Ouest France 5-6 août 2017 |
21 janvier 1944 |
La Maltière
La première condamnation à mort, prononcée le 12
septembre 1940 par le tribunal militaire de la Feldkommandantur de Rennes (FK
748), est celle de Marcel Brossier, fusillé le 17 septembre à la
Maltière. L’exécution sera suivie d’un communiqué paru dans L’Ouest-Éclair et d’une affiche apposée sur les murs de la
ville. Le délai peut être parfois plus long entre le jugement et l’exécution de
la sentence. Roger Barbé, deuxième résistant fusillé à la Maltière, qui avait
été condamné à mort le 12 avril 1941, ne sera exécuté que le 4 octobre 1941. François
Claverie, arrêté le 11 juin 1942, sera fusillé le 23 juin, et Marcel Boschet, arrêté
le 11 juillet 1942, sera fusillé le 11 août. Tous les quatre ont été
inhumés au cimetière de l’Est.
Le 30 décembre 1942, les Allemands procèdent à la première
exécution collective de 25 résistants d’Ille-et-Vilaine à la
Maltière. La population avait été informée puisque le procès et le verdict
avaient fait l’objet d’un article en une de L’Ouest-Éclair
daté des 26 et 27 décembre. Faisant suite à celles de Châteaubriant du 22 octobre, ces
exécutions ont un réel retentissement dans le département. Des prisonniers de guerre coloniaux
avaient été requis par les Allemands pour creuser les tombes au
cimetière de Saint-Jacques-de-la-Lande, mais aucun cercueil n’avait été prévu.
Ce qui provoqua une rébellion, ceux-ci refusant d’enterrer ces hommes
« comme des chiens ». Il faudra faire fabriquer des
cercueils précaires. Lorsque le convoi transportant les corps entra dans le
bourg de Saint-Jacques, il ne faisait plus aucun doute pour les témoins et riverains du cimetière que ces hommes avaient
été fusillés à la Maltière. Tout au long de l’Occupation, malgré
l’interdiction, des familles et patriotes viendront discrètement fleurir les
tombes des résistants. Sur la liste de la Feldkommandantur reçue par la mairie de Rennes, on peut constater qu'au mois de janvier 1945, quatorze corps ont été réinhumés au
cimetière de l’Est.
Archives de Rennes 119W7 |
Archives de Rennes 119W7 |
Alors que la Résistance accentue sa lutte, avec la création des premiers maquis bretons, on ne relève aucune exécution à Rennes en 1943. C’est à partir du mois de mars 1944 qu’elles vont reprendre, toujours à la Maltière, mais avec une exception de taille : celles de la caserne du Colombier.
- Le 12 mars 1944, trois résistants sont fusillés à
la Maltière. Deux d’entre eux : Jean Le Floch et Yves Manach, faisaient
partie d’un maquis de Spézet (29) venu s’installer sur la commune de Plévin (22).
Arrêtés à l’issue d’une rafle menée le 26 janvier 1944, les deux hommes ont été
inculpés pour le meurtre de deux agriculteurs venus porter secours à des
fermiers voisins attaqués par des membres de ce maquis dont les méthodes
d’action n’étaient pas approuvées par les chefs FTP locaux. Dans ces conditions
on comprend que leurs noms ne figurent sur aucun monument. On ne sait pas quel
fût le rôle d’Yves Page dans cette sombre histoire.
Ces résistants ayant été
arrêtés lors d'une opération menée par la police de Vichy, cette affaire relève de la Cour martiale
française de Rennes. Dans ce cas de figure, ce sont donc des gendarmes français
qui doivent procéder aux exécutions, avec les problèmes de conscience que l'on devine chez certains militaires. Ce qui ne semble pas être le cas de cet adjudant-chef comme le démontre le document
ci-joint. Les trois résistants ont été inhumés au cimetière de l’Est.
Archives de Rennes. Fonds Foulon CDL 35 |
- Le 31 mai 1944, selon la version couramment
admise www.cndp.fr/crdp-rennes/crdp/crdp_dossiers/dossiers/lireville/1annee (Plaquette réalisée par la Mairie de Saint-Jacques) ce sont dix résistants originaires des Côtes-du-Nord qui sont fusillés à
la Maltière. Ces hommes avaient été libérés de la prison de Dinan dans la nuit
du 11 au 12 avril, à la suite d’un coup de main audacieux des FTP de Louis
Pétri. Cependant, un problème se pose à propos du résistant Jean Garnier, qui
figure parmi ces dix fusillés. En effet, un article, paru le 28 mai 2014 dans
le l’hebdomadaire Le Petit Bleu,
revient sur les circonstances de ces arrestations, mais ne cite pas Jean
Garnier « Dénoncés,
neuf patriotes étaient rapidement arrêtés.
Parmi eux Jean-Baptiste Brault,
Marcel Blanchard du Hinglé, Francis Lafranche, Hyppolyte Thomas de Bobital.
