Le
confinement, cela peut-être aussi l’occasion de faire un peu de « désherbage ».
Ainsi cet ouvrage, que je retrouve avec sa première de couverture tout à fait dans le style de
l’époque : la nouvelle chanson
bretonne, de l’excellent Jacques Vassal dans lequel l’auteur aborde
brièvement la période de « L’Occupation et l’Épuration » du Mouvement
breton. Il est paru il y a près de 50 ans maintenant, c’est-à-dire avant le livre de référence d’Alain Deniel, Le
Mouvement breton 1919-1945, Maspéro, 1976 ; puis celui de l’historien
« autonomiste » Michel Denis, Mouvement
breton et fascisme : signification de l’échec du second Emsav, PUF,
1977 ; et enfin les travaux qui font autorité de Michel Nicolas, Histoire du Mouvement breton, Syros,
1982. Le texte de Vassal, qui n’est pas historien, est daté, sans aucun
doute ; mais c’est précisément ce qui en fait son intérêt. Imagine-t-on
aujourd’hui un historien, fût-il « autonomiste » asymptomatique, se
livrer à une telle analyse ? J’entends d’ici les cris d'orfraie :
L'OCCUPATION ET L'
« ÉPURATION ».
« À
l'approche de la guerre et dans ses premiers mois, la diplomatie allemande
laissa croire à qui voulait l'entendre qu'elle serait favorable, dans le cas
d'une « liquidation » de l'État français, à l'indépendance de la Bretagne. Il
n'en fallut pas plus à Mordrel et à Debauvais pour s'exiler à Berlin dès la
déclaration de guerre. Pendant plusieurs mois, ils y plaidèrent la cause de
leur pays, mais en vain. Deux tendances, en effet, s'affrontaient dans
l'entourage d'Hitler celle du démembrement total de l'État français (cf.
ci-dessus) et celle de la collaboration avec un gouvernement fantoche, qui
devait prévaloir dès juin 1940. Le revirement fut brusque puisque, si l'on en
croit Yann Fouéré (cf. La Bretagne écartelée), les journaux de Berlin
venaient de préparer des articles annonçant l'indépendance de la Bretagne, et
ces éditions furent suspendues en cours de tirage « sur ordre d'en haut ».
Olier Mordrel à Rome, 1939 |
Faisant
succéder la maladresse à la naïveté, Mordrel et Debauvais rentrèrent en
Bretagne en empruntant une colonne de blindés allemands. Les accusations, non
vérifiées, allèrent bon train évidemment. Pourtant, si l'on se réfère à leurs
attitudes d'avant-guerre, les Breiz-Atao n'étaient pas nazis : en 1929,
ils avaient supprimé de leur emblème la svastika celtique, avec laquelle Hitler
commençait déjà à pavoiser. Tout au plus pourrait-on dire que Breiz-Atao avait
subi la fascination et le mimétisme des mouvements de droite parisiens comme
les Croix de Feu ou les Camelots du Roi, très en vogue dans les années 30. Le
Conseil national breton, formé en 1940, n'eut qu'un rôle limité, puisque le
gouvernement de Vichy ne voulait lâcher aucun morceau de la France. En
revanche, Pétain s'étant prononcé pour un retour à un « provincialisme » au
demeurant aussi vague que désuet, les hommes de pointe de l'Emsav en
profitèrent pour réclamer et obtenir, de 1940 à 1944, ce que dans l'histoire
aucun gouvernement français n'avait accordé aux Bretons : l'enseignement
de leur langue dans les écoles et un certain nombre de droits culturels. Roparz
Hémon fut speaker à Radio-Rennes, et les journaux bretons, dans les deux
langues, purent aussi utiliser les presses réquisitionnées des quotidiens
d'avant-guerre. Le plus connu de ces journaux, l’Heure Bretonne, ne
ménagea du reste pas ses critiques à l'adresse de Vichy comme de Berlin.
Il
est donc fallacieux de dire, comme certains s'en empressèrent :
«Breiz-Atao égale collabo.» Mais il est exact que Vichy et les Allemands
tolérèrent l'activité bretonnante. Maigres concessions qui n'empêchèrent pas la
Bretagne de devenir l'un des plus précoces et des plus actifs foyers de la
Résistance. Elles furent pourtant, dès la Libération, prétexte à une répression
féroce et insatiable pour justifier la liquidation à bon compte de l’Emsav, la
République renaissant de ses cendres, le jacobinisme suivait de près.
L'épuration « légale » fut, comme dans l'ensemble de la France, précédée d'une
série de règlements de comptes, d'assassinats et d'arrestations tout à fait
arbitraires. Toute personne qui montrait le moindre signe de bretonnité était
suspecte de collaboration : dessins celtiques sur les sabots d'un enfant,
sonneur de biniou, ancien abonné à Breiz-Atao (les listes dataient
d'avant-guerre!), voilà qui suffisait pour dénoncer et abattre quelqu'un. Les
procès « légaux » de militants bretons durèrent jusqu'en 1947 et leur sévérité
indigna les Gallois qui envoyèrent une commission d'enquête. Elle rapporta des
témoignages accablants contre la justice française, mais cela resta ignoré chez
nous : le mouvement politique breton était anéanti et voué à l'opprobre
national. Aujourd'hui encore, l'Emsav en subit les conséquences
lointaines. »
Jacques
Vassal, la Nouvelle Chanson bretonne, Albin Michel, 1973, p. 57-59
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