 3 janvier, suite à une dénonciation, les deux prêtres sont arrêtés puis emmenés à la prison Saint-Charles de Quimper. Joseph Tanguy se déclare seul responsable et tente vigoureusement de convaincre les Allemands de relâcher son vicaire, mais Francis Tanguy se déclare solidaire de son recteur dont il tient à partager le sort. Le 27 mars, les deux prêtres sont transférés à Compiègne puis, le 27 avril, à bord du « convoi de la mort » de 1 700 hommes, ils prennent la destination d’Auschwitz-Birkenau où ils sont frappés dès leur descente du wagon « Les soutanes attisaient la haine des SS ». Le 14 mai, c’est un nouveau transfert sur le camp de Buchenwald où Joseph Tanguy arrive très diminué par les mauvais traitements et la faim. Laissé nu pendant deux jours, il contracte une pneumonie et doit être conduit au revier où il décède le 21 mai 1944, à 62 ans. Francis Tanguy, 48 ans, qui n’a jamais pu revoir son recteur est transféré au camp de Flossenburg, où il est affecté au terrible Kommando des carrières. La dysenterie et les sévices des kapos finiront par le tuer le 15 septembre 1944.

- Louis Didier, recteur d’Ambon, est arrêté le 18 mars 1944 puis dirigé sur Compiègne, où il rencontre le père Guénaël, de l’abbaye de Thymadeuc, qui avait été arrêté le 14 juin 1943 puis emprisonné à Rennes pour y être durement interrogé. Il décèdera à Neuengamme le 3 janvier 1945. A Compiègne, l’abbé Didier célèbre sa dernière messe avant l’Allemagne « Car si nous avions bien été munis tous officiellement et avec autorisation en règle, d’autels portatifs (hypocrisie supérieure de ces messieurs) nous n’avons pu nous en servir pour la bonne raison qu’ils nous ont été enlevés dès notre arrivée en Allemagne ». Le convoi qui quitte Compiègne le 4 juin 1944, emportant 2 062 hommes dont près de la moitié ne reviendra jamais. Trois jours et trois nuits d’un voyage épouvantable vers Neuengamme sans eau, avec plusieurs morts et cas de folie. L’arrivée au camp se fait sous les coups de trique des SS « La vue d’une soutane les rend enragés et ils s’acharnent ». Deux jours plus tard, ils apprennent, Dieu sait comment, l’heureux débarquement des Alliés. Puis c’est le tri pour les kommandos de travail « Au début, juifs, prêtres et médecins sont éliminés de ces transports ». L’interdiction ayant été levée, Louis Didier part à son tour, seul prêtre du kommando de travail à Porta Wesphalica, près de Minden. 12 heures de travail de comme de nuit pour l’évacuation des pierres du creusement d’une galerie pour une usine souterraine à flanc de colline, et cela jusqu’au 21 novembre. Puis, au mois de décembre, c’est le transfert à Dachau « Ici nous n’avons plus travaillé, nous n’avons plus été frappés, surtout nous étions unis entre prêtres en deux blocs spéciaux. En janvier, nous étions environ 1 400 prêtres, dont la moitié de Polonais » (1). Le camp étant ravagé par une épidémie de typhus, l’abbé est volontaire pour s’occuper des malades dans les blocks contaminés. Atteint à son tour, il est entre la vie et la mort pendant un mois, recevant même l’extrême onction d’un prêtre polonais. Lors de la libération du camp par les Américains, il ne pesait plus que 42 kilos.

(1) A la suite d’une convention signée entre le IIIe Reich et le Vatican, les prêtres de toutes nationalités, initialement dispersés dans les autres camps de concentration, devaient être regroupés à Dachau fin 1940. La mesure ne sera systématique qu’à partir de novembre 1944. 2 271 religieux ont été comptabilisés à Dachau. 700 y sont morts et 300 disparus au cours de transports d’évacuation. 156 prêtres français y ont été déportés, dont Monseigneur Piguet, le seul évêque à avoir été déporté par les Allemands.

