dimanche 10 mai 2020

Le repli du Bezen Perrot en Allemagne (1ère partie)


Après avoir fait sauter le « verrou » d’Avranches, le 31 juillet 1944, les G.I. de Patton déferlent sur la Bretagne. Les deux ou trois groupes du Bezen Perrot, encore en opération contre les maquis à Scrignac et dans le Morbihan, rentrent précipitamment à Rennes. Parmi ceux-ci, André Geffroy « Ferrand », 23 ans, qui participait aux tortures commises par le Sicherheistdienst (SD) dans les geôles de Locminé : (Tous les pseudonymes cités entre guillemets sont de l’auteur) : « Le 2 août 1944, nous avons reçu l’ordre de Péresse « Cocal » de préparer tous nos bagages en vue d’un départ éventuel. Cet ordre fut donné le matin vers 9 h 30 et toutes les valises furent rassemblées dans une pièce. J’ai assuré la garde du quartier rue Lesage de 12 h à 14 h, et c’est à ce moment là que nous avons entendu les canons de l’armée américaine. Aussitôt Péresse a fait conduire tous les bagages au SD et vers 16 h 30 le Kommandeur nous a donné l’ordre de nous rassembler au siège du SD. » Auparavant, Jean Hascouët « Gwinver », Goulven Jacq « Le Maout » et François Le Gallo « Saïck ou Toc’h » restent au quartier pour brûler toutes les archives. Leur mission terminée, ils rejoignent ensuite le siège du SD à la Maison des étudiantes, rue Jules Ferry, où les attend Célestin Lainé « Hénaff », le chef du Bezen.

Siège du SD, rue Jules Ferrry
Le convoi, comportant trois camions, un car et une dizaine de voitures légères, stationne rue Jean Macé, le long de l’EPS, transformé en hôpital militaire. A bord des véhicules ont pris place les policiers du SD (Le personnel féminin a été évacué deux jours auparavant) ainsi que les civils du Parti National Breton (PNB). La plus grande partie des membres du Bezen porte l’uniforme de la Waffen-SS, les autres sont en civil. C’est le cas du camion où se trouve Geffroy avec : Jean Le Boulc’h « Jan », Enest Kerviel « Glaz », Christian Guyonvarc’h « Cadoudal », Yves Le Négaret « Le Floch ou Lizidour », Stanislas Le Rouzic « Peltan ou Félix », Corentin Faou « Mikaël ou Gonidec ».

Le convoi quitte Rennes aussitôt et reste groupé jusqu’à Angers, qui est atteint le soir même. Alors que les hommes du Bezen sont cantonnés dans un baraquement du SD, les civils continuent leur route sur un château de Faye-d’Anjou, où ils vont rester deux ou trois jours. De là un camion prend seul la direction de Paris avec à son bord cinq hommes : Marcel Guieysse, Hervé Botros, Roparz Hemon, Jos Youenou et Joseph Nédélec, plus huit femmes : dont Germaine Péresse et ses deux enfants, Marie Guieysse et sa fille, Mathilde Le Gall, épouse de René Hervé « Marcel », et son bébé, l’épouse d’Émile Luec « Forster » et sa fille, la fiancée de Marcel Pinard « Cardinal », Yvonne Auffret, ancienne secrétaire de Debauvais. Mathilde Le Gall cite également une certaine Simone : « 27 à 28 ans, forte corpulence, maîtresse et fiancée d’un agent de la Gestapo, originaire de Lorraine qui s’occupait de l’unité Perrot et dont je ne puis fournir le signalement. » On aura reconnu l’adjudant Hans Grimm, qui retrouvera sa maîtresse à Strasbourg.

