vendredi 26 avril 2024

26 avril 1944, l'arrestation de l'abbé Cariou à Douarnenez



Maurice Zeller
Parmi les agents français du Sicherheitsdienst (SD), le Service de sûreté de la SS en Bretagne, Maurice Zeller, né en 1895 à Menton, était sans aucun doute le plus rusé et le plus redoutable. Ancien officier de marine, puis pilote de chasse dans l’Aéronavale, blessé au cours d’une mission, il est titulaire de la Croix de guerre 14-18. Membre des Croix de Feu et du PSF du colonel de La Roque, comme beaucoup d’ancien combattants, il sera rayé des cadres d’active à la suite d’une affaire de consommation d’opium. Ce qui aura pour conséquence, en 1939, d’être refusé alors qu’il voulait s’engager dans la marine pour la durée de la guerre. Qu’en aurait-il été de son destin dans le cas contraire ? Par dépit sans doute, il entre à la Croix-Rouge comme convoyeur d'un camion sanitaire pendant la campagne de France. Fait prisonnier dans la région de Nancy, il est ensuite libéré et vient s'installer dans la villa "A Dieu Vat" de sa belle-mère à Erquy (22). Fin septembre 1940, alors qu'il fait une sortie en mer, son canoé se retourne à une centaine de mètres de la côte. Victime d'une hydrocution, il est sauvé de la noyade


La LVF dans Smolensk
par deux jeunes soldats allemands avec qui il va se lier d’amitié. Au mois d’août 1941, Zeller, qui ne s’entend pas avec son épouse, s’engage dans la LVF, la Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme. La précision est importante car contrairement aux Bretons de la Bezen Perrot, qui ont eux aussi endossé l'uniforme allemand, les volontaires de la LVF, et c'était spécifié dans leur contrat d'engagement, n'ont jamais fait le coup de feu contre leurs compatriotes mais ont été envoyés sur le front russe. Un mois plus tard, il est dirigé sur le camp de Deba, en Pologne, où il est nommé capitaine avec une tenue de la Wehrmacht et fait la connaissance de Doriot. Fin octobre 1941, son bataillon quitte Deba pour Smolensk avant de monter en ligne. Le bataillon prend ensuite la direction de Moscou. Mais, le 28 novembre à Novonicolaïevsk, il tombe malade et est évacué sans avoir combattu ! A Smolensk, il avait adhéré au PPF par sympathie pour Doriot qu’il vient de connaître. Evacué sur Breslau, il est rapatrié en France jusqu’en janvier 1942. Renvoyé sur Breslau, où se trouvait une compagnie de la LVF, il est de nouveau reconnu inapte au combat.

21 juin 1943 salle Wagram à Paris

Dégagé de toutes obligations militaires, il est alors nommé délégué de la LVF à Saint-Brieuc, où les recrues ne se précipitent pas.  La LVF étant devenue « Légion Tricolore », il est relevé de ses fonctions et se retrouve sans ressource. C’est alors qu’il rencontre le capitaine Maschke, de la Feldkommandantur de Saint-Brieuc, qui promet d’intervenir en sa faveur, moyennant quelques services, et qui le met en contact avec un certain Fischer, du SD, qui lui propose de faire du renseignement.

Commence alors l’engrenage, avec une première mission à Saint-Quay-Portrieux, où Zeller réussit à identifier les auteurs de bris de vitrines sur les commerces des « collabos » du port, des jeunes gens de la société Saint-Quay-Sport, et rédige un rapport pour Fischer. Ce sera la tragédie du « Viking », ce bateau à bord duquel une vingtaine de jeunes quinocéens, se sachant recherchés par le SD, vont tenter de rejoindre l’Angleterre. Arraisonnés au large de Guernesey par une vedette allemande le 5 avril 1943, tous seront déportés en Allemagne. 13 d’entre eux ne reviendront jamais. Jusqu’à la fin de l’année, les missions vont s’enchaîner dans les Côtes-du-Nord, avec à chaque fois leurs lots d’arrestations et de déportations, jusqu’au jour où, alors qu’il est sur sa bicyclette, il va essuyer des coups de feu tirés par un homme caché derrière un talus à l’entrée de Plouha. Fischer fait alors comprendre à Zeller qu’il est « grillé » sur le département et lui propose d’exercer désormais ses talents sur le Finistère.