Joseph Martin

- L’abbé Joseph Martin, originaire d’Auray, reprend ses fonctions comme professeur au collège Saint-Ivy de Pontivy fin 1940, après avoir été mobilisé. En juillet 1942, la totalité du collège étant réquisitionnée par l’armée allemande, l’abbé Martin est logé chez Pierre Ropert, un commerçant qui accueille également une trentaine de collégiens. Cette même année, les Alliés décident de mettre en place des réseaux d’évacuations pour les aviateurs tombés en territoire occupé. Une mission est constituée avec à sa tête le docteur belge Albert Guérisse, alias « Pat O’Leary », assisté de Louis-Henri Nouveau, alias « Saint-Jean ». Nouveau prospecte en Bretagne, dans la région de Pontivy, au mois de janvier 1943, et recrute Pierre Ropert qui est chargé de mettre sur pied une antenne locale de ce réseau, « Pat O’Leary », que l’abbé Martin rejoint aussitôt. Malheureusement, le réseau était infiltré à Paris par un des plus redoutables agents de l’Abwehr, Roger Le Neveu, dit « Le Légionnaire », et « Saint-Jean » est arrêté le 13 février 1943. Quelques jours plus tard, à Toulouse, c’est au tour de « Pat O’Leary » d’être à son tour capturé. Le réseau est décapité mais continue son activité en Bretagne, ses membres ignorant l’arrestation de leurs chefs.
Roger Le Neveu

Aussi, quand Le Neveu se présente en Bretagne comme envoyé de « Saint-Jean », personne ne se méfie. Jusqu’à la fin juin, les dégâts vont être considérables et le réseau totalement anéanti. Le 11 juin, lorsque les Allemands se présentent chez Ropert, qui est absent, ils arrêtent l’abbé Martin. Emmené à Rennes puis transféré à Compiègne, il est déporté à Auschwitz le 27 avril 1944 à bord de ce que l’on a appelé le « convoi des tatoués ». L’abbé est dépouillé de sa soutane et de ses chapelets. Transféré à Buchenwald quelques jours plus tard, il est ensuite conduit au camp de travail de Flossenburg et affecté de juin 1944 à avril 1945 au kommando de Mulsen où il endure les pires traitements tout en continuant son rôle de prêtre, baptisant même un camarade. Le 13 avril 1945, face à l’avancée de l’armée américaine, les nazis évacuent le camp, ce sont les « marches de la mort ». Le 4 mai 1945, Joseph Martin, 41 ans, à bout de force, meurt sous la balle d’un SS.

Eugène Fleury

- Eugène Fleury
, vicaire, Saint-Brieuc, entre en résistance dès le début de l’Occupation et devient chef départemental du mouvement « Défense de la France ». Depuis un moment, l’abbé et son voisin résistant Jean Métairie se savaient repérés. Des précautions avaient pourtant été prises, mais trop tard. Le 1er juillet, vers midi, ils sont arrêtés au domicile de M. Métairie. Quelques instants plus tard, alors qu’il se présente au domicile de la famille, Pierre Kerautret, agent de liaison de Jean Métairie, est à son tour arrêté. Tous sont emmenés au siège du SD, Bd Lamartine pour y être martyrisés sans relâche à coups de nerfs de bœuf. Le dimanche 9 juillet, le SD au complet se réunit en cour martiale. Kerautret est amené « Krawl (lire plutôt Kroll) tape à la machine, Rudolf est accoudé au lit, l’interprète fait face à la fenêtre (Roger Elophe ?), Muller et un quatrième Gestapo sont assis près de la TSF. Emile garde la porte. Rudolf, cravache en main, commence l’interrogatoire : Kerautret s’entend accuser d’avoir donné des renseignements sur les mouvements de troupes, d’être le chef d’un groupe de résistance ; il nie et reçoit une volée de coups. M. Métairie entre péniblement « un vrai cadavre ambulant ». Puis l’abbé est introduit ; par deux fois Rudolf lui demande s’il connaît Kerautret : « Non, jamais ce jeune homme n’est venu chez moi. » Deux coups de cravache que M. Fleury esquive du bras gauche. Kerautret déclare qu’il ne connaît ce prêtre que « comme vicaire de sa paroisse ». Fleury est emmené à ce moment, il devait déjà être avisé de sa condamnation. Rudolf annonce à Kerautret : « Vous êtes condamnés aux travaux forcés en Allemagne. » (Les dénégations du prêtre lui sauvaient la vie) ». Emmené à Rennes pour être déporté à bord du dernier convoi, Kerautret réussira à s’évader lors du mitraillage du train à Langeais. Le 10 juillet, à l’heure du laitier, un camion bâché pénètre dans la cour de la prison. Un policier du SD fait l’appel des condamnés qu’un gardien allemand amène immédiatement : « Métairie Jean père, Métairie Jean fils, Fleury Eugène ». Les suppliciés sont fouillés, dépouillés de tout, les gardiens arrachent à l’abbé Fleury sa soutane, son chapelet. Le camion démarre, précédé d’une voiture du SD, jusqu’au lieu de l’exécution, le bois de Malaunay. Muller et Rudolf avaient été vus le samedi, repérant les lieux probablement. Mode opératoire habituel du SD, les victimes furent probablement extraites une à une du camion puis abattues à coups de mitraillettes. Du sang coulait dans la fosse commune sommaire lorsque les 17 corps furent découverts le lendemain par un garçon de passage. Parmi ceux-ci, celui de l’abbé Fleury, 41 ans.

