mardi 20 juin 2017

L'honneur volé de Jean Pessis, parachutiste SAS mort pour la France



Le 15 juillet prochain, 73 ans après les faits, la Municipalité de Bieuzy-les-Eaux va honorer la mémoire de deux jeunes parachutistes SAS des Forces Françaises Libres (FFL) « morts pour la France » et inhumés dans le cimetière de la commune : Alain Calloc’h de Kerillis, alias « Richard Skinner », 28 ans (1), et Jean Pessis, alias « Jean Gray », 23 ans, exécutés par les Allemands le 18 juillet 1944 avec trois autres camarades SAS et neuf résistants près des ruines du château de Rimaison.
Ouest-France, 17 juillet 2017
Cette cérémonie officielle, initiée par M. le Maire Léon Quilleré, est aussi l’aboutissement d’une démarche opiniâtre de réhabilitation de la mémoire de Jean Pessis entamée par son neveu Francis Béjannin, fils de la sœur de Jean Pessis, qui sera présente à cette cérémonie. Arrêté à Lizio par une patrouille allemande le 11 juillet 1944 en compagnie d’un agent de liaison, alors qu’il était envoyé par le commandant Bourgoin pour rencontrer le capitaine Marienne, Gray va être accusé après-guerre d’avoir parlé sous la torture en révélant aux Allemands où était caché son chef, mais aussi le nom du contact permettant d’accéder à Marienne.
Dans mon ouvrage « Agents du Reich en Bretagne », j’avais fait part de mes doutes sur la véracité des déclarations émises par Maurice
Le Télégramme (en couleur) 17 juillet 2017
Zeller et de ses acolytes lors de leur procès au sujet de cette affaire. Quelques années plus tard, ayant lui aussi consulté le dossier d’instruction de Zeller, Francis Béjannin, qui réside à Paris, me contacte et me demande si je voulais bien effectuer, en toute liberté, des recherches plus poussées sur ce qu’avait été le parcours de son oncle entre son engagement dans les FFL en 1941, son parachutage sur le camp de Saint-Marcel dans la nuit du 12 au 13 juin 1944 et son exécution le 18 juillet suivant. Suivre jour après jour, depuis la chute du camp le 18 juin, les pérégrinations de ces SAS et FFI tentant à tout prix d’échapper à la traque impitoyable menée par les Allemands, la bande à Zeller ou les Bretons du Bezen Perrot s’est révélée plus compliquée que prévue, mais la tâche était passionnante. La préparation des SAS en Angleterre, racontée avec beaucoup d’humour par Gray dans son journal personnel, fut une véritable découverte pour moi. Enthousiastes à l’idée d’être les premiers à fouler le sol de leur patrie, ces jeunes parachutistes ne s’attendaient certainement pas à devoir vivre terrés comme des bêtes dans des chemins creux ou sous un dolmen pendant deux mois, troquer leurs uniformes pour des vêtements civils, avec le risque d’être fusillés comme « terroristes » en cas de capture. Plus de cinquante d'entre eux y laisseront leur vie dans le Morbihan.
Ces recherches ont abouti à une synthèse d’une quarantaine de pages. Trop longue pour être restituée intégralement sur ce blog, j’en propose donc l’introduction et la conclusion :
(1) Blessés lors de l'attaque de la ferme de Kerlanvaux par les Allemands le 14 juillet, où six SAS ont été tués, les deux officiers Skinner et Jean Fleuriot ont été obligés de se rendre. Emmenés à l'EPS de Pontivy, ils seront torturés avant d'être exécutés le 18.

L’honneur volé de Jean Pessis,
parachutiste SAS mort pour la France.

La vérité de cette vie ce n’est pas qu’on meurt : c’est qu’on meurt volé.
                                                                                  Louis Guilloux, Le sang noir.


Depuis la chute du camp (le terme de maquis est impropre) de Saint-Marcel le 18 juin 1944, et jusqu’à la Libération, les troupes de la Wehrmacht, secondées par les agents français de la FAT[1] et les Bretons de la Bezen Perrot, sous la direction des policiers du SD[2], vont mener une chasse impitoyable aux FFI et parachutistes SAS dispersés dans la région. Chaque jour, ce ne seront que rafles, tortures, exécutions sommaires ou incendies de fermes. Longtemps après-guerre, les chiffres les plus invraisemblables ont été avancés sur les pertes subies par les Allemands lors de cette opération, on a parlé de 560 morts et d'une commande de 700 cercueils. Les estimations les plus récentes avancent plutôt une trentaine de tués de part et d’autre. La répression qui va s’ensuivre aura donc fait plus de victimes que les combats eux-mêmes : 18 morts, le 12 juillet à Kerihuel, 52 morts, les 13 et 14 à Penthièvre, 24 morts, les 18 et 22 à Botségalo, 14 morts, le 18 à Rimaison, 9 morts, le 29 au Rodu[3], pour ne parler que des plus importantes exécutions collectives. De cette litanie macabre, c’est le massacre de Kerihuel – avec la figure emblématique du capitaine Marienne – qui suscitera le plus d’émotion, mais aussi d’interrogations. Dans son ouvrage Le Morbihan en guerre, qui fait figure de référence, sinon de version officielle, Roger Leroux, de façon plus ou moins implicite, présente l’arrestation de Marienne comme la conséquence de révélations faites sous la torture par le sous-lieutenant SAS Jean Pessis, alias « Gray », arrêté par les Allemands en compagnie de l’agent de liaison Joseph Jégo, le 11 juillet 1944 à Lizio. L’auteur ne va pas jusqu’à condamner un homme qui n’aurait pas pu résister aux tortures mais, dans ce qui est considéré par l’historiographie résistancialiste d’après-guerre comme l’un des épisodes le plus dramatique de la Résistance en Bretagne, avec le fait que dans le peloton d’exécution, figure un ancien officier radié de la marine française ; on mesure la portée éminemment symbolique du massacre de parachutistes revêtus de leur uniforme, ce qui est contraire à toutes les lois de la guerre.

