jeudi 6 juin 2024

Le Sourn : les deux fusillées du 20 juillet 1944

J’ai souvent évoqué sur ce blog le sort de ces femmes accusées de dénonciations par des maquisards puis exécutées par pendaison après un simulacre de jugement, principalement durant l’été meurtrier de 1944. D’autres pendaisons, plus rares, se produiront ensuite dans le cadre de l’épuration « extra-judiciaire » après la Libération. L’un des articles le plus consulté sur ce blog, avec plus de 4 012 visites à ce jour, étant sans aucun doute celui du 27 juillet 2015 consacré aux pendues de Monterfil.

Depuis la révélation, en 2014, de cette tragique histoire de Monterfil, d’autres affaires méconnues de « collaboratrices », cette fois-ci fusillées, sortent de l’ombre. En 2018, par exemple, l’enquête minutieuse d’un historien local a permis de mettre à jour ce qui se murmurait depuis des années chez les anciens de Scaër, dans le Finistère. En effet, deux jeunes filles, Marie-Jeanne Noac’h, 22 ans, et Jeannette Laz, 21 ans, à qui la rumeur leur prêtait des « rapports trop proches » avec l’occupant, furent arrêtées le 10 août 1944. Accusées, sans la moindre preuve, d’avoir dénoncé le lieu d’un parachutage allié, elles furent fusillées au lieu-dit Stang-Blanc après avoir été humiliées publiquement. (1)

Dans mon dernier ouvrage Chez nous il n’y a que des morts (2), j’évoque l’assaut que les Allemands menèrent le 27 juillet 1944 contre la 1ère compagnie de maquisards du 3ème bataillon FFI (ORA) du lieutenant-colonel Félix Robo. Cette compagnie, placée sous les ordres de Roger Massardier, avait installé son campement au lieu-dit Guerlogoden, en Kergrist. Afin d’éviter l’encerclement, Massardier engagea le combat avec quelques maquisards équipés de FM pour protéger la retraite du groupe, avant d’être obligés de se retirer à leur tour. Lors de cet assaut, trois maquisards furent tués, puis deux autres exécutés après avoir été capturés et emmenés à Pontivy pour y être torturés.

Je reviens sur cet épisode car j’ai retrouvé ce même Roger Massardier dans un document d’archives que j’avais mis de côté et oublié car sans lien direct avec mon sujet. Celui-ci est intitulé « Affaire contre X… meurtre femme et fille D. » (Je n’ai pas jugé nécessaire de révéler leurs patronymes), puis il est indiqué que « Cette affaire a été réglée par une ordonnance d’incompétence car elle est, comme les précédentes, du ressort de la Justice Militaire ». Comme tant d’autres affaires similaires, j’ignore si elle est connue localement ou a fait l’objet d’une publication. J’en doute. Il s’agit en l’occurrence de l’exécution d’une femme et de sa fille Jacqueline qui fut ordonnée dans les circonstances suivantes : D’après le « Service de renseignements », comprendre le 2ème Bureau FFI, cette femme, débitante de boisson au lieu-dit Collédo, en la commune de Le Sourn, près de Pontivy, était suspecte avec sa fille « d’intelligences avec l’ennemi », sans plus de précision. C’est alors que Massardier « commandant d’une compagnie du 3ème bataillon FFI », le 20 juillet 1944, donne l’ordre à des « soldats de sa formation » de procéder à leur interrogatoire et « le cas échéant, de les exécuter ». C’est ainsi que « les nommés », dont les noms figurent sur le document, « entrèrent en contact avec les deux femmes, qui furent passées par les armes ». Il n’est plus question de maquisards, mais bien de « soldats », donc d’une armée régulière.

Cependant, et tandis que ces quatre « soldats » procédaient à l’exécution des deux femmes au Collédo, le mari de la débitante « quoique non visé par les instructions qui avaient été données » fut « grièvement atteint d’une balle et la blessure ainsi causée eut comme conséquence la perte de l’œil droit ». A-t-il voulu s’interposer ?

D’après ce document, ces quatre « militaires » déclarent avoir reçu de leur capitaine l’ordre formel « de fusiller les deux femmes, sans aucune condition visant le degré de leur culpabilité. Il s’agit de considérer, en manière de conclusion, sans aller plus au fond, qu’il s’agit, d’une part, de la personne d’un chef militaire donnant dans l’exercice de ses fonctions un ordre à exécuter, d’autre part, que les exécutants du dit ordre étaient des soldats FFI justiciables par conséquent de la juridiction militaire ».

Les maquisards FFI sont des engagés, donc considérés comme des soldats, qui avaient tout intérêt à comparaître devant la justice militaire, considérée comme plus discrète et surtout moins sévère, ces affaires se terminant généralement par un acquittement.

Stanislas Le Compagnon.
René Le Guénic, Morbihan, Mémorial de la Résistance

Est-ce la forte présence allemande à Pontivy avec le QG du XXVe corps d'armée allemand du général Fahrmbacher ? Toujours est-il qu’au Sourn, une autre affaire impliquant deux femmes, une mère et sa fille, qui ne connaîtront pas le sort funeste des précédentes, mais qui aurait pu très mal finir ; les maquisards chargés de leur exécution n’ayant pas osé tirer sur des femmes, elles ont réussi à s’enfuir. Pauline, 20 ans, ayant appris l’allemand, avait été recrutée par l’occupant comme interprète. Plusieurs témoins l’ont accusée de dénonciations, de participation aux rafles et aux interrogatoires (on retrouve le même cas avec le jeune Roger Elophe au SD de Saint-Brieuc). En effet, le 19 juillet 1944, soit la veille de l’affaire Massardier, les Allemands, renseignés par une dénonciatrice, arrêtèrent 14 personnes au Sourn, dont le jeune FFI Stanislas Le Compagnon, qui sera emmené à Pontivy pour y être interrogé et torturé. Son corps sera retrouvé au mois d’octobre par un chasseur dans un bois à proximité de Le Sourn. (3)

Le 1er août 1944, les deux femmes quittent Le Sourn pour Paris lors du repli des Allemands. Condamnées à mort par contumace le 4 juillet 1945 par la Cour de justice de Vannes, elles vont être retrouvées puis arrêtées à Paris au mois d’avril 1947, puis rejugées par la Cour de justice de Rennes deux mois plus tard. Malgré ses dénégations, la Cour maintient la peine de mort pour Pauline, qui sera graciée par Vincent Auriol, sa peine étant commuée en dix ans de réclusion. Sa mère sera acquittée.

 

(1 (1)  Le Télégramme, 7 août 2018.

(2 (2)  Hamon Kristian, Chez nous il n’y a que des morts. Les parachutistes de la France Libre en Bretagne, été 1944, p. 307, Skol-Vreizh, 2021.

(3 (3) Pour Stanislas Le Compagnon, voir sa notice sur Le Maitron : https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article21059

2 commentaires:

  1. Monsieur
    Pourrait on entrer en contact avec vous à propos d'un travail de recherche 1939-1947
    Merci beaucoup
    A bientôt
    Fran35@sfr.fr

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  2. Bonjour,
    Le mieux est que vous contactiez mon éditeur Skol Vreizh qui transmettra.

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