Alors
que l’historiographie sur l’épuration est abondante, les études comme les
publications sur les procès des criminels de guerre allemands en France, sans
que l’on ne sache trop pourquoi, sont assez rares. Ce constat, on le retrouve
dans une intéressante communication du bulletin N° 80 (2002) de l’IHTP
« Les procès pour crimes de guerre allemands en France après la Seconde
Guerre mondiale », sujet
d’une thèse allemande de Claudia Moisel, qui précise : « Les statistiques qui
étaient jusque là disponibles concernaient principalement le nombre de crimes
de guerre, c’est-à-dire des faits établis et juridiquement qualifiables estimés
à 20 000, et le nombre de jugements par contumace, avec plus de 900 cas recensés.
» Ce chiffre de
20 000 crimes de guerre « juridiquement qualifiables » émane du
Service de recherche des crimes de guerre ennemis (SRCGE). C’est à peu près le
même nombre, 20 127 crimes de guerre, qu’avance pour la première fois
l’historien Henry Rousso en 1991, avec cet avertissement que l’action des
tribunaux militaires est encore peu connue et que ces indications restent à
vérifier. Ce chiffre du SRCGE a été établi sur la base des enquêtes menées
auprès des maires des communes concernées par les délégués régionaux du SRCGE
aussitôt après la Libération : « Le plus grand
nombre aurait été commis dans la région de Nancy (2 655) ;
suivent Lyon (1 950), Dijon (1 664), Orléans (1 606), Rouen
(1 530), Paris (1 482), Reims (1 321), Poitiers (1 113),
Limoges (900), Lille (877), Rennes (795), Angers (613), Bordeaux (600), Nice
(597), St. Quentin (537), Montpellier (409), Clermont-Ferrand (382), Marseille
(355), Strasbourg (322), Toulouse (319) et Metz (184) »
Les
auteurs de ces 20 000 crimes de guerre n’ont pas tous été retrouvés,
puisqu’en se basant sur un bilan établi en 1956 par la justice militaire,
Claudia Moisel fait état de 18 765 criminels de guerre à avoir fait
l’objet d’un ordre d’informer ou d’une citation directe, dont 16 407
auraient bénéficié d’un non-lieu. Ne resteraient donc plus que 2 358
criminels à avoir été condamnés. Au regard du nombre de crimes recensés, c’est
vraiment peu. Ce chiffre est surtout révélateur des difficultés des enquêteurs
a recueillir des preuves et de l’hésitation des tribunaux militaires à
qualifier comme crimes de guerre des assassinats de civils, suspectés d’être
des « terroristes », commis dans le cadre d’opérations menées contre
la Résistance et à l’abri de tout témoin direct. En effet, d’après le
« service central », du SRCGE probablement, cité par Claudia Moisel,
sur les 2 345 criminels de guerre jugés en France, 1 031 ont été
jugés contradictoirement (donc en leur présence), et 1 314 par contumace
(Contumax que l’on ne retrouvera évidemment jamais). Selon cette même source,
les tribunaux militaires ont prononcé 695 peines criminelles, 465 peines
correctionnelles et 377 acquittements. La peine de mort aurait donc été
prononcée un peu plus de 800 fois « Ce chiffre semble peu
important en comparaison du nombre de personnes qui se sont vues infliger la
peine de mort pendant l’épuration en France » ajoute Claudia Moisel.
