Dans son dernier numéro du 1er
janvier 1942, le journal clandestin La
Bretagne Enchaînée dénonçait comme « Collaborateurs dans la
médecine » plusieurs praticiens rennais (Voir la communication du 28 avril
2015 sur ce blog). Si quelques docteurs : Gaston Tannou ou Pierre Dordain, pour
ne citer que les plus connus, furent d’authentiques résistants, il n'en fut pas de même pour bon nombre de
leurs confrères qui choisirent la voie de la collaboration. Parmi ceux-ci, figure
le docteur Ambroise Tizon, 55 ans, domicilié place de Bretagne, radiologue au Centre anti-cancéreux et à la
clinique Saint-Vincent, dont il est l'un des copropriétaire avec les docteurs Marquis,
Chesnay et Brault. Collaborationniste plus que Vichyste, Tizon ne fait pas
mystère de ses sympathies allemandes en adhérant au Mouvement Social
Révolutionnaire (MSR) d’Eugène Deloncle au début de l’année 1941, jusqu’à sa
dissolution en avril 1942. Plus tard, en juillet 1942, avec les docteurs
Perquis, Doisy, Massot et l’avocat Perdriel-Vaissière, ils installeront le
Comité des amis de la LVF. Arrêté le 9 août 1944, Tizon est incarcéré au
camp Margueritte. Interrogé, il reconnaît « Avoir eu des relations très
amicales avec des officiers allemands, notamment avec ceux de ces officiers qui
logeaient chez lui et qu’il a parfois retenu à dîner. Il lui est également
arrivé de se trouver à la chasse en compagnie d’officiers allemands, étant
donné qu’il était désigné par la Préfecture pour faire partie de l’équipe du
lieutenant de Louveterie de la forêt de Paimpont. » Le docteur ne dit pas
si le traditionnel repas de fin de chasse était servi au réputé hôtel Allaire, aujourd'hui « Relais de Brocéliande » (1), mais il y a tout lieu de le croire. Plus
embêtant pour lui, son nom figure sur une liste d’indicateurs du Sicherheistdienst (SD), retrouvée à la
Libération rue Jules Ferry, avec le N° SR 743 « Donne des renseignements
intéressants et sûrs sur des sujets politiques ». Je me suis souvent
interrogé sur la signification de ces lettres S. R., y voyant l’abréviation de Sonder Reihe, terme militaire allemand
désignant un rang spécial ou particulier (Le
Bezen Perrot, 2004, p. 32). J’ai découvert récemment un PV d'interrogatoire où il est question du Hauptscharführer Adolph Breuer, du SD de Rennes, qui avait pris la fuite
vers la Belgique en compagnie de sa maîtresse rennaise, elle-même interprète à ce SD. Le
couple sera arrêté et incarcéré à Bruxelles. Interrogée, l’interprète explique
que les lettres S. R., suivies d’un nombre, signifient Sicherheistpolizei Rennes et que le nombre forme le numéro d’agent
de cette police, le chiffre 7 des centaines indiquant plus spécialement les
indicateurs de la ville de Rennes. Breuer confirme les déclarations de sa
maîtresse : « Les lettres S. R. étaient attribuées aux agents de
renseignements de nos service à Rennes ». Si Breuer prévoit quelques
exceptions, du moins les réserve-t-il : « Soit à des gens ayant
contribué à les ravitailler au marché noir, ou bien encore aux maîtresses
de
certains collègues ». Nous n’en sauront malheureusement pas plus. Inscrit sur la liste des
criminels de guerre à Londres, et sachant qu’il allait être extradé et livré à la justice
française, Breuer s’est suicidé sans sa cellule. Questionné sur cette liste, le Dr Tizon proteste et
affirme son innocence : « Je n’ai jamais joué le rôle d’agent que
l’on m’attribue, mais encore j’ignorais absolument que mon nom figura sur cette
liste à un titre quelconque ». Interrogé sur son activité au MSR, le
docteur déclare qu’il a fait de la politique : « Non pas dans un but
de propagande mais parce qu’il y trouvait une distraction et un
délassement. » Si l’on en croit le double d’une
lettre adressée à son ami Pierre Le Baube, secrétaire général de la préfecture de Rennes jusqu'au 5 novembre 1940, maintenant Préfet d’Eure-et-Loir, le Dr Tizon semble en effet être un bon connaisseur de la vie politique
rennaise. Ce document m’a paru intéressant car son auteur, qui est un notable
reconnu de la « bonne société » rennaise, nous livre une
singulière et intéressante observation de l’état d’esprit des Rennais – et plus
particulièrement des milieux médicaux – en cette année 1941.