Cette implication de Gray, lors des deux opérations menées par les Allemands à Guillac et Kerihuel, méritait à tout le moins, dans un ouvrage de 670 pages, un peu plus de développement que cette phrase lapidaire : « Torturés sur place, puis à Josselin par le SD, les deux hommes ne résistent pas pareillement. Gray révèle que Bourgoin se cache maintenant à l’écluse de Guillac[4]. » Leroux ne dit pas d’où il tient cette information. A-t-il eu accès au dossier d’instruction du procès Zeller, Gross et Munoz, jugés le 13 mai 1946 par la Cour de justice de Rennes, condamnés à mort puis fusillés le 17 juillet suivant ? C’est probable. En tout cas, si les deux hommes n’ont pas résisté « pareillement », Leroux aurait pu ajouter qu’ils n’ont surtout pas été torturés « pareillement ». La capture de cet officier parachutiste leur parut en effet si importante que les Allemands firent venir spécialement du SD de Pontivy Ferdinand Fischer, un spécialiste des « interrogatoires ». Dès lors, Jégo donne l’impression d’être passé au second plan. Cette assertion de Leroux sera souvent reprise, parfois quasiment mot pour mot, ainsi dans l’ouvrage Le Maquis de Saint-Marcel en Bretagne :

Sous la torture, Grey parle. Il révèle des noms, des lieux, et surtout désigne l’écluse de Guillac comme l’endroit où se cachent Bourgoin et ses amis Morice, Corta… Zeller exulte, persuadé qu’il va enfin prendre ceux que tous les services nazis recherchent sauvagement depuis un mois[5]

Bien avant Roger Leroux, en 1952, dans son livre de souvenirs Les bérets rouges, le parachutiste Henry Corta, qui était un proche de Gray en Angleterre, évoque sobrement cette arrestation, mais ne reproche rien de particulier à son camarade :

Pris par les Allemands, Gray est emmené en prison. Ses papiers sont livrés à Zeller qui profite de cette occasion pour s’en servir au cours de ses recherches. Munoz, vêtu d’une tenue d’officier parachutiste et possesseur des papiers de Gray court la campagne, va de ferme en ferme, disant qu’il est perdu et cherche à retrouver quelques uns de ses camarades. Non loin de lui sont cachés Zeller et sa bande[6]

Dans un autre ouvrage autobiographique, J’ai choisi la tempête, paru en 1965, la résistante Marie Chamming’s cite également Gray, mais seulement pour cette affaire des papiers d’identité, avec un récit particulièrement saisissant pour une personne qui n’était pas présente sur les lieux :

L’homme était entré brusquement : les patriotes qui buvaient un verre de cidre restèrent une seconde immobiles, le regardant. Il ouvrit son imperméable et se montra en tenue de parachutiste. Les garçons se levèrent, troublés. On commençait à beaucoup parler de faux parachutistes. Voyant leur hésitation, Munoz sortit une carte d’identité. « Vous voyez bien que je suis des vôtres », leur dit-il. Ils se passèrent la carte du lieutenant parachutiste Grey de main en main[7]

Mener une réflexion, sans parti pris, pour comprendre ce qui s’est passé lors de ce mois de juillet 1944 – certainement l’un des plus meurtriers pour la Résistance bretonne – nécessite d’en respecter la chronologie et… de disposer d’une bonne carte IGN. Car tout se tient dans le temps et l’espace. Il s’écoule en effet exactement un mois entre la chute du camp le 18 juin et l’exécution de Gray le 18 juillet. Dans ce laps de temps, la répression des Allemands fut d’autant plus efficace qu’elle s’est opérée sur un périmètre assez restreint, correspondant à la surface d’un cercle de 12 km de rayon, dont le centre serait la commune de Saint-Aubin. C’est dans cet espace, traversé par la vallée de la Claie, parcouru à bicyclette ou à pied par de jeunes agents de liaison, que FFI et parachutistes vont essayer d’échapper aux nazis en changeant constamment de refuge. Si l’implication des agriculteurs dans la Résistance a souvent été considérée comme très minoritaire, notamment en Ille-et-Vilaine, on constate qu’il n’en était rien dans cette partie rurale du Morbihan où ils ont payé très cher leur aide aux parachutistes. Ces SAS, lors de leur formation en Angleterre, ne s’attendaient certainement pas à devoir troquer leur uniforme de parachutiste contre des vêtements civils pour éviter de se faire repérer lors de leurs déplacements – ce qui n’est pas sans poser de graves problèmes sur le plan du droit de la guerre, ces hommes devenant de facto des francs-tireurs ou des « terroristes ». C’est ainsi qu’à Londres, le général Mac Leod piqua une colère lorsqu’il apprit que le colonel Bourgoin avait ôté son uniforme. C’est pourtant ce dernier qui fit parvenir, par l’intermédiaire d’un prisonnier allemand libéré au lendemain de la chute du camp de Saint-Marcel, ce message au QG du général Fahrmbacher à Pontivy :

