jeudi 19 janvier 2023

L'exposition "Celtique ?" : de profundis

« Celtique ? », nous sommes-nous demandé tout le long de l'an passé. C'était imprimé sur les affiches puis, de longs mois après le vernissage, ce l'est maintenant sur le « catalogue » de l'« exposition ». D'abord, que les choses soient claires : ce n'était pas une exposition, mais un centre (éphémère) d'interprétation ; quant au catalogue, c'est un argumentaire illustré au service du centre d'interprétation.

Les objets exposés dans ce centre puis imprimés dans ce livre étaient somme toute peu nombreux, non exhaustifs et justifiés à grand renfort de panneaux explicatifs. Au musée, les objets à lire, dans le livre, le texte à apprendre. Après la visite, j'ai cherché en vain puis demandé s'il y avait un catalogue : « C'est prévu », me fut-il répondu. Ça mijotait. Le livre s'est délesté en chemin. Vous avez dit Celtique ? se sont interloqués archéologues, sociologues et curateurs. Question initiale qui impliquait la bonne réponse. Ne revenons pas sur ce qui a été dit dans ce blog et ailleurs mais ajoutons le plus important : s'il n'y a plus de Celtes en Bretagne, triste nouvelle, il y en a en Islande et au Portugal, ce qui en est une bonne.

Primo, en Islande (oui, avec une s, pas un r). On savait déjà que cette île au nord des Hébrides et de la verte Erin avait reçu son lot de Gaëls aux temps de la colonisation et des sagas. Maintenant, la chose devient sérieuse, même la langue apporte son lot de preuves. C'est Thorvaldur Fridriksson qui le montre dans son livre faut-il traduire ce mot de la langue aux noms de volcans imprononçables ? Keltar

 


Traduisons quand même : Celtes. Son étude, mêlant linguistique et archéologie, paraît à peine que l'ouvrage est épuisé (encore un coup de l'Internationale celtique ?). Premier retirage fin janvier et, dans la foulée, une traduction anglaise. Conservera-t-on le même titre ? Le Brexit et l'exposition rennaise de 2022 n'appellent-ils pas un Celtix ? Le Conseil Culturel de Bretagne irait-il jusqu'à parrainer une traduction en breton ? Ne risque-t-on pas désormais (mais l'édition, c'est le risque, disait Jérôme Lindon) d'être accusé de faux et d'usage de faux ? Ou bien faudra-t-il batailler au vieux pays de Cornouaille pour garantir l'A.O.C. ?

Segundo, au Portugal aussi, l'éternel recalé des nations celtiques, rugby et Lorient confondus, même si le train international qui le relie à la Galice s'appelle le Celta. En tout cas, il y a eu au moins un Celte en ce pays jardin planté au bord de la mer : Tyern Mahé de Berdouaré. Né en 1945 chez les Allobroges, à Aix-les-Bains, mort en terre celtibère, il appartenait à une vieille famille léonarde. De cette souche, deux surgeons font le poids sur les réseaux sociaux : Christian et ses poulets, Nicolas et ses vins. (Les Celtes aiment voyager, ils ont même été jusqu'à s'emparer de Rome.) Le premier vit à Miami, le second, en Norvège. Notre troisième a vécu près de Lisbonne puis au pied de la forteresse de Penela, dans le centre du pays. C'est de là que celui que l'état civil a enregistré sous le nom de Yannick Charbonnel est parti pour rejoindre l'île d'Avalon le 6 décembre 2019.

Je l'ai rencontré une fois sur la terrasse d'un café. Pas étonnant. J'ignorais encore qui il était, qui il avait été : un musicien, auteur-compositeur-interprète, la preuve, ses vinyles sous label «Veillée familiale».

 


Un peintre aussi, la preuve, ses peintures:

 

Place de Camões, Cascais (Portugal).


Et il fut « le génial inventeur des super-échecs nucléaires ». Ceux à qui il a tenté d'expliquer les règles n'y ont jamais fichtrement rien compris. Mais surtout, Tyern Mahé de Berdouaré était poète. Témoin son (seul et unique) livre tombé, par je ne sais quel autre hasard, dans la vitrine d'un bouquiniste de Porto, ce port où les Bretons avaient, au dire d'un voyageur italien du XVe siècle, la réputation d'être de peau brune, cheveux châtains et sales (les Celtes présentent bien des avatars), au contraire des Flamands, grands et blonds.

 


Sacré hasard ! Cette couverture, ce nom, cette bouille inspirée de chevelu à costard cravate, stylo en main, regardant droit dans l'objectif avec, sous son nom cinq colonnes à la une, ce titre Vivre toujours d'amour... Comment résister au livre de recettes ? Et le bibliophile (dastumer levreier en celtique armoricain) de s'engouffrer dans l'antre aux bouquins de la rue des Fleurs.

Ce recueil de poèmes a été imprimé à Lisbonne, dans la même collection « Veillée familiale », en 1985. Tyern Mahé de Berdouaré rejoint deux autres de mes captures locales : Un cœur sur le gril, pièce d'Henri de Rothschild (homme de théâtre, médecin à qui l'on doit l'hôpital parisien à son nom) publiée à Porto en 1944 ; un Coran traduit en français par Fatma-Zaïda (L'Alkoran! Lisbonne, 1861). Le Juif, le Musulman et le Celte. Portugal, réservoir de diasporas.