Roger Elophe

Parmi les membres du SD de Saint-Brieuc, le jeune Roger Elophe, qui parlait parfaitement l’allemand, s’était mis au service de l’occupant comme interprète. D’abord à Quimper, puis au SD de Saint-Brieuc. Si l’on en croit son dossier d’instruction, de sa fonction d’interprète à celle d’agent participant activement aux missions et interrogatoires, le pas était vite franchi. Interrogé sur cette affaire de Malaunay le 7 octobre 1944 à la prison de Saint-Brieuc, il sait qu’il doit sauver sa tête : « Je suis complètement étranger à l’arrestation de Métairie et Fleury. En rentrant au service, j’ai aperçu M. Métairie, que je ne connaissais d’ailleurs pas, assis dans le bureau d’attente. Je lui ai parlé pour lui demander ce qu’il désirait, car je supposais qu’il désirait avoir un entretien avec quelqu’un du service. Ce n’est que dans l’après-midi que j’ai appris, en ville par la rumeur publique, qu’il devait être arrêté ainsi que l’abbé Fleury. Je n’ai aperçu ce dernier, qu’une seule fois, alors qu’il sortait d’une salle d’interrogatoire pour être reconduit à la prison. Je ne lui ai jamais parlé. J’affirme n’avoir pas participé à l’interrogatoire des sus nommés et j’ignore s’ils ont été torturés (…) Le 5 juillet, je crois, je me suis rendu à Guingamp avec l’inspecteur Thurau de la SD, qui voulait s’entretenir avec le sous-préfet de cette ville et le procureur de la République au sujet d’une découverte de cadavres dans le bois en question. Le sous-préfet a exposé à Thurau dans quelles circonstances la découverte avait eu lieu, que le Procureur de la République s’était rendu sur place pour y faire les constatations réglementaires et que parmi les corps identifiés se trouvaient ceux de M. Métairie et de l’abbé Fleury. L’inspecteur allemand a fait semblant de tout ignorer au sujet des exécutions et a déclaré qu’il allait faire effectuer une enquête à ce sujet. Je me suis entretenu à part avec le procureur et je lui ai fait connaître que les membres de la SD étaient parfaitement au courant de ces exécutions car l’abbé Fleury et M. Métairie avaient été arrêtés par ses services et n’avaient donc pas pu quitter la maison d’arrêt sans que la SD ne soit avisée de leur sortie. Cette idée s’est trouvée confirmée par la conversation que j’ai surprise au retour dans la voiture entre l’inspecteur Thurau et le chauffeur Adam. J’ai mis au courant 3 ou 4 jours plus tard le sous-préfet de Guingamp, que j’ai rencontré par hasard à la sous-préfecture, ainsi que M. Bonafous, secrétaire général de la préfecture (…) L’expédition de Saint-Nicolas-du-Pélem a été organisée par un Kommando SD de Rennes, auquel s’était joint un fort contingent de la formation Perrot (Waffen SS bretonne). Après les opérations cette formation a cantonné, durant 2 ou 3 jours, au SD de Saint-Brieuc et c’est ainsi que j’ai pu reconnaître, parmi ses membres, le nommé Le Bourhis, ancien élève de l’Ecole Normale d’Instituteurs de Quimper (Jean Bourhis, alias « Guével », violent, condamné à mort, en fuite en Allemagne, s’engage dans la Waffen SS). Un autre individu appartenant à cette organisation, participait à l’enlèvement des marchandises de la maison Métairie et m’a déclaré être originaire de Baud, sans autres précisions (Louis Nogues, alias « Kémeneur », déserte à Paris). L’expédition de Moncontour a été dirigée par l’Inspecteur Kiekhafer Rudolphe, de la SD, avec le Dr Maschke et la Feldgendarmerie ».