Tous les quatre travaillaient aux carrières Rioche. Henri Laplanche, dinannais,
est arrêté le 8 mai 1944. Charles Maillard, trévronnais, est arrêté le 4 mai ;
Louis Hesry, dinannais, chef de groupe de la Résistance, René Fayon, dinannais,
Jean Perquis sont aussi arrêtés. Ils seront tous les neuf transférés à Rennes,
torturés et fusillés le 31 mai 1944. Des obsèques nationales auront lieu à
Dinan le lundi 18 septembre 1944. »
Le peuple des Carrières, éditions Apogée, 2011 |
Archives de Rennes 119W7 |
J’ai aussi constaté que Jean Garnier ne figure pas sur
la liste des entrées du registre d’écrou de la prison Jacques Cartier en date
du 16 mai 1944, alors que l’on trouve un Jean Cornier. Y aurait-il eu une
confusion à la suite d’une erreur de retranscription manuscrite ? Quoi
qu’il en soit, la liste établie par la Feldkommandantur 748, adressée au
cabinet du préfet puis transmise à la mairie de Rennes le 25 juin 1944, comporte bien neuf noms, plus celui d'un certain Louis Bodeur qui est rayé. Jean Garnier n’a pas disparu pour autant,
puisqu’on le retrouvera sur la liste des fusillés du 30 juin. C’est également
cette date qui figure sur son acte de décès de la commune du Hinglé (Jugement déclaratif
de décès rendu par le Tribunal civil de Rennes le 14 février 1945). Il est également indiqué sur cette liste que cinq fusillés ont été inhumé au cimetière de l’Est, les quatre autres au cimetière du Nord. Les corps seront exhumés le 16 septembre 1944 et Jean Garnier ne figure pas parmi les PV d'exhumation.
Registre des inhumations du cimetière de l'Est |
ADIV |
Archives de Rennes 119W7 |
particulier puisqu'il est le seul fusillé n'ayant pas été jugé et condamné par le tribunal de la Feldkommandantur 748, ce qui explique probablement pourquoi il ne figure pas sur la liste adressée au préfet de Rennes. Pourtant, et l'attestation du 10 juillet 1944 de la Feldkommandantur 665 en fait foi, Bodeur a bien été fusillé le 23 juin. D'après la notice que lui consacre le Maitron, il avait été blessé lors de son arrestation à Pleumeur-Gautier (22) puis transféré le 7 juin sur un brancard à la maison d'arrêt de Rennes, pour être ensuite fusillé à la Maltière. Son nom n'apparaît pas sur le registre d'écrou de la prison Jacques Cartier, pas plus que sur le monument de la Maltière. Concernant Claude Chollet, dont le nom figure sur le monument de la Maltière, il a bien été exécuté avec le résistant Charles Lehmann le 23 juin, mais à Loyat (56). Leur forfait accompli, les Allemands vont pendre les corps des deux homme pendant 24 heures à un pylône électrique. Il n'y a que quatre PV d'exhumation aux Archives de Rennes : Guillermic (tombe N°219), Nogre (tombe N°216), Peigne (tombe N°218), Touboulic (tombe N°217), exhumés au cimetière du Nord le 18 septembre 1944. Il n'y a pas de PV d'exhumation pour les cinq autres. Notons que Louis Bodeur était originaire de Lézardrieux, trois autres fusillés : Marcel Le Guillermic, Paul Nogré et Maurice Peigné, de Loc-Envel. Est-ce une coïncidence ? René-Yves Hervé, alias « Marcel » au Bezen Perrot, un des plus redoutables agents du SD de Rennes, était lui aussi originaire de Lézardrieux. Sa femme, Mathilde Le Gall, également agent du SD de Rennes, née à Loc-Envel, était la fille du garde-chasse de Lady Mond, dont le château est situé sur les deux communes de Belle-Isle-en-Terre et de Loc-Envel. En 1941, ce couple avait infiltré puis dénoncé aux Allemands le groupe Gallais de Fougères. Mathilde Le Gall a été formellement reconnue en compagnie de soldats allemands lors d'arrestations effectuées début 1944 par le SD de Saint-Brieuc.
Archives de Rennes 119W7 |
L'intention première des Allemands était-elle d'inhumer les fusillés au cimetière de l'Est ? Il y a tout lieu de le croire puisque sur le registre du cimetière, à la date du 28 juin, donc la veille du jugement, 19 emplacements étaient prévus avec les mêmes numéros que ceux indiquant leur inhumation au cimetière de Saint-Jacques. Il faut également noter que ces fusillés sont inscrits sur le registre des décès de Saint-Jacques.
Archives de Rennes 119W7 |
- 1er rapport des gendarmes, arrivés sur place le 21
juillet 1944, dans la matinée :
« Dans un fossé en bordure d’une prairie, exploitée par M.
Chevalier au Bois-Tilleul, en Saint-Jacques-de-la-Lande, nous remarquons un
pied chaussé d’une espadrille et un bras vêtu de coton noir au dessus du sol, le
reste du ou des corps était recouvert de terre rabattue du talus et de la
bordure du fossé. Aucune trace n’est visible aux alentours, le sol étant
recouvert d’herbe. Cependant, à 10 mètres environ, il existe une petite
excavation creusée à l’aide d’un outil et paraissant avoir été faite
vraisemblablement pour appuyer les pieds d’une arme automatique.
Le terrain où reposent le ou les cadavres étant voisin d’un
champ où se trouvent plusieurs tombes faites par l’autorité allemande, nous n’avons
pas poussé plus loin nos recherches sans prévenir l’autorité d’occupation (la
Feldgendarmerie et la SD). Par la suite un officier de la Standort-Kommandantur
a été dépêché pour se rendre sur les lieux et, en notre présence, il a déclaré
qu’il ne s’agissait pas d’exécutions faites par les Allemands et qu’il se
désintéressait de l’affaire. Néanmoins, après avoir enlevé un peu de terre en
présence de cet officier, nous avons constaté la présence d’au moins quatre
corps. »
- 2e rapport du juge d’instruction qui procède à l’exhumation
le 22 juillet :
« Nous examinons la sépulture qui nous est indiquée. Nous
constatons qu’elle est faite de façon rudimentaire, les cadavres n’ayant été
recouverts que de mottes de terre et