Les parachutistes français libres sont les soldats d’une armée régulière portant un uniforme et se battant à visage découvert. Ils observent les lois de la guerre et respectent les conventions internationales. J’espère que les troupes allemandes feront de même.

Cette requête n’aurait de toute façon pas changé grand chose. En effet, dans l’article 10 de l’armistice franco-allemand du 22 juin 1940, il est écrit :

Le gouvernement français interdira aux ressortissants français de combattre contre le Reich dans les armées d’Etat qui se trouvent encore en guerre avec celui-ci. Les ressortissants français qui ne se conformeront pas à cette prescription seront traités par les troupes allemandes comme des francs-tireurs.

En outre, à l’ancien officier français Maurice Zeller qui, avec son habituelle mauvaise foi, affirma lors d’un interrogatoire avoir protesté contre le fait qu’on lui fasse fusiller des soldats français le 12 juillet à Kerihuel, l’officier allemand Herr lui répondit :

Que je n’avais qu’à faire comme lui et exécuter les ordres qui m’étaient donnés. Cet officier me précisa qu’un ordre absolu et général prescrivait d’exécuter sans délai les civils armés et même les parachutistes en uniforme capturés à plus de dix kilomètres au-delà des lignes, les uns et les autres étant considérés comme des francs-tireurs. 

En ce début du mois de juillet, les lignes de front sont encore bien loin. Alors que, selon les prévisions initiales, les Alliés devaient être en Bretagne à J+30 maximum, les GI de Patton piétinent toujours dans le bocage normand ; au point que les officiers du QG de Fahrmbacher à Pontivy sont convaincus qu’un second débarquement de soutien est projeté en Bretagne. C’est ce qui ressort d’un rapport rédigé par le commandant du SD de Rennes, le 13 juillet 1944, à partir des documents trouvés sur le capitaine Marienne, et adressé au Dr Knochen à Paris :

Toutes les forces parachutistes et FFI étant basées autour de Vannes ceci confirme les rumeurs et les déclarations de prisonniers de guerre concernant un débarquement entre St-Nazaire et Vannes. Le jour J devait être au début de juillet ou peut-être vers la mi-juillet. Au cas où un nouveau débarquement n’aurait pas lieu, les opérations devraient recommencer quand les troupes alliées entreraient à Avranches. Si toutefois ceci n’avait pas lieu avant un temps indéterminé, les parachutistes devaient se replier à l’Est probablement pour se frayer un chemin à travers les lignes. Le S/Lt Riordan, qui d’après ses déclarations, était livré à lui-même, n’ayant aucune communication avec Bourgoin, apporta ces ordres au Cdt Bourgoin à Callac le 22 juin 1944. 

Dès que le verrou d’Avranches saute, le 31 juillet, tout va aller très vite. Mais ce retard dans la jonction avec les SAS, obligea les parachutistes à se cacher par petits groupes. Au terme d’une longue préparation au combat en Angleterre, ceux-ci n’imaginaient certainement pas être obligés de se terrer pendant de longues semaines à l’abri d’un chemin creux ou sous un dolmen. Cette vie clandestine et l’inaction leur deviendront vite insupportables, au point d’en oublier parfois les règles les plus élémentaires de prudence, ce qui sera souvent fatal en ces temps de suspicion générale. Leur présence dans certains villages était d’ailleurs devenue un secret de polichinelle. Le parachutiste Jean Paulin, dans son livre de souvenirs, La rage au cœur, publié en 1946, évoque ces « indiscrétions ». Peu amène à l’égard de la population locale, Paulin n’est pas très objectif :

Les Bretons, malheureusement, ont ceci de commun avec un grand nombre d’autres Français : ils sont bavards et ne se rendent pas compte de la gravité et des conséquences possibles de leur bavardage inconsidéré (…) Nous, parachutistes, avons le devoir de dire que sans l’aide de la population bretonne, pas un seul d’entre nous n’aurait pu terminer la campagne vivant ! Pourtant, tout en rendant un reconnaissant hommage au courage, à la bravoure, au désintéressement, un dévouement absolu et total à la cause de la libération de la patrie, de ceux qui nous vinrent en aide au péril de leur vie, de ceux enfin qui la donnèrent, il faut reconnaitre que cinquante pour cent, au moins, de nos pertes, furent dues à des indiscrétions. Il y en eut, fort peu heureusement, dues à des dénonciations[8]

Tout cela est sans doute exagéré. Il n’empêche, et ceci revient de façon récurrente dans les témoignages, si les règles de sécurité avaient été respectées, bien des drames auraient pu être évités. Soyons donc indulgent avec le brave Paulin. Emporté par son enthousiasme mémoriel, il avait l’oreille particulièrement fine d’un bon opérateur radio, les plages du débarquement étant au moins à 300 km :

