vendredi 21 juillet 2017

21 juillet 1947, onze jeunes Rennaises se noient dans le bassin d'Arcachon

 Il y a un an j'évoquais sur ce blog la tragédie de Claouey, dont les anciens Rennais se souviennent encore tant l'émotion fut alors considérable en ville. Ce drame avait retenu mon attention pour deux raisons : tout d'abord le traitement de l'information par Ouest-France, puis la "mise en scène" du rituel funéraire en tant qu' "événement social et collectif". Soixante-dix après exactement, j'ai pensé qu'il fallait "remonter" cette communication.

La tragédie de Claouey
Ce mardi 22 juillet 1947, en lisant leur journal matinal, les Rennais découvrent avec stupeur la tragédie qui s’est déroulée la veille au soir sur une plage du bassin d’Arcachon. A l’époque des linotypes, le quotidien de la rue du Pré-Botté fut particulièrement réactif puisque la nouvelle du drame ne fut téléphonée de Bordeaux qu’à 3 heures du matin, modifiant ainsi la une des toutes dernières éditions. Compte-tenu de l’heure, le correspondant d’Ouest-France à Bordeaux ne dispose que de peu d’informations sur le drame. L’accident s’est produit en fin d’après-midi à Claouey, une plage située sur le bassin d’Arcachon. « Quatorze fillettes, toutes originaires de Rennes, ont été emportées par la mer ; neuf petits corps ont été retrouvés sans qu’il eut été possible de les ranimer ; trois enfants sont sauvés, il manque deux disparues. Les malheureuses petites appartenaient à une colonie de vacances des Guides de France qui séjournait dans la région » écrit ce correspondant. Ces 34 guides de la 4ème compagnie de Rennes avaient pris le train à destination de Claouey le mercredi précédent « Jeudi soir étaient arrivées joyeuses et remuantes trente-quatre jeunes et charmantes Rennaises appartenant aux Guides de France groupe Notre-Dame. Elles venaient à Claouey pour y passer des vacances sous la surveillance de la cheftaine, Mlle Jouannic. Le groupe alla camper dans l’une des propriétés du docteur Templier bien connu dans la région. » Que s’est-il passé ? D’après le correspondant : « Dans le courant de l’après-midi de lundi, les quatorze enfants avaient excursionné sur le terrain laissé découvert par la mer et s’y étaient attardées ; vers 19 heures elles furent surprises par le flot lors de la montée de la mer : ce fut le drame. En effet, le groupe des jeunes guides s’amusait sur la plage d’où la mer s’était retirée très largement. Mais la marée montante arriva très rapidement et les fillettes ne purent se dégager à temps. » Malgré l’organisation des secours, seules trois guides purent être sauvées. On dénombre neuf victimes et deux disparues dont Ouest-France donne les noms. En fait de « fillettes » et de « petits corps », il s’agit en réalité d’adolescentes âgées de 14 à 16  ans. Le journal indique que les enfants qui n’ont pas été mêlés à ce drame seront ramenés à Rennes par un car spécial qui doit quitter Claouey ce mardi. La liste des victimes établie, le préfecture de la Gironde a contacté celle d’Ille-et-Vilaine. En l’absence de Mme Bourrut-Lacouture, la femme de l'avocat rennais ancien Croix-de-feu et PSF, commissaire de province des Guides, les familles ont été prévenues du drame dans la nuit par la cheftaine Cartigny, accompagnée d’un prêtre « Nous savons qu’elle s’acquitta de cette douloureuse mission avec un esprit d’abnégation et une force morale qui méritent qu’on la remercie. Partout, elle sut prononcer le mot qui console et qui, sans pouvoir atténuer la peine, permet de la faire accepter et de la supporter. » Le style peut paraître quelque peu suranné aujourd’hui, mais convenons que la tâche de cette fille n’était pas facile.
Quatre colonnes à la une
En ville, l’émotion est considérable. Je n’ai pas connaissance du tirage de l’édition de Rennes datée du mercredi 23 juillet, mais avec le titre accrocheur « Je vis mes compagnes se débattre puis je ne les vis plus… », sur quatre colonnes à la une, il devait être conséquent. Le quotidien propose en effet plusieurs articles à ses lecteurs  « Voici les nouveaux détails qui nous sont communiqués aujourd’hui sur ce drame par notre envoyé spécial » Cet « envoyé spécial », qui va rédiger le déroulé des événements, n’est pas un journaliste de la rédaction de la rue du Pré-Botté, mais un correspondant du journal à Bordeaux d’où il envoyait régulièrement des papiers sur les rencontres sportives impliquant le Stade Rennais.