Wilhelm Funke
Arnold Thurau
Rudolf Kieckhaefer








A partir du mois de mai 1944, le chef du SD de Saint-Brieuc est Georges Kupper, SS Hauptscharführer, venant du SD de Rennes, ne parle pas français, très dur avec son personnel ; son second, Arnold Thurau, SS Hauptscharfürher, ne parle pas français, dur et brutal ; Wilhelm Funke, SS Hauptscharführer, parle peu le français ; Rudolf Kieckhaefer, SS Sturmscharführer, ancien des SA, parle très bien le français, s’occupe des affaires politiques importantes, très brutal avec les détenus ; Friedrich Wierse, SS Scharführer, parle assez bien le français, s’occupe des affaires de résistance, très nerveux ; Ernst Adam, SS Rottenführer, chauffeur, très dur et brutal avec les Français, torture les détenus ; Kroll, SS Rottenführer, ancien des SA, ne parle pas français, aucune activité policière. Il est cité également
un certain Muller, il doit s’agir de Robert Muller, sergent-chef, originaire de Dantzig et venant du SD de Rennes. Le capitaine Maschke, de la FK 665 de Saint-Brieuc, qui travaillait beaucoup avec le SD et était en relations avec le PNB, donnait des renseignements.

Merci à Daniel Heudré de Fougères

- Pierre Leroy, curé de Montreuil-sous-Pérouse (35), membre du réseau "Alliance". Secrétaire de mairie, l'abbé fournit des faux papiers aux réfractaires du STO. Il est arrêté le 20 avril 1944 puis dirigé sur Compiègne. Le 4 juin il est déporté à Neuengamme. Il est ensuite transféré au camp de Misbourg où il sera le seul prêtre à avoir été autorisé à célébrer la messe de Noël. Puis c'est un nouveau transfert au terrible camp de Bergen-Belsen où il va mourir d'épuisement et de faim le 13 avril 1945.



vendredi 26 avril 2024

26 avril 1944, l'arrestation de l'abbé Cariou à Douarnenez



Maurice Zeller
Parmi les agents français du Sicherheitsdienst (SD), le Service de sûreté de la SS en Bretagne, Maurice Zeller, né en 1895 à Menton, était sans aucun doute le plus rusé et le plus redoutable. Ancien officier de marine, puis pilote de chasse dans l’Aéronavale, blessé au cours d’une mission, il est titulaire de la Croix de guerre 14-18. Membre des Croix de Feu et du PSF du colonel de La Roque, comme beaucoup d’anciens combattants, il sera rayé des cadres d’active à la suite d’une affaire de consommation d’opium. Ce qui aura pour conséquence, en 1939, d’être refusé alors qu’il voulait s’engager dans la marine pour la durée de la guerre. Qu’en aurait-il été de son destin dans le cas contraire ? Par dépit sans doute, il entre à la Croix-Rouge comme convoyeur d'un camion sanitaire pendant la campagne de France. Fait prisonnier dans la région de Nancy, il est ensuite libéré et vient s'installer dans la villa "A Dieu Vat" de sa belle-mère à Erquy (22). Fin septembre 1940, alors qu'il fait une sortie en mer, son canoé se retourne à une centaine de mètres de la côte. Victime d'une hydrocution, il est sauvé de la noyade