Au loin, vers le nord-est, un roulement assourdi par la distance, une série interminable de violentes explosions parviennent jusqu’à nous. Je sens des larmes de joie monter à mes paupières. Ça y est, Ils débarquent ![9] 

Soixante-dix après les faits, la tentation est grande de refaire les procès de l’épuration. Le contexte n’étant plus le même, je n’y céderai donc pas. Cependant, il n’est pas interdit de s’interroger sur la manière dont a été menée l’instruction du dossier Zeller par le juge en charge de la partie morbihannaise de ce dossier. Déjà, dans l’ouvrage Agents du Reich en Bretagne, je faisais part de mes doutes sur les accusations portées contre Gray :

Plus que les révélations d’un seul homme, dont rien ne prouve qu’il connaisse le contact de Marienne – on sait ce que valent les déclarations de Zeller – il semble plutôt que ce soit la conjonction de plusieurs renseignements, arrachés sous la torture, qui vont permettre aux Allemands de localiser les parachutistes[10].

Pour cette recherche, je me suis beaucoup appuyé sur l’ouvrage de Joseph Jégo, 1939-1945 Rage, action, tourmente au Pays de Lanvaux[11]. Témoin de première main, puisqu’il a été arrêté avec Gray, Jégo relate en détail la chronologie des événements, jusqu’à son arrestation du 11 juillet 1944. De prime abord, avec le côté « vécu » de son auteur, son récit parait sincère. Cependant, une lecture critique et attentive de ce livre va vite révéler de nombreuses inexactitudes et la fragilité des témoignages recueillis après la Libération. Un autre ouvrage, dont j’ignorais l’existence – et pour cause puisqu’il n’a jamais été édité mais est consultable à la Fondation de la Résistance – remet sérieusement en cause le récit de Jégo. Il s’agit du livre De la forêt de Brocéliande aux landes de Lanvaux. Le pain noir 1943-1945, du résistant Raymond Guillard, lui aussi agent de liaison auprès de l’État-major du colonel Morice et du commandant Guimard, qui écrit à propos de Jégo :

Il agit en dehors de précautions les plus élémentaires, voyage beaucoup sans aucun but précis et prend des décisions personnelles et inutiles qui s’avèrent parfois dangereuses et catastrophiques. Son arrestation et celle du lieutenant Gray en sont un exemple flagrant[12].

Parmi les archives publiques, les dossiers d’instruction des trois membres de la FAT jugés à Rennes : Zeller, Gross et Munoz, sont une source essentielle ; à condition toutefois d’être extrêmement prudent dans leur analyse. D’accusés, ces traitres se transformeront volontiers en accusateurs lors de leurs procès. Zeller surtout, le plus intelligent et le plus machiavélique, dont la technique de défense consiste à semer le doute pour compromettre les victimes ou les témoins de ses agissements, qu’il fait passer pour des dénonciateurs, les mettant ainsi dans l’obligation de se justifier. Cela ne lui évitera pas le châtiment suprême, il en est conscient, mais le mal est fait et la suspicion à l’égard de certains résistants restera longtemps gravée dans les esprits. Lorsque l’on épluche le dossier de ces agents de la FAT au service des Allemands et qu’on a pris conscience qu’ils n’auraient jamais pu mener à bien leurs missions sans l’apport de renseignements et de multiples complicités, on mesure à quel point l’instruction de leur procès est inaboutie, sinon bâclée. Disposant de trois coupables, indéfendables, et qui ne se font aucune illusion sur leur sort, le juge – avocat avant-guerre, ce magistrat avait bien évidemment prêté serment au maréchal sous l’Occupation – chargé d’instruire les faits relevant de la cour de justice de Vannes, donne l’impression qu’il était inutile d’aller chercher plus loin s’il n’y avait pas d’autres responsabilités, qui risqueraient de mettre en cause la Résistance locale. Deux années après la Libération, il était temps de tourner la page de l’épuration. J’ai également eu accès à des archives privées et familiales, qui apportent un éclairage inédit et savoureux sur ce que fut la personnalité de Gray et la vie de ces parachutistes en Angleterre.

L’engagement de Jean Pessis dans les FFL
Jean Pessis est né le 10 septembre 1920 au Vésinet. Il est le fils d’Adolphe Pessis, joaillier, et de Germaine Salomon son épouse. Arrêté le 12 décembre 1941, Adolphe Pessis meurt en déportation à Auschwitz le 25 septembre 1942. Jean Pessis a deux sœurs cadettes. Son frère ainé Maurice, né en 1919, démobilisé en 1941, est étudiant à Lyon. Les deux frères n’acceptent pas l’occupation allemande et décident de se battre, chacun à leur façon. C’est ainsi que Maurice Pessis s’engage dans la Résistance, au réseau Franc-Tireur, dont le dirigeant Georges Altman écrira à son sujet :

Je revois encore cette minute charmante où Maurice, l’un de nos jeunes amis de la lutte clandestine, son visage de vingt ans rouge de joie, me présenta sa « nouvelle recrue », un monsieur de cinquante ans, décoré, le visage fin sous les cheveux gris argent, le regard aigu derrière ses lunettes, sa serviette d’une main, une canne de l’autre ; un peu cérémonieux d’abord, mon visiteur bientôt sourit en me tendant la main et dit avec gentillesse : Oui, c’est moi le « poulain » de Maurice.