Ce courrier a été rédigé le 5 octobre, soit deux semaines avant les
exécutions des otages de Châteaubriant, qui auront un retentissement
considérable en ville. J’y ai ajouté quelques commentaires en italique.
« Mon cher Préfet,
J’attendais votre lettre qui m’a
fait le plus grand plaisir, comme à l’habitude d’ailleurs.
Elle ne paraît pas empreinte de
votre solide optimisme habituel. Vous semblez craindre pas mal de choses et les
indications que je comptais vous donner, suivant votre demande, ne feront je le
crains, que vous rendre plus désabusé.
Dans l’ordre général, à quelques
exceptions près, la masse ouvrière, bâtiment et gariers (sic) en tête mais aussi bien électricité, gaz, tramways, petits
artisans sont axés vers le communisme et la Russie. Ils marchent aussi pour
l’Angleterre et de Gaulle surtout depuis quelque temps.
Pour les Gaullistes purs et
bourgeois ils feront comme chez vous moins de bruit qu’il y a quelque temps,
mais leurs conviction ne paraît pas avoir été entamée par l’affaire de Kiev,
leur espoir attendra le printemps et plus longtemps encore. Défaite
soviétique du 19 septembre 1941. D’ailleurs
leur amour de l’Angleterre est surtout conditionné par la crainte de certaines
organisations sociales remplaçant le libéralisme anglo-saxon auquel ils
s’accrochent désespérément. Leur action habituelle se continue, moins
extériorisée mais elle persiste et ils trouvent dans un certain nombre de faits
que je vais vous citer, de singuliers et précieux encouragements.
Nous avons eu il y a quelques
jours, la visite du Directeur de l’enseignement supérieur au Ministère de
l’Instruction Publique, M. Galletier. Je crois vous avoir déjà rapporté la
réponse de Mme Galletier en public d’ailleurs, à la femme d’un professeur de
médecine qui la félicitait de la nomination de son mari à Vichy et qui
déplorait la division des Français et le mal qui pourrait en résulter pour le
pays. « Il n’existe lui déclara la Directrice, aucune division, tous les
Français sont pour l’Angleterre, les autres ne sont pas français. »
Cela est pour vous et pour moi et
bien sonné.
La femme du professeur en fut
tout même un peu étonnée.
Ceci connu, vous n’aurez aucune
surprise à lire la suite.
Édouard Galletier
était recteur de l’académie de Rennes avant d’être nommé directeur de
l’Enseignement supérieur au mois de mars 1941. Pétainiste, il est connu pour
son opposition à la politique de collaboration avec l’Allemagne. Arrêté par le
SD le 10 août 1943 lors de ses vacances à Louvigné-du-Désert, il sera déporté à
Buchenwald.
Nous venons d’apprendre la
nomination comme doyen de la Faculté de lettres de M. Wolf. C’était un Rébillon
le plus gaucher qu’il y eut. Il est comme il convient, sympathisant communiste
et dans l’ordre de préférence russo-gaulliste. Le professeur Armand
Rébillon était connu pour ses idées socialistes. Lors de la réunion du CDL le 11 août 1944, M. Milon « parle du recteur actuel qui est pétainiste et qui n'a plus les qualités morales nécessaires pour continuer sa tâche. M. Rebillon et M. Wolff seraient les candidats les meilleurs. Mais M. Milon ne veut pas se prononcer entre les eux hommes qui ont toute sa confiance. » Jusqu'au 14 juillet 1944, le recteur était Michel Souriau, qui n'était pas spécialement pétainiste. Il sera remplacé par Anthony Famin qui ne rejoindra pas son poste.
On attend d’un jour à l’autre la
nomination à une chaire spécialement créée pour lui de Abel Pelle, cela lui
permettra, à la première occasion, d’avoir la clinique chirurgicale. Or il a
fait son cours avec « Vive de Gaulle » au tableau, des croix de
Lorraine et les élèves ont chanté la Marseillaise et God save the King et allez
donc. Ce fait est officiellement consigné (rapport d’élèves) et il a eu pour
cette affaire dix jours de suspension. Il a bien droit, n’est-ce pas, à une
compensation : chaire spéciale par faveur spéciale. C’est justice à
l’Instruction Publique et cela d’autant plus que je le croyais sympathisant
franc-maçon que le Dr Leroy vient de savoir par un membre de la Loge de Rennes
qui lui a dit que maintenant cela n’avait plus d’importance, qu’Abel était
affilié ainsi que son frère.
Témoignage du Dr
Pelle devant le CDL : « En fin
novembre 1940, il y a eu des inscriptions gaullistes au tableau. De plus, il y
avait eu des chants patriotiques avant le cours. Le lendemain des étudiants
patriotes sont venus m’avertir qu’ils avaient insisté auprès de leurs amis pour
que ces manifestations ne se renouvellent pas ; car, disaient-ils, elles
étaient dangereuses pour moi. Je pense que ces étudiants connaissaient des
camarades qui avaient pu faire des rapports contre moi. En effet le docteur
Tizon dans sa lettre à Le Baude parle de rapports d’élèves. Il est exact que
j’ai été interrogé avec les autres professeurs de l’école de Médecine, mais le
dernier, par M. Marquis, je suppose, sans en être certain, que le Dr Marquis
avait été mis au courant, tant par la rumeur publique que par le rapport
d’élèves. Après l’interrogatoire de Marquis, j’ai été appelé chez le Préfet, ce
dernier m’a dit que ce que j’avais fait était très grave, parce que c’était une
approbation de ma part envers les élèves que de n’avoir pas effacé. Il m’a
annoncé qu’une sanction allait être prise contre moi et me serait communiquée
par le recteur ; il m’a ajouté : des cas moins graves sont allés au
camp de concentration. M. Galletier a eu un rôle très sympathique en la
circonstance, c’est lui qui a réussi à faire abaisser à 10 jours la suspension
prévue pour un mois. J’ai eu un rendez-vous avec le professeur Marquis, au
moment où il m’a fait part de la sanction prise contre moi ; il m’a
dit : « Ceci reste entre nous, nous ne sommes que trois à le savoir
dans l’université ». Or le Dr Tizon dans sa lettre au Préfet Le Baude fait
allusion à tous ces faits ; il apparaît bien que le Dr Marquis lui a fait
des confidences. Je retrouve d’ailleurs dans la lettre du Dr Tizon des
expressions du Dr Marquis : la création d’une chaire spéciale d’anatomie
médico-chirurgicale permettrait au Dr Pelle d’accéder à la chaire de clinique
chirurgicale. Ce sont les propres termes du Dr Marquis lorsqu’il a discuté avec
moi au sujet de cette chaire. Dès mes débuts en 1932, j’ai eu l’impression que le
Dr Marquis me faisait une opposition réelle. Le Dr Marquis a été nommé par M.
Abel Bonnard membre de la Commission de réforme des études médicales. C’est
précisément cette Commission de réforme qui a refusé la création d’une chaire
d’anatomie médico-chirurgicale. Or, jusqu’à présent, aucun professeur suppléant
n’avait été forcé de quitter une école de médecine après 10 ans d’ancienneté,
c’est la première fois que ceci s’est produit. Il était l’ami intime du Dr
Doizy, du Dr Tizon et du Dr Brault. Dans l’annuaire des Temps Nouveaux, le Dr
Marquis a fait mettre en vedette, dans le chapitre des cliniques, son titre de
Directeur du centre anti-cancéreux de la manière suivante : Centre
anti-cancéreux (Directeur : Dr Marquis). » Plutôt que « Les
Temps Nouveaux », je pense que Pelle fait référence au quotidien
collaborationniste « Les Nouveaux Temps » de Jean Luchaire. Pour éviter une amputation du programme des cours, la suspension sera effective pendant les vacances du nouvel an. Abel Pelle devait donc reprendre le 2 janvier, date de la rentrée des étudiants. Six jours après sa notification de suspension, Pelle reçoit une nouvelle note de Marquis, lui précisant qu'il devait reprendre son enseignement, non le 2 janvier comme il avait été convenu, mais le 4, la suspension étant de dix jours et non de huit...
Mlle de Suberville, fille de
l’Intendant récemment révoqué pour gaullisme au lycée de filles faisait son
cours de prosélytisme comme papa. Une mère de famille, je crois Madame Chevrel,
devant les angoisses de sa fille – 16 ans, qui se demandait qui avait raison de
sa maîtresse ou de ses parents, a porté plainte. Il y a avait même des paroles
injurieuses à l’égard du Maréchal. Suspension par le Préfet. Elle vient d’être
envoyée par la protection de M. Galletier au lycée de Casablanca ce qui, ici,
est considéré comme une faveur. Elle continuera là-bas son apostolat. Il est
possible que le Maroc en ait besoin. Personnellement, cela m’étonnerait, mais
sait-on jamais…
L’histoire de Janton, mari de ma
confrère Pichot est moins drôle. Professeur au collège de Vitré, membre du PSF
dont il avait ou été démissionné il y a trois mois. Il possédait des tracts
gaullistes. Il devait être nommé par passe droit, a dit sa femme, au lycée de
Rennes, car il avait échoué à l’agrégation. Ses seuls titres mais combien
sérieux paraissaient être son dévouement à la cause anglaise. Une perquisition
malheureuse et il est pour un an de concentration à Châteaubriant. Sanction du
Préfet, mais dans un an, il sera dans le plus beau lycée de Paris.
L’Instruction Publique, comme
vous le voyez, se prépare à engager la jeunesse vers des voies nouvelles. On ne
saurait indiquer une belle intelligence à ces messieurs. C’est bien ce qui me
paraît inquiétant pour les projets du Maréchal. Leur prévision et leur action
d’avenir me paraissent devoir torpiller ces derniers avec certitude.
Comment voulez-vous, avec les
exemples que je vous donne, que la jeunesse qui manifestait ici pour le Roi d’Angleterre
il y a quelques mois et qui semblait être légèrement assagie ne trouve pas un
encouragement en voyant de quelle protection et de quelle faveur peuvent en fin
de compte, bénéficier de la part du Gouvernement ceux qui pensent et agissent comme
eux. Je pourrais vous citer d’autres cas et nous pourrions dire que c’est
scandaleux si nous ne savions que c’est normal.
Tout ceci est entièrement connu
de notre Préfet. Il s’agit du préfet régional François Ripert, très
critiqué et déstabilisé par le journal La Bretagne de Yann Fouéré.
Il a pris comme vous le voyez, des sanctions les temps derniers. Est-ce pour
cela ou pour d’autres motifs qu’il encourage actuellement les colères
russo-gaullistes et il sait de source sûre que M. Galletier prétend être en
mesure de le faire sauter. Ce dernier est soutenu ici, par la Municipalité qui
est un des foyers gaullistes les plus importants à l’exception de deux
individualités. Vous savez quelle énorme action elle peut exercer et exerce sur
les services administratifs et autres. Ce magno radicalo-socialiste,
conservateur et maçonnique, nommé par suffrage universel fut confirmé par
Monsieur Ripert, qui eut même soin d’y ajouter un communisant notoire, l’ancien
directeur de la maison du peuple Chéreau, dont je vous conterai la double
action un peu avant les troubles communistes, dont je savais l’éclosion sinon
la modalité dès le 10 août. Un autre qui ne lui cède en rien Quessot, et la
femme la plus notoire franc-maçon Mme Laurent. Tout ce monde le déteste assez
cordialement et on dit qu’il le leur rend. Ils font en tous cas partie du bloc
qui essaiera de l’évincer. Eugène Quessot, conseiller municipal
puis membre du CDL représentant la SFIO. Mme Laurent, qui vient d’être nommée conseillère
municipale.
Mais personne ne plaint le Préfet
qui récolte tout ce qu’il a semé au temps pourtant peu lointain où, dans notre
région, tout collaborationniste et tout partisan de la Révolution nationale,
était soigneusement écarté par lui. Ce brave Allaire à Paimpont, qui en fut victime,
s’il savait tout cela, rirait de bon cœur. Jules Allaire est un hôtelier de
Paimpont.
Maintenant, on se bouffe comme au
plus beau temps de la 3e et, espérons dernière du nom.
Je ne vous dirai rien aujourd’hui
des automobiles. C’est de la fantaisie scandaleuse due à la collaboration
initiale de la mairie et des bureaux de la Préfecture.
Et le ravitaillement.
Quant à l’histoire agricole
future, ce sera un volume à part.
Si tout n’est révisé et aussi
vite que possible, il faudra se résigner au désastre français ou au Gauleiter
et nous en reparlerons si vous voulez bien, l’été prochain, si Dieu nous prête
vie.
Vous me demandez ce que pensent
de nous actuellement les Allemands. Voulez-vous que nous les classions en trois
catégories :
Les soldats,
Les cadres, ce qui correspond à
la classe moyenne,
Les dirigeants.
Pour les soldats, c’est simple.
Ce que Pavelke ( ?) m’avait dit de ses Pfliger fin mars
s’est généralisé et l’infanterie et l’artillerie ont pris le même esprit. Ses
hommes disaient : Nous partons dans le barrage anglais, d’accord ;
mais avant, ici ils sont tous anglais, alors mitrailleuses. Et, pour éviter les
incidents, ils avaient donné des ordres sévères. Plutôt que Pfliger, il faut lire Flieger, aviateurs de la Luftlotte 3 (3ième flotte aérienne de la Luftwaffe) et du Fliegerkorps IV, probablement basés à Saint-Jacques-de-la-Lande.
Un commandant collaborationniste,
un Autrichien lieutenant, viennent de me dire la même chose.
Il est certain qu’autrefois ils
cherchaient un peu partout à causer, aussi bien dans le tramway qu’au bistrot. C’est
fini. Dans le tramway ils cèdent leur place aux femmes mais, par ailleurs, ils
nous ignorent et c’est tout ce qu’on peut actuellement leur demander.
On peut être sûr que si le peuple
français devenait, par le plus grand des hasards, collaborationniste, le soldat
allemand ne l’est plus et je crois pour longtemps. Il faudra, si Hitler veut un
jour réaliser une entente franco-allemande, qu’il en mette un grand coup pour
faire entrer cela dans la tête et dans le cœur de ses soldats. Et comme il
existe des permissions, je crains que le visage encore assez agréable du pays
allemand ne s’assombrisse petit à petit. Avouez que nous ne l’avons pas
volé : 1919-1941.
Pour les cadres, c’est-à-dire les
officiers, autre histoire. Il y a belle lurette qu’ils sont fixés sur l’esprit
de 75% des Français à leur égard. Leur attention s’est donc portée uniquement
sur le Gouvernement ou leurs représentants.
Du Gouvernement et plus
particulièrement du Maréchal, il existe chez eux deux opinions : Les uns,
en particulier ceux des kommandanturen, pensent qu’il essaie par les mots de
rouler les Allemands. Ces hommes objectifs, tiennent surtout compte de ce qu’ils
observent. Ils ignorent beaucoup de petits détails mais les choses principales
ne leur échappent pas, par exemple certaines nominations : Galletier, la
Mairie, dont ils connaissent parfaitement l’esprit, etc., certains actes, tout
cela est enregistré et communiqué dans leurs rapports mensuels. De tout cela,
je suis certain, vous savez comment. Ceux-là sont convaincus que le Maréchal et
une bonne partie de son gouvernement finassent. Et vous savez que si les
opinions sont lentes à se faire dans leur esprit, elles s’y accrochent à un
moment pour longtemps.
Les autres pensent qu’il est
sincère, mais trompé par tout le monde et qu’en tout cas, il manque d’autorité,
ce qui pour eux est comme s’il était inexistant.
Ainsi ils considèrent certaine
choses comme très importantes ; je veux parler de la grâce des deux
condamnés de Clermont-Ferrand, grâce accordée par le Maréchal, en plein milieu
de l’action communiste que ce dernier disait réprouver. Ils ne comprennent pas
la dissonance entre l’action verbale et l’action tout court. D’autre part, ils
considèrent qu’il y a eu là une réprobation de l’action allemande à Paris,
qu’ils envisagent eux portant comme nécessaire pour notre propre salut à nous.
Cela a produit près d’eux un effet désastreux auquel vient s’ajouter le cas de
Collette. C’est humanitarisme n’est, pour eux, pas de saison, alors que tant
des leurs tombent, pour l’Allemagne peut-être mais aussi un peu pour nous.
En effet, L’Ouest-Éclair du 16 septembre
1941 annonçait que le Maréchal avait gracié Marchadier et Lemoine, deux
communistes condamnés à mort. D’après le directeur de cabinet du Maréchal,
Henry du Moulin de Labarthète, les deux condamnés étaient originaires de la
circonscription du très pétainiste Louis Deschizeaux, député-maire de
Châteauroux, qui serait intervenu auprès de Pétain. Quant à Collette, condamné
à mort le 1er octobre 1941, sa peine sera commuée en travaux forcés
à perpétuité par Pétain.
Il est à craindre qu’ils ne
finissent, en méprisant le Gouvernement, par nous mépriser tous et, si le sort
des armes leur est favorable, nous devrons – dans un temps que j’ignore – en
savoir quelque chose.
Si, comme le fait supposer le
dernier exposé du Führer, il n’y a pas de compromis anglo-allemand, ce qui ne
peut être, je crois, qu’heureux pour nous, si Hitler persiste dans son idée de
1937 d’une construction européenne et toujours dans le cadre d’une victoire
allemande au moins sur le continent, je crois qu’ils ne toléreront le
gouvernement actuel dans sa totalité qu’étroitement surveillé et contrôlé. Je
pense qu’ils préféreront, s’il leur est possible, nous laisser une plus grande
liberté mais avec des hommes dont ils ne mettront pas en doute la sincérité
dans l’action (…)
Il reste la question religieuse.
Hormis quelques individualités, il semble bien qu’on n’y ait point oublié la
prise de position si nette de Rome en septembre 1939, en faveur des démocraties
(N’oublions pas, s’il vous plait, que le Fric leur parle, et souvent). On est
donc gaulliste dans les presbytères et les patronages de toute classe. On ne
défile plus évidemment, comme en mars, avec des gaules de lignes, on jour en
sourdine, ce que l’on nierait, bien entendu, en haut lieu, à la manière des
saint disciples d’Ignace de Loyola.
C’est sans doute pour cela que
l’on commence à nommer en douce ici des bonnes sœurs conseillères municipales,
en attendant que Monseigneur ne devienne Préfet régional, à moins que ce ne
soit pour bien marquer qu’en renouant cette sainte alliance du Christ et du
Triangle de septembre 1939 en passant par Notre-Dame et la grande farce du
Sacré-Cœur, nous ne désirions faire savoir expressément à Monsieur Adolph
Hitler que nous entendons bien nous tenir à l’écart d’un quelconque ordre
nouveau européen, qui ne me paraît pas, pour le moment, avoir pour objectif
l’entrée de la Sainte Église catholique, apostolique et romaine, dans la
politique active d’une Europe nouvelle.