La LVF dans Smolensk
par deux jeunes soldats allemands avec qui il va se lier d’amitié. Au mois d’août 1941, Zeller, qui ne s’entend pas avec son épouse, s’engage dans la LVF, la Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme. La précision est importante car contrairement aux Bretons de la Bezen Perrot, qui ont eux aussi endossé l'uniforme allemand, les volontaires de la LVF, et c'était spécifié dans leur contrat d'engagement, n'ont jamais fait le coup de feu contre leurs compatriotes mais ont été envoyés sur le front russe. Un mois plus tard, il est dirigé sur le camp de Deba, en Pologne, où il est nommé capitaine avec une tenue de la Wehrmacht et fait la connaissance de Doriot. Fin octobre 1941, son bataillon quitte Deba pour Smolensk avant de monter en ligne. Le bataillon prend ensuite la direction de Moscou. Mais, le 28 novembre à Novonicolaïevsk, il tombe malade et est évacué sans avoir combattu ! A Smolensk, il avait adhéré au PPF par sympathie pour Doriot qu’il vient de connaître. Evacué sur Breslau, il est rapatrié en France jusqu’en janvier 1942. Renvoyé sur Breslau, où se trouvait une compagnie de la LVF, il est de nouveau reconnu inapte au combat.

21 juin 1943 salle Wagram à Paris

Dégagé de toutes obligations militaires, il est alors nommé délégué de la LVF à Saint-Brieuc, où les recrues ne se précipitent pas.  La LVF étant devenue « Légion Tricolore », il est relevé de ses fonctions et se retrouve sans ressource. C’est alors qu’il rencontre le capitaine Maschke, de la Feldkommandantur de Saint-Brieuc, qui promet d’intervenir en sa faveur, moyennant quelques services, et qui le met en contact avec un certain Fischer, du SD, qui lui propose de faire du renseignement.

Commence alors l’engrenage, avec une première mission à Saint-Quay-Portrieux, où Zeller réussit à identifier les auteurs de bris de vitrines sur les commerces des « collabos » du port, des jeunes gens de la société Saint-Quay-Sport, et rédige un rapport pour Fischer. Ce sera la tragédie du « Viking », ce bateau à bord duquel une vingtaine de jeunes Quinocéens, se sachant recherchés par le SD, vont tenter de rejoindre l’Angleterre. Arraisonnés au large de Guernesey par une vedette allemande le 5 avril 1943, tous seront déportés en Allemagne. 13 d’entre eux ne reviendront jamais. Jusqu’à la fin de l’année, les missions vont s’enchaîner dans les Côtes-du-Nord, avec à chaque fois leurs lots d’arrestations et de déportations, jusqu’au jour où, alors qu’il est sur sa bicyclette, il va essuyer des coups de feu tirés par un homme caché derrière un talus à l’entrée de Plouha. Fischer fait alors comprendre à Zeller qu’il est « grillé » sur le département et lui propose d’exercer désormais ses talents sur le Finistère.

Fin février 1944, Zeller occupe à Quimper dans une chambre réquisitionnée par le SD rue Saint-François, chez… Adolphe Le Goaziou, le libraire résistant, sous le nom de Georges Évrard, ingénieur à l’organisation Todt. Il se présente ensuite à la villa « Mimosa », siège du SD, où il reçoit les instructions de l’Obergefreiter Henry Armand, de son vrai nom Huschtebrock, 35 ans, un Allemand parlant parfaitement le français, plusieurs langues et, d’après certains témoins, un peu le breton. Avant-guerre, il avait fait l’objet d’une condamnation à mort pour espionnage à la poudrerie de Pont-de-Buis.