Lorsqu’elles arrivent à Paris, les femmes sont logées à l’hôtel Bachaumont (2ème) pendant quatre ou cinq jours. Elles sont surveillées et ne peuvent sortir qu’accompagnées. Quittant ensuite Paris pour Nancy, elles sont logées pendant quelques jours dans un couvent, puis rejoignent Strasbourg le 18 août, où elles seront accueillies par le Standartenführer SS Hermann Bickler, une vieille connaissance des nationalistes bretons, qui leur procure des saufs-conduits. Anna Youenou, la veuve du chef du PNB Debauvais, et son fils, qui étaient à Colmar, rejoignent les réfugiées : « Nous fûmes reçus royalement au centre d’accueil, rue Saint-Louis, avec biftecks, nouilles et pain à volonté. Il y avait aussi du lait pour les enfants. »

De son côté, le convoi des hommes quitte Angers pour atteindre Paris le 8 août. Dans la capitale, trois hommes en profitent pour s’évader : Louis Nogues « Kémeneur », Corentin Faou et Joseph Le Berre « Stern ou Kernel », ce dernier sera tué le 17 août sur une barricade FFI lors des combats devant la mairie de Drancy. Le séjour à Paris est bref : « Dans la capitale, Le Négaret et Guyonvarc’h ont pris une petite voiture Renault et je ne les ai plus revus avant Chaumont. A Paris également, Le Rouzic et Faou nous ont quittés pour prendre place dans le convoi où se trouvaient ceux qui étaient en uniforme. Je les ai retrouvés aussi à Chaumont. Ainsi il ne restait plus dans mon camion qu’Alphonse Le Boulc’h « Jan », Kerviel, les deux Allemands du SD de Rennes, un Allemand du SD de Brest se nommant Bernard que nous avons embarqué à Paris, et moi », déclare André Geffroy.

Le 10 août, le convoi arrive à Châlons-sur-Marne, où Jacques Malrieu « Héric », 25 ans, se met en civil et en profite pour déserter le 14 août, sans rien dire à personne. Que s’est-il passé lors de cette étape à Châlons-sur-Marne ? D’après une déclaration de Le Négaret, un groupe composé de Geffroy, Michel Chevillotte « Bleiz », Louis Feutren « Le Maître » et Gilbert Foix « Eskob ou Bishop », aurait participé à une opération contre un maquis de la Région. Interrogé à ce sujet, Geffroy répond : « Je ne sais absolument rien de cette expédition et je n’ai participé à aucune expédition durant mon séjour à Châlons-sur-Marne. » Le Négaret, qui ne semble pas jouir de toutes ses facultés, ayant déclaré au juge : « Je dois vous dire que je suis atteint de débilité mentale », il est en effet permis d’avoir des doutes. Quoi qu’il en soit, lors de son séjour à Châlons-sur-Marne, Gilbert Foix reconnaît avoir effectué une patrouille dans une voiture avec Joseph Cattelliot « Morel », Marcel Pinard « Cardinal », et… André Geffroy. Leur véhicule sera mitraillé par un avion américain, les obligeant à se jeter dans un fossé.

Après Châlons-sur-Marne, le convoi se rend à Troyes, où il stationne du 15 au 23 août. C’est durant ce séjour que se produit un crime de guerre qui a fait l’objet de nombreuses publications, notamment dans l’ouvrage de Roger Bruge, 1944 : Le temps des massacres, paru en 1994. Le 22 août 1944, en fin de journée, 49 jeunes résistants sont extraits de la prison de Troyes puis emmenés sur la commune de Creney, au nord de la ville, pour y être exécutés par des Allemands du SD de Rennes, sous les ordres d’Hartmut Pulmer. D’après plusieurs témoignages concordants, il y avait parmi ce peloton d’exécution trois soldats en uniforme allemand parlant le français. Interrogé, Geffroy déclare : « C’est à Chaumont que j’ai appris que des détenus de la prison de Troyes avaient été exécutés. Je l’ai su par mes camarades mais ces derniers ne m’ont pas donné le nom de ceux qui avaient pris part à ces exécutions. Au sujet de cette affaire, je ne peux vous fournir aucun renseignement car personnellement je ne me suis pas arrêté dans cette ville. » S’il est attesté que des éléments du Bezen ont participé à ce crime de guerre, on ne connaît toujours pas leur nom avec certitude, même si celui de Chevillotte revient avec insistance. D’après un prisonnier allemand, interrogé après-guerre, il y avait Michel Chevillotte, Gilbert Foix et Jean Guyomard « Pipo », qui avait la réputation d’être une brute au Bezen (1), tout comme ses deux camarades, qualifiés de « très violents ». Pour Bruge, ce n’était pas Foix mais Le Négaret. D’après Guyonvarc’h, Chevillotte lui aurait dit avoir participé aux exécutions de la prison de Troyes et Émile Luec « Forster », aurait également fait partie du peloton. Interrogé le 17 novembre 1944, Le Négaret déclare : « Séjour à Troyes le 15 août 1944, Foix a été avec les Allemands du SD procéder à des exécutions de résistants, une cinquantaine. Dans le peloton d’exécution il y avait Chevillotte, Jean Guyomard et un autre dont je ne me rappelle plus le nom. » Interrogé à nouveau le lendemain, il parle de quatre autonomistes et cite : « Gilbert Foix, Chevillotte et Jean Guyomard. » Raymond Magré « Coquet », cite également Chevillotte. Xavier Mordellet « Rual ou Le Mousse », cite Chevillotte, mais aussi Geffroy qui : « était toujours volontaire pour ce genre de mission. »