On sait que le dimanche, le groupe s’est rendu à la grand-messe « Tout de suite elles se rendirent sympathiques auprès des estivants et des pêcheurs de la petite station balnéaire. » Ce lundi 21, donc, vers 16 h, vingt-huit d’entre-elles, sous la conduite de leur cheftaine Paule Jouannic[1] et de ses adjointes, se rendent sur la plage. La mer est basse et l’eau semble bien loin à l’horizon, « Elles virent à quelques centaines de mètres du bord du rivage, bordé de riantes villas, un banc de sable fin rissolant au soleil. » Avant de se diriger vers ce banc de sable, nommé « La Dune Perdue », les jeunes filles « Prirent la précaution de demander si l’endroit n’était pas dangereux. Réponse satisfaisante leur ayant été donnée, certaines décidèrent d’aller s’amuser sur ce sable. » D’après une autre source, il leur a bien été dit que l’endroit n’était pas dangereux, mais à condition de ne pas y rester longtemps. Quoi qu’il en soit, le correspondant prend ses lecteurs à témoin, les jeunes filles n’avaient évidemment plus la notion du temps « Plusieurs baigneurs et notamment Mme Chabrat qui possède une jolie villa les virent longtemps s’amuser entre elles. Le temps passait… Pouvaient-elles s’en rendre compte ?... Non, n’est-ce pas… » On devine la suite. L’eau va progressivement encercler le faible promontoire. « Soudain, du rivage, on ne les vit plus ; exactement on n’aperçut plus que des bras qui s’agitaient et des têtes qui, à l’horizon, indiquaient qu’elles étaient toujours sur la « Dune Perdue ». Et le correspondant d’ajouter de manière très péremptoire : « Pouvait-on vraiment soupçonner le tragique destin qui les attendait ? Non, je le répète fermement. » D’après le journal, les cheftaines avaient, à diverses reprises, sifflé pour rappeler les jeunes filles et les ramener vers leurs compagnes restées sur le chemin du retour, mais le vent ne portait sans doute pas dans leur direction. Entre 18 h et 19 h l’eau avait recouvert les parties en déclivité longeant la rive.
Depuis sa villa « les Tamaris », un témoin, Mme Chabrat, assiste à la scène : « Je me reposais sur la terrasse de notre propriété. J’avais vu au cours de l’après-midi le groupe de jeunes filles sur le banc de sable distant d’environ 700 mètres du rivage et je ne m’étais nullement inquiétée puisque mes enfants eux-mêmes vont souvent s’amuser sur cette dune plate. Le vent était contraire et aucun appel ne vint à mes oreilles. Vers 18 h 30 je trouvais que la baignade  de ces jeunes scoutes durait bien longtemps et les apercevais au loin. Elles étaient séparées. Certaines, une dizaine environ, se trouvaient assez rapprochées du rivage. D’autres par contre et je ne pouvais les dénombrer étaient alors à la pointe extrême du banc. L’eau s’infiltrait par les petits canaux et les encerclait. Soudain, j’eus le pressentiment que ces dernières risquaient d’être prises par la mer, d’autant plus que nous sommes en période de grande marée. Il était alors près de 19 h. » Mme Chabrat aperçoit également dans le chenal un pétrolier arrivant du large et dont le patron agite les bras « Sans doute, lui, avait-il entendu les appels de détresse des malheureuses ». N’écoutant que son courage, Mme Chabrat prend son canot et se dirige seule vers les guides avec l’intention de les faire monter à bord ou de leur permettre de s’agripper d’une main au canot « Hélas, lorsque j’arrivai à la pointe de la Dune perdue, il y avait bien quatre mètres d’eau et des corps flottaient. J’ai d’abord aidé à monter à bord de mon embarcation, non sans difficulté, l’une des cheftaines-adjointes, Mlle Marie-Thérèse Boguais, puis à nous deux nous réussîmes à agripper six de ses camarades. Trois d’entre elles étaient inanimées et furent hissées dans le petit canot et, avec un filin, j’attachai les trois autres fillettes sous les bras. J’avais l’impression qu’elles n’étaient qu’évanouies. Tirant