Parmi les missions que lui confie aussitôt Henry Armand, il y a celle de l’abbé Cariou, soupçonné depuis longtemps d’être un agent actif de la Résistance et peut-être même de l’Intelligence Service et de prendre une part active à l’organisation des départs clandestins pour l’Angleterre et l’évacuation des aviateurs abattus. Henry Armand dit à Zeller qu’il avait déjà envoyé plusieurs de ses agents sans me les nommer, mais qu’aucun d’eux n’avait réussi à obtenir la moindre précision au sujet de son activité. Lorsqu’il opérait dans les Côtes-du-Nord, Zeller avait mis au point un stratagème particulièrement efficace pour s’attirer la confiance des résistants. Essentiellement des membres de réseaux de renseignement ou de filière d’évasion vers l’Angleterre. Il s’était fait imprimer des papiers à lettre à en-tête « République Française – Comité National de Libération – Sous-Secrétariat à l’Organisation », avec un ordre de mission pour organiser des Comités composés de personnalités sûres destinées à assurer l’administration locale lors de la Libération. C'est ainsi qu'il avait fait arrêter le notaire Le Verger à Loudéac. Soucieux de renforcer l’effet que pourrait produire ce papier à en-tête CLN auprès de l’abbé, Zeller se fit établir des cartes d’identité de chargé de mission avec un cachet portant les mentions « Liberté – Egalité – Fraternité » et, dans le milieu, « CLN secrétariat à l’Organisation », ainsi qu’un autre cachet rectangulaire portant sut trois lignes la mention « British Expéditionary Forces ».

Après avoir réfléchi sur les moyens à employer pour entrer en relation avec l’abbé Cariou, Zeller met sur pied une histoire qui devrait lui permettre d’obtenir les résultats escomptés. Toujours à l’aide de son papier à en-tête du CLN, il rédige une lettre « Mon cher ami. Il ne m’est pas possible de vous rendre moi-même le service que vous me demandez mais adressez vous pour cela à l’abbé Cariou de Douarnenez. Signé : Coffec ».

Interrogatoire de Maurice Zeller. PV du 16 novembre 1945 (80 pages) :

abbé Cariou

« Je me suis donc rendu à Douarnenez et je me suis présenté au presbytère où j’ai été reçu par l’abbé Cariou. J’ai commencé par lui exhiber la lettre en question en lui disant qu’un de mes amis, sans précision, m’envoyait à lui. Il a examiné minutieusement la lettre et après avoir réfléchi un instant il m’a dit qu’il avait connu autrefois un Coffec qui était devenu officier de marine. Je lui ai répondu qu’il s’agissait certainement du même car celui qui m’avait écrit était également officier de marine. L’abbé Cariou n’insista pas sur ce point et me pria de lui dire en quoi consistait le service que j’avais à lui demander.
Je lui ai alors expliqué que mon fils étudiant à Paris avait été mêlé quelque temps auparavant à une rixe au quartier Latin au cours de laquelle un soldat allemand avait été tué. Deux de ses camarades ayant été arrêtés et l’un d’eux fusillé depuis, mon fils craignait d’avoir été signalé par ses camarades et d’être arrêté à son tour.

Pour échapper aux recherches mon fils qui résidait avec moi à Paris, avait dû aller se réfugier dans une ferme située dans une localité des environs de Dinan. Là, d’autres jeunes faisant pression sur lui pour l’incorporer dans un maquis, mon fils m’avait fait savoir qu’il craignait d’être embrigadé dans des équipes se livrant plutôt au pillage qu’à une véritable résistance.

L’abbé Cariou a été de mon avis pour reconnaître que malheureusement beaucoup de jeunes sous couvert de patriotisme passaient leur temps à faire des attaques à main armée qui n’avaient rien à voir avec la lutte contre l’occupant. En conclusion de cela j’ai déclaré à l’abbé Cariou que mon fils et moi-même désirions qu’il parte en Angleterre afin de contracter un engagement dans l’armée française.

Après avoir terminé mon exposé, l’abbé Cariou réfléchit un bon moment puis me déclara qu’il s’était tout d’abord méfié de moi mais qu’à présent il voyait à qui il avait à faire et qu’il allait s’occuper de ce que je lui demandais. Je pris donc congé de lui en lui déclarant que je reviendrais le voir dans quelques temps.