Le lendemain de ce massacre, les membres du Bezen se rendent à Chaumont, où sont regroupés les agents du SD de Rennes et leurs supplétifs du Groupe d’Action du PPF, qui avaient aussi pris la fuite le 2 août. Ils sont cantonnés dans un Centre de formation professionnelle, boulevard Gambetta, en centre ville.

Depuis Paris, Xavier Mordellet « Rual ou Le Mousse », 17 ans, envisageait de quitter le Bezen. Lorsque le groupe quitte Troyes, il en parle à Christian Guyonvarc’h, 18 ans, et Yves Le Négaret, 27 ans, chauffeur d’une camionnette. Les deux premiers se cachent à l’arrière du véhicule qui se laisse distancer par le convoi en route pour Chaumont et prend une petite route qui mène à Prez-sous-Lafauche. Au village, les trois hommes tentent de se faire passer pour des prisonniers des Allemands souhaitant rejoindre un maquis FFI. Les Américains approchant de la région, ils décident de quitter Prez-sous-Lafauche pour rentrer en Bretagne. Ils n’iront pas loin. Comble de malchance en effet, alors qu’ils sont à Colombey-les-Deux-Eglises, ils sont reconnus par un gendarme de Chaumont qui avait repéré Guyonvarc’h à Troyes en compagnie d’un Allemand. Arrêtés, ils seront transférés sur Rennes.