sur les avirons de toute mon énergie, j’ai alors regagné le rivage. » Épuisée, Mme Chabrat demande aux estivants accourus de porter les jeunes filles évanouies. Un voisin, M. Bergey, accompagné de sa nièce, a également mis un canot à l’eau et va ramener saines et sauves trois des jeunes filles qui dérivaient. Quatre médecins, alertés par téléphone, tentèrent vainement de ranimer les jeunes filles qui furent étendues sur le sol de la terrasse ou la table de ping-pong, « Hélas ! La mort avait fait son œuvre, et jusqu’à une heure du matin, dans le petit jardinet, reposèrent les corps, entourés par des habitants de Claouey. Tous les efforts entrepris pour ranimer l’une des neuf premières victimes avaient été vains. »
Je les ai vu se noyer nous dit l’une des rescapées.
Annette Bouglé est le seul témoin oculaire du drame : « J’étais restée en arrière de mes compagnes car le médecin m’avait dit que les bains ne m’étaient pas favorables étant trop nerveuse. J’étais à cent mètres environ d’elles. Je vis bien l’eau nous environner mais n’y pris pas plus garde que cela. Ne nous avait-on pas dit en effet quelques heures auparavant que nous ne risquions rien ? Soudain j’entendis des cris, mes compagnes appeler au secours. J’aperçus Claude Million, dont la sœur a été sauvée, se débattre puis je ne la vis plus, je vis également Yvonne Février, et bientôt je les vis se débattre tour à tour. Que se passe-t-il alors ? Je l’ignore. Mais il m’apparut qu’elles s’accrochaient mutuellement les unes sur les autres, et avant que les secours soient organisés, elles étaient noyées. »
La seule explication du drame
Rappelant que l’endroit de la « Dune Perdue » n’a rien de dangereux, mais concédant toutefois que « Les enfants s’étaient aventurés un peu loin », le correspondant d’Ouest-France est à nouveau formel : « Selon toutes les déclarations que j’ai pu recueillir sur place une seule explication s’impose. Il est probable que l’une ou plusieurs d’entre elles s’enlisèrent dans le sol boueux et sablonneux, mais nullement mouvant et que leurs camarades voulurent alors leur porter aide. Un affolement collectif, c’est certain, s’empara alors du groupe des 14 jeunes filles, tandis que montait la mer, submergeant la plage. On en vit nettement s’agripper et au lieu de repartir par le promontoire de sable d’où elles venaient, sans doute voulurent-elles couper court et atteindre au plus vite la rive. Ce fut là leur perte. Rapidement l’eau, du reste, les atteignit et elles se trouvèrent ainsi enlisées dans la vase et ballottées par les flots. Alors affolées, les malheureuses n’eurent aucune réaction. Elles se tinrent étroitement les unes à côté des autres, ainsi qu’en témoignent les traces retrouvées sur la « Dune Perdue » à marée basse à la pointe du banc de sable. » Inutile donc, de rechercher d’éventuelles imprudences. Cinq jours après son article, le correspondant envoie de Bordeaux une dépêche datée du 28 « L’enquête ouverte à la suite du drame de Claouey, où onze jeunes filles d’une colonie de vacances de Rennes se noyèrent est terminée. Aucune inculpation n’a été retenue. » Alors qu’un médecin réclame des crédits pour équiper les cliniques d’appareils de respiration artificielle, le journaliste écrit : « Voilà un appel qui ne devrait pas rester vain. De même, ajoutons-le, la natation devrait être obligatoire pour l’obtention du certificat d’études. » Est-ce à dire que ces adolescentes ne savaient pas nager ?
La chapelle ardente
Une chapelle ardente est dressée aussitôt dans la mairie de la commune de Lège, dont dépend le village de Claouey « Dix cercueils recouverts d’un drap blanc et sur lesquels reposent des bouquets de roses blanches et de fleurs des champs sont alignés sur des tréteaux. Un Christ domine et pieusement les habitants de Lège défilent devant les cercueils des petites Bretonnes. » Au neuf premières victimes, s’ajoute en effet un dixième corps retrouvé par des marins à marée basse dans la nuit  « La malheureuse était assise sur le sable et semblait dormir. Les recherches pour retrouver la onzième disparue, Mlle Michelle Després sont restées vaines. Son corps a du être