Au cours de ma visite suivante, l’abbé Cariou me dit qu’il s’était occupé de mon fils mais que pour le moment en ce qui le concernait, son passage en Angleterre se heurtait à quelques difficultés. D’abord le départ d’un bateau clandestin de la région de Douarnenez était à peu près impossible car depuis un certain temps la côte était extrêmement surveillée, car en février un bateau de pêche ayant à son bord une trentaine de personnes s’était échoué dans le raz de Sein et une bonne partie de son équipage avait été fait prisonnier.

Ensuite, entre ma première visite et celle-ci, il avait reçu des instructions pour ne plus faire passer en Angleterre de Français s’ils n’étaient nominativement désignés ou autorisés. Il ne précisa d’ailleurs pas de qui et comment il avait reçu ces instructions. Sur le moment, je n’ai pas insisté pour essayer de savoir car cela ne rentrait pas dans la personne que je représentais. Il ajouta qu’il avait reçu des ordres pour ne rapatrier uniquement que des aviateurs abattus dans la région. Je fis semblant d’être très ennuyé de cette mesure et je lui ai demandé s’il ne pouvait pas obtenir pour mon fils l’autorisation exigée. L’abbé Cariou me répondit que cela ne lui était pas possible et il me suggéra que M. Coffec était bien placé pour cela.

Je suis resté en relation avec l’abbé Cariou pendant deux mois environ et en tout j’ai eu cinq ou six entretiens avec lui. Au cours de l’une de ces entrevues je me suis rendu chez lui avec un jeune homme du service d’Henry Armand, que j’ai présenté à l’abbé comme étant mon fils. L’abbé l’a fortement encouragé de persévérer dans sa résolution d’aller s’engager dans les troupes françaises.


Il m’indiqua une personne à qui je devais m’adresser pour obtenir satisfaction. Il s’agissait de M. Salaün, directeur de l’école du Likès à Quimper. Sur ma demande il me donna un mot m’introduisant près de M. Salaün lui disant que j’avais un service à lui demander. Il authentifia le mot en y apposant le cachet de sa paroisse.

A Quimper, je me suis présenté à M. Salaün à qui je remis le billet de Cariou. La première fois je n’eus avec lui qu’un très court entretien et je n’ai fait que lui exposer l’intention de mon prétendu fils. J’ai eu l’impression que Salaün était habitué à recevoir des visites analogues à la mienne car dès que je lui ai montré le mot de Cariou il me dit : Je me doute du service que vous avez à me demander.

A la seconde visite il me dit qu’il avait rencontré la personne qui s’en occupait et que d’ici quelques jours il pourrait me fixer le rendez-vous auquel mon fils devait se rendre.

Je suis revenu le voir assez rapidement durant sa classe mais j’ai eu l’impression que son attitude n’était plus la même. Je me suis donc demandé si ce changement provenait du dérangement que lui causait ma visite ou des soupçons qu’il avait pu avoir à mon égard pour une raison ou pour une autre.

De toutes ces affaires, j’avais établi après chaque entretien un rapport détaillé au nommé Henry Armand. L’abbé Cariou a été arrêté à une époque que j’ignore, quant à M. Salaün il a été appréhendé peu de jours après ma dernière visite par Henry Armand, un nommé Alex et moi-même. En même temps que M. Salaün, un professeur du Likès, le père Flochlay a été arrêté par la même équipe, mais en allant se changer dans sa chambre, accompagné d’Henry Armand, il a réussi à se sauver. Quelques jours après nous avons effectué des perquisitions dans tout le collège du Likès. »

Arrêté le 26 avril 1944, l’abbé Cariou sera déporté à Neuengamme puis à Dachau à la fin de l’année 1944. Il reviendra des camps au mois de mai 1945.

Zeller va continuer ses « missions » au service du SD jusqu’au mois de juillet 1944, cette fois-ci dans le Morbihan, avec la capture du lieutenant Marienne à Plumelec. J’y reviendrai plus tard.