En effet, d’après les statistiques les plus récentes, les Cours de justice ont
statué sur 55 532 personnes et ont prononcé 7 037 peines de mort,
soit 12,67 % des jugements. Les tribunaux militaires se seraient donc montrés
plus sévères avec 34,11 % de peines capitales prononcées. Précisons tout de
suite que ces condamnés n’ont évidemment pas tous été fusillés, contrairement à
ce qu’on peut lire sur un site internet « L’Ouest en mémoire », avec
un article signé François Lambert « L'activité des
tribunaux militaires reste très mal connue. Toutefois, ils ont condamné à mort
et fait exécuter près de 800 personnes. »
Ce
chiffre de 800 condamnations à mort annoncé par le SRCGE serait-il très
exagéré ? C’est ce que semble penser, à juste titre, Claudia Moisel qui se
réfère à des statistiques allemandes « Pourtant, en France,
la plupart des condamnations à mort sont rendues dans des procédures par
contumace. À la connaissance des services allemands, 47 personnes sont
exécutés, entre 1945 et 1951, pour avoir commis des crimes de guerre. » Les chiffres de la justice militaire lui
paraissent également plus raisonnables « Selon la justice
militaire, dans des procédures contradictoires, la peine de mort est prononcée
105 fois par les juridictions de la métropole ; 54 Allemands auraient été
exécutés suite à leur condamnation devant un tribunal militaire. » On retrouve ces 2 345 criminels
cités à plusieurs reprises « Selon les
statistiques de la justice militaire - a priori plus fiables que les
informations probablement incomplètes rassemblées par les autorités
allemandes - 2 345 personnes ont finalement été condamnées pour
crimes de guerre dont 1 314 par contumace. Une cinquantaine de personnes a
été condamnée à mort et exécutée entre 1944 et 1951. »
Entre
le chiffre de 800 peines de mort prononcées, avancé par le SRCGE, qui n’indique
pas le nombre des exécutions, et celui de 105 peines prononcées, dont une
cinquantaine d’exécutions, annoncé par la justice militaire, ou les 47
exécutions recensées par les services allemands, l’écart est trop important
pour ne pas semer le doute. Ce que relève d’ailleurs Claudia Moisel « Une étude plus
complète sur le nombre des jugements rendus pour crimes de guerre, le nombre
des affaires instruites et le nombre des personnes impliquées, n’a par contre,
à ce jour, jamais été publiée. » A
défaut se statistiques indiscutables, on ne peut que constater l’extrême
sévérité dont ont fait preuve les tribunaux militaires avec 50 % d’Allemands
condamnés à mort réellement fusillés, contre 10,9 % de Français condamnés à la
même peine par les Cours de justice.
Sur
la base d’une liste des jugements de criminels de guerre allemands en France
établie par le Tribunal Pénal International, dont Claudia Moisel n’avait
peut-être pas connaissance à l’époque où elle a rédigé sa thèse, j’ai recensé
238 procès tenus par les tribunaux militaires en France de 1945 à 1948, avec
copie des jugements. Un dépouillement systématique de toutes ces audiences
permettrait de connaître le nombre exact des criminels jugés, qui pouvait être
parfois plusieurs pour une même affaire, mais il n’y a malheureusement pas le
nombre de condamnés fusillés. Cela dépassant le cadre de cette étude,
j’ai donc limité pour l'instant mes recherches aux seuls jugements relevant du
tribunal militaire de Rennes.
Crimes de guerre en Bretagne
La
Bretagne ayant été l’une des premières régions à être libérée, les enquêtes sur
les crimes de guerre ont pu commencer rapidement, bien que les principaux
responsables, notamment les policiers du SD, soient en fuite vers l’Allemagne.
L’autre raison que j’avancerai pour expliquer cette célérité et le nombre
d’affaires résolues tient au fait que les suspects s’étaient pratiquement tous
repliés dans la nasse qu’allait devenir la poche de Lorient. En effet, après le
10 mai 1945, date de la reddition du général Fahrmbacher, il ne restait plus
aux enquêteurs qu’à identifier ces criminels parmi les milliers de prisonniers
de guerre allemands (PGA) retenus dans les camps bretons. Ceux-ci seront
ensuite transférés à Rennes, siège de la Délégation Régionale du SRCGE et du
Tribunal militaire permanent de la XIe Région militaire. Les
enquêtes ont été confiées aux inspecteurs de la 13e Brigade de
Police Judiciaire de Rennes, où ont lieu les confrontations avec les témoins.
Parmi ceux-ci, l’inspecteur François Resnais, dont j’ai pu suivre le parcours
dans le Morbihan. A la lecture de ses rapports, et compte tenu des difficultés
matérielles de l’époque, on mesure la complexité de sa tâche. Les témoignages
sont rares ou imprécis et ne permettaient pas toujours de savoir de quelles
unités allemandes – souvent composées d’éléments géorgiens ou ukrainiens –
dépendaient les criminels.