emporté par les flots dans l’un des canaux peu profonds pourtant. » Le corps de Michelle Després qui dériva avec la marée montante, sera finalement retrouvé lui aussi mardi soir. Une souscription, ouverte par le maire, recueille plus de 40 000 francs destinés aux familles des victimes. La levée des corps, qui vont pouvoir être ramenés à Rennes, est prévue le mercredi. « Ajoutons que Mlle Jouannic, qui commandait le groupe des « Guides », assista, impuissante, à la catastrophe se trouvant non pas sur le rivage, mais à mi-distance de l’endroit tragique. Mlle Jouannic, très affectée, a été recueillie par le docteur Templier. » Mercredi après-midi, un camion funéraire devait prendre la route pour Rennes. Parmi les victimes, Ouest-France a une attention toute particulière pour  « La petite-nièce du regretté Mgr Even, Mlle Marie-Yvonne Richard, élève du pensionnat Sainte-Thérèse ».
L’arrivée des rescapées
Dans son édition du jeudi 24, après un article sur la levée des corps à Lège qui a donné lieu à « Une émouvante manifestation », Ouest-France décrit l’arrivée des rescapées la veille à Rennes où « La tragique noyade de Claouey fait l’objet de toutes les conversations. » Dès l’aube, un rassemblement de parents et proches des rescapées s’est formé place du Palais devant la permanence des Guides de France où l’autocar en provenance de Bordeaux arrive à 6 h 50. Les lecteurs du journal n’ayant encore pas la télévision, la description des faits se doit d’être la plus réaliste possible « Des scènes déchirantes alors se produisirent. Pendant quelques minutes ce ne furent que des effusions… les guides pleuraient… des sanglots les étouffaient. Brisées, exténuées, mais vivantes, vingt d’entre elles étaient revenues. Leur visage était émacié par deux nuits de souffrances et d’angoisse. Jamais, disaient-elles à leurs parents, nous ne pourrons oublier cette minute bouleversante que nous avons vécue. Le drame, en effet, a été si rapide que nous ne pouvions croire nous-mêmes à la terrifiante réalité de ce que nous avions vu… »
La belle conduite des cheftaines
Le quotidien rennais, dont on connait les liens très forts avec l’évêché – Paul Hutin et Mgr Roques, qui a été élevé à la pourpre cardinalice un an plus tôt, sont alors les deux personnes les plus influentes de la ville – se serait-il empressé de vouloir disculper à tout prix l’encadrement de ce camp ? En effet, un début de polémique a pris forme, mais nous n’en saurons pas plus « Regrettons, en passant, qu’un journal parisien, en une circonstance aussi douloureuse, témoigne d’un esprit partisan en insinuant que la responsabilité de la catastrophe incombait aux organisateurs du camp de vacances et en affirmant que les familles des malheureuses victimes avaient appris la fatale nouvelle par la lecture des journaux, ce qui revenait à dire que la direction des Guides de France avait manqué à ses devoirs. » Quoi qu’il en soit, il y a tout de même quelques incohérences dans le récit des événements « Il faut que l’on connaisse aussi la conduite héroïque des jeunes cheftaines et de leurs guides, qui essayèrent lorsque la catastrophe se produisit, de sauver le plus grand nombre possible de leurs camarades. Une dizaine de guides étaient restées sur la plage pour diverses raisons. Les 26 autres, dont les trois cheftaines, se trouvaient dans la baie et prenaient leur bain toutes ensemble. Elles n’avaient d’eau plus haut que la taille et le bain ne dépassa pas un quart d’heure. La cheftaine avait du reste demandé pour assurer la sécurité du bain, dont la durée était limitée à un quart d’heure, que les guides demeurées sur la plage annonce la fin par des coups de sifflet. La consigne fut observée. Mais c’est alors que la baignade se terminait que la mer, ayant monté avec une rapidité que les vieux matelots du pays ont qualifié de stupéfiante, les malheureuses petites filles ont été emportées par les vagues. Les cheftaines firent l’impossible pour sauver leurs camarades et on les vit qui nageaient avec deux ou trois guides accrochées à elles. On les aperçut aussi coulant à plusieurs reprises sous le poids des petits corps qu’elles essayaient de