mercredi 5 décembre 2018

L'étrange histoire d'un rescapé breton du HMS Hood


L’Ouest-Éclair, 27 mai 1941
Hier soir, alors que j’entreprenais un zapping frénétique sur mon « appareil récepteur de télévision », je tombe par hasard sur des images de la fin du Bismarck, diffusées par la chaîne RMC Découverte. Ce n’est pas que j’apprécie particulièrement la façon dont cette chaîne aborde l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, préférant de loin Arte, mais le sujet a retenu mon attention car avant d’être torpillé, ce cuirassé avait coulé le HMS Hood, un 24 mai 1941.
Cet épisode dramatique de l’histoire navale de la Seconde Guerre mondiale est connu et a fait l’objet de nombreuses publications, je ne m’y étendrai donc pas. Sinon pour rappeler que les Forces Navales Françaises Libres (FNFL) n‘ayant pas assez de navires pour embarquer tous les volontaires, bon nombre d'entre eux seront affectés sur des bâtiments de la Royal Navy. Ce qui explique que parmi les victimes, il y avait cinq marins français : Abry Robert, Blondot Jean, Minard André, Rannou Joseph, Tamarelle Marius. Sur un peu plus de 1 400 hommes d’équipage, on ne repêchera que 3 survivants britanniques : un aspirant et deux matelots.
Ce documentaire m’a remis en mémoire un témoignage indirect en lien avec cette tragédie. Il s’agit d’un texte de souvenirs d’un jeune officier présent au camp de Camberley, au sud de Londres, où étaient regroupés tous les volontaires FFL lors de leur arrivée en Angleterre. Parmi ceux-ci, Jacques Mantoux, entré à l’école polytechnique, alors repliée sur Lyon, en 1941, où il a été l’objet de vexations et humiliations du fait de ses origines juives. En janvier 1943, après un passage par l’Espagne et Gibraltar, Mantoux s’engage dans les FFL.
Jacques Mantoux
Après la guerre, il a rédigé un livre de souvenirs sur son séjour à Camberley où il dresse quelques portraits de volontaires, dont celui de cet étrange marin breton : « Il y avait aussi le brigadier Daniel, un Breton court sur pattes, mais plutôt fait en largeur, et surtout totalement hébété, qui était un cas d'entre tous les cas. Inscrit maritime en France, il s'était trouvé, je ne saurai jamais comment, quartier maître sur un croiseur de bataille fameux de la Marine britannique, le "Hood". En mai 1941, dans l'Arctique, le Hood, qui croisait en solitaire, se trouva, par pur hasard, sur la route du plus puissant navire de combat allemand, le tout nouveau cuirassé Bismarck, de 35000 tonnes, lancé dans ce qui fut la dernière tentative allemande de semer le ravage dans le trafic maritime allié dans l'Atlantique au moyen de navires de surface. Le Bismarck, déterminé à forcer le passage, engagea le combat à limite de portée de canons et, par un terrible coup de chance (ou de malchance) coula le Hood avec sa première salve ou à peu près: elle tomba dans une des cheminées et explosa dans les soutes à munitions. Le Hood coula en un instant, ayant tout juste le temps de signaler son naufrage et sa position. Dans la mer glaciale, les sauveteurs, quand ils furent rendus, trouvèrent quatre survivants d'un équipage de plus de mille hommes. Daniel était l'un des quatre. Resté en vie, réformé par la Marine britannique et remis aux F.F.L., il avait été versé, plutôt par charité, à la batterie de Camberley, en subsistance. On ne lui demandait aucun service. Ses paroles étaient indistinctes. Mais le samedi, une Rolls Royce venait le chercher pour l'amener dans la famille d'un des officiers disparus du Hood. Elle l'avait adopté. Il était pour elle un être sacré. Ce qui pouvait se passer dans quelque riche demeure, entre cette famille distinguée et ce malheureux, on ne peut se me représenter. Mais ce geste répété avec tant de fidélité m'est resté en mémoire, comme un symbole émouvant d'un des types de valeurs de la société britannique. »
J’avoue avoir du mal à croire en cette incroyable histoire et me perdre en conjectures. Pourtant, lors de son passage à Camberley, Jacques Mantoux donne l’impression d’être un jeune homme sérieux. S’agit-il du même navire ? Ce Daniel serait-il un affabulateur ? D’où vient-il exactement ? Sur le registre, lacunaire, des FNFL, on ne relève pas moins d’une douzaine de patronymes identiques, pratiquement tous bretons, mais rien sur le Hood ou Camberley.

vendredi 9 novembre 2018

L'étonnante histoire des photographies du massacre des patriotes et parachutistes du capitaine Marienne, exécutés à Kerihuel


Il n’est pas courant de voir des criminels de guerre poser derrière leur tableau de chasse et se faire photographier. C’est pourtant ce qui s’est passé le 12 juillet 1944 à Kerihuel, en Plumelec. Ce jour-là, vers 5 h 30 du matin, sept parachutistes SAS français, plus huit jeunes résistants FFI, ont été capturés sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré. Tous sont rassemblés sur l’aire à battre de la ferme. Deux officiers SAS : le capitaine Marienne et le lieutenant Martin, ainsi que les FFI, sont obligés de se coucher sur le sol, face contre terre et les mains sur la nuque, aux côtés des fermiers Danet, Gicquello père et fils. Derrière eux, cinq parachutistes sont alignés debout, face contre un mur. Tous sont fusillés froidement dans le dos, sauf un parachutiste, le sergent Judet, qui va sauter par-dessus le muret et s’enfuir à toutes jambes. Les parachutistes ont été abattus alors qu’ils étaient désarmés et revêtus de leurs uniformes. Ce qui est contraire à toutes les lois de la guerre. Les auteurs de ce massacre sont trois allemands du Sicherheistdienst (SD) : le capitaine Heer, Wenzel et Fischer, accompagnés de quatre français agents de l’Abwehr : Zeller, Gross, Munoz et Manoz. Arrêté en 1945 en Allemagne, Zeller sera condamné à mort à Rennes le 13 mai 1946, puis fusillé avec Gross et Munoz.  
L’histoire de cette photographie, qui figure en couverture de mon livre Agent du Reich en Bretagne, est assez étonnante. En effet, pièce à conviction essentielle, elle ne figure pas dans le dossier d’instruction du procès Zeller et comparses. Les policiers comme les juges de la Cour de justice ignorant son existence, les inculpés se garderont évidemment bien d’en parler.
Cette photographie est citée pour la première fois dans un document d’archives daté du 12 novembre 1949. Il s’agit d’un rapport de l’inspecteur de police François Resnais, de la Brigade régionale de police judiciaire de Rennes, section crimes de guerre, sur une enquête : « Relative à la découverte de photographies représentant une exécution de plusieurs patriotes français en Bretagne. » Un collègue de Resnais avait bien procédé à des recherches dans le département des Côtes-du-Nord, plus spécialement au lieu-dit « La Porcherie » en Loudéac, mais : « Ces recherches n’ont donné aucun résultat. » En ce lieu, à l’orée de la forêt de Loudéac, sept résistants avaient en effet été exécutés par les Allemands le 4 juillet 1944. De son côté, Resnais se rend dans le Morbihan au mois de novembre 1949, et plus spécialement dans la région de Plumelec, où il sait que plusieurs exécutions se sont produites : « M’étant rendu au lieu-dit « Kerihuel » en Plumelec, j’ai pu me rendre compte par l’état actuel des lieux que les photographies avaient été prises dans cet endroit même le jour de l’exécution du capitaine Marienne et de ses 17 camarades parachutistes et patriotes. Ces photographies ont été prises le jour même de la tuerie, c’est-à-dire le 12 juillet 1944, dans la matinée. » Resnais présente alors les clichés à Roger Danet, désormais âgé de 19 ans : « Les photographies que vous me présentez ont été prises ici-même, le jour de l’exécution de mon père et des 17 parachutistes et patriotes français, fusillés par les miliciens et soldats allemands le matin du12 juillet 1944. Sur la photographie n° 1 je reconnais parmi les premiers cadavres, celui de mon père, sur ce point je suis formel car je me souviens que ce matin-là, vers 6 h 30, je m’étais rendu auprès des cadavres et avoir embrassé celui de mon père dont la position était la même que celle représentée sur la photographie. Les autres cadavres situés à côté de mon père sont ceux de mon oncle Gicquello Alexandre et de son fils Rémi. Quant à ceux qui gisent plus loin, il s’agit des patriotes qui avaient été trouvés sous la hutte que l’on voit sur la photographie n° 3. Je reconnais également sur la photographie représentant les miliciens, deux de ceux qui étaient venus à Kerihuel, mais je ne peux vous indiquer leurs noms. »
Leur forfait accompli, et craignant une contre-attaque des parachutistes du lieutenant Taylor, qui avaient installé leur bivouac à proximité de la tente de Marienne, les Allemands et leurs agents ont quitté rapidement Kerihuel pour aller chercher des renforts. Les photographies n’ont donc pas été prises à ce moment-là, mais plutôt en fin de matinée, lorsque le groupe est revenu avec une compagnie de soldats de la Wehrmacht. Le photographe était donc un allemand, cela ne fait aucun doute. Très certainement un officier du SD, désireux de fournir à ses supérieurs les preuves de l’exécution du parachutiste le plus recherché de Bretagne depuis la chute du camp de Saint-Marcel.
Le plus troublant dans cette histoire, et qui intrigue l’inspecteur Resnais, c’est que le nom d’un jeune Rennais, fils de magistrat, est inscrit au dos d’une des photos : « Au dos d’une série de trois photos remises aux autorités françaises par un soldat anglais M. Naughton John et représentant une exécution de patriotes français, se trouvait le nom de M. Jean Martin et son adresse, 34 rue Croix Carrée à Rennes. Celui-ci, interrogé par les services de police, déclare qu’effectivement il avait connu un soldat anglais très jeune, 19 à 20 ans, parachutiste fait prisonnier dans la région de Caen au moment du débarquement et qui se trouva transféré à Rennes, où il fut interné à l’EPS (Hôpital complémentaire). » Au mois de juin 1944, après le débarquement, cet hôpital complémentaire allemand, situé dans l’actuel lycée Jean Macé, accueille de nombreux prisonniers de guerre blessés : américains ou parachutistes britanniques. Les conditions sanitaires y sont déplorables et la nourriture insuffisante. Des résistants ayant été un peu trop brutalisés par les tortionnaires du SD, situé juste en face, y sont parfois amenés pour y être soignés. Dans ce cas, des membres du Bezen Perrot montent la garde devant la chambre.
Alors que les GI de Patton sont bloqués à Maison Blanche, et que de violents tirs d’artillerie essaient d’atteindre le siège du SD, John Naughton sort de l’EPS pour se rendre utile et aider les services de la défense passive de Rennes : « Il rencontra alors Jean Martin qui s’occupait des blessés et l’aide pendant quelques instantsLe même jour ou le lendemain, en tous cas dans les environs du 2 août, puisqu’à cette date il semble que la Gestapo, qui résidait juste en face de l’EPS avait alors quitté les lieux, Martin retrouve Naughton près de l’EPS et du boulevard de la Duchesse Anne, près de chez une de ses amies, Mlle Claude Villers, avocate au Barreau de Rennes, qui se trouvait à sa fenêtre. » Les deux jeunes gens sont alors invités par l’avocate à boire une bouteille de vin pour fêter la Libération. Lors de la discussion, Naughton raconte les conditions dans lesquelles il avait été fait prisonnier : « Il remit à Claude Villers en souvenir un petit écusson de laine. Il échangea à ce moment son adresse avec Jean Martin et il semble qu’à ce moment, n’ayant pas de papier pour écrire, il ait transcrit celle-ci au dos d’une photo. L’adresse de Naughton a été égarée par Martin. »
Dans ce rapport de Resnais, il n’y a malheureusement aucune information sur la façon dont Naughton s’est procuré ces photos. Ont-elles été remises par un soldat allemand en soin à l'EPS ? C'est possible. J’avancerai plutôt l’hypothèse suivante : le 2 août, les policiers du SD, le Bezen Perrot et quelques autonomistes bretons parmi les plus compromis avec l'occupant ayant pris la fuite, la nourriture vient à manquer aux blessés de l’EPS. Les Américains étant toujours à Maison Blanche, le personnel civil de l’EPS, quelques prisonniers valides et même des voisins – l’officier allemand commandant l’hôpital fermant les yeux – vont piller la Maison des étudiantes où les Allemands avaient laissé d’importantes quantités de provisions, pour les ravitailler. On peut donc raisonnablement penser que pendant ce laps de temps, avant l’entrée en ville des libérateurs, Naughton est entré dans le bâtiment et y a découvert ces photos.

samedi 6 octobre 2018

Maudite Vilaine !

La Vilaine n'a pas toujours été un long fleuve tranquille. En 1966, enserrée en un lit trop rétréci entre deux sinistres quais de granit noirci d'une dizaine de mètres de hauteur, elle prend une revanche désastreuse lors d'une crue "historique", qui n'a heureusement fait aucune victime. Quatre années plus tard, le 27 février 1970, c'est une autre tragédie qui se noue sous les yeux des Rennais, présents ce jour-là sur le boulevard Laënnec et la rue Alphonse-Guérin. 
Une séance de canoë 
Ce vendredi, à 10 heures, un autocar quitte le CES des Gayeulles pour conduire 32 collégiens (20 filles et 12 garçons) à la base nautique située derrière le stade du commandant Bougoin, afin d'y pratiquer une activité de canoë. Compte-tenu de la distance, le car accuse un certain retard puisqu'il n'arrive que vers 10 h 50. Ce qui explique que les enfants, d'après l'édition d'Ouest-France du samedi 28 février : "se mirent rapidement en tenue et les premiers embraquèrent vers 11 h 10, sous la surveillance des moniteurs d'éducation physique du CES, responsables de la classe : Mlle Annick Paris et M. Henri Goasdoué, en présence du permanent de la Jeunesse et des Sports, M. Dominique Daniel." Le journal fait une erreur. Dominique Daniel ne participait pas à la séance de canoë, mais il est accouru sur les lieux pour participer aux secours.
Cette base nautique, qui occupe l'emplacement de l'ancienne baignade publique du Cabinet-Vert, au bord de l'actuelle promenade des Bonnets Rouges, est en fonction depuis trois ans sous la responsabilité du service départemental de la Jeunesse et des Sports. Le ponton d'embarquement se trouve à une centaine de mètres en amont du point de séparation de la Vilaine en deux bras. Celui de gauche est un "bras mort" du fleuve, sans danger, qui longe la rue Alain-Gerbaud, où doivent se rendre les collégiens pour leur entraînement. Celui de droite, plus large, voit son cours entravé par un déversoir. Pour accéder à la zone d'entraînement, les embarcations doivent emprunter le milieu du fleuve, afin d'échapper au courant qui se fait sentir à la hauteur de l'embranchement et devient de plus en plus fort au fur et à mesure que l'on s'approche du déversoir. D'après Ouest-France, celui-ci devait être assez puissant : "En raison des crues, un matelas d'eau d'une épaisseur de 60 cm franchissait le déversoir et créait un violent tourbillon au pied de la chute. Avant chaque cours, les moniteurs précisent ce danger et demandent impérativement aux élèves de ne pas s'approcher de la rive du côté du Cabinet-Vert, en raison du courant qui risquerait de les entraîner." Visiblement, ils n'ont pas été entendus ce jour là. 
Survient le drame
Que s'est-il passé au début de la leçon ? D'une prudence toute jésuitique, le quotidien de la rue du Pré-Botté écrit : "Toutes les précautions de sécurité semblaient avoir été prises : depuis trois ans, au rythme de cent enfants par jour, étaient données des leçons à cette base nautique du service départemental de la Jeunesse et des Sports. Mais peut-être n'avait-on pas pris assez garde à la violence du courant dues aux crues et à l'inexpérience de certains des enfants." D'après les témoignages recueillis auprès de quelques enfants rescapés, Mlle Paris : "avait précisé de manière claire, particulièrement aux fillettes qui montaient en canoë pour la première fois, les limites à ne pas dépasser." A-t-elle seulement été entendue ? Ouest-France ajoute en effet : "Il semble qu'une des embarcations, ayant quitté l'appontement parmi les premières, ait cependant franchi cette limite et se soit trouvée entraînée par le courant qui conduite au déversoir." Au même moment, les enfants restés sur le ponton prennent place deux par deux à bord des canoës. Mlle Paris, voyant le premier canoë se diriger vers la zone dangereuse, tente aussitôt de se porter à sa hauteur, pour le guider vers la rive. S'ensuit alors une certaine confusion. Les enfants ont-ils
cru qu'il fallait suivre la monitrice ? Les gamines avaient-elles seulement assez de force pour pagayer vers l'autre bras de la Vilaine malgré le courant ? Toujours est-il que Mlle Paris portant secours aux fillettes, les autres canoës sont entraînés par le courant vers le déversoir, situé à une cinquantaine de mètres du point d'intersection des deux bras. En quelques secondes, c'est la panique générale. Les garçons plus expérimentés, certains ont redoublé leur quatrième, cherchent à gagner la rive et y parviennent, pendant que d'autres se portent au secours des fillettes qui crient, totalement affolées. Mais pour la plupart, c'est déjà trop tard. Emportés par la force du courant, les canoës franchissent le déversoir puis basculent dans la chute d'eau qui les brise, le tourbillon brassant leurs occupants. Quelques collégiens et collégiennes, ayant réussi à surnager grâce à leurs gilets de sauvetage, seront récupérés à plus de 500 m en aval.  
L'attente des secours
Alertés par les cris, des employés des TUR, les Transports Urbains Rennais, dont le dépôt surplombe le déversoir, se précipitent avec des échelles pour descendre sur le chemin de halage et lancer des cordes, récupérant ainsi des collégiennes. Témoins eux aussi du drame, deux étudiants qui consomment au café situé près du pont Laënnec, n'hésitent pas une seconde et se jettent dans l'eau froide. Dans l'affolement général, même les enfants qui se trouvent en dehors de la zone dangereuse se mettent à l'eau, abandonnant leurs canoës. Les moniteurs restés à la base accourent et se jettent à l'eau, ainsi que les garçons qui avaient abordé. D'après Ouest-France, les secours ont bien été alertés, mais pas pour une noyade collective : "Il y a une personne qui appelle au secours dans l'eau, au 14, rue Laënnec. Tel est l'appel qu'ont reçu, à 11 h 31, les sapeurs-pompiers. Une ambulance est partie aussitôt avec une barque. Ce n'est qu'après, exactement informés de l'ampleur du drame, que les sapeurs-pompiers ont pu faire partir les moyens nécessaires. La circulation, très dense à cette heure- là, n'a rien simplifié pour les six ambulances envoyées sur les lieux." Cette méconnaissance de la réalité des événements sera confirmée par un témoin dans un courrier adressé à Ouest-France : "J'ai vu une ambulance des pompiers arriver (sans bateau). S'ils avaient fait diligence, ils manquaient de précisions (ils me l'ont confirmé), j'ai alors téléphoné des renseignements complémentaires et alerté les services de la préfecture, qui ont aussitôt déclenché un dispositif plus adapté à l'ampleur de l'accident." Les ambulances enfin arrivées sur les lieux : "Les sapeurs pompiers tentèrent de repêcher tous ceux qui étaient encore à l'eau. Ils remontèrent ainsi les moniteurs qui, à bout de force, avaient perdu connaissance. Pendant que les sauveteurs repêchaient les derniers enfants, les pompiers pratiquaient sur place la réanimation des plus atteints. Étaient dirigés vers l'Hôtel-Dieu : les quatre moniteurs et cinq enfants, tous de Rennes : Brigitte Fauchoux, 14 ans, 10, allée de Brno ; Christine Bérenguer, 14 ans, 17, square Guy-Ropartz ; Rozenn Bobin, 12 ans, 2, rue du Docteur-Aussant ; Martine Mérault, 14 ans, 1, square Saint-Exupéry ; Catherine Marnier, 14 ans, 8, allée de Maurepas. Les trois dernières étaient considérées dans un état très grave. Hier soir, l'état de Cathrien Marnier restait très préoccupant. Par contre, on enregistrait une amélioration de celui de Martine Mérault. Quant à Rozenn Bobin, elle était considérée comme hors de danger." Un homme grenouille va plonger dans le déversoir une fois le vannage relevé, afin de voir si des corps ne seraient pas restés plaqués contre la paroi. Mais, en cette période de crue, le vannage ne peut rester levé plus de dix minutes. Il est ensuite impossible de plonger en raison des tourbillons et de la violence du courant une fois l'eau lâchée. Tout l'après-midi, six pompiers dans deux barques, les HSB (Hospitaliers Sauveteurs Bretons) avec un bateau et un zodiac, vont parcourir la Vilaine, récupérant des pagaies et des flotteurs bien après la partie canalisée du fleuve.
Une longue angoisse
Commence alors une longue période d'angoisse. Les enfants rescapés ont été dispersés un peu partout et les responsables ont le plus grand mal à les réunir. M. Moreul, moniteur d'éducation physique au CES des Gayeulles, qui habite dans le quartier, n'est pas de service ce jour-là, mais il participe aussitôt aux premiers secours et rassemble les rescapés dans le car pour faire l'appel : "Les enfants étaient tous très choqués par ce qui venait de se passer. Les fillettes surtout étaient complétement paniquées. J'en ai rattrapé une qui marchait comme une automate, au milieu des voitures, sans savoir visiblement où elle était, ni où elle allait. Les garçons étaient plus calmes, certains ont même plongé et se sont mis à l'eau pour porter secours à leurs camarades." Les cellules d'assistance psychologique n'existent pas encore. Les familles des victimes et les rescapés se soutiennent mutuellement, la société est moins individualiste qu'aujourd'hui. Au milieu de l'après-midi cependant, les sauveteurs doivent se rendre à l'évidence que trois collégiennes sont considérées comme disparues : Gwenaëlle Berthelé, 13 ans, 25, rue des Gantelles ; Marie-Christine Rouxel, 13 ans, 40, rue de Beausoleil à Cesson-
Archives de Rennes 350 Fi 683
Sévigné, et Soizic Maugère, 13 ans, 13, rue Parmentier.

Les enquêtes administratives et judiciaires commencent. D'après Ouest-France, tout est en règle : "On sait déjà que les enfants étaient encadrés par quatre moniteurs, que les familles avaient autorisé la pratique du canoë, que les enfants savaient tous nager et qu'ils portaient tous un gilet de sauvetage. Mais l'on remarquera que toutes les victimes sont des fillettes, semble-t-il débutantes, que l'effroi a saisies dès le début de l'accident.
Dans son édition du lundi 2 mars, le journal informe ses lecteurs que le corps de Soazic Maugère, qui ne portait plus de gilet de sauvetage et dont les vêtements avaient été déchirés par les tourbillons, a été retrouvé samedi matin, à plus de 500 m du déversoir. La nouvelle avait déjà fait le tour de la ville. Des milliers de Rennais ont en effet éprouvé le besoin de se rendre sur les lieux du drame durant tout le week-end, arpentant les chemins de halage depuis l'embarcadère jusqu'au quai Richemont : "Un service d'ordre dut être assuré par les gardiens de la paix pour que les sauveteurs qui fouillèrent sans relâche le lit de la rivière ne soient gênés dans leurs recherchent."
Les premières questions.
Dans son édition du mardi 3 mars, Ouest-France consacre un article assez sobre, sans photo, aux obsèques de Soizic Maugère, célébrées à l'église Saint-Jean-Marie-Vianney, en présence du maire de la ville, Henri Fréville, et du député Jacques Cressard : "La plupart des élèves du CES des Gayeulles viennent du quartier de Maurepas et des rues voisines." A cette époque, Maurepas est un quartier populaire et ouvrier au sens noble du terme. Les jeunes fréquentent les mêmes écoles publiques : Trégain ou les Gantelles, puis le collège des Gayeulles, les mêmes équipements sportifs ou de loisirs : maison de quartier, MJC, foot aux Longs-Prés, ou bien encore le patronage des "Cadets de Bretagne". Tous se connaissent donc plus ou moins. Ce drame ne laissant personne indifférent, l'émotion est grande dans le quartier : "Près de 1 500 personnes ont assisté à al cérémonie religieuse. A l'entrée de l'église, les camarades de classe de la petite victime étaient là, un bouquet de fleurs blanches à la main, les yeux noyés de larmes. Voisins, amis, parents d'élèves et professeurs entouraient la famille de la petite Soizic, partageant une douleur trop lourde à porter." Ce même jour, les lecteurs du journal auront peut-être remarqué un changement de ton dans un article consacré au suivi de l'enquête. Le matériel de sauvetage a été saisi et déposé au greffe du tribunal. Le doute s'installe. D'après les premières constatations en effet : "Les gilets, qu’ils aient été ou non utilisés, dans leur très grande majorité ne comportaient pas toutes les attaches qu’ils auraient dû avoir normalement s’ils avaient été tenus en bon état de service. Il apparaît encore qu’en raison du retard du car qui a amené les enfants, la mise à l’eau a été plus précipitée que de coutume : certains enfants, qui allaient effectuer leur première séance d’initiation au canoë-kayak, ont affirmé qu’ils ignoraient l’existence du déversoir. Leur affirmation, sans contredire aucun autre témoignage, s’explique par le fait que la brève séance d’information donnée avant l’embarquement, n’a pas été entendue et suivie de la même façon par tous : tandis que les uns écoutaient attentivement leurs moniteurs, d’autres prêtaient une plus grande attention aux ébat de camarades qui avaient eu la permission d’embarquer sans attendre. Enfin, la grande question qui reste posée et à laquelle les experts devront répondre, est la suivante : la vitesse du courant – autour de un mètre à la seconde en aval immédiat de la base – n’était-elle pas trop forte pour de jeunes débutants dont c’était la première séance de canoë-kayak ?" Dans un courrier des lecteurs du 6 mars, le cadre administratif d’un lycée de Rennes s’interroge lui aussi sur les circonstances de ce drame : "Après Juigné[1], Rennes ! Quand donc ceux à qui nous confions nos enfants cesseront-ils de jouer par manque de discernement, manque d’autorité, par une insouciance inqualifiable, avec leurs vies. Étant donné la température, étant donné l’état d’une rivière en crue, étant donné l’inexpérience des enfants, la seule décision sage était de ne pas faire de canotage ! Enfin, on avance aussi l’ « autorisation donnée par les parents » le fait « que les enfants savaient nager », qu’ils avaient « des brassières de sauvetage ». Et alors ? Que peut une expérience de la nage, une brassière de sauvetage quand l’eau est glacée et que, subitement, l’accident arrive ? On ne connaît pas l’hydrocution ou la congestion chez les responsables des sports ? Quand à l’autorisation des parents, oui, nous faisons confiance. Cette confiance se trouve, par ce drame, bien ébranlée et les déclarations officielles, navrantes dans leurs arguments, ne changent rien à un drame qui devait être évité et pouvait l’être." Dans un long courrier, adressé à Henri Fréville[2], un ingénieur hydraulicien de 65 ans, canoéiste, va dans le même sens : "Il s’agit de débutants ou semi-débutants, en hiver les déversoirs ne sont pas pour eux. Tout au plus des biefs tranquilles (…) En crue les conditions étaient différentes. Le danger représenté par l’attraction du déversoir de latent devient inexorable pour celui qui n’a pas su le détecter à temps. Règles de sécurité : reconnaissance préalable de l’itinéraire depuis la rive. Strictes consignes d’itinéraire avec moniteur en tête et encadrement. Et surtout c’est l’hiver. Le froid et les vêtements diminuent considérablement les performances et aggravent les conséquences d’une immersion, même momentanée. Les organisateurs n’ont pas vu clairement les conséquences de la crue et n’ont pas su prendre des mesures pour éviter l’entraînement vers le déversoir." Cette mise en cause de l'encadrement des enfants ne manque pas de faire réagir la FEN, qui adresse un communiqué au journal.
Les recherches sont abandonnées le 14 mars. Le samedi 21 mars, le corps de Marie-Christine Rouxel, flottant entre deux eaux, est repêché à 500 m du déversoir, donc avant les quais. Le vendredi 27, le niveau des eaux le permettant, les autorités décident de procéder à l’assèchement du fleuve en aval du déversoir. Des pompiers des brigades de Rennes, Bruz et Tinténiac, aidés de CRS et sauveteurs de la SNSM entreprennent une fouille systématique du lit de la Vilaine. A 8 h 30, ils sont avertis de la découverte d’un corps par un ouvrier des Papeteries de Bretagne, à proximité d’un filet tendu à cet endroit. Aucun doute n’est permis, il s’agit bien de celui de Gwenaëlle Berthelé, dont les obsèques sont célébrées dès le lendemain à Saint-Jean-Marie-Vianney. 
Le 28 novembre 1970, neuf mois après le drame, Ouest-France informe ses lecteurs que la jeune Martine Mérault, qui était soignée au centre de réanimation du centre hospitalier, est décédée chez ses parents où elle avait été reconduite : « Ses obsèques seront célébrées aujourd’hui à 16 h, église Saint-Laurent. » Cette tragédie aura donc fait quatre jeunes victimes, anéanti leurs familles et brisé la vie des adultes chargés de les encadrer. 

[1] Le 18 juillet 1969, à Juigné (49), 19 enfants âgés de 10 à 13 ans ont péris noyés lors d’une baignade, happés par le courant d’un bras de la Loire.
[2] Archives de Rennes. 1078W115. Cabinet du maire.

12 octobre 2018
En lien avec cette communication, je prends connaissance aujourd'hui de deux informations dans mon seul et unique quotidien rennais. La première concerne le corps d'un noyé repêché par les plongeurs des sapeurs-pompiers dans la Vilaine... qui passe désormais sous le pont situé à l'angle du boulevard de Chézy et de la rue Legraverend, précise Ouest-France, qui n'est décidément plus ce qu'il était. L'autre triste nouvelle est l'avis d'obsèques de l'abbé "Jo" Delin, 86 ans, qui exerçait son ministère à la paroisse Saint-Laurent de Maurepas. Le père Delin était un éveilleur de consciences d'une grande bonté et d'un profond humanisme. Très connu et apprécié dans le quartier, il faisait partie de cette catégorie des prêtres ouvriers, pas toujours bien vus par l'évêché, qui avaient choisi de quitter leur presbytère pour vivre en HLM afin de partager la vie des travailleurs et des gens de condition modeste. 

mercredi 25 avril 2018

La police nazie en Bretagne occupée


Depuis sa création, en 1925, au sein de chaque unité de la Schutzstaffel (SS), quelques hommes étaient chargés de la « sécurité », autrement dit du renseignement. En 1931, Himmler détache ces agents de renseignement de la troupe SS et constitue un service de sécurité totalement étanche qu’il dénomme le Sicherheistdienst (SD), que l'on peut traduire en français par « service de sécurité » de la SS en général. Il en confie la responsabilité au Standartenführer Heydrich, également chef de la Gestapo, dont les fonctionnaires sont désormais soumis au contrôle politique du SD. Service de sécurité interne de la SS, le SD devient l’unique service de renseignement du parti nazi par un décret du 9 juin 1934. Il n’est cependant pas organisme d’État et, par conséquence, n’a de compétence qu’à l’intérieur du parti. A ce moment, le SD dispose d’environ 3 000 agents. Le recrutement est plutôt élitiste, avec toute une génération de jeunes intellectuels nationaux-socialistes et foncièrement antisémites. S’il a le monopole du renseignement politique, le SD n’a aucun pouvoir exécutif, qui est détenu par la Gestapo, qui procède aux arrestations, interrogatoires et internements dans les camps. Progressivement, le SD va devenir le service de renseignement le plus efficace du Reich, avec un système de fiches individuelles qui va atteindre la perfection. Le 17 juin 1936, un décret nomme Himmler chef suprême de toutes les polices allemandes, en civil comme en uniforme. Celui-ci divise alors ses services en deux branches : l’ORPO (Ordnungspolizei), police d’ordre, et la SIPO (Sicherheistpolizei), police de sûreté. Heydrich conserve toujours la direction du SD, qui reste un service du parti, indépendant des organismes étatiques. En 1938, un décret fait du SD le Service de renseignement pour le parti et l’État, devant assister la SIPO. Le 27 septembre 1939, Himmler décide de regrouper tous les organismes (SD, SIPO, ORPO, Gestapo) en un Reichssicherheitshauptamt (Office central de la sécurité du Reich), abrégé en RSHA, dirigé par Heydrich et sous contrôle SS, afin de lutter plus efficacement contre les ennemis du Reich. Particularité du SD : seuls les policiers de carrière qui appartenaient avant la guerre à la Gestapo peuvent devenir officiers. Les autres viennent pour la plupart de la GFP et restent sous-officiers, bien que souvent ils ont une grande influence et de grandes responsabilités. C’est le cas, par exemple, de l’adjudant Grimm, chef de la section VI du SD de Rennes, qui contrôle l’activité des autonomistes bretons, et qui était professeur dans le civil. Quant au médecin du poste, il n’est que sergent-chef.
Lors de l’entrée des troupes allemandes en Pologne, l’attitude des Einsatzkommandos, composés d’éléments de la Gestapo et du SD, à l’égard de la population et des juifs avait choqué certains généraux de la Wehrmacht. En conséquence, aucune unité de police ou du SD n’est autorisée à accompagner la Wehrmacht lors de son avance en France. Les pouvoirs de police sont alors classiquement confiés à la Geheime Feldpolizei(GFP), police secrète de sûreté, et à la Feldgendarmerie. Cependant, Heydrich va discrètement installer plusieurs petits groupes de Sonderkommando sur tout le territoire. Jusqu’en 1942, ces hommes se contentent de la recherche de renseignements, en concurrence avec l’Abwehr. Progressivement,devant l’incapacité de la GFP de contenir la montée en puissance de la Résistance, Gestapo et SD vont se voir confier la sécurité des arrières de l’armée. En avril 1942, l’État-major de la Wehrmacht se voit retirer les pouvoirs de police en France, au profit de Karl Oberg « Chef suprême des SS et de la police ». Dès lors, 23 groupes de la GFP sur 25 sont dissous et le personnel versé à la SIPO-SD. L’administration militaire garde toutefois la surveillance des prisons et des camps. Comme en Allemagne, Oberg va diviser les services de police en deux groupes : l’ORPO, et le SIPO-SD. De la direction centrale parisienne, avenue Foch et rue des Saussaies, dépendent 17 services régionaux, qui contrôlent eux-mêmes 45 sections extérieures. Le Kommando SIPO-SD d’Angers a la direction de l’ensemble du Sud-ouest de la France (Circonscription B). La collaboration entre le SD et le SRA (Abwehr) devient de plus en plus étroite. Le Kapitän zur See Bracht, qui fait la liaison entre l’Abwehrstelle (AST) d’Angers et celle de Rennes, dispose d’un bureau à la Maison des étudiantes.
Le SD s’installe à Rennes
Adjudant-chef Max Jacob
Le Kommando SIPO-SD de Rennes étend ses griffes sur les quatre départements bretons. Rennes ne communique avec Paris qu’après en avoir référé, ne serait-ce que téléphoniquement, à Angers. Les antennes du SIPO-SD de Rennes : Aussendienstselle ou Aussenkommando, sont dirigées par un officier ayant le titre de Dienststellenleiter. Le terme d’Einsatzkommando est réservé aux équipes toujours prêtes à intervenir en cas de besoin. En 1944, les « terroristes » multipliant les coups de main contre l’armée d’occupation, il est créé un Rollkommando, dont le chef est Adolf Breuer, de la section IV. Ce Rollkommando, toujours en état d’alerte, doit prêter main forte aux Aussenkommando qui demandent de l’aide. Pour ses opérations contre la Résistance, le SIPO-SD de Rennes peut également compter sur deux groupes de supplétifs qui lui sont directement rattachés. Le plus important est le Bezen Perrot, créé au mois de décembre 1943, avec un effectif de 75 à 80 jeunes Bretons. Le Bezen « Einheit Perrot », n’est pas une milice mais une unité du SIPO-SD, auquel les membres ont signé un engagement. Ils sont casernés au 19, rue Lesage, ancien hôtel particulier du doyen Charles Bodin, et au 19, boulevard de Sévigné, l'actuel consulat du Maroc. Le second groupe est celui de
Selbstschutzpolizei Rennes
la Selbstschutzpolizei (SSP) « Police
SSP Boulevard de la Duchesse Anne
d’autoprotection », dont trois Kommandos furent créés à Dijon, Toulouse et Rennes au mois de mai 1944. Celui de Rennes comprend 12 jeunes Français, commandés par l’adjudant-chef du SD Max Jacob. Installé dans une villa du boulevard de la Duchesse Anne, ces hommes endossent des anciens uniformes bleu marine de chasseurs alpins avec un brassard jaune SSP sur la manche gauche. Le tableau serait incomplet sans y ajouter les membres du Groupe d’action du PPF, véritables bandits de la pire espèce plutôt que soldats ou miliciens. Chargés de faire la chasse aux réfractaires du STO, ils vont rapidement faire le coup de feu contre les maquisards.
La présence du SIPO-SD à Rennes est attestée dès 1941, avec un poste de quelques agents au 92, rue de Fougères, sous le commandement du lieutenant SS Hollert. Les relations avec la GFP, rue de Robien, sont alors étroites et cordiales. Lors de l’absorption de la GFP en avril 1942, la plupart du personnel rejoindra le SD. Il n’en va pas de même avec la Wehrmacht. En effet, compte tenu du cloisonnement existant au point de vue commandement, les relations entre le SIPO-SD et la Feldkommandantur 748 sont uniquement de service et assez tendues. Rappelons que le feldkommandant, le lieutenant-colonel Freiherr von Gebsattel, était le cousin du colonel von Stauffenberg, qui exécuta l’attentat contre Hitler et désapprouvait souvent les actes du SD. Von Gebsattel soutenait le capitaine Kreutzberg, chef de la section I.c., qui lui aussi désapprouvait le SD. Les relations avec le tribunal militaire de la FK 748 restent des relations de service, sans réelle collaboration étroite, étant donné que les affaires d’armes ou de délits politiques sont presque toujours traitées par Paris.
La répression
1 - Affaires réglées par le SD lui-même
En règle générale le SD décide lui-même à Rennes de déporter les prévenus. Le transfert vers l’Allemagne se fait par voie ferrée à partir de la prison Jacques Cartier ou du camp Margueritte. Il est organisé par le sergent-chef Walter Teike et le sergent Paul Hinz. Tous les prisonniers transitent par Compiègne, d’où ils sont ensuite répartis dans les camps en Allemagne. Cette répartition se fait en cinq catégories ou Stufen (étapes, niveaux), suivant la gravité des actes reprochés :
- Stufe I. Concerne les personnes qui ont essayé de recueillir des renseignements sur l’armée allemande, ou qui sont en possession d’une fausse carte d’identité. Elles seront envoyées en Allemagne dans un camp spécial pour un « stage » de six semaines. Au bout de ce temps, tous les détenus sont en principe mis à la disposition du service du travail en Allemagne, sauf ceux dont la conduite amène comme sanction l’envoi au camp de concentration.
- Stufe II. Concerne les personnes ayant fait la collecte de renseignements militaires ou ayant fabriqué des fausses cartes d’identité. Elles sont astreintes à un travail sous surveillance militaire dans un camp.
- Stufe III. Concerne les personnes ayant une arme chez elles ou donné des vêtements à des parachutistes, des prisonniers, etc.
- Stufe IV. Concerne des personnes ayant caché chez elles des parachutistes, ayant accepté des dépôts d’armes parachutées, ayant chez elles un poste émetteur dont elles ne se servaient pas, ou ayant organisé la résistance contre les Allemands.
- Stufe V. Concerne des personnes ayant commis ou ayant l’intention de commettre des attentats contre les Allemands, de même que les possesseurs de postes radio. La sanction prévue est la peine de mort. Pour les radios, peine de mort seulement pour les Français et non pour les Anglais ou Américains.
Les personnes classées dans les Stufen II, III et IV sont envoyées dans des camps de travail, dont le régime est d’autant plus rigoureux que le fait reproché est grave.
2 – Les affaires transmises par le SD à un tribunal militaire
C’est le cas pour les personnes de la catégorie V et souvent aussi pour les cas graves des catégories précédentes. Le tribunal militaire de la FK 748 de Rennes, incompétent en matière d’affaires d’armes ou de politique, envoie les dossiers reçus du SD à Angers et Paris pour avis. En règle générale, ces affaires sont traitées par le tribunal du Befehlshaber pour le Sud-ouest à Angers ou par celui du Kommandant du Grand-Paris. Une seule fois en 1942, Paris a décidé que l’affaire « Hervé et autres » (attentats et sabotages) devait être jugée sur place. Sur les 30 inculpés, 25 sont condamnés à mort puis fusillés le 30 décembre 1942 à la butte de la Maltière. Vers la mi-mai 1944, est créée une section spéciale du tribunal de la FK 748, elle fonctionnera jusqu’en juillet, date de sa dissolution. Elle prononça environ 70 condamnations à mort. En pratique, trois cas sont à envisager : 1) Les affaires les moins graves sont sanctionnées par la déportation et la mise à disposition du Service de la main d’œuvre en Allemagne. 2) Les affaires plus graves aboutissent à la déportation dans un camp en Allemagne. 3) Les affaires les plus graves sont transmises à un tribunal qui, dans la plupart des cas, prononce la peine de mort.
L’organisation du SD de Rennes
Section 1 : Drechsler, Schmerling, Breuer, Schreir, Klein
Section 1 : Hubert, Scheerer, Anton
Après avoir absorbé la GFP, en avril 1942, le SD réquisitionne l’immeuble de la Maison des étudiantes, rue Jules Ferry. Calqué sur le schéma allemand, le Kommando de Rennes comporte sept sections, ayant elles-mêmes des sous-sections.
Section I. État du personnel, gestion, intendance, protection de l’immeuble (assurée par le Bezen Perrot).
Section II. Surveillance de la police française, service des laissez-passer, police des associations et des réunions, missions de surveillance, répression des grèves et de la résistance passive, mesures de représailles, police des étrangers, internements dans les camps.
Section III. Politique économique générale, renseignements économiques, agriculture, pêche, ravitaillement et réquisitions, circulation, transport, emploi des ouvriers français en Allemagne et main d’œuvre en France.
Section IV. C’est la section la plus importante et la plus redoutable avec une douzaine de sous-sections : communistes, émigrants, registres d’écrou, détenus, juifs, religions, francs-maçons, mesures de protection, missions spéciales, etc. Elle dispose d’un Kommando spécial. A partir de 1943, ses attributions sont considérablement augmentées, notamment en ce qui concerne le recrutement d’agents de renseignements.
Section V. Inspection des Aussenkommandos, répression du marché noir, trafic d’or. Section supprimée en 1944 et versée dans la section IV.
Section VI. Politique française, rapports sur le moral de la population, presse, propagande, culture, partis politiques mouvements de jeunesse, questions raciales.
Section VII. Écoles, universités, littérature et éditions.
Garage Caillard
Pour ses déplacements, le SD a réquisitionné le garage Caillard, situé à l’angle de la rue de la Borderie et de la place Hoche. Il dispose d’une dizaine de voitures de tourisme, dont un cabriolet Mercedes-Benz pour le colonel Pulmer, et un cabriolet Opel-Kapitan pour son second, plus trois ou quatre camions et un fourgon cellulaire.
Après avoir été « interrogés » rue Jules Ferry, les patriotes sont ensuite conduits à la maison d’arrêt du boulevard Jacques Cartier, divisée en un quartier « allemand » et un quartier « français », qui ne reçoit jamais de prévenus mais des condamnés dont la peine ne dépasse pas quatre mois. Le quartier allemand est surveillé par des soldats de la Wehrmacht sous les ordres de l’adjudant-chef Feiser, puis ensuite Rauch. Il reçoit tous les prévenus et les condamnés qui attendent leur transfert en Allemagne ou d’autres prisons françaises. Cette prison allemande est sous les ordres du capitaine Kreutzberg, de la FK 748. A cette prison, il convient d’ajouter le camp de détention « Margueritte », composé de baraques, qui était prévu à l’origine pour un camp de prisonniers de guerre. Le personnel de garde est exclusivement allemand.
Personnel du SD de Rennes
Le Kommando de Rennes est un poste important qui comprend environ 70 agents allemands et une quinzaine de secrétaires, tant Allemandes que Françaises. Parmi ces dernières, qui n’ont pas pris la fuite, quelques-unes seront arrêtées à la Libération. L’interrogatoire d’une de ces jeunes interprètes, d’origine alsacienne, révèle des informations intéressantes sur le fonctionnement du SD et la façon dont ces SS traitaient leurs victimes. Les notes de cette interprète seront citées en italique. Les grades sont ceux équivalent à la Wehrmacht.
Section de commandement
Colonel Pulmer
Le colonel Hartmut Pulmer, originaire de Nordhausen, commande l’ensemble SIPO-SD pour la Bretagne. Il a succédé au Dr Heerdt. Pulmer est un national-socialiste convaincu, très dur, qui déteste non seulement les Français, mais aussi ses compatriotes n’appartenant pas au parti nazi ou aux Waffen-SS. Il est craint de ses subordonnés dont il exige une obéissance totale « Sa fonction était Regierungsrat, lui seul avait droit de vie ou de mort sur les personnes arrêtées. » Il est secondé par le commandant Fritz Barnekow : « Barnekow était le chef adjoint de Pulmer. Il était au courant de la plupart des opérations effectuées par le service, mais il n’agissait pas directement dans ces affaires. Il était plutôt chargé de l’administration intérieure du service. Il avait la réputation d’être correct et il est également établi que ses relations avec Pulmer n’étaient pas des plus cordiales. Pulmer était un chef autoritaire qui n’entendait pas partager son autorité. »
 Section I
Sergent Walter section IV
Sergent-chef Strenger
Commandée par le lieutenant Otto Huebner, auparavant inspecteur de police à Stralsund, elle comporte 22 agents. Huebner est décrit comme : « Très méchant avec les Français ». Il est secondé par le sergent-chef Walter Legat : « Extrêmement méchant avec les Français, maltraitait les prisonniers politiques lorsqu’il avait ordre de les surveiller ». Le sergent Kurt Brendt administre les biens des prisonniers politiques : « Pas trop méchant ». Le sergent Otto Krune s’occupe de la trésorerie : « Rien à reprocher ». Le sergent-chef Willi Strenger est le chef du bureau du roulage : « Assez méchant ». Le sergent-chef Ferdinand Suess est le chef du garage de la rue de
Sergent-chef Suess
la Borderie : « Bon envers les mécaniciens français ». Le service compte une dizaine de chauffeurs, dont le sergent Walter, chauffeur du Kommandeur. Le sergent Josef Klein, originaire de Cologne, est le chef du poste de garde, situé dans l’entrée du hall de la Maison des étudiantes : « Renvoyait souvent méchamment les Français et les Françaises qui demandaient des renseignements au sujet des prisonniers politiques. » Le caporal Ernest Seng est soldat du poste de garde : « Très méchant envers les Français demandant des renseignements. Se moquait d’elles lorsque des mères ou des épouses désespérées pleuraient. » Le caporal Georg Schreier autre soldat du poste de garde est jugé : « Plus complaisant envers les Français que Klein et Seng. » Le sergent-chef Gerhard Zimmermann, originaire de Magdebourg, est le chef de cuisine, chargé du ravitaillement : « Il était en contact permanent avec les trafiquants du marché noir qui lui procuraient du ravitaillement. Fréquentait le café de l’Europe et le café de l’Époque. Faisait du marché noir avec la boucherie Vannier, rue du Pré-Botté. »

Section II
Grimm, Bredt et un chauffeur
Dirigée par le Dr Harald Bredt, adjudant originaire de Magdebourg, elle ne comporte que deux agents : Robert Muller, sergent-chef originaire de Dantzig, adjoint de Bredt, auparavant à la GFP, et le sergent-chef Kurt Latsch, originaire de Dessau.





Section III
Adjudant Froboese
Cette section est dirigée par l’adjudant Erich Froboese, originaire de Magdebourg. Il est également responsable du Bezen Perrot, dont il assure le casernement, l’habillement et le ravitaillement, ainsi que pour la Selbstschutzpolizei. Il est secondé par le sergent-chef Gerhard Hildebrandt, originaire lui aussi de Magdebourg, et du sergent Walter Scheerer : « C’est Froboese qui s’est occupé de la milice Perrot, il était à la tête d’un service économique et policier, et c’est lui qui a choisi le siège de la rue Lesage, N° 19. Les miliciens de cette formation se sont procuré leurs armes à la Gestapo. C’est en décembre 1943 que la milice Perrot à commencer à fonctionner. La milice Perrot, généralement en civil, faisait leurs arrestations en uniforme allemand. Les Allemands appréciaient beaucoup la milice Perrot et les considéraient comme de véritables français. Froboese a dit si tout le monde faisait comme eux, la guerre serait déjà terminée. Péresse a commis un meurtre, il a tué un français de la Résistance. J’ai vu le fait consigné dans un rapport, il aurait tué avec sang-froid (région de Martigné-Ferchaud) ».
Section IV.
Sous-lieutenant Lueck
Sergent Barthel
C’est la plus importante avec une trentaine d’agents, dont certains vont commettre de véritables crimes de guerre lors des opérations menées en juin et juillet 1944 contre les maquis du Morbihan et des Côtes-du-Nord. Elle est dirigée par le Sturmbannführer Fritz Barnekow : « Très méchant, voir cruel lorsqu’il prend une décision au sujet des prisonniers politiques. » Il a pour adjoint Hans Krüger, qui va quitter Rennes pour Dijon où il sera nommé chef de la police allemande : « Extrêmement cruel, torturait les prisonniers avec des raffinements de cruauté. » Krüger est remplacé par le lieutenant Helmut Walter, qui ne vaut pas mieux. Parmi les officiers, on trouve le sous-lieutenant Emil Lueck, arrivé à Rennes en 1940, issu de la GFP, très estimé de Pulmer. Un autre sous-lieutenant, Kurt Mannel est à Rennes depuis peu : « Très élégant ». Le sergent Paul Hinz, de Stettin, est responsable de l’organisation des convois de déportés vers l’Allemagne. L’adjudant Adolf Breuer, qui était commerçant à Cologne avant-
Adjudant Fischer
guerre, parlant couramment le français, est considéré comme l’un des meilleurs policiers du SD. C’est lui qui avait mené l’enquête aboutissant aux 25 fusillés du 30 décembre 1942 : « A beaucoup d’amis français, méchant. » Il a été identifié avec Edelkraut pour avoir participé au massacre des résistants de la ferme de la Porcherie à Loudéac le 4 juillet 1944. Son secrétaire est le caporal Léon Mierzynski. Tout aussi réputé, l’adjudant Ferdinand Fischer, qui était commerçant à Magdebourg. Lui aussi parle parfaitement le français. Avant d’arriver à Rennes, Fischer était responsable de l’antenne de Saint-Brieuc, où sévissait l’agent Maurice Zeller, que l’on ne présente plus. Il loge à Rennes au 102, rue de Fougères, chez M. Rouault, où il se fait adresser son courrier sous le nom de Fernand Collin : « C’était le plus cruel de toute la Gestapo. Frappait les prisonniers jusqu’à ce qu’ils perdent connaissance. On devait toujours faire appel au sanitaire pour les réanimer. Lorsqu’il les menait dans les cellules aménagées dans la cave, leur donnait des coups de pied pour les faire descendre l’escalier et torturait certainement des gens jusqu’à la mort. » Il est assisté du sergent Gerhard
Adjudant Karl
Kruegel, qui parle lui aussi parfaitement le français et l’anglais. L’adjudant Karl Alexander, qui était déjà avec Pulmer à Schrottersburg, dont il partage le domicile rue de Paris, est chargé des affaires importantes et délicates : « Très méchant avec les prisonniers, les torturait. » Autre agent, que l’on retrouvera aux côtés de Fischer à Quimper puis dans le Morbihan : le Dr Hermann Wenzel, dit
« Mexicano », chirurgien-dentiste à Magdebourg, qui parle parfaitement le français et fréquente les cafés de l’Europe et de l’Époque. Wenzel s’occupe des affaires de résistance, notamment sur la région de Pontivy : « Presque aussi méchant que Fischer. » On peut citer aussi le sergent-chef Kurt Lerch, qui était également au service de Pulmer à Schrottersburg : « Très cruel avec les prisonniers, les torturait avec un plaisir évident. » Signalons également le sergent-chef Éduard Mendrina, originaire de Styrie-Carinthie : « Torturait les prisonniers d’après des méthodes qu’il avait vues dans d’autres pays. Il attachait un prisonnier au mur par les bras, les pieds ne touchant pas terre,
Sergent-chef Grosse
et les frappait jusqu’à inanition
. » Un adjudant, Franz Pesentheimer, est aussi qualifié de « Très méchant ». Le sergent Karl Schaefer, qui parle très bien le français : « Était mal vu parce qu’il avait soi-disant trop bon cœur lorsqu’il interrogeait les prisonniers». C’est également le cas du caporal Max Ziegler, mis à la disposition du SD en qualité d’interprète par une unité de la Wehrmacht : « Très aimable avec les prisonniers. Les encourageaient et les soutenaient lorsqu’ils étaient fatigués. » Autre policier originaire de Magdebourg – on remarquera que cette ville semble avoir été un véritable vivier d’agents pour le SD de Rennes – le sergent-chef Gerhard Grosse, interprète du Kommandeur. Parlant couramment le français et l’anglais, Grosse a été envoyé à deux reprises à Jersey et Guernesey avec d’importantes sommes d’argent pour le service de renseignements. Le sergent-chef Walter Teike, qui vient de la GFP, s’occupe des convois de déportés pour l’Allemagne. Wilhelm
Sergent Ernser
Goering est également originaire de Magdebourg. Le sergent Josef Ernser s’occupe des affaires juives : « Un sous-officier nommé Ernser contrôlait Du Perron de Maurin au point de vue affaires juives. Les prisonniers qui venaient à la Gestapo étaient très nombreux. En attendant leur interrogatoire, ils étaient gardés par un membre du Bezen Perrot, au rez-de-chaussée. En me promenant dans les couloirs de la Gestapo, j’ai entendu fréquemment des cris des hommes que l’on torturait et que l’on frappait. » Le sergent Willi Barthel fréquente une Rennaise employée à la Kriegsmarine : « Qui a dénoncé un étudiant ».


Caporal-chef Edelkraut




Section V.
Cette petite section ne comporte que deux agents : le sergent Rudolf Wolf, qui s’occupe des affaires de droit commun, comme les vols dans les unités et service allemands, et de la répression du marché noir. Il est assisté du caporal-chef Edelkraut: « A tiré sur un prisonnier qui voulait s’évader ».



