« La création d’une langue littéraire unique et le perfectionnement de la langue, œuvre de bretons admirables, sont une tache indispensable et sacrée. Mais pas d’illusions, ce travail formidable ne trouvera sa pleine expansion que chez un peuple enflammé par un ardent sentiment national. Seul un peuple qui aimera sa patrie, son passé, sa nationalité, aimera sa langue, seul il veillera à la sauvegarder de tout abâtardissement et a l’assouplir aux exigences modernes (…) C’est cela et uniquement cela le vrai « nationalisme breton. » (B.A. N°8, 1920)
L'adresse du journal, 4, place de Bretagne, est celle du domicile de ses parents. Sa mère est née à Piré (35), son père, Victor Marchal, originaire de Gerardmer dans les Vosges, est contrôleur des PTT.
Après la scission de 1931, le PAB n’existe plus. La tendance séparatiste, emmenée par Mordrel et Debauvais, fonde le Parti national breton (PNB), qui ne s’encombre pas de considérations démocratiques et met la main sur Breiz Atao. En réaction, les fédéralistes de gauche, emmenés par Marchal, se regroupent dans la Ligue fédéraliste de Bretagne qui reprend peu ou prou les principes du PAB. La double appartenance est acceptée. C’est ainsi que Marchal adhère au Parti radical-socialiste. La Ligue publie une revue, La Bretagne Fédérale, dont le contenu se démarque totalement de Breiz Atao :
« Le langage des feuilles nationalistes bretonnes n’est pas différent de celui des journaux chauvins du monde entier (…) La pensée des racistes bretons semble singulièrement dangereuse pour la figure du futur état breton. Un pays aussi varié que le notre ne saurait s’accommoder d’un État fondé sur un principe unitaire, ni au nom de la race aryenne, ni au nom d’une confession déterminée, ni au nom d’un celtisme imposé et de commande (la Bretagne n’est, anthropologiquement parlant, que fort peu nordique). Il n’y a jamais eu, il n’y a pas, il ne peut y avoir en Bretagne de mise à l’index contre l’un quelconque de ses enfants. Derrière le drapeau, même breton, largement déployé, il y a presque toujours un coffre-fort. »
Les intentions sont louables, mais les effectifs squelettiques, une demi-douzaine de membres en 1933. Le journal ne parait plus que sur une feuille et entre peu à peu en sommeil. En ces années troubles, où tout semble réussir au fascisme, la dynamique est du côté du PNB et son culte du chef.
La rupture avec l’Emsav
En 1935, Marchal, toujours hanté par ses vieux démons au point d’être révoqué de son emploi de professeur à l’école régionale d’architecture, quitte Rennes pour Laval. Toujours membre du Parti radical-socialiste, il rédige des articles pour Les Nouvelles Mayennaises et pour La Mayenne Laïque. Il est également membre de la section lavalloise de la Ligue des droits de l’Homme. Avec de telles dispositions, c’est tout naturellement qu’il sollicite une entrée en franc-maçonnerie à la loge « Volney », dont Marius Lepage, fonctionnaire à la préfecture, est le vénérable maître :
« Je connaissais Marchal. Sa réputation était très attaquée et attaquable car il buvait tellement qu’on pouvait le taxer d’alcoolisme (…) Marchal faisait preuve d’une intelligence remarquable en ce qui se rapportait à l’architecture et au druidisme. En 1937 il sollicita son admission à la loge de Laval (Volney). Cette admission était très discutée et plusieurs enquêtes furent faites sur son compte, tant à Laval qu’à Rennes (…) Il fut reçu en loge en avril 1938. Il nous donna toute satisfaction par la nature et la valeur de ses travaux littéraires, dont le dernier et le plus important sur « La notion des nombres en architecture opérative », publié dans la revue maçonnique internationale « Le Symbolisme ».
Alors que son Gwenn ha Du flotte au
sommet du mât du pavillon de la Bretagne à l’exposition universelle de 1937,
gagnant ainsi un statut quasi-officiel, Marchal prend ses distances avec le
mouvement breton, hormis sa signature au bas d’une déclaration des Fédéralistes
en 1938 « Dénonçant le fascisme en Europe et les idées fascistes en
Bretagne dont Mordrel se faisait le représentant ainsi que Debauvais. » En 1939, dans le journal Le Fédéraliste, Marchal conclut un article en ces termes « A la veille d'une rupture désespérée, que je sens imminente, entre toute une partie, dévouée à la Bretagne jusqu'au suprême sacrifice, de la jeunesse bretonne, et l’État français, je ne puis, républicain et laïc sans reproche, loyal citoyen de l’État français que je crois perfectible, Breton jusqu'aux moelles, taire ma pensée. Il est urgent pour Paris d'envisager, avec des yeux dénués de passion, le problème breton. » Au
mois de janvier de la même année, face au sectarisme anti-gallo des extrémistes du PNB et
soucieux de réveiller la conscience bretonne en Haute-Bretagne, il est
sollicité par le vitréen Jean Choleau qui vient de fonder l’association des
Compagnons de Merlin.