Fin février 1944, Zeller occupe à Quimper dans une chambre réquisitionnée par le SD rue Saint-François, chez… Adolphe Le Goaziou, le libraire résistant, sous le nom de Georges Évrard, ingénieur à l’organisation Todt. Il se présente ensuite à la villa « Mimosa », siège du SD, où il reçoit les instructions de l’Obergefreiter Henry Armand, de son vrai nom Huschtebrock, 35 ans, un Allemand parlant parfaitement le français, plusieurs langues et, d’après certains témoins, un peu le breton. Avant-guerre, il avait fait l’objet d’une condamnation à mort pour espionnage à la poudrerie de Pont-de-Buis.

Parmi les missions que lui confie aussitôt Henry Armand, il y a celle de l’abbé Cariou, soupçonné depuis longtemps d’être un agent actif de la Résistance et peut-être même de l’Intelligence Service et de prendre une part active à l’organisation des départs clandestins pour l’Angleterre et l’évacuation des aviateurs abattus. Henry Armand dit à Zeller qu’il avait déjà envoyé plusieurs de ses agents sans me les nommer, mais qu’aucun d’eux n’avait réussi à obtenir la moindre précision au sujet de son activité. Lorsqu’il opérait dans les Côtes-du-Nord, Zeller avait mis au point un stratagème particulièrement efficace pour s’attirer la confiance des résistants. Essentiellement des membres de réseaux de renseignement ou de filière d’évasion vers l’Angleterre. Il s’était fait imprimer des papiers à lettre à en-tête « République Française – Comité National de Libération – Sous-Secrétariat à l’Organisation », avec un ordre de mission pour organiser des Comités composés de personnalités sûres destinées à assurer l’administration locale lors de la Libération. C'est ainsi qu'il avait fait arrêter le notaire Le Verger à Loudéac. Soucieux de renforcer l’effet que pourrait produire ce papier à en-tête CLN auprès de l’abbé, Zeller se fit établir des cartes d’identité de chargé de mission avec un cachet portant les mentions « Liberté – Egalité – Fraternité » et, dans le milieu, « CLN secrétariat à l’Organisation », ainsi qu’un autre cachet rectangulaire portant sut trois lignes la mention « British Expéditionary Forces ».

Après avoir réfléchi sur les moyens à employer pour entrer en relation avec l’abbé Cariou, Zeller met sur pied une histoire qui devrait lui permettre d’obtenir les résultats escomptés. Toujours à l’aide de son papier à en-tête du CLN, il rédige une lettre « Mon cher ami. Il ne m’est pas possible de vous rendre moi-même le service que vous me demandez mais adressez vous pour cela à l’abbé Cariou de Douarnenez. Signé : Coffec ».

Interrogatoire de Maurice Zeller. PV du 16 novembre 1945 (80 pages) :

abbé Cariou

« Je me suis donc rendu à Douarnenez et je me suis présenté au presbytère où j’ai été reçu par l’abbé Cariou. J’ai commencé par lui exhiber la lettre en question en lui disant qu’un de mes amis, sans précision, m’envoyait à lui. Il a examiné minutieusement la lettre et après avoir réfléchi un instant il m’a dit qu’il avait connu autrefois un Coffec qui était devenu officier de marine. Je lui ai répondu qu’il s’agissait certainement du même car celui qui m’avait écrit était également officier de marine. L’abbé Cariou n’insista pas sur ce point et me pria de lui dire en quoi consistait le service que j’avais à lui demander.
Je lui ai alors expliqué que mon fils étudiant à Paris avait été mêlé quelques temps auparavant à une rixe au quartier Latin au cours de laquelle un soldat allemand avait été tué. Deux de ses camarades ayant été arrêtés et l’un d’eux fusillé depuis, mon fils craignait d’avoir été signalé par ses camarades et d’être arrêté à son tour.

Pour échapper aux recherches mon fils qui résidait avec moi à Paris, avait dû aller se réfugier dans une ferme située dans une localité des environs de Dinan. Là, d’autres jeunes faisant pression sur lui pour l’incorporer dans un maquis, mon fils m’avait fait savoir qu’il craignait d’être embrigadé dans des équipes se livrant plutôt au pillage qu’à une véritable résistance.

L’abbé Cariou a été de mon avis pour reconnaître que malheureusement beaucoup de jeunes sous couvert de patriotisme passaient leur temps à faire des attaques à main armée qui n’avaient rien à voir avec la lutte contre l’occupant. En conclusion de cela j’ai déclaré à l’abbé Cariou que mon fils et moi-même désirions qu’il parte en Angleterre afin de contracter un engagement dans l’armée française.