On n’a pas jusqu’ici l’impression
que le chef de l’État allemand cherche, pour lui ou pour d’autres, un nouveau
Richelieu.
Le tout mince seigneur ou plutôt
tout petit, tout obscur, tout sans grade que je suis, a l’impression que
certaine partie du gouvernement français sont de sacrés diplomates… A moins… à
moins… qu’ils ne recherchent à tout prix l’alliance et la bénédiction de
l’archevêque de Canterbury. Alors là. C’est parfait.
A chaque moment suffit sa peine
et vous avouerez que, dans mes fonctions improvisées et inédites de secrétaire
délégué à Rennes de Monsieur le Préfet Le Baube, j’ai bien mérité un mandarin…
Si la forme est mauvaise, le fond
est exact, je peux vous en donner l’assurance et c’est l’important.
Si donc vous voyez de nouveau,
comme vous me le dites, Monsieur I… vous pouvez, si vous lui parlez de ces
choses, vous considérer sur un terrain solide. Ce mystérieux I ne
peut être que Jean-Pierre Ingrand, représentant du ministre de l’Intérieur à
Paris, aux côtés de Fernand de Brinon.
Gardez ce papier, c’est un
abominable morceau de littérature, mais ce n’est point là la question.
J’aurai plaisir à revoir tout
cela l’été prochain avec vous.
Vous savez que je crois que la
logique est de ce monde, mais je pense qu’elle villégiature hors de France,
sinon il y a longtemps que vous seriez Préfet ici, avec Cousin actuellement en
remplacement du Préfet du Morbihan (et à Rennes nous espérons que ce n’est
qu’un remplacement) qui, quoique jeune, sait étudier avec réflexion toute
question et appliquer toute résolution ainsi prise avec fermeté, vous auriez
vite fait, dans ce département et ensuite cette région que vous connaissez si
bien, de remettre de l’ordre dans tous les domaines et nom de Dieu, il y en a
sacrément besoin.
Mais ceci est trop logique pour
être vrai. Nous n’en sommes pas là.
Mes amitiés à vous quatre.
Ave. »
Épilogue
Avec une peine de deux années de
prison, assortie d’une indignité nationale et la confiscation du quart de ses
biens, le tribunal ne s’est pas montré particulièrement clément à l’égard du
docteur Tizon. Arrêté pour avoir appartenu aux « Amis de la
Légion », son cas relevait en effet plus de la Chambre civique que de la Cour de justice.
En fuite à la Libération,
condamné à la peine de mort (peine commuée), le préfet Le Baube sera révoqué.
Le Dr Marquis, comme beaucoup d'anciens de la « Grande guerre » était un maréchaliste convaincu.
D’après un rapport en date du 14 septembre 1944, rédigé par le Commissaire
Divisionnaire des RG : « Ce sentiment d’admiration pour le chef de
l’État et de son gouvernement s’atténua progressivement, au cours de l’année
1943, c’est-à-dire à une époque où la fortune des armes changea nettement de
camp. Et, sur la fin de l’année 1943, lorsque le Maréchal fit appel à Darnand,
et Déat, il se montra adversaire des méthodes de la Milice, il avait en
d’autres termes prudemment « retourné son veston ». On cite encore à
l’encontre du Dr Marquis, en l’interprétant comme un manque de courage civique,
le fait suivant, lorsque les étudiants en médecine Comte et Huchet (fils des docteurs
Comte et Huchet) furent arrêtés par les Allemands, ils avaient presque terminé
le stage de leur 4e inscription. Les parents sollicitèrent donc du
Dr Marquis l’obtention de cette inscription qui assurait les droits de leurs
fils à l’examen de fin d’année. Le Dr Marquis ne leur donna pas satisfaction,
se retranchant dans les règlements qui exigeaient la signature des
intéressés. »
Xavier Comte a été arrêté le 8 mai 1943, à
l’âge de 19 ans. Déporté à Buchenwald il sera de retour à Rennes le 18 mai 1945.