Yannick, petit Jean, ne dut pas combler son désir de celtitude. Tyern, c'est du roc. Le nom vient du vieux breton tiern(oc) ; on le compare avec teyrn en gallois, tern en cornique, tiarna en gaélique irlandais, tigerno- en gaulois. Tous signifient « seigneur », « maître de la maison » (en breton ti, de même qu'en latin dominus est dérivé de domus). Le barde Tyern a commencé à ciseler des vers à treize ans, les derniers lui ont échappé dans la quarantaine. Tous dans le français de France, et moulés selon les règles des traités de versification. Mais il débride volontiers la rime (de culture en creux, les Celtes aiment à s'égarer en chemin). Par exemple, la rime féminine nue s'accouple à l'autre finissant en s, ce que Malherbe prohibait et qu'un Hugo n'eût osé. Comme ici :

J'ai mangé tant de sardines / Que sans arrêt je vaticine ! (p. 163)

Tout le Celte y est : mangeur de poisson, visionnaire et rebelle. Locquémeau ou Nazaré (1), le barde hante les rivages où futur et passé tissent la geste de toujours à coups d'écume. Qui n'aime Paimpol et ses fadaises ?

Mais laissons Tyern parler. Suit son portrait composé. Des vers ont été rassemblés (les Celtes aiment l'entrelacs), quelques-uns y ont perdu une syllabe, des rimes vont à vau-l'eau, une virgule en plus de-ci de-là.

En quête du Celte disparu de la Bretagne.

Anthologie

de vers de Tyern Mahé de Berdouaré,

l'autre « poète sans passeport » (Gabriella Bosco*)

 

 

Barde celtique au corps déchiqueté,

Mes ancêtres étaient fiers, hardis et farouches  (p. 86)

Et je me vois devant la Mort avec sa faux :  (p. 65)

« Tu mourras une nuit de neige. »  (p. 63)

 

Moi, un fils de la Gaule, [N'oublions pas que les Gaulois étaient des Celtes.]

Je mourrai, c'est certain, mais sans crainte et debout,

Comme un acteur qui n'a pas bien compris son rôle.  (p. 50)

Un chant d'amour vers l'océan m'entraîne.  (p. 137)

 

Redisons la chose à la mer, à la terre,  (p. 34)

La mer qu'aimaient tant mes ancêtres.  (p. 119)

Par suite de la guerre, hélas ! ce rejeton

Ne connaît pas sa langue, le breton !  (p. 119)

 

Mon oncle Alain était avant tout un poète.  (p. 131)

Mahé de Berdouaré, de prénom Amédée,

Grand-père maternel,

Était un homme drôle, intègre et plein d'idées.  (p. 133)

 

« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé »

Ainsi parlait le grand poète Lamartine

Pensai-je en recouvrant de beurre ma tartine

Avant de la croquer et de m'en régaler.  (p. 92)

 

L'ouvrier mérite son pain.

Payez ce livre, il le vaut bien

Et mon auto marche à l'essence  (p. 140)

Pourtant je suis heureux et ne vis pas en France  (p. 139)

 

Achetez plutôt un poète

Vivant, les morts n'ont plus de dettes,

Ici bas, j'entends,

Bien évidemment !  (p. 157)

 

Sous ce classicisme éclopé apparaît bien l'image du chevelu de grand vent que fut Tyern Mahé de Berdouaré avec son quelque chose d'entre Tristan Corbière et Xavier Grall (on a laissé de côté les pièces dévotes de cet indécrottable papiste), le bain d'argile quotidien en plus. Il est regrettable que le centre (éphémère) d'interprétation Celtique ? n'ait pas versé cet objet parmi les pièces à interpréter. Le panneau se serait intitulé : le Celte en filigrane (spécialité de Quimper et de Gondomar (2). Mais, Tyern ou pas, tel n'était point l'ordre du jour à Rennes, où l'on ne fait pas dans la dentelle. Pour qui voudrait se frotter à l'intégrale, le livre n'est ni à la Bibliothèque nationale de France ni aux Champs libres, le dépôt légal portugais (nº 8806/85) l'ayant voué à une étagère de la nationale du pays (cote L. 79691 P.). Reste aussi, le temps d'une escale de transat', l'exemplaire de la municipale de Funchal (cote 02/1047 DL), île de Madère.

En attendant que d'autres prennent le relais, reproduisons en entier le sonnet « Le médecin dira... ». Il mérite de clore cette anthologie du Corbière de Penela. Les Celtes sont hantés par la mort, ce qui ne les empêche pas de s'en moquer. Rire jaune, noir ou franc, l'Ankou les fait grimacer pour le meilleur et pour le pire. Maître Tyern (comme le nomme le préfacier qui n'est, sans doute, autre que lui-même) s'arroge ainsi tous ses droits sur le fief dernier.

 

Le médecin dira : « C'était une thrombose ! »

Mon cafetier dira : « Je vais perdre beaucoup ! »

Le boucher : « Pauvre gars !... En tout cas moins que nous ! »

Mes amis : « Il n'a pas connu la vie en rose ! »

 

Mes ennemis diront : « Eh les gars, ça s'arrose ! »

Mon chien fera : « Ouah ! Ouah ! », mon chat : « Miaou ! Miaou !  »

Le journal publiera : « C'est un coup de Moscou ! »

Moi je ne dirai rien cette fois et pour cause.

 

Les oiseaux : « Nous avons perdu un protecteur ! »

La nature : « Il avait le vrai sens des valeurs ! »

Ma femme larmoyante : « Il n'eut pas d'autres femmes ! »

 

Ma maman pensera et plus tard d'autres gens :

« Génie universel mais zéro pour l'argent ! »

Et le Prêtre dira : « Dieu veuille de son âme »

 

Yannick Charbonnel est mort...

Yeun Sterneñv, Kerdafé.

* Gabriella Bosco. Armand Robin, poète sans passeport : portrait.

(1) Ports sardiniers

(2) Binôme luso-breton de la dentelle (d'or et de coton)


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire