Il n’est pas courant de
voir des criminels de guerre poser derrière leur tableau de chasse et se faire
photographier. C’est pourtant ce qui s’est passé le 12 juillet 1944 à Kerihuel,
en Plumelec. Ce jour-là, vers 5 h 30 du matin, sept parachutistes SAS français,
plus huit jeunes résistants FFI, ont été capturés sans qu’un seul coup de feu
ne soit tiré. Tous sont rassemblés sur l’aire à battre de la ferme. Deux
officiers SAS : le capitaine Marienne et le lieutenant Martin, ainsi que
les FFI, sont obligés de se coucher sur le sol, face contre terre et les mains
sur la nuque, aux côtés des fermiers Danet, Gicquello père et fils. Derrière
eux, cinq parachutistes sont alignés debout, face contre un mur. Tous sont
fusillés froidement dans le dos, sauf un parachutiste, le sergent Judet, qui va
sauter par-dessus le muret et s’enfuir à toutes jambes. Les parachutistes ont
été abattus alors qu’ils étaient désarmés et revêtus de leurs uniformes. Ce qui
est contraire à toutes les lois de la guerre. Les auteurs de ce massacre sont
trois allemands du Sicherheistdienst
(SD) : le capitaine Heer, Wenzel et Fischer, accompagnés de quatre français
agents de l’Abwehr : Zeller, Gross, Munoz et Manoz. Arrêté en 1945 en
Allemagne, Zeller sera condamné à mort à Rennes le 13 mai 1946, puis fusillé
avec Gross et Munoz.
L’histoire
de cette photographie, qui figure en couverture de mon livre Agent du Reich en Bretagne, est assez
étonnante. En effet, pièce à conviction essentielle, elle ne figure pas dans le
dossier d’instruction du procès Zeller et comparses. Les policiers comme les
juges de la Cour de justice ignorant son existence, les inculpés se garderont évidemment
bien d’en parler.
Cette
photographie est citée pour la première fois dans un document d’archives daté
du 12 novembre 1949. Il s’agit d’un rapport de l’inspecteur de police François
Resnais, de la Brigade régionale de police judiciaire de Rennes, section crimes
de guerre, sur une enquête : « Relative
à la découverte de photographies représentant une exécution de plusieurs
patriotes français en Bretagne. » Un collègue de Resnais avait bien procédé
à des recherches dans le département des Côtes-du-Nord, plus spécialement au
lieu-dit « La Porcherie » en Loudéac, mais : « Ces recherches n’ont donné aucun résultat. »
En ce lieu, à l’orée de la forêt de Loudéac, sept résistants avaient en effet été
exécutés par les Allemands le 4 juillet 1944. De son côté, Resnais se rend dans
le Morbihan au mois de novembre 1949, et plus spécialement dans la région de
Plumelec, où il sait que plusieurs exécutions se sont produites : « M’étant rendu au lieu-dit « Kerihuel »
en Plumelec, j’ai pu me rendre compte par l’état actuel des lieux que les
photographies avaient été prises dans cet endroit même le jour de l’exécution
du capitaine Marienne et de ses 17 camarades parachutistes et patriotes. Ces
photographies ont été prises le jour même de la tuerie, c’est-à-dire le 12
juillet 1944, dans la matinée. » Resnais présente alors les clichés à
Roger Danet, désormais âgé de 19 ans : « Les photographies que vous me présentez ont été prises ici-même, le
jour de l’exécution de mon père et des 17 parachutistes et patriotes français, fusillés
par les miliciens et soldats allemands le matin du12 juillet 1944. Sur la
photographie n° 1 je reconnais parmi les premiers cadavres, celui de mon père,
sur ce point je suis formel car je me souviens que ce matin-là, vers 6 h 30, je
m’étais rendu auprès des cadavres et avoir embrassé celui de mon père dont la
position était la même que celle représentée sur la photographie. Les autres
cadavres situés à côté de mon père sont ceux de mon oncle Gicquello Alexandre
et de son fils Rémi. Quant à ceux qui gisent plus loin, il s’agit des patriotes
qui avaient été trouvés sous la hutte que l’on voit sur la photographie n° 3.