Le Dr Xavier Comte a livré un récit de sa déportation dans un petit ouvrage paru en 2005
et préfacé par son ami Edmond Hervé. J'ai retenu ce passage qui corrobore le rapport du
Commissaire de police :
« Un matin,
réveil brutal, nous fûmes extraits de notre cellule et convoyés jusqu’à la gare
de Rennes. Sur le quai, j’avisais à distance un de mes professeurs, docteur en
médecine. J’arrivais à lui chuchoter que j’étais son élève et le priais de
prévenir rapidement mon père, son confrère, que nous partions pour Paris. La
commission devait être effective mais seulement le 5 août 1944, le lendemain de
la libération de Rennes. Comme quoi la prudence n’a jamais fait défaut à
certains. A ce propos, et pour faire quelques remarques concernant le
comportement de la bourgeoisie locale, je me propose de donner un exemple :
après une année de PCB à la fac de sciences de Rennes dont les professeurs et
les chefs de travaux étaient dans l’ensemble gaullistes, j’étais entré en
septembre 1942 à l’école de médecine de Rennes où j’avais pris ma première
inscription, la deuxième en janvier 1943 et la troisième au mois d’avril
suivant. Il en fallait quatre pour valider une année. Lors de mon arrestation,
mon père demanda que ma quatrième inscription fût malgré tout validée. Il
essuya un refus formel : « Il n’a qu’à la faire valider
personnellement lui fut-il répondu. Conduite à opposer à celle du proviseur du
lycée de garçons de Rennes qui s’était proposé comme otage pour permettre à ses
élèves, arrêtés le 8 mai comme moi, de passer leurs examens. »
Archives de Rennes Fonds Charles Foulon |
Un an plus tard, à la suite du
Débarquement, de nombreux soldats anglais et américains, amenés par les
Allemands à l’EPS de la rue Jean Macé, vont être soignés par le Dr Marquis. Il
soignera et protégera également plusieurs résistants blessés amenés par le SD à
sa clinique Saint-Vincent, les jeunes du Bezen Perrot montant la garde devant
les chambres ; ce qui lui vaudra plusieurs attestations et témoignages de remerciements versés au dossier constitué par le CDL.
(1) Il faut croire que l'hôtel était apprécié des Allemands. En effet, un sergent de la Luftwaffen, Herbert Thurner (1905-1998), architecte connu après-guerre, était chargé, à partir de 1942, de l'extension du camp d'aviation allemand de "Point-Clos", sur la commune proche de Gaël. Il réalise aussi un hôpital de campagne à Mordelles ainsi qu'une cantine pour un régiment allemand à Rennes. Il avait également un projet d'extension de... l'hôtel Allaire.
(1) Il faut croire que l'hôtel était apprécié des Allemands. En effet, un sergent de la Luftwaffen, Herbert Thurner (1905-1998), architecte connu après-guerre, était chargé, à partir de 1942, de l'extension du camp d'aviation allemand de "Point-Clos", sur la commune proche de Gaël. Il réalise aussi un hôpital de campagne à Mordelles ainsi qu'une cantine pour un régiment allemand à Rennes. Il avait également un projet d'extension de... l'hôtel Allaire.
Monsieur
RépondreSupprimerConcernant le milieu médical rennais pendant la guerre, j ai en ma posséssion des arhives pouvant intéressé vos recherches émanant de mon Grand père le docteur Le Pannetier de Roissay
J ai preté des archives sur d'autres themes à un contributeur de WikiRENNES ainsi qu'a d'autres historiens.
Aprés plus de 70 ans de sommeil autant qu il servent à la connaissance historique.
Restant à votre disposition
Yves Le Pannetier 0608862523