Les années noires
Alors qu’il avait cessé toute activité politique, en mars 1941, après sa démobilisation, Marchal adhère au parti collaborationniste le Rassemblement National Populaire (RNP) de l’ancien socialiste Marcel Déat, qu’il quitte en juillet 1943. Ce qui lui sera reproché à la Libération et figure sur l’acte d’accusation de son procès. Après la déposition de Marius Lepage, il sera finalement disculpé de cette accusation :
« La situation était devenue difficile pour tous les francs-maçons de Mayenne, tant par les poursuites de Vichy que par l’action du sieur Leloup, un agent des plus actifs de la police allemande. C’est alors qu’en qualité de plus haut dignitaire de la maçonnerie en Mayenne, je résolus de parer dans la mesure du possible les coups qui pouvaient bientôt être portés à plusieurs membres de la loge de Laval. En conséquence, Marchal étant maçon depuis peu de temps, n’étant par conséquent guère connu comme tel, je lui fis savoir que je verrais d’un bon œil son entrée dans le RNP afin de surveiller Leloup et de me tenir informé de son attitude et de ses intentions, l’individu étant bavard et hâbleur. C’est dans ces conditions que Marchal entra au RNP où il nous fut très utile. A l’époque j’avais fait connaître cette méthode à mon préfet, ainsi que plus tard à son successeur et nous en retirâmes profit en plusieurs occasions. »
Réunion de l'Institut Celtique devant le restaurant La Chope |
Bien qu’il ait rompu avec le mouvement breton, qui se résume alors au PNB, Marchal, converti au néo-paganisme, n’en continue pas moins de retrouver régulièrement ses amis des Seiz Breur à Rennes. Du 20 au 25 octobre 1941, il participe à la Semaine celtique, sorte d’états généraux de la culture bretonne, qui verra Creston annoncer la création de l’Institut Celtique de Bretagne. Un premier congrès se tiendra à Nantes au mois de mai 1942, suivi par un second à Rennes au mois de juin. Toutes ces activités font l’objet d’une surveillance discrète des Renseignements Généraux « 10 juillet 1941, arrivée à Rennes du nommé Creston René, autonomiste breton. 4 novembre 1941, demande de renseignements : Hemar, Tullou, Marchal, Choleau, Danio. 12 novembre 1941, au sujet de Marchal désigné pour exercer une fonction aux Compagnons de Merlin. » (2)
En 1942, c’est un Marchal en totale rupture avec ses idées d’avant-guerre qui publie Nemeton, une revue « d’études druidiques », dont l’ennemi est la civilisation judéo-chrétienne, avec des articles antisémites que ne renieraient pas un Céline ou un Mordrel :
« Devant nous, l’Europe, pensée millénaire se refait. Elle se refait cette fois, non plus aux abords de la vieille Méditerranée, mais autour des peuples du Nord. Le monde neuf devra donc beaucoup, par le peuple qui le construit et par son chef, à l’esprit nordique. Deux millénaires de judaïsation se terminent. » (N°1, 1942)
« La forêt qui entoure la clairière druidique se dresse partout en terre du Nord-Ouest, sur le sol des Celtes ; les dattiers et les grenadiers de Judée ou d’Arabie n’y peuvent que dépérir. Aussi nous serons-nous absolument étrangers aux métaphysiques sémites, desquelles nous n’excluons nullement le christianisme. » (N°2)
« Or, maintenant que, sous les coups de la force nordique, s’écroule le temple du dernier dieu juif, de l’or, avec tout ce qu’il contenait de cosmopolitisme grégaire, pour ses esclaves aryens, il nous apparaît, plus qu’à tout autre moment de l’histoire, que nous, Celtes de l’Occident européen, avons été frustrés au cours des âges, d’un héritage magnifique. » (N°2)
« Tous les États autoritaires d’Europe ont dû adopter une législation d’exception concernant les Juifs. En Allemagne, cette législation est fondée, d’une part, sur les principes ethno-eugéniques formant la base de la communauté germanique, d’autre part, sur le rôle économique purement parasitaire que joue l’israélite au sein de la société. » (N°5)
« Nous attendons de Vichy une loi complémentaire précisant que, parmi les nombreux agitateurs juifs crucifiés voilà 20 siècles, Jésus fils de Marie était également fils du Maître de l’Univers, et que les Israélites sont punis pour cela et rien que cela. »
Sans emploi, Marchal reconnaît avoir
perçu des appointements de la part de l’occupant du mois de novembre 1942 au
mois de février 1943, alors qu’il était employé comme dessinateur dans un bureau du génie allemand. Arrêté à la
Libération, il est interné au camp Margueritte le 28 septembre 1944. Traduit