Le « poulain » en question n’est autre que le grand historien Marc Bloch. Arrêté, Maurice Pessis sera déporté à Dachau le 29 juin 1944. Après la Libération, il fallut beaucoup de courage à Germaine Pessis. A l’automne 1944 elle apprend la mort de son fils Jean puis, en janvier 1945, après la libération du camp d’Auschwitz, celle de son mari, et elle ne sait toujours rien sur son fils aîné, qui ne reviendra en France que le 27 avril 1945.

Selon la définition de l’époque, Jean Pessis est un jeune homme ayant reçu une bonne éducation. Il a fait ses études au lycée Janson-de-Sailly avec une certaine facilité puisqu’il décroche son baccalauréat avec un an d’avance et s’inscrit à la faculté de médecine de Paris. Déterminé, alors qu’il est en 3ème année de médecine, il décide au printemps 1941d’abandonner ses études et de rejoindre le général De Gaulle à Londres en passant clandestinement par l’Espagne. Il est arrêté et interné au sinistre camp de Miranda de Ebro pendant deux mois avant d’être relâché et dirigé vers l’Angleterre. Pour tous ceux qui l’ont connu avant son départ pour Londres, Pessis laisse le souvenir de quelqu’un qui sortait de l’ordinaire. Passionné de littérature, ce qui expliquerait peut-être le choix de son pseudonyme, il parlait correctement l’anglais et l’allemand. Doué pour le piano, il pratiquait également la boxe. Décrit comme posé, diplomate, sociable, sa compagnie était recherchée par des amis fidèles.

Après avoir débarqué en Angleterre, Pessis s’engage dans l’Armée de terre le 22 décembre1941, sous le pseudonyme de Jean Gray, matricule n° 35503. Il est affecté au mois de janvier 1942 comme médecin auxiliaire dans une compagnie motorisée à Camberley. Au mois de juin il est muté à l’état-major des forces aériennes, direction du service de santé à Londres. En mars 1943 il est promu au grade d’aspirant et devient médecin assistant. En août 1943, il retourne à Camberley, cette fois ci auprès de la 2e compagnie de l’infanterie de l’air pour en assurer le service médical. Parallèlement à ses activités de médecin, il a cherché dès son arrivée à Londres à intégrer une unité combattante. Dans ce but, il a suivi du 15 juin au 30 juillet 1942 un des premiers stages
organisés par la 1e brigade parachutiste polonaise basée à Largo, en Écosse. Il sort en tête du classement et il devient le 17e membre des FFL à obtenir en Angleterre son brevet de parachutiste. Il complète sa formation en suivant l’entrainement commando du SAS à Hardwick en août 1943, ainsi qu’un stage de médecin parachutiste. Le 1er juillet 1943, avait été constitué à Camberley le 1e bataillon d’infanterie de l’air (1e BIA), qui sera renommé quatre mois plus tard 4e bataillon de l’infanterie de l’air, sous les ordres du colonel Bourgoin. Arrivé le 6 novembre et précédé d’une légende chasseurs de fauves, le colonel fait grosse impression et est surnommé « Le tigre ». Il ne parle pas un mot d’anglais et supporte mal leur administration, ce qui expliquera sans doute son peu

Page 40 :
Dans les geôles de Pontivy
Lorsque les officiers Fleuriot, Gray et Skinner arrivent dans les geôles de l’EPS de Pontivy, au soir du 14 juillet, ils retrouvent trois autres parachutistes : le sergent-chef Louis Claustre, alias « Castagne », arrêté peu de temps après le repli de Saint-Marcel, le sergent-chef André Cauvin, blessé lors de l’embuscade du Sabot à Trédion, et Charles Flament, capturé à Kerihuel. Savent-ils seulement où se trouve leur commandant ? Certainement pas. En effet, depuis son départ de Guillac, trois jours auparavant, le colonel est caché dans une ferme de La Croix-Helléan[13], d’où il va rejoindre le capitaine Deplante, qui déplace son campement entre Guern et Séglien. Marie Chamming’s, alias « Marie-Claire », assure désormais les liaisons. Pendant trois jours, les prisonniers vont être torturés au siège du SD, 49 bis rue Nationale. Jean Lahrer, surveillant général de l’EPS de Pontivy, a vu le lieutenant Fleuriot arriver au SD :

Je me rappelle très bien que le 15 ou le 16 juillet de l’année passée, alors que je sortais de la Gestapo de Pontivy, j’ai remarqué qu’une voiture s’est arrêtée devant la porte de la Gestapo allemande. De cette voiture sont sortis un feldgendarme, un parachutiste, et un civil armé d’une mitraillette. Le parachutiste est entré dans les locaux allemands, et dès qu’il fut entré dans le couloir, il fut bousculé par les Allemands, et battu à coups de pieds et de mitraillette. Environ deux heures après, le parachutiste est ressorti de la Gestapo, entièrement débraillé, n’étant plus qu’une loque humaine, paraissant complètement épuisé ; alors qu’il y était entré très correctement vêtu, et en bonne condition physique. A l’entrée comme à la sortie il avait les mains liées avec une cordelette.

Le 18 juillet, 14 prisonniers sont extraits des geôles de Pontivy et chargés dans un camion à destination des ruines du château de Rimaison, en Bieuzy-les-Eaux. Flament ne fait pas partie du convoi, puisqu’il sera exécuté le 29 à Pluméliau. Pierre le Bihan, torturé le même jour, est le seul rescapé de cet enfer :

Arrêté le 14 juillet après la découverte d’un dépôt d’armes à Saint-Guyomard. Conduit le soir même à Pontivy, je fus enfermé avec 10 camarades dans un cachot absolument obscur et humide où je restai quatre jours, les mains toujours menottées. Le jeudi 20 juillet je fus interrogé par les miliciens. Parce que je refusais de donner les noms des hommes de ma section et de reconnaître ma qualité de lieutenant FFI, je fus bastonné par eux pendant une heure et demie. Les camarades Le Mouée et Gustave Cléro, arrêtés le même jour que moi, ont subi les mêmes traitements. Restés à Pontivy le 28 juillet, ils ont été fusillés le 29 juillet à Pluméliau.

Parmi les militaires allemands présents à l’EPS, se trouve le soldat de 2e classe Hermann Stahl. Il a quitté Pontivy le 4 août avec son unité, commandée par le capitaine Holz, pour se replier sur la poche de Lorient. Après la reddition du général Fahrmbacher, Stahl est transféré sur un camp de prisonniers de guerre allemands à Rennes. Dans le cadre des enquêtes sur les crimes de guerre commis dans la région de Pontivy, il est interrogé le 20 octobre 1945 :

 La compagnie Holz qui avait effectué cette opération a ramené ses prisonniers à Pontivy, dans le cantonnement de l’école, où une prison avait été aménagée dans la cave. Les jours suivants, j’ai remarqué ainsi que mes camarades que ces prisonniers furent interrogés. Quatre ou cinq jours plus tard, je reçus l’ordre de l’adjudant Muller de me rendre vers 14 h dans la cour de l’école avec mon camion. J’étais accompagné d’autres soldats qui comme moi avaient reçu le même ordre. Nous n’avions aucun renseignement précis sur le motif de ce rassemblement. Sur une des voitures, les 16 prisonniers furent chargés, après environ 30 mn d’attente la colonne se mit en marche.

Le convoi, composé d’un camion et de quatre voitures, quitte Pontivy en direction de Lorient. Dans un premier temps, Stahl pense qu’il s’agit de conduire ces prisonniers à Vannes pour y être jugés. Mais à peine le convoi a-t-il fait six kilomètres qu’il s’arrête au bord d’un chemin, proche des ruines du château de Rimaison, en Bieuzy-les-Eaux, dont la ferme est exploitée par la famille Le Gal. Des sentinelles sont placées à une vingtaine de mètres, de part et d’autre du convoi arrêté au bord de la route, puis à l’intérieur du bois. De chaque côté du chemin de terre, deux policiers du SD, armés chacun d’une mitraillette Sten, sont dissimulés derrière un buisson. Stahl est toujours au volant de sa voiture et observe ce qui se passe :

Le capitaine Holz a fait descendre les prisonniers un par un, et les appelait en disant : « Le suivant ». L’exécution a dû se passer de la manière suivante : le premier prisonnier descendant du camion, les mains toujours liées, Holz le faisait marcher dans le petit chemin. Lorsque la victime était à quelques pas des SD, l’un de ces derniers tirait dans le dos du Français et aussitôt après on entendait un second coup de feu qui devait être le coup de grâce. Après Holz appelait un autre prisonnier qui subissait le même sort. Cette scène s’est répétée jusqu’au dernier qui était le policier. A vrai dire, aucun de nous n’a vu exactement les diverses exécutions et ce que je viens de vous déclarer n’est qu’une déduction. En effet, aucun des chauffeurs ne devait sortir de sa voiture. Après l’exécution le capitaine Holz est allé dans le petit chemin et a dû s’approcher des cadavres. Dix minutes plus tard il est revenu avec les SD et a donné ordre de partir vers Pontivy où nous sommes arrivés vers 5 h. La durée de ces exécutions a été de 45 mn environ, je ne sais pas ce que les cadavres sont devenus et s’ils ont été enterrés, je ne le crois pas et c’est ce qui m’a outré de les voir abandonnés ces cadavres, mes camarades avaient le même sentiment. Nous n’avons pas assisté aux exécutions, mais il est certain que nous avons vu chaque français descendre de la voiture, les mains liées derrière le dos, que nous avons entendu des coups de feu, qu’aucun des Français n’est revenu et que les SD ont rapporté des chaussures, des montres et des bagues qu’ils se sont montrées les uns aux autres. Je ne peux pas certifier si le capitaine Holz portait le même butin. En tout cas, je rends le capitaine Holz responsable de ces exécutions sans jugement.