Deux
camps principaux accueillaient les PGA à Rennes : celui de Verdun (dépôt
1101) et celui de la Marne (dépôt 1102), situés tous les deux le long de la
route de Redon. Les conditions sanitaires y étaient déplorables. Un
troisième camp, annexe du dépôt 1101, était situé au lieu-dit La Motte au
Chancelier, route de Lorient. Il abritait un peu plus de 300 PGA retenus comme
témoins dans les procédures judiciaires en cours sur les crimes de guerre
commis en Bretagne. Ces témoins ne doivent pas être confondus avec les
prévenus, qui sont incarcérés à la prison Jacques Cartier. C’est le cas par
exemple d’Herbert Schaad, l’interprète du sinistre Kommando de Landerneau. Le
général Fahrmbacher, poursuivi lui aussi pour crimes de guerre – il bénéficiera
d’un non-lieu – semble avoir bénéficié d’un régime particulier puisqu’il était
interné dans un « Ilot spécial » du camp de la Marne.
Contrairement
à ce qu’annonçait
Ouest-France le 7 juillet 1945, ce n’est pas à Rennes, mais à Bordeaux le
23 février 1945 qu’a été condamné à mort le premier criminel de guerre
allemand. Par contre, il ne fait aucun doute que « Pour la première fois
en France » 6 criminels de guerre se retrouvent dans le même box des
accusés. L’événement à une portée nationale, avec des images d’actualités http://www.ina.fr/video/AFE86003180 d’un
tribunal qui prend des allures de mini-Nuremberg avant l’heure. D’après la
liste des jugements établie par le TPI, il y aurait eu 15 audiences du Tribunal
militaire permanent de Rennes, dont 5 du tribunal de Paris transféré à Rennes. 34 militaires allemands ont été jugés pour crimes de guerre.
La peine de mort a été prononcée lors des 9 procès suivants :
1) Le
12 juillet 1945 donc, s’ouvre à Rennes le procès de 6 criminels de guerre
allemands. Les faits remontent au 9 août 1944, lorsque les Allemands arrêtent 6
paysans, dont deux enfants, qu’ils accusent d’avoir guidé les chars américains
à travers un champ de mine. Ces civils n’étaient pas armés et leurs papiers
étaient en règle. Sans autre forme de procès, le capitaine de frégate Georges
Hillenbrand donne l’ordre à ses hommes de les fusiller. Ils seront tous abattus
d’une rafale de mitraillette dans le dos au lieu-dit Manébos en Lanester. Le
capitaine Hillenbrand, le caporal-chef Colbberg, l’adjudant Schietzsch, le
caporal-chef Böhl et le caporal-chef Leonhart, sont condamnés à mort puis
fusillés le 27 avril 1946 au stand de tir de Coëtlogon. Le caporal-chef
Ballspach échappe à la sentence capitale avec une peine de 20 ans de travaux
forcés.
2) Le
17 octobre 1945, c’est au tour de l’oberleutnant Karl Troschke, d’être accusé
d’avoir exécuté sans jugement un civil désarmé. Les faits remontent au 15
juillet 1944, lorsque Troschke pénètre au domicile de M. Bienvenu, qu’il
soupçonne d’avoir écouté la radio de Londres, au lieu-dit les Quatre-chemins à
Larmor-Plage. Lors de la perquisition, Troschke découvre un poste de TSF caché
à l’étage. Sans jugement, alors que le fait d’écouter une émission de radio
interdite entrainait généralement une peine de travaux forcés ou une amende
pour les cas les moins graves, Troschke abat aussitôt M. Bienvenu d’une balle
dans la nuque en présence de sa femme. Le corps est ensuite transporté de nuit
sur une charrette pour être enterré dans une fosse à Kernevel. Condamné à mort,
Troschke sera fusillé le 30 mars 1946 au stand de tir de Coëtlogon.
3) Le
30 octobre 1945, le capitaine Stiesshl, le lieutenant Kruger et le
sous-lieutenant Berr, comparaissent à leur tour pour avoir participé aux
exécutions ordonnées par Hillenbrand le 9 août à Lanester. Ces trois officiers
avaient été dénoncés lors de l’audience du 12 juillet, ce qui entraina donc
l’ouverture d’une deuxième information. Malgré un pourvoi en cassation qui sera
rejeté, les trois officiers sont condamnés à la peine de mort. Je n’ai pas la
date de leur exécution.
4) Le
28 janvier 1947, c’est l’adjudant-chef Paul Hartmann, accusé d’avoir « volontairement donné la mort à un patriote
français » qui fait face à ses juges. Les faits se passent à nouveau
devant la poche de Lorient, le 10 août 1944, lorsqu’un lieutenant allemand amène
au PC de son unité un jeune civil trouvé paraît-il en possession d’un revolver
et de cartouches. Le prisonnier est confié à l’adjudant-chef Hartmann qui
l’entraîne un peu plus loin, derrière une maison de Lorient en ruine, l’oblige
à se coucher au fond d’un trou causé par une bombe et l’exécute d’une rafale de
mitraillette dans la nuque. Condamné à la peine de mort, Hartmann sera fusillé
le 1er juillet 1947 au stand de tir de Coëtlogon.
5) Le
29 janvier 1947, l’audience reprend avec une nouvelle affaire de civil exécuté
sans jugement. Au mois d’octobre 1944, à une date inconnue, Marcel Lorans, un
jeune homme originaire de Riec-sur-Belon, se présente devant les lignes
allemandes à Guidel. Arrêté, il est conduit devant le sous-lieutenant Heikhaus,
qui commande le point d’appui. Lors de son interrogatoire, Lorans, qui parle
l’allemand, explique qu’il souhaitait rejoindre l’arsenal de Lorient où il
avait déjà travaillé pour les Allemands… Heikhaus informe son supérieur, le
capitaine Goluke, de sa capture et attend les ordres. Quelques instants plus
tard, Goluke rappelle Heikhaus et donne l’ordre de fusiller Lorans sous le
prétexte qu’il connaît désormais la position des lignes allemandes. Heickhaus
et les sergents Wiegner et Biewald, emmènent le prisonnier dans un chemin et
lui signifient qu’il va être relâché. Après avoir parcouru quelques mètres,
Biewald abat Lorans d’un coup de revolver dans la nuque. Goluke et Wiegner, qui
n’ont pu être retrouvés, sont condamnés par contumace à la peine de mort pour
le premier et 20 ans de travaux forcés pour le second. Heikhaus et Biewald
écopent chacun d’une peine de TFP.
6) Le
30 janvier 1947, c’est au tour de l’Adjudant-chef Wilhelm Bosse d’être condamné
à mort pour avoir exécuté 5 civils à Plounevez-Lochrist, le 8 août 1944. Ce
jour-là, alors qu’il repliait avec ses hommes sur Brest face à l’avance des
chars américains, Bosse essuya des coups de feu. Pensant qu’il s’agissait de
résistants locaux, en fait d’autres Allemands, Bosse stoppa sa colonne et
décida d’engager une expédition contre le village de Kernic, dont les habitants
s’étaient réfugiés dans une tranchée pour éviter les coups de feu. Des grenades
sont jetées sur ces civils sans défense et Bosse abat ceux qui tentèrent de
s’enfuir, dont un vieillard de 79 ans et un gamin de six ans. Il sera fusillé
au stand de tir de Coëtlogon le 12 août 1947.
7)
Toujours le 30 janvier 1947, cinq autres accusés sont jugés pour des incendies
volontaires commis le 7 août 1944 à Loguivy. Avant de quitter le port devant
l’avance des Américains, les Allemands incendièrent 48 bateaux de pêche et la
maison qui leur servait de cantonnement. Sur les cinq accusés, seul le
caporal-chef Schinker est présent. Il est condamné à 15 ans de travaux forcés.
Les soldats Sievert et Lutzmann sont condamnés à la même peine par contumace.
Le Lieutenant Werner qui donna l’ordre et l’Adjudant Stermann sont condamnés à
la peine de mort par contumace.
8) Le
9 mai 1947, comparaissent 6 criminels de guerre, dont le colonel Reese, qui
donna l’ordre au major Esser de fusiller une cinquantaine de patriotes au fort
de Penthièvre, le 14 juillet 1944, et l’Adjudant-chef Poërschler, qui exécuta
trois résistants à Elven le 15 juillet 1944. Compte-tenu du grade supérieur de
Reese, c’est un tribunal spécial qui a été constitué avec pas moins de 5
généraux et un colonel entourant le président. Le colonel Reese,
l’adjudant-chef Poerschler et le sergent Winkler, ce dernier par contumace,
sont condamnés à la peine de mort. Le major Esser est condamné aux TFP, le
capitaine Steinmuller à 10 ans de travaux forcés et le lieutenant Sperl à 15
ans de travaux forcés. Reese et Poerschler seront fusillés au stand de tir de
Coëtlogon le 11 octobre 1947.
9) Le
10 février 1949, le capitaine Von Maltzahn, doit répondre d’un crime de guerre
commis le 28 août 1944. Une patrouille avait arrêté un civil, Albert Le Roy, de
Larmor-Plage. Il est conduit auprès du capitaine Von Maltzahn à Ploemeur, qui
donne l’ordre de le fusiller comme espion. . Informé de cette exécution, le
général Fahrmbacher fait inculper de meurtre Von Maltzahn qui est destitué de
son commandement et interné à Port-Louis. Condamné à mort, il sera fusillé le 4
juillet 1949 au fort de Montrouge. Il semble que ce soit le dernier criminel de
guerre allemand condamné à mort à Rennes.
Hormis
les deux affaires de Loguivy et de Plounevez-Lochrist, ces crimes de guerre,
commis contre des civils qui n’avaient aucun lien avec la Résistance, ont tous
été commis dans le Morbihan, principalement autour de la poche de Lorient. Sur
les 795 crimes de guerre recensés par la délégation régionale de Rennes du SRCGE,
et sur la base de la liste du TPI, seulement 34 criminels allemands ont été
jugés. Ce qui peu paraître très peu par rapport aux 1 300 civils jugés par
les Cours de justice en Bretagne, sauf que les peines de mort ne représentent
que 13 % des jugements, soit une centaine, dont 30 % seulement seront
réellement fusillés. Il est vrai que dès l’été
1944, et avant que ne soient installées ces Cours de Justice, les maquisards
avaient déjà commencé ce que l’on appelle aujourd’hui l’épuration
« extrajudiciaire ».
L'exception bretonne
L'exception bretonne
A
défaut d’avoir eu à juger de nombreux criminels, le tribunal militaire de
Rennes s’est montré extrêmement sévère, puisque sur 34 accusés, 18 ont été
condamnés à la peine de mort (dont 4 par contumace) soit 52,9 %. 13 criminels
allemands ont donc été fusillés à Rennes. C’est un peu moins que les 19
fusillés sur les 86 condamnés à mort de la Cour de justice de Rennes. Mais la
comparaison n’est pas très pertinente dans la mesure où la Cour de Rennes a
récupéré des procès qui devaient se tenir à Vannes, Quimper ou Saint-Brieuc.
Dans cette dernière ville par exemple, à la suite des incidents lors du procès
du jeune Roger Elophe, qui a été condamné aux TFP alors que les victimes
attendaient la peine de mort et que des résistants en arme attendaient devant
le tribunal pour lui régler son compte, le juge Dauvergne décida de déplacer le
procès du tristement célèbre Maurice Zeller et sa bande, au Palais de justice
de Rennes.