maintenir au-dessus des flots. C’est ainsi que Jenny Leveillé réussit à sauver deux fois Paulette Jouannic, qui avait plongé pour rattraper quelques-unes des jeunes victimes, et qui s’enfonçait dans les flots avec celles qu’elle voulait sauver. Michèle Baraize, une guide de 13 ans, a réussi à ramener deux petites et la cheftaine Mado Million a réussi à déposer sur la rive Christiane Loizil. Ce sont des estivants qui ont recueilli dans leurs barques toutes les guides qui n’avaient pas été entrainées par la mer. » Ces guides sont arrivées sur le rivage à 16 h 30. La mer devait être basse. A quelle heure s’est effectuée cette baignade limitée à quinze minutes ? On ne sait pas. Trop tardivement puisque la noyade s’est produite entre 18 h 30 et 19 heures. Il est indiqué qu’une dizaine de guides restèrent sur le rivage pour diverses raisons. Les 26 autres adolescentes, encadrées par trois cheftaines, prennent leur bain « toutes ensemble » dans la baie. Pourtant, parmi ces 26 guides, un groupe de 17 filles est à l’extrémité de la « Dune Perdue » où elles vont être rapidement encerclées par la marée. Parmi ce groupe, Mme Chabrat déclare avoir sauvé une cheftaine-adjointe, Marie-Thérèse Boguais. Dans de telles conditions, comment ces trois cheftaines, dont la plus âgée, Paule Jouannic, a 24 ans, et son adjointe Marie-Thérèse Bouguais, 15 ans « Coulant à plusieurs reprises sous le poids des petits corps qu’elles essayaient de maintenir au dessus des flots », faisant l’impossible pour sauver leurs camarades, pouvaient-elles ramener sur la rive des adolescentes à peine plus jeunes qu’elles, et ne sachant probablement pas nager ? De l’avis même des rescapées, la tragédie n’avait duré que quelques minutes, Ouest-France ajoutant que « Les cheftaines sont restées constamment avant, pendant et après la catastrophe, et qu’avant de s’aventurer avec leur joyeuse équipe sur la plage, elles s’étaient informées près des gens du pays de savoir s’il n’y avait aucun risque. Nous avons déjà dit qu’il leur avait été répondu négativement. M. le maire de Lège a d’ailleurs tenu à exprimer publiquement l’admiration qu’il éprouvait pour la conduite des cheftaines qui, aux dires de tous les témoins, ont su, dans cette tragique circonstance, accomplir, au péril de leur vie, tout leur devoir. »
Les onze cercueils sont arrivés à Rennes
Dès quatre heures du matin, jeudi, au pensionnat Sainte-Geneviève, rue Ginguené, où une chapelle ardente avait été aménagée dans la salle Sainte-Agnès par les soins de la Municipalité, les familles attendent les cercueils en provenance de Lège. « Un peu avant  six heures, le camion de la maison Prost, obligeamment mis à la disposition des guides, et dans lequel se trouvaient les dépouilles mortelles, pénétrait dans la cour du pensionnat. Sous la direction du chef Valton, des Scouts de Rennes s’occupèrent du déchargement funèbre ; opération des plus douloureuses. Les cercueils portaient chacun sur leur couvercle une fiche indiquant le corps qu’il renfermait. Bien des larmes de pitié s’échappèrent des yeux de ces jeunes gens. » Entre chaque cercueil, croulant sous les fleurs, des jeunes Guides en uniforme montent une garde d’honneur, alors que les cheftaines accueillent les familles et « Les aidèrent à supporter le choc de la suprême rencontre. Inutile de dire combien de scènes déchirantes se déroulèrent devant les cercueils : pères et mères, désespérés, secoués de sanglots, parents et amis consternés…Combien perdirent connaissance pendant quelques instants !... Durant toute la journée, ce fut un défilé interminable de gens dont l’émotion se lisait sur les visages. »
Des funérailles émouvantes