Après avoir terminé mon exposé, l’abbé Cariou réfléchit un bon moment puis me déclara qu’il s’était tout d’abord méfié de moi mais qu’à présent il voyait à qui il avait à faire et qu’il allait s’occuper de ce que je lui demandais. Je pris donc congé de lui en lui déclarant que je reviendrais le voir dans quelques temps.

Au cours de ma visite suivante, l’abbé Cariou me dit qu’il s’était occupé de mon fils mais que pour le moment en ce qui le concernait, son passage en Angleterre se heurtait à quelques difficultés. D’abord le départ d’un bateau clandestin de la région de Douarnenez était à peu près impossible car depuis un certain temps la côte était extrêmement surveillée, car en février un bateau de pêche ayant à son bord une trentaine de personnes s’était échoué dans le raz de Sein et une bonne partie de son équipage avait été fait prisonnier.

Ensuite, entre ma première visite et celle-ci, il avait reçu des instructions pour ne plus faire passer en Angleterre de Français s’ils n’étaient nominativement désignés ou autorisés. Il ne précisa d’ailleurs pas de qui et comment il avait reçu ces instructions. Sur le moment, je n’ai pas insisté pour essayer de savoir car cela ne rentrait pas dans la personne que je représentais. Il ajouta qu’il avait reçu des ordres pour ne rapatrier uniquement que des aviateurs abattus dans la région. Je fis semblant d’être très ennuyé de cette mesure et je lui ai demandé s’il ne pouvait pas obtenir pour mon fils l’autorisation exigée. L’abbé Cariou me répondit que cela ne lui était pas possible et il me suggéra que M. Coffec était bien placé pour cela.

Je suis resté en relation avec l’abbé Cariou pendant deux mois environ et en tout j’ai eu cinq ou six entretiens avec lui. Au cours de l’une de ces entrevues je me suis rendu chez lui avec un jeune homme du service d’Henry Armand, que j’ai présenté à l’abbé comme étant mon fils. L’abbé l’a fortement encouragé de persévérer dans sa résolution d’aller s’engager dans les troupes françaises.


Il m’indiqua une personne à qui je devais m’adresser pour obtenir satisfaction. Il s’agissait de M. Salaün, directeur de l’école du Likès à Quimper. Sur ma demande il me donna un mot m’introduisant près de M. Salaün lui disant que j’avais un service à lui demander. Il authentifia le mot en y apposant le cachet de sa paroisse.

A Quimper, je me suis présenté à M. Salaün à qui je remis le billet de Cariou. La première fois je n’eus avec lui qu’un très court entretien et je n’ai fait que lui exposer l’intention de mon prétendu fils. J’ai eu l’impression que Salaün était habitué à recevoir des visites analogues à la mienne car dès que je lui ai montré le mot de Cariou il me dit : Je me doute du service que vous avez à me demander.

A la seconde visite il me dit qu’il avait rencontré la personne qui s’en occupait et que d’ici quelques jours il pourrait me fixer le rendez-vous auquel mon fils devait se rendre.

Je suis revenu le voir assez rapidement durant sa classe mais j’ai eu l’impression que son attitude n’était plus la même. Je me suis donc demandé si ce changement provenait du dérangement que lui causait ma visite ou des soupçons qu’il avait pu avoir à mon égard pour une raison ou pour une autre.

De toutes ces affaires, j’avais établi après chaque entretien un rapport détaillé au nommé Henry Armand. L’abbé Cariou a été arrêté à une époque que j’ignore, quant à M. Salaün il a été appréhendé peu de jours après ma dernière visite par Henry Armand, un nommé Alex et moi-même. En même temps que M. Salaün, un professeur du Likès, le père Flochlay a été arrêté par la même équipe, mais en allant se changer dans sa chambre, accompagné d’Henry Armand, il a réussi à se sauver. Quelques jours après nous avons effectué des perquisitions dans tout le collège du Likès. »

Arrêté le 26 avril 1944, l’abbé Cariou sera déporté à Neuengamme puis à Dachau à la fin de l’année 1944. Il reviendra des camps au mois de mai 1945.

Zeller va continuer ses « missions » au service du SD jusqu’au mois de juillet 1944, cette fois-ci dans le Morbihan, avec la capture du lieutenant Marienne à Plumelec. J’y reviendrai plus tard.

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