Section VI.
Adjudant Grimm
Sergent-chef Kerboth
Petite section là aussi avec seulement deux agents, mais dont l’activité est essentielle puisque c’est elle qui traite les informations fournies par les centaines d’agents de renseignement ou indicateurs français. La section est dirigée par l’adjudant Hans Grimm, un protestant de 45 ans, en poste à Rennes depuis 1942. C’est un des personnages les plus influents du SD, qui a été le bras droit de Pulmer. Grimm parle parfaitement le français. Avec sa maîtresse, il occupe un appartement au 26, rue Saint-Melaine, où il reçoit les indicateurs français et paye les dénonciateurs. Il a pour secrétaire le sergent-chef Otto Kerboth, originaire de Magdebourg.
Section VII.
Fraeulein Dr Langer
Sergent-chef Dr Block
La responsable de cette section est le Dr Langer collaboratrice directe de Grimm, en charge des questions universitaires et scolaires.
A ces sections, il faut ajouter un service médical, tenu par le Dr Hans Block : « Se cantonnait strictement dans son rôle de médecin ». Le sergent-chef Hermann Kaiser s’occupe des armes et de l’habillement. En charge également du service photographique. Le caporal Helmut Koebke, originaire de Stettin, est responsable du central téléphonique. Auparavant à la GFP, en poste au SD depuis 1942. Parle aussi bien le français que l’anglais. Curieusement, il n’a pas été membre des SA ou de la SS et n’est pas confirmé SIPO. Le breton Claude Geslin, adhérent du PNB dont il a été exclu, fait fonction d’interprète et accessoirement d’indicateur. 
Personnel féminin. Les postes de secrétaire les plus sensibles, comme le commandement et la section IV, sont occupés par des Allemandes, au nombre de huit. Quatre Françaises travaillent également comme secrétaires-dactylos ou secrétaires-interprètes. La plus jeune, une dactylo Alsacienne qui vient d’obtenir son diplôme à Strasbourg, est réfugiée à Rennes avec sa famille, dont le père travaille aux Tanneries de France. Maîtrisant la langue allemande, elle trouve sans difficulté un poste de secrétaire, rue d’Isly, dans un service de la Luftwaffe en 1940, alors qu’elle n’a que quinze ans. Elle est ensuite embauchée comme secrétaire-interprète par le SD : « Je croyais qu’il s’agissait d’une police ordinaire. A ce moment j’avais 17 ans et je ne me rendais pas compte de l’organisation du service de police. Quand j’ai demandé à partir il m’a été répondu que je serais envoyée en Allemagne », au mois de septembre 1942, avec un salaire de 3 200 F, ce qui n’est pas rien pour son âge. Inquiétée par le CDL à la Libération puis arrêtée, un membre de la Résistance va venir à son secours en expliquant qu’elle lui fournissait des renseignements : « J’étais chargée de taper quelques listes pour la Trésorerie. Il y avait beaucoup de gens qui allaient à la Gestapo. J’étais placée près de la fenêtre et je pouvais les voir. Nombreux étaient les civils qui venaient comme agents : ceux-là n’avaient pas besoin de montrer leurs papiers. J’ai réussi à me procurer la liste dans le bureau même où je travaillais. Le chef du service en 1943 était Heerdt, puis le colonel Pulmer. Beaucoup d’officiers et sous-officiers de la Gestapo étaient Waffen SS. Il y avait des soldats qui étaient également de la Waffen SS. Grimm, Fischer et Breuer étaient de la GFP et ils sont venus. J’ai vu souvent venir à la Gestapo les personnages que vous me montrez. C’est Grimm qui s’occupait surtout des dénonciations. Les adjoints de Pulmer étaient le Dr Schweinhalmer puis le Dr Weyse puis M. Barnekow (…) En décembre 1943, une cinquantaine de Bretons du PNB s’enrôlèrent volontairement dans la Gestapo. Ils portaient l’uniforme de la Gestapo et partaient très souvent en mission avec les Allemands. Ils gardaient les prisonniers devant être interrogés et assistaient sans doute aux tortures. Tous les mois j’étais chargée de préparer les feuilles de salaire de ces Bretons. Chaque fois je copiais deux ou trois noms que je glissais dans ma chaussure. »
Lorsqu’ils effectuent des arrestations ou perquisitions chez les résistants, ces policiers opèrent généralement en civil. Mais, après le débarquement, pratiquement tous sont en opération contre les maquis, revêtus de leurs uniformes avec un brassard portant les lettres SD sur la manche gauche, aux côtés d’unités de la Wehrmacht. Les secrétaires allemandes sont également en civil et ne portent pas l’uniforme des jeunes filles auxiliaires de la Wehrmacht. La plupart d’entre elles sont en fait des étudiantes en cours d’études dans les universités allemandes et ayant des connaissances de français. Elles font un stage de trois ou six mois au SD de Rennes et regagnent ensuite l’Allemagne, soi-disant pour reprendre leurs études.
Antennes du SD de Rennes en Bretagne
Aussenkommando I de Saint-Malo
Considérant Saint-Malo comme un point sensible, le SD de Rennes y installe une Aussenstelle, qui sera supprimée au printemps 1944. Elle est située villa des « Quatre Vents », chemin de la plage à Rochebonne. Ce poste, commandé par Émil Luck en 1943, comporte cinq agents : Roth, Landwehr, Schultz, Oeft, et Rudolf comme interprète. Le SD travaille avec la Feldgendarmerietrupp 511 de la Kreiskommandantur de Saint-Malo.
Aussenkommando II de Saint-Brieuc
Roger Elophe, SD Saint-Brieuc
Ce poste est en place depuis l’automne 1941 dans une villa au 5, boulevard Lamartine. Son activité s’étend sur tout le département et il est en relation directe avec Rennes, d’où des agents, notamment Fischer et Breuer, viennent constamment pour les opérations importantes. En juillet 1944, on dénombre huit agents et deux interprètes. Le chef est le sergent SS Georg Kuper, qui parle très mal le français, très actif. Il succède à Paul Hammer. Autres agents : Arno Thuro, Wilhelm Funke, Rudolf Kiekhaefer, Friedrich Wierse, Ernest Adam, Ernst Kroll. Une française, qui était auparavant à Brest, est interprète. Il y a également l’interprète français Roger Elophe, auparavant à Quimper, qui ne se contentait pas seulement de traduire mais donnait à l’occasion un « coup de main » aux tortionnaires.
Aussenkommando III de Brest
Cet Aussenkommando a son siège à l’école Bonne-Nouvelle, en Kérinon-Lambezellec, mais étant donné l’importance de la région, il y a également un poste à Morlaix au 14, quai de Tréguier, qui dépend administrativement de Brest et ne correspond pas directement avec Rennes. Il ne comporte que trois agents. Le poste de Brest est dirigé par le lieutenant Georg Roeder. Début juillet 1944, Roeder prend le commandement du Bezen Perrot et de la SSP de Rennes qui, avec l’appui d’unités allemandes, mènent des opérations contre la Résistance dans la région Scrignac-Carhaix. Autres membres : sous-lieutenant Johannès Adams, sergent-chef Érich Dorendorf, sergent-chef Hermann Streuer, sergent Heinrich Kettenbeil, adjudant-chef Peter Schoemaker, sergent Weidmann, sergent-chef Schneider, caporal chauffeur Frank, caporal chauffeur Kaiser, caporal chauffeur Paul. Une certaine Alice, interprète, était la maîtresse d’Helmut Reick, du temps ou celui-ci était à Brest, avant de venir à Rennes. Il y a une autre interprète, prénommée Marie-Louise.
Aussenkommando IV de Quimper
Réunion du SD à Quimper : Huenebeck, Baumann, Fenske, Guenther, Wenzel, Wisberg


Ajouté le 12 avril 2020 : 6 février 1947, déposition du commissaire de police Eugène Le Faou, qui a bien connu le SD de Quimper, installé au 15, rue Laënnec :

- Fenske Paul, 40 à 50 ans, secrétaire de police dans le civil, grand, large d’épaules, paraissant peu intelligent, mais têtu et vaniteux. Très zélé pour la recherche des patriotes français qu’il détestait. Caractère froid, chef du service.

- Gunther Oscar, adjudant, sous-chef, tout dévoué au service, homme sournois, parlant très bien le français mais ne le laissant pas paraître. Il s’occupait surtout de la fourniture de victuailles à ses collègues.
- Tholert Oscar, adjudant, détestait les Français qui, pour lui, étaient tous des menteurs. Il s’adonnait à la boisson et était sujet à des crises de delirium-tremens, spécialiste dans la torture des patriotes arrêtés.
- Webert Erich, adjudant, journaliste de profession, lettré, il semblait s’occuper d’avantage de photographies de livres que de son métier, mais obéissait aveuglément aux ordres de son chef qu’il paraissait pourtant mépriser. Personnage intriguant, onctueux, obséquieux, il parlait très couramment le français et avait réussi à se faire admettre dans certaines familles françaises de la région. Il s’occupait plus spécialement de rechercher des individus susceptibles de renseigner le service.
- Wenzel Nier, caporal, d’origine sudète, exerce la profession d’employé de bureau dans le civil (Caisse d’Épargne), peu intelligent, en admiration devant la Grande Allemagne, sournois, traître, bon à tout, il exécutait les corrections corporelles lors des interrogatoires des Français.
- Wisberg Hans, chauffeur du service, profession jardinier, marié, caractère brutal, noceur. Le 3 avril 1944 il fut arrêté par ses collègues et dirigé sur la prison de Fresnes. De là il aurait été conduit sur le front russe (J’ignore les motifs de cette sanction).
- Hunnebeck Oscar, soldat-chauffeur, un peu le genre du précédent, plus raffiné cependant, il participait aux « corrections corporelles ».
- Bulbring Else, dactylo, femme vulgaire, paraissant plus faite pour être femme de ménage que dactylo, elle était la maîtresse du chef Fenske et anti-française acharnée.
- Schwartz, caporal, professeur de français en Allemagne, venu à Quimper pour remplacer l’interprète français Roger Elophe, qui quitta cette ville vers le mois de décembre 1943 pour se rendre à Saint-Brieuc. Il n’était pas nazi et semblait détester la fonction qu’il remplissait, ainsi que son chef.
- Elophe Roger, interprète français, condamné après la Libération par la Cour de Justice de Saint-Brieuc aux Travaux forcés à perpétuité.