Après avoir quitté Chaumont, le convoi arrive à Saint-Dié, dans les Vosges. Geffroy envisageait-il lui aussi de déserter ? : « C’est dans cette ville que je me suis emparé d’une carte d’identité au nom de Tougat Joseph, qui se trouvait dans une malle avec divers autres papiers. Cette malle appartenait à un Allemand. » Lorsqu’elle était interprète au SD de Rennes, Paule Norsbach, 32 ans, d’origine allemande mais de nationalité française, entretenait une liaison avec Louis Guervenou « Docteur », 22ans, du Bezen : « Il m’a confié un jour qu’il s’occupait de la partie administrative au sein de la sûreté allemande et qu’il avait même assisté à diverses perquisitions chez des habitants de Rennes. Le 31 juillet 1944, j’ai quitté Rennes pour me replier à Angers avec les femmes des services allemands. Guervenou m’a rejoint dans cette ville dans la nuit du 2 au 3 août 1944. » Le 14 août, Paule Norsbach arrive à Chaumont, où se replie le SD : « Mon service est resté momentanément dans cette ville ; j’en ai profité pour aller rendre visite à Guervenou, dont la formation se trouvait à Troyes. Je suis restée à Troyes du 20 au 22 août, que j’ai quitté en compagnie de Guervenou pour me rendre à Bar-sur-Aube dans une voiture réquisitionnée par le Service Allemand. De Bar-sur-Aube nous sommes partis à Chaumont. Nous nous sommes quittés momentanément, dans cette ville, ma formation s’y trouvant toujours. » Elle retrouve Guervenou le 27 août à Vittel. De là, le 29, le couple file sur Colmar, puis se rend à Épinal où il séjourne jusqu’au 1er septembre. La ville étant bombardée, ils partent précipitamment sur Saint-Dié, où ils passent deux nuits dans une caserne occupée par les Allemands. Guervenou porte toujours l’uniforme Waffen-SS. « Depuis notre départ de Troyes, nous avions décidé de quitter le convoi dont nous faisions partie, mais aucune occasion propice ne s’est présentée avant Saint-Dié », déclare Paule Norsbach. Le 4 septembre, en soirée, le couple quitte la caserne de Saint-Dié. Guervenou est au volant : « Profitant d’une réparation à effectuer à ma voiture, je me suis rendu dans le maquis de Xertigny, dans les Vosges, avec armes et bagages (Une mitraillette et son chargeur, un pistolet, deux chargeurs FM garnis, des grenades et 150 cartouches de pistolet et un lot de cartouches de mitraillettes). J’y suis resté quinze jours environ, jusqu’à l’arrivée des Américains. Puis ensuite je suis rentré au Chesnay (Seine-et-Oise) le 23 septembre 1944 et j’ai quitté le domicile de mes parents le 3 octobre 1944 pour me rendre à Paris afin d’y trouver du travail et où j’ai été reconnu et arrêté. » Comme ses camarades à Colombey-les-Deux-Églises, c’est tout à fait par hasard que Guervenou se fait prendre : «  Le 7 octobre 1944, vers 14 h, je me trouvais à la station de métro Havre-Caumartin, quand j’ai été reconnu par une dame de Rennes, qui m’a interpellé en ces termes : « Vous êtes un soldat allemand, suivez-moi au commissariat ! » J’ai essayé de m’enfuir, mais cette femme a appelé deux FFI qui m’ont arrêté et conduit au Commissariat Central, ensuite à la Conciergerie et le Fort de Noizy-le-Sec. » Cette Rennaise est Mme Jagu, dont le mari avait été arrêté par un groupe du SD, dont faisait partie Guervenou, rue de Dinan, le 18 février 1944. Auparavant, Stanislas Le Rouzic « Peltan ou Félix », 23 ans, avait également déserté : « Je fus arrêté par Péresse à Chaumont, durant l’exode de la Formation vers l’Allemagne, mais je réussis à m’évader à Vittel avec la complicité de Magré qui refusa de me suivre parce qu’il avait peur d’être pris et qu’il comptait trouver une occasion plus favorable à Nancy (…) J’ai entendu dire qu’à Troyes, Péresse avait demandé des volontaires pour faire partie d’un kommando chargé non pas de fusiller des prisonniers politiques, mais seulement d’extraire ceux-ci de la prison pour les conduire jusqu’à la gare d’où ils furent envoyés sur l’Allemagne. »

Le 15 septembre 1944, au terme d’une fuite d’un mois et demi, parsemée de nombreuses désertions, le Bezen Perrot arrive à Strasbourg, où il reste cantonné avant de franchir le Rhin.
Carte publiée dans Agents du Reich en Bretagne    

 

(1) Jean Guyomard était un ancien élève du lycée Anatole le Braz de Saint-Brieuc et copain du jeune Paul Chaslin, entré au mouvement « Défense de la France » en septembre 1942. Chaslin voulait rejoindre la France libre en passant par l’Espagne en entrainant avec lui trois autres lycéens : Jean Le Bail, Jean-Paul Le Moël et Jean Guyomard. Malheureusement, ce dernier était déjà tenté par les thèses autonomistes et préféra rester en Bretagne pour préparer le concours d’entrée à l’école d’Hydrographie de Paimpol. Il s’engagera ensuite à la Bezen. Grande figure de la Résistance mais aussi des Éclaireurs de France, Paul Chaslin a été fait commandeur de la Légion d’honneur, décoration remise par son amie Marie-Josée Chombart de Lauwe. Il est décédé en 2012. Dans le livre De la nuit à l’aurore, des lycéens dans la guerre 1939-1945, Lycée Anatole Le Braz, publié en 1995, Paul Chaslin revient sur son étonnante rencontre avec Guyomard.

2 commentaires:

  1. Je lis régulièrement votre blog depuis plus de deux ans et vous remercie de votre travail, qui est toujours très précis, impartial et passionnant pour le féru d'histoire que je suis ! Votre article est, une fois de plus, très intéressant ! A quand la 2ème partie ?

    Jean-François JOUET

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  2. Merci pour vos compliments cher Monsieur, que je prends pour un encouragement. Conséquence du confinement, et de la fermeture des Archives ou bibliothèques, mes recherches ont pris beaucoup de retard. Un peu de patience donc pour la suite de cette pitoyable retraite du Bezen en Allemagne.

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