mardi 26 février 2019

Yohann Chapoutot et les pensions versées par l'Allemagne à d'anciens collaborateurs des nazis


Toujours à propos de ces pensions militaires versées à d’anciens collaborateurs des nazis, je découvre dans le journal Ouest-France d’aujourd’hui une étonnante interview de Johann Chapoutot, professeur d’histoire à la Sorbonne. A la question de savoir s’il avait été surpris par l’existence de ces pensions, l’historien répond : « Non, même si je n’en avais pas connaissance. » Réponse pour le moins surprenante de la part d'un historien présenté comme un « spécialiste du nazisme ». Cette affaire de pensions militaires est connue depuis longtemps, même si les bénéficiaires se gardaient bien d’en faire état. J'ai encore en mémoire ma rencontre avec ce membre du Bezen Perrot, né en 1925 à Auray, qui avait une réputation de brute au sein de l'unité, qui en éprouvait une certaine fierté.
Autre déclaration pour le moins étonnante de Chapoutot : « La légion étrangère elle-même recycle alors des milliers d’anciens combattants criminels du IIIe Reich. » C’est un fait que lors des procès devant les Cours de justice, certains « collabos » parmi les plus compromis ont évité les travaux forcés à perpétuité en sollicitant des juges un engagement dans la Légion pour être envoyés en Indochine. Le jeune nationaliste breton Georges Pinault, alias « Goulven Pennaod », refusé à la Waffen car trop jeune, en est un parfait exemple. S'agissant de membres de la LVF, il faut reconnaître qu’ils avaient quelques prédispositions « naturelles » pour aller combattre le Vietminh. Mais de là à parler de « milliers » de criminels de guerre dans la Légion étrangère française, on aimerait que Chapoutot cite ses sources ou soit plus précis.
Même approximation à propos des 54 Français qui continueraient de percevoir ces pensions. Chapoutot parle de survivants : « d'unités combattantes, auxiliaires de police qui ont œuvré pour les nazis. Peut-être des indicateurs ou espions civils ». De quoi parle-t-on ? S'il s'agit de volontaires français qui se sont engagés dans des unités combattantes, comme la Waffen SS par exemple, ces hommes étaient considérés comme des soldats allemands et touchaient une solde. Donc à ce titre ils pouvaient prétendre à une pension militaire. En ce qui concerne les civils, l'affaire est plus compliquée. Chapoutot veut-il parler des agents qui travaillaient pour la Gestapo ou l'Abwehr contre rémunération ? Des interprètes et autres « souris grises » qui étaient très nombreuses et salariées par les Allemands ? S'agissant des supplétifs du Sicherheitsdienst (SD), le service de sûreté de la SS, on trouve un peu de tout : des voyous et autres individus « de sac et de corde » qui ont choisi de se mettre au service des nazis et touchaient une prime pour chaque résistant dénoncé. Il serait intéressant de savoir si l'Allemagne leur a effectivement versé une pension, mais j'en doute. Parmi ces auxiliaires, les membres de la Milice de Darnand ou de la LVF doivent être écartés. Il s'agit d'unités françaises et non allemandes.

La Formation Perrot (Bezen Perrot) est un cas à part et unique en France. Il s'agit d'une unité de police allemande composée de jeunes Bretons qui ont signé un engagement au Sicherheitsdienst. Ces hommes, pas plus de 80, sont encasernés et vont revêtir l'uniforme Waffen SS. Ils touchent une solde versée par le SD. Lors de la libération de Rennes, ils vont prendre la fuite vers l'Allemagne. La moitié du groupe va déserter en cours de route et se faire capturer. Ceux qui ont franchi le Rhin au mois de septembre 1944, les plus compromis qui ont tous été condamnés à mort par contumace, vont avoir le choix entre une formation de sabotage et de cours de radio pour être envoyés ensuite derrière les lignes ennemies en France, ou bien alors s'enrôler dans la Waffen SS pour aller combattre sur le front russe. Ces derniers sont donc bien des militaire qui, au même titre que tous les étrangers enrôlés par la Waffen SS, touchaient une solde et pourront prétendre à une pension. Était-elle versée automatiquement, à condition d’avoir une adresse, ou fallait-il en faire la demande ? Je n’ai pas la réponse. Munis de faux-papiers et d'argent, ces Bretons vont s’exiler vers l’Irlande ou l’Amérique du Sud.  Quelques-uns, deux au moins à ma connaissance, vont refaire leur vie en Allemagne.  Au fil des amnisties et des grâces présidentielles, quelques exilés reviendront en Bretagne au début des années 1970.
Chapoutot parle également de dizaines de milliers de criminels : « passés au travers des mailles de l’épuration. » Là encore, on aimerait avoir des chiffres un peu plus précis. Il y a bien eu des enquêtes bâclées, des jugements discutables, mais globalement, l’épuration en France a été efficace. Les « collabos » reconnus coupables de crimes de guerre ont été sévèrement condamnés ou fusillés. Quelques « gros poissons », bénéficiant de filières d’évasion, ont pu quitter le pays sans être inquiétés, mais c’est une minorité. Quand à la police française « fermant les yeux » dès les années 1950 sur ces anciens « collabos », il faut se garder de généraliser. Il se trouve qu'il existe une série méconnue d'archives où l'on s'aperçoit que les RG et la police ont réalisé des contre-enquêtes dans les années 50 et 60 sur de nombreuses personnes qui ont été jugées par les Cours de justice. Parmi celles-ci, figurent les autonomistes bretons qui ont fait l'objet d'une mesure d'éloignement de la Bretagne. La plupart étaient installés dans la région parisienne et faisaient l'objet d'une discrète surveillance. 
Quoi qu'il en soit, il serait souhaitable que l'administration allemande, sans qu'il soit nécessaire de donner des noms, ce qui n'a guère d'intérêt aujourd'hui, établisse des statistiques qui seraient très utiles aux historiens.

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