C’est le vendredi 25 juillet qu’ont été célébrées les obsèques solennelles des victimes. « La capitale bretonne s’est donnée hier tout entière à la pieuse et grandiose tâche de rendre hommage aux dépouilles mortelles des onze Guides de France victimes de l’effroyable tragédie de Claouey. De très bonne heure, la foule se pressait aux abords du pensionnat Sainte-Geneviève et dans les rues tout le long desquelles devait défiler le cortège funèbre. Mais si les rues apparaissaient pleines d’une animation inaccoutumée, il semblait bien que la vie de la cité s’était un instant arrêtée. Dans la cour d’honneur du pensionnant étaient rangés les corbillards qui devaient porter les cercueils et les nombreuses et magnifiques gerbes et couronnes de fleurs envoyées de partout à l’adresse des malheureuses victimes. » L’abbé Simonneaux, aumônier diocésain des Guides de France (Futur évêque de Versailles), procéda à la levée des corps à 9 h 30 dans la chapelle ardente en présence d’un nombreux clergé et des familles « Puis les cercueils qui disparaissaient sous un amoncellement de fleurs blanches et roses, furent déposés dans des corbillards dont les cordons étaient retenus par des Guides de la 4ème Rennes, dont la plupart avaient vécu le drame de Claouey. Un peu avant 10 heures, alors que le glas de la Métropole s’écrase sur la ville et que les cloches de l’église des Sacrés-Cœurs lui répondent, le cortège se met en route. Derrière la croix processionnelle de la paroisse la plus éprouvée, viennent les Scouts et Guides de France de Rennes. On remarque des Éclaireurs de France qui ont tenu à rendre hommage à leurs sœurs scoutes. » De la rue Ginguené, le cortège funéraire emprunta la rue de Nantes, puis descendit vers le boulevard de la Tour-d’Auvergne pour traverser ensuite la place de Bretagne, remonta la rue de la Monnaie, pour finir à la Métropole. « Sur les trottoirs attendaient de triples rangées de témoins silencieux. Des villes voisines et de plusieurs petites communes rurales situées aux alentours de la grande ville, des gens étaient venus pour apporter aux familles si cruellement frappées dans leurs affections, le témoignage de leur douloureuse sympathie. » Temps fort de l’enterrement, le convoi funéraire donne aux funérailles plus de solennité. D’après le compte-rendu qu’en fit Ouest-France, celui-ci se déroula avec toute la pompe que seule l’Église romaine sait donner à ses cérémonies. « Les enfants de cœur aux soutanelles rouges, le clergé des Sacrés-Cœurs et de la Métropole, auxquels se sont joints les curés des diverses paroisses de la ville et des alentours, ainsi que les aumôniers des mouvements de jeunesse, précédent Mgr Groult qui, en « mantelleta » et en l’absence de S. Em. Le cardinal Roques, primat de Bretagne, actuellement à Rome, préside cette émouvante cérémonie. Derrière les chars funèbres qui disparaissent sous les fleurs, suivaient les familles toutes de noir vêtues, les yeux rougis par les larmes, les paupières gonflées, tristes et silencieuses ; les parents de celles qui allaient être conduites à leur dernière demeure. » Après une heure de procession, « Un à un les cercueils franchissent le seuil de la cathédrale dont le chœur est drapé de tentures noires bordées d’argent. Après que les personnalités, les familles et les délégations eurent pris place dans l’immense vaisseau la messe commence, célébrée par le chanoine Louvet, curé des Sacrés-Cœurs. Les cercueils ont été alignés dans le transept, comme des lévites un jour d’oblation. Des Guides montent une garde d’honneur. »
Je ferai grâce aux lecteurs de ce blog de la longue liste des personnalités citées par Ouest-France. Tout ce qui compte à Rennes, y compris certains notables tout juste remis de leurs ennuis consécutifs à l'épuration, se devait d’être présent. A l’issue de la messe, Mgr Groult, revêtu de la lourde chape de deuil, donna l’absoute « Lentement, récitant le pater, le prélat bénissant fit deux fois le tour des cercueils. L’In paradisium retentit ensuite, bientôt suivi au grand orgue du chant Ce n’est qu’un au revoir. » Deux cortèges vont alors se former place de la Cathédrale : l’un, le plus important, se rendra au cimetière de l’Est, l’autre au cimetière du Nord. Les conduites aux deux cimetières seront présidées par les aumôniers des Guides de France. « Les ultimes prières de l’Église furent prononcées à l’entrée des deux nécropoles où éclatèrent à nouveau d’affreuses scènes de désespoir. »
Le lendemain, la même foule probablement, accueillera le général de Gaulle, qui achevait un déplacement de trois jours en Bretagne avec un discours violemment anticommuniste.