C’est seulement le 29 juillet que les corps seront découverts par un couple d’agriculteurs, intrigués par une odeur pestilentielle, alors qu’ils moissonnaient dans une prairie voisine. Ce jour-là, Jean Lahrer, qui est également le responsable de la Croix Rouge locale, reçoit vers 10 h 30 un appel du sous-préfet de Pontivy l’avisant que 14 corps[14] se trouvaient au lieu-dit Rimaison. Arrivé sur place, il retrouve le secrétaire général de la sous-préfecture et quelques membres de la Croix Rouge de Bieuzy. De retour à Pontivy, il se rend à la Feldgendarmerie pour demander l’autorisation d’inhumer les corps :

Vers trois heures l’équipe était à pied d’œuvre, et nous avons commencé l’identification, la mise en bière, et le transport des corps au cimetière de Bieuzy. C’est au cours de l’identification que j’ai reconnu le corps du parachutiste Fleuriot, sous-lieutenant au 4ème Bataillon, comme étant celui que j’avais aperçu le 15 juillet 1944, à l’entrée de la Gestapo. Nous avons pu reconnaître également les corps du lieutenant De Kerillis (dit Skinner), du sergent-chef parachutiste André Cauvin, des nommés Claustre (dit Castagne), Mourisset, gendarme à la brigade de Quimperlé, et de neuf patriotes, dont un, non encore identifié, pourrait être le lieutenant parachutiste Gray, fait prisonnier par les Allemands, alors qu’il était en mission, et en civil. Je ne puis vous dire à que endroit ces parachutistes et patriotes ont été exécutés, mais vu la position des corps, tout laisse supposer qu’ils ont été jetés là, et entassés alors qu’ils étaient déjà morts. Je puis vous dire que de nombreux corps étaient affreusement mutilés, et portaient des traces de coups, ce qui laisse supposer que tous avaient été torturés avant d’être fusillés. De plus tous ont été fusillés d’une balle dans la nuque.

Dès 1941, ces jeunes gens ont tout quitté : leur famille, leurs amis, pour rejoindre la France libre. Trois années de formation militaire en Angleterre, de longue attente et d’espoir. Ils voulaient être les premiers à fouler le sol de leur pays pour en chasser l’occupant. Leur épopée n’aura pas duré plus d’un mois. Conscients qu’ils pouvaient y laisser leur vie, ils n’imaginaient pas de mourir autrement que les armes à la main. Officiers ou soldats d’une armée régulière, ils espéraient certainement, en cas de capture, être traités comme des prisonniers de guerre et non finir abattus comme des chiens au bout d’un chemin. C’est seulement le 17 janvier 1946, que le corps de Jean Pessis sera formellement identifié par son frère Maurice. Gray repose en terre bretonne, au cimetière de Bieuzy-les-Eaux, non loin de Skinner. Commence la légende Gray.

C’est en 1947, dans le roman – assurément pas son meilleur – Le bataillon du ciel, du célèbre écrivain Joseph Kessel, qu’apparait pour la première fois cette histoire d’un parachutiste SAS ayant parlé sous la torture :

Véran arriva auprès d’eux, s’assit sur une marche et, contemplant sa main où le sang coulait en petits ruisseaux le long du troisième doigt et de la paume, se mit à parler d’une voix blanche, et en humectant sans cesse les lèvres :
- Cette fois, dit-il ; je n’ai rien pu contre elle. Je veux dire contre la peur… Ils m’ont arraché un ongle… Au second, j’ai flanché… En y allant, je savais déjà que je flancherais.
- En m’engageant, je savais que quelque chose comme ça arriverait.
- Tu as parlé de la mission ? demande Drobel à voix très basse.
- Non… ils croyaient qu’il ne s’agissait que d’un simple raid. Ils m’ont posé des questions. J’ai répondu aux questions… Je ne pouvais pas faire autrement.
- Qu’est-ce qu’ils t’ont demandé, dit Quérec. Qu’est-ce qu’ils t’ont demandé ? Réponds ou, je te jure, tu n’auras pas besoin des Boches pour crever.
- Ils m’ont demandé qui nous avaient envoyés, déclara Véran de sa voix sans timbre, et je l’ai dit.
- Tu as nommé le capitaine ? demanda Quérec.
- Je l’ai nommé.
- Et puis ? demanda Drobel avec angoisse.
- Ils m’ont demandé où était le capitaine, dit Véran.
- Et ?
- Je l’ai dit. J’ai dit comment était la ferme. Et la garde. J’ai tout dit.
Le visage de Quérec prit une expression d’incrédulité terrifiée.
- Tu as vendu le capitaine ! murmura-t-il[15].