Je
n’ai pas réussi à localiser précisément où se trouvait le stand de tir de
Coëtlogon, probablement entre le château éponyme et le Boulevard de Verdun. Il
semble en effet que cet édifice servait avant-guerre de stand de tir pour les
soldats de la caserne Mac-Mahon. Le seul témoignage d’une exécution en ce lieu
d'un criminel de guerre allemand est ce petit article paru dans Ouest-France, où
il apparaît que l’officier a fait preuve d’un certain cran face au
peloton : « Karl Troschke, dont
le pourvoi avait été rejeté, a été exécuté hier matin, au stand de tir de
Coëtlogon, à Rennes. Le bourreau nazi – nous devons à la vérité de le dire –
est mort courageusement. Après avoir, dans un impeccable « garde à
vous », salué militairement le peloton d’exécution que commandait
l’adjudant-chef Chauvin, du 3e train des équipages, il prononça
cette phrase, dans laquelle il laissait deviner le fanatisme criminel qui fit
de lui un assassin : « Je meurs pour que l’Allemagne vive… » A
6h45, justice était faite. »
Ajouté le 1er juin
Tribunaux
|
Nbr de procès
|
Nbr de criminels
|
Nbr de peines de mort
|
%
|
Angers
|
4
|
5
|
1
|
20 %
|
Bordeaux
|
12
|
26
|
7
|
26,9 %
|
Clermont-Ferrand
|
5
|
10
|
4
|
40 %
|
Dijon
|
7
|
11
|
3
|
27,2 %
|
Lille
|
2
|
2
|
0
|
|
Lyon
|
30
|
63
|
18
|
28,5 %
|
Marseille
|
6
|
7
|
6
|
85,7 %
|
Metz
|
102
|
132
|
7
|
5,3 %
|
Montpellier
|
2
|
2
|
0
|
|
Nancy
|
12
|
14
|
1
|
7,1 %
|
Paris
|
15
|
17
|
1
|
5,8 %
|
Rennes
|
10
|
31
|
17
|
54,8 %
|
Strasbourg
|
11
|
26
|
10
|
38,4 %
|
Toulouse
|
19
|
32
|
9
|
28,1 %
|
Tunis
|
1
|
1
|
0
|
|
Total
|
238
|
379
|
84
|
Ce tableau a été réalisé sur la
base des 238 procès pour crimes de guerre inscrits sur la liste dressée par le
TPI (1945 à 1948). Il faudrait pouvoir la recouper avec d’autres sources pour
en garantir l’exhaustivité. Cependant, avec 379 criminels de guerre jugés, il
est possible de se faire une idée assez précise de la réalité des peines
prononcées par les tribunaux militaires français : 84 accusés ont été condamnés
à la peine de mort, soit 22 % (dont 16 par contumace), 25 accusés aux TFP, 76
aux TFT, 143 à des peines d’emprisonnement, et 53 ont été acquittés. Nous
sommes donc très éloignés des chiffres cités par Claudia Moisel. Ces résultats
appellent cependant quelques remarques. Le tribunal de Marseille tout d’abord, avec
85,7 % de condamnés à mort pour 6 procès. Il s’agit en effet de la même affaire
de quelques militaires allemands et de « prévenus civils de nationalité
italienne » jugés pour « association de malfaiteurs ». Ces
civils, dont une femme de 32 ans, dite « Maguy », originaire de
Monaco, traduits devant un tribunal normalement destiné aux seuls militaires,
étaient en fait des agents de la Gestapo de Marseille.
Lorsque l’on évoque les procès pour crimes de
guerre allemands, nous viennent immédiatement à l’esprit les images du procès
de Nuremberg, celles de la Shoah, mais aussi des femmes et des enfants exécutés dans
l’église d’Oradour ou bien encore des pendus de Tulle. On a du mal à imaginer
qu’un vol de lapins ou de vélos puissent être qualifié comme crime de guerre
dès lors qu’il a été commis par un militaire, comme le stipule avec un certain
flou la Charte de Londres de 1945 « Les
violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans
y être limitées, l'assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour
des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations civiles dans les
territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de
guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens
publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la
dévastation que ne justifient pas les exigences militaires. » C’est
pourtant ce qui explique le chiffre étonnant des 102 audiences du tribunal de
Metz. En effet, sur les 132 condamnations prononcées, une bonne centaine
d’entre-elles sont de simples peines d’emprisonnement pour des vols de chevaux,
de bicyclettes, de victuailles de toutes sortes ou d’objets divers, dont les coupables, des PGA, ont été retrouvés. Le tribunal
au grand complet a ainsi condamné à 15 jours de prison un criminel allemand pour
un vol de vaisselle. Par contre, rien de tel par pour les tribunaux de Lyon et de
Rennes avec respectivement 18 et 17 peines de mort prononcées. Mais, avec deux
fois moins de criminels jugés que dans la capitale des Gaules, celui de Rennes
a fait preuve d’une exceptionnelle sévérité avec 54,8 % des accusés condamnés à
la peine capitale. Cette exception bretonne nécessiterait peut-être une
réflexion un peu plus approfondie.
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