[1] Elle avait été admise comme monitrice à la T.A. en 1941

10 commentaires:

  1. Merci pour cet article !
    Vivant juste à côté de Claouey, j'ai découvert par hasard ce drame par un petit entrefilet dans le journal Sud-Ouest parlant des plages de Claouey.
    Il semblerait que cette tragédie ait été oublié par ici.
    Cordialement

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    1. Merci Monsieur,
      Ce drame nous rappelle que 70 ans plus tard on observe une hausse des noyades accidentelles.

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  2. Ma mère faisait partie de ce camp de scout breton, une tragédie !!

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    1. Oui, ce drame a beaucoup marqué les Rennais de l'époque. C'est une amie, très âgée qui m'avait parlé de cette tragédie que je ne connaissais pas. Elle était jeune scout elle aussi dans la même école et se souvient encore de l'odeur des fleurs et de la chaleur lors des obsèques.

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  3. Aucun mémorial à Claouey pour rappeler cette tragédie.
    J'habite sur le Bassin et peu de gens sont au courant.
    Ma mère en parlait peu, mes grands-parents habitaient rue Ginguené à Rennes, toutes ces victimes habitaient le même quartier.
    Ma mère avait 16 ans lors de ce drame.

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  4. Merci, j'avais 7 ans et demi à l'époque de ce drame, j'en ai aujourd'hui 81 ! Merci à vous, j'en garde encore une angoisse au coeur ! J'étais élève de ce qui était alors l'école Sainte-Geneviève et je me souviens de la Chapelle ardente que vous évoquez pour y être allée. À 10000 km de la France, j'ai plusieurs fois cherché en vain, sur internet, un récit de ce drame ! La rue Ginguené, je la prenais quotidiennement et je connaissais aussi l'abbé Louvet, curé des Sacrés-Coeurs, ma paroisse ! Un détail me revient des conversations entendues alors des grandes personnes qui m'entouraient " Celles qui ne savaient pas nager s'agrippèrent à celles qui nageaient et ces dernières ne purent se sauver " ! 74 ans plus tard, en ce dimanche 15 août 2021, le douloureux souvenir de ce drame est toujours là et me serre le coeur !