Comment Kessel, qui ne cite aucune source – privilège du romancier – peut-il ainsi accuser Gray d’avoir « donné » Marienne ? La même année, sort sur les écrans le film éponyme d’Alexandre Esway, retraçant la geste héroïque du colonel Bourgoin, alias « Bouvier ». Tourné en 1946, toujours sur un scénario et des dialogues de Kessel, qui reprend le thème de son livre, le film va connaître un réel succès, qui ne sera pas sans influence sur les fixations qui vont suivre à propos de Gray. La promotion est à la mesure de l’événement avec à chaque fois de nombreux articles dans la presse locale. Le 24 janvier 1947, le journal La Liberté du Morbihan titre « La Première Mondiale du Bataillon du ciel aura lieu ce soir à l’Opéra de Paris » et informe le lendemain ses lecteurs que le colonel Bourgoin était présent dans la loge du Président de la République. Les 15 et 17 avril, le même journal consacre deux pages à la soirée de gala qui a eu lieu à Vannes. Ouest-France a fait mieux avec pas moins de neuf articles de présentation pour la soirée du 14 mars à Rennes, en présence du réalisateur. Cependant, le quotidien rennais prend ses distances par rapport aux critiques dithyrambiques de ses confrères : « Le scénario comporte quelques invraisemblances et une pénible entorse à la vérité : le capitaine Férane livré par un des siens sous les tortures. Le rôle des résistants est par trop esquissé. »

Pour ceux qui, parmi les spectateurs de l’époque, savent qui se cache derrière les pseudonymes, les images de « pâleur » ou de « lâcheté » données au personnage de Gray, alias « Véran », sont terribles. Il s’en dégage une telle impression de malaise, qu’il est permis de s’interroger sur les réelles intentions de Kessel. Ne s’agissait-il pas ainsi de masquer les impérities de son ami et héros Bourgoin ? Anéantie par les Allemands le 12 juin 1944, la base « Samwest », près de Duault dans les Côtes-du-Nord, n’aura pas tenu plus d’une semaine, obligeant le capitaine Leblond à ordonner l’évacuation et le repli de ses SAS sur la base « Dingson » à Saint-Marcel :

Major Wise was faced with a decision. Would the team continue to make its way to the Dingson SAS base, or instead stay and work with Marceau? When an operation has not worked out as planned, or the situation has changed as indeed this one had, a good leader will remember the higher commander’s intent and ajust the plan in accordance with it. Adrian Wise knew what had to be done. The Jedburghs had been formed and trained for month to carry out guerilla warfare with the maquis, not to scamper from one SAS base to another[16].

Après ce premier échec, suivi de celui de « Dingson » le 18 juin, force est en effet de constater que le plan d’intervention des SAS en Bretagne, conçu par Bourgoin, ne fut rien d’autre qu’un véritable fiasco.

Pour conclure, je suis persuadé qu’au premier plan des « invraisemblances » du film dénoncées alors par Ouest-France, invraisemblances qui sont restées gravées dans l’esprit de millions de spectateurs et ont infléchi son destin post-mortem, figure la légende d’un Gray lâche et disposé à dénoncer ses camarades.
Le temps des passions a passé. L’analyse historique des événements a montré que les choses n’étaient ni si simples ni si dégradantes pour la mémoire de cet homme. Jean Pessis, alias Gray, s’est tôt engagé pour libérer son pays, où il s’est battu en juin 1944. « Le brave sous-lieutenant Gray », (Raymond Guillard), dont le sang-froid et le courage « lui valent l’admiration de ses hommes » (citation du 19 novembre 1945), s’est fait arrêter lors d’une mission absurde. Horriblement torturé, il n’est pas prouvé, loin de là, qu’il ait indiqué où étaient cachés le colonel Bourgoin et le capitaine Marienne. Pour ma part, les pièces analysées m’inclinent à penser que non.

Kristian Hamon. 31 janvier 2017.


[1] FAT : Front Aufklärung Truppe.
[2] SD : Sicherheistdienst (Service de sûreté de la SS).
[3] Soit un total de 117 morts, et cette liste n’est pas exhaustive.
[4] Leroux, p. 517.
[5] Jean-Paul Queuille 1979.
[6] Corta p. 233.
[7] Chamming’s, p. 212.
[8] Paulin, p. 292.
[9] Paulin, p. 207.
[10] Agents du Reich en Bretagne, p. 180.
[11] Joseph Jégo. Rage, action, tourmente au Pays de Lanvaux, 1991. L’ouvrage est consultable à la Fondation de la Résistance, Paris.
[12] Guillard, p. 2
[13] D’après Jégo c’est dans la ferme de Joseph Desnos à La ville Ursule, alors que Marie Chamming’s parle de la famille Moureaux.
[14] Neuf patriotes : Robert Jourdren (27 ans), Émile Le Berre (24 ans), François Le Pavec (31 ans), Pierre Mourisset (45 ans), Maurice Penhard (20 ans), Robert Rouillé (19 ans), Claude Sendral (19 ans), dont deux inconnus, identifiés plus tard comme Paysant et Hallimbourg et cinq parachutistes SAS : Alain Calloch de Kerillis (28 ans), André Cauvin (32 ans), Louis Claustre (37 ans), Jean Fleuriot (30 ans), Jean Pessis (23 ans).

[15] Le bataillon du ciel, p. 230
[16] « Le major Wise avait une décision prendre. L’équipe allait-elle poursuivre son chemin jusqu’à la base SAS Dingson ou au contraire rester travailler avec Marceau? Quand une opération n’a pas réussi comme prévu, ou quand la situation a changé, comme c’était le cas, un bon chef se rappelle le but du haut commandement et remet le plan en accord avec lui. Adrian Wise savait ce qu’il fallait faire. Les Jedburgh avaient été formés et entraînés des mois pour mener à bien la guerre de guérilla avec le maquis, pas pour galoper d’une base SAS à l’autre. » The Jedburghs, Will Irvin.


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