Je reconnais également sur la photographie représentant les miliciens, deux de
ceux qui étaient venus à Kerihuel, mais je ne peux vous indiquer leurs noms. »
Leur
forfait accompli, et craignant une contre-attaque des parachutistes du
lieutenant Taylor, qui avaient installé leur bivouac à proximité de la tente de Marienne, les
Allemands et leurs agents ont quitté rapidement Kerihuel pour aller
chercher des renforts. Les photographies n’ont donc pas été prises à ce
moment-là, mais plutôt en fin de matinée, lorsque le groupe est revenu avec une
compagnie de soldats de la Wehrmacht. Le photographe était donc un allemand,
cela ne fait aucun doute. Très certainement un officier du SD, désireux de
fournir à ses supérieurs les preuves de l’exécution du parachutiste le plus
recherché de Bretagne depuis la chute du camp de Saint-Marcel.
Le
plus troublant dans cette histoire, et qui intrigue l’inspecteur Resnais, c’est
que le nom d’un jeune Rennais, fils de magistrat, est inscrit au dos d’une des
photos : « Au dos d’une série
de trois photos remises aux autorités françaises par un soldat anglais M.
Naughton John et représentant une exécution de patriotes français, se trouvait
le nom de M. Jean Martin et son adresse, 34 rue Croix Carrée à Rennes. Celui-ci,
interrogé par les services de police, déclare qu’effectivement il avait connu
un soldat anglais très jeune, 19 à 20 ans, parachutiste fait prisonnier dans la
région de Caen au moment du débarquement et qui se trouva transféré à Rennes,
où il fut interné à l’EPS (Hôpital complémentaire). » Au mois de juin
1944, après le débarquement, cet hôpital complémentaire allemand, situé dans
l’actuel lycée Jean Macé, accueille de nombreux prisonniers de guerre
blessés : américains ou parachutistes britanniques. Les conditions
sanitaires y sont déplorables et la nourriture insuffisante. Des résistants ayant été un peu trop brutalisés par les tortionnaires du SD, situé juste en face, y sont parfois amenés pour y être soignés. Dans ce cas, des membres du Bezen Perrot montent la garde devant la chambre.
Alors
que les GI de Patton sont bloqués à Maison Blanche, et que de violents tirs
d’artillerie essaient d’atteindre le siège du SD, John Naughton sort de l’EPS
pour se rendre utile et aider les services de la défense passive de Rennes :
« Il rencontra alors Jean Martin qui
s’occupait des blessés et l’aide pendant quelques instants. Le même jour ou le lendemain, en tous cas
dans les environs du 2 août, puisqu’à cette date il semble que la Gestapo, qui
résidait juste en face de l’EPS avait alors quitté les lieux, Martin retrouve
Naughton près de l’EPS et du boulevard de la Duchesse Anne, près de chez une de
ses amies, Mlle Claude Villers, avocate au Barreau de Rennes, qui se trouvait à
sa fenêtre. » Les deux jeunes gens sont alors invités par l’avocate à
boire une bouteille de vin pour fêter la Libération. Lors de la discussion, Naughton raconte les conditions dans lesquelles il avait été fait prisonnier : « Il remit à Claude Villers en souvenir un
petit écusson de laine. Il échangea à ce moment son adresse avec Jean Martin et
il semble qu’à ce moment, n’ayant pas de papier pour écrire, il ait transcrit
celle-ci au dos d’une photo. L’adresse de Naughton a été égarée par Martin. »
Dans
ce rapport de Resnais, il n’y a malheureusement aucune information sur la façon
dont Naughton s’est procuré ces photos. Ont-elles été remises par un soldat allemand en soin à l'EPS ? C'est possible. J’avancerai plutôt l’hypothèse
suivante : le 2 août, les policiers du SD, le Bezen Perrot et quelques autonomistes bretons parmi les plus compromis avec l'occupant ayant pris la fuite, la nourriture vient à manquer aux blessés de l’EPS. Les Américains étant toujours à Maison Blanche, le personnel civil de
l’EPS, quelques prisonniers valides et même des voisins – l’officier allemand
commandant l’hôpital fermant les yeux – vont piller la Maison des étudiantes où
les Allemands avaient laissé d’importantes quantités de provisions, pour les
ravitailler. On peut donc raisonnablement penser que pendant ce laps de temps,
avant l’entrée en ville des libérateurs, Naughton est entré dans le bâtiment et
y a découvert ces photos.
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