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    1. Bien tardivement,merci madame pour votre commentaire très émouvant. Vous étiez alors au sortir de la guerre. Les cours de natation pour enfants n'étaient probablement pas aussi développés qu'aujourd'hui (encore que l'on régresse !) D'autre part,la religion et le clergé pesaient encore de tout leur poids à Rennes. Un tel drame aujourd'hui n'aurait évidemment pas les mêmes suite policières et juridiques...

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  5. Merci pour votre réponse ! Oui je suis née le 15 octobre 1939 et cette tragédie m'a si cruellement marquée. J'ai appris à nager peu de temps après sans doute et je nage.toujours. Demain, j'emmène ma petite-fille nager en piscine avec moi, l'été austral est là. Je garde un traumatisme de cette tragédie et votre récit en me rappelant le drame de ces jeunes filles m'en a fait prendre conscience. Ainsi, je suis saisie de panique si on s'agrippe à moi quand je nage car plusieurs élèves nageuses de mon école se sont noyées ainsi ! J'ai averti mes petits-enfants de ne pas me toucher lorsque je nage et c'est ARCACHON été 1947qui est là enfoui !
    Autre chose : vous êtes historien de mon pays maternel; la Bretagne. Après probablement le bombardement le plus dévastateur à Rennes en juin 1940, nous nous sommes réfugiés à Gahard en Ille et Vilaine. Je recherche un article, des articles sur un fait qui s'est produit à la libération de Gahard en 1944 ! J'avais 4 ans et demi et ma soeur 2ans et demi ! Nous n'en avions jamais parlé depuis, nos parents non plus, le reste de la famille, toute entière à Gahard non plus...Un souvenir heureux les Américains traversant le village et nous les enfants leur offrant des fleurs des champs, eux nous offraient de petits cadeaux intrigants ! Un autre souvenir beaucoup moins solaire et c'est peu dire dont personne ne parlait jamais, en 2007 dans la splendeur des paysages du Piton de la Fournaise, ma soeur soudain en a parlé et elle avait 2 ans ½ , j'étais stupéfaite qu'il était là vivant en elle comme en moi ! Il est si grave que je n'ose vous le raconter sur ce blog...
    Auriez-vous des données sur l'épuration sauvage à Gahard ! Il me reste deux cousines qui ont autour de 95 ans qui ont peut-être vécu ce drame ! Je n'ose pas, sur ce blog, faire le récit de ces souvenits violents vécus à 4 ans et demi et ils me hantent toujours...et dont je ne trouve nulle trace précise nulle part...

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    1. Chère Madame,
      Profitez bien de votre été austral avec votre petite fille. Ici à Rennes il fait un temps de chien... Ainsi vous étiez réfugiée dans cette charmante commune de Gahard (Saint Léonard, si tu as du pouvoir, fait le voir !)Ma famille est originaire des environs. Il y avait autrefois un drapeau tricolore en métal au dessus de la porte d'entrée de l'église. Tout un symbole dans ce "Triangle républicain" bouffeur de curés qui étaient envoyés en disgrâce par l'évêché, je pense à l'abbé Trochu (Il me semble). La résistance y était très active sous l'Occupation, notamment à Vieux-Vy-sur-Couesnon, Andouillé-Neuville et Saint-Aubin d'Aubigné (Amand Brionne). Je n'ai pas fait de recherches spécifiques sur les exactions commises à la Libération (On n'en finit plus et c'est assez déprimant). J'ai toutefois dans mes archives personnelles cette note énigmatique d'une réunion du CDL 35 de décembre 1944 : " Désiré Bidard, prisonnier rapatrié qui fut pendu dans la commune de Gahard en même temps que M. Thébault à la suite de dénonciations. Les dénonciateurs seraient eux-mêmes arrêtés à l'heure actuelle (auraient été fusillés avec un garagiste)"
      Je n'en sais pas plus sur cette sinistre affaire. Est-ce que cela correspond au drame que vous évoquez ?
      Bien cordialement

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    2. Je m’aperçois d'une erreur, il faut plutôt lire Bédard.

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