devant la Chambre civique de Rennes, on lui reproche ses relations avec les
membres du PNB, mais l’accusation principale repose sur les déclarations d’un
certain Claude Geslin, l’accusant « d’avoir été une vingtaine de
fois » au Sicherheitsdienst (SD),
le service de sureté de la SS, souvent confondu avec la Gestapo. Accusation
d’autant plus grave que son nom figure sur une liste d’agents du SD sous le N°
SR 700. Il y est présenté comme « économiste » et inscrit au RNP. Ce
qui ne manque pas d’étonner Marius Lepage : « J’ignore absolument tout
des rapports que Marchal a pu avoir avec des membres de la Gestapo (…) qui ne
faisaient pas partie du plan d’action très précis et très délimité que je lui
avais tracé dans le cadre du RNP. Dans le cas ou ces relations auraient existées
il conviendrait de bien préciser si Marchal a été un élément actif ou un
imbécile. En effet, jusqu’à preuve du contraire je le tiens pour un homme de
caractère faible mais sincère. Physiquement très diminué son sens moral est
affaibli mais nous avions je crois sous l’influence de la discipline maçonnique
réussi à le relever et à lui redonner quelque dignité. Je serais extrêmement
surpris et douloureusement peiné qu’à la fois il nous eut trahi et commis une
infamie. » (3)
Adjudant Hans Grimm |
Arrêté puis transféré au camp de détention administrative de Margueritte le 28 septembre, Marchal est condamné à quinze ans d’indignité nationale. Peine qui sera amnistiée en 1951. Il est libéré le 2 mars 1945, avec une mesure d’éloignement de la Bretagne.
1 - Le terme est attesté dans le journal Peuples et Frontières, N° 11, 1938 « en général toutes les publications ayant joué un rôle dans notre Risorgimento »
2 – Registre des courriers et notes des Renseignements Généraux.
3 – Déposition de Marius Lepage, PV du 10 octobre 1944. J’ai volontairement retiré les passages concernant la vie privée de Marchal.
Entendu lundi 12 février sur France Culture, dans l'émission Enjeux territoriaux "Décentralisation ou décomposition nationale ?", le très médiatique Benjamin Morel déclarer le plus sérieusement du monde que le créateur du Gwenn ha Du avait été un "collabo" membre de l'hebdomadaire "Je suis partout" ! (On ne prête qu'aux riches) Notre brillant politologue a probablement confondu avec Morvan Lebesque...
Bonjour monsieur Hamon,
RépondreSupprimerSur la page wikipédia de Morvan Marchal se livre un combat radical afin de gommer les passages furieusement antismites de Marchal. Cet article cite l'EMSAV de Cordiou (2013) (qui insiste d'ailleurs elle-même sur le côté pro-nsdap et antisémite), qui vous citerait :
"Selon des travaux de Kristian Hamon repris par Georges Cadiou, « cette adhésion au RNP était une couverture pour Marchal qui, par ailleurs, aurait eu des activités résistantes. ». Il est condamné à la Libération à une peine d'indignité nationale par la Chambre Civique de Rennes, pour appartenance au RNP.".
Ayant été fortement surpris de cette ligne, répétée et fortement protégée par l'administration de la page, cela ne me paraissait cependant pas impossible compte tenu des variances politiques incroyables de Marchal, qui oscille de ultra-raciste à anti-raciste d'année en année (vous citez ici la fédérale d'ailleurs). Cependant dans cet article récent vous ne traitez pas des-dites preuves ; et j'ai eu du mal a tracer duquel de vos travaux il put s'agir, étant plus familier avec l'histoire culturelle de la Bretagne. (Je fais la publicité de la thèse d'Eva Guillorel ici c'est vraiment un incontournable.)
Pourriez-vous clarifier les-dites activités de résistances de Morvan marchal ? Et m'indiquer vers lesquels de vos travaux se tourner (avec citation de pages cela serait incroyable).
Merci d'avance de votre lecture
Bonjour,
SupprimerBien tardivement, je n'ai pas connaissance d'activités de résistance de la part de Marchal. Quant son adhésion au RNP comme couverture, on n'est pas obligé de croire ce que raconte Marius Lepage. Entre frères 3 points...
Monsieur Hamon, les divagations sur le net m'ont fait découvrir votre article consacré à Franziska Bourgoin. J'ai été très intéressé par la réaction de Valdimir Romanov lors de l'invasion de l'URSS par les Allemands. Je souhaiterais pouvoir creuser cet aspect de l'attitude des Russes blancs à l'époque, ma grand-mère, Russe, était un agent des Russes rouge ayant infiltré un réseau de résistance de Russes blancs, sous l'occupation en Belgique. Frédéric Lavachery frederic.lavachery@gmail.com
RépondreSupprimer