Aussenkommandos du Morbihan
Le Morbihan étant l’un des départements bretons où la Résistance était la plus active et la mieux organisée, le SD y installe logiquement plusieurs postes qui, fait rare, travailleront en relation étroite avec la Feldgendarmerie et des unités de la Wehrmacht : Russes blancs, Ukrainiens et autres Géorgiens. C’est dans ce département, au mois de juillet 1944, que vont être commis les pires exactions et crimes de guerre commis par des policiers SD en provenance de Rennes et Quimper. Celui qui aura le plus marqué les esprits étant l’exécution, le 12 juillet à Plumelec, du capitaine Marienne et de ses parachutistes SAS en uniforme et désarmés, par Fischer et la bande à Zeller.
Aussenkommando de Vannes
Installé au 43, rue Jeanne d’Arc, ce poste est commandé jusqu’à Pâques 1944 par le lieutenant SS Kursawa, qui vient de la section IV de Rennes où il était très estimé de Pulmer. Le sous-lieutenant SS Baack lui succède jusqu’à la Libération. Autres agents : Stiller, Knaupf, Cruel, plus quatre autres membres non identifiés.
Einsatzkommando de Pontivy
Ce poste, créé au printemps 1943, période d’éclosion des maquis, est destiné à la surveillance d’un point sensible situé à peu près à mi-chemin de Vannes et Saint-Brieuc. Il est installé au 40 bis, rue Nationale à Pontivy. Il est dirigé par le sous-lieutenant Hammer, qui vient du poste de Saint-Brieuc, avec qui il maintient la liaison. Il est secondé par le capitaine Dobbler. Autres agents : sergent-chef Hedrich, sergent Schnauer, passé adjudant et muté à Locminé, caporal-chef Adler, caporal-chef Heide, Sonderführer Bariekers. La liaison avec Rennes est effectuée par Hermann Wenzel et Fischer. Wenzel semble avoir dirigé le poste en juin et juillet 1944, les deux mois les plus meurtriers pour la Résistance morbihannaise.Une notice le concernant a été rédigée le 16 mars 1945 par le 5e Bureau de la 11e Région militaire de Rennes :

"Dr Wenzel Hermann, Hauptscharführer, dit “Mexicano”. Vient de la GFP. A Lorient, au moins de décembre 1941 à juin 1942 inclus comme membre de l’Unité : Gru. Geh. Feldpolizei 2. 3 Kommissariat Feldpostnummer 26. 918.

Grade : Uffr. Und H.F.P.B. (H Feldpolizeibeamte)
Membre du SD de Lorient jusqu’à la dissolution de ce poste en février 1943.
A fait partie du service SD de Pontivy dès le début 1943 comme SS Oberscharführer et adjoint de Hammer, chef du SD de Pontivy."
Le groupe quitte Pontivy le 3 août vers 15 h 30 à bord de six Citroën noires.
Kommando de Locminé
Le poste de Locminé, ville tristement connue pour ses geôles où ont été torturés les résistants morbihannais, est commandé par le lieutenant Werner Goy, 33 ans, parlant très bien le français, originaire de Stuttgart. Il est secondé par l’adjudant Schnauer, qui était à Pontivy, originaire de Hambourg, ne parle pas français. Autres agents : caporal-chef Schulze, sergent-chef Pesentheimer, vient de la section IV de Rennes, sergent-chef Gewicke, capitaine Wolf, arrivé début juillet de la section V de Rennes, sergent-chef Heindrick, s’occupe du ravitaillement, Bruser, sous-officier de la GFP, interprète de Schnauer. 
28 janvier 2020. Les résistants exécutés dans le bois de Botségalo en Colpo, les 18 et 22 juillet 1944, ont été abattus un par un d'une balle dans la nuque par le sergent-chef Ferdinand Suess et le sergent-chef Gewicke ( Interrogatoire d'André Geffroy du Bezen Perrot.)
Kommando de Lorient
Ce poste a été supprimé après les bombardements qui ont causé l’évacuation de la ville. Il était dirigé en 1941 et 1942 par l’adjudant SS Wenzel. Le seul membre identifié est Paul Hammer, du SD de Saint-Brieuc. 
Il y avait également un poste du SD et un groupe du Bezen Perrot à Guémené-sur-Scorff. 
L’Ordnungspolizei (ORPO)
Moins connue que la Gestapo ou le SIPO-SD, l’Ordnungspolizei (ORPO), sous les ordres de Karl Oberg, est composée de bataillons de police essentiellement stationnés à Paris, où se trouve le siège, rue de la Faisanderie, avec quelques kommandos régionaux. Le seul poste de l’ORPO en Bretagne se trouve à Rennes, au 8, Bd Volney. Il est dirigé depuis 1942 par le commandant Eichmann, qui vient de la Schupo. Il est assisté par le capitaine Eckert, venu d’une unité d’infanterie après avoir été blessé sur le front de l’Est. Il y a également un interprète, Lucke, deux plantons plus une dactylo. L’ORPO a surtout une fonction administrative en supervisant le travail de la police française et donnant des directives générales, mais sans s’immiscer dans l’organisation même des services : gendarmerie, corps urbains, GMR, gardes-voies et communications. Le commandant Eichmann, Eckert et Lucke prennent leurs repas au mess du SD mais les relations entre Eichmann et Pulmer sont assez tendues, par suite de l’opposition de caractère entre les deux hommes : Pulmer violent et autoritaire, Eichmann plutôt compréhensif et ne faisant pas preuve d’assez de zèle national-socialiste aux yeux du premier.

Adolf Breuer et Marie-Thérèse Honorez
Connaître avec précision le nombre de patriotes arrêtés, torturés, déportés ou fusillés par les policiers du SIPO-SD est évidemment impossible. Les estimations les plus fiables avancent le chiffre de 2 000 résistants passés entre leurs mains. Ce qui est considérable, lorsque l’on sait que les effectifs étaient d’environ 170 agents pour toute la Bretagne. Ce résultat aurait été impossible sans les renseignements fourni par un vaste réseau de plusieurs centaines d’indicateurs ou d’agents issus des différents partis collaborationnistes de Bretagne. Une liste a été découverte rue Jules Ferry à la Libération. Chaque agent avait un n°, précédé des lettres SR, qui signifient Sicherheistpolizei de Rennes. Cette liste est a manipuler avec beaucoup de précaution. Lors de son interrogatoire, Breuer déclare en effet : " Je dois préciser qu'il peut arriver qu'un n° SR ait été attribué à un homme qui n'a pas travaillé pour nos services comme indicateur." L'interprète Marie-Thérèse Honorez cite le cas Yann Fouéré, SR 715 : "Fouéré Yann, journaliste, n'a pas fourni de renseignements à la police mais bien à la censure allemande du quai Lammenais." Il s'agit de la Propaganda-Staffel, qui n'a rien à voir avec le SD.
Le 3 août 1944, un convoi se forme devant la Maison des étudiante puis prend la direction de l’Allemagne avec à son bord le personnel du SIPO-SD de Rennes, le Bezen Perrot et quelques civils, femmes et enfants du PNB. A part Adolf Breuer et sa maîtresse, l’interprète
Marie-Thérèse Honorez, qui ont été arrêtés à Bruxelles, alors qu’ils étaient entrés en Belgique avec un convoi de réfugiés allemands en 1945, nous ne savons pas ce que sont devenus les autres officiers et sous-officiers du SD, recherchés comme criminels de guerre. Interrogé à deux reprises, Breuer va livrer plusieurs informations. La Cour de justice de Rennes ayant réclamé son extradition, il va se suicider dans sa cellule.
Ci-contre feuille d'entrée au SD de l'agent SR 701 Joseph le Ruyet : "Est secrétaire au PNB. S'engagea pour travailler, veut se faire de l'argent. Consent à être à l'affut en tout  temps. Renseignements vérifiés exacts. Convient très bien aux enquêtes sur les questions religieuses et universitaires. A notre service depuis le 1er février 1942." Le 7 février 1944, avec Ange Péresse du Bezen Perrot, lui aussi originaire de Bubry, Le Ruyet participe à une rafle aux côtés des Allemands dans sa propre commune natale. En rétorsion, le 14 avril suivant à Bubry, sa sœur Hélène sera abattue en plein jour de deux balles dans la tête par quatre hommes masqués.
S'il ne fait aucun doute que c'est en Bretagne que la Résistance fut la plus précoce, avec un pourcentage d'engagés volontaires aux FFL quatre fois supérieur à celui de la France par rapport à la population adulte masculine, j'incline à penser que c'est aussi la région qui a fourni le plus de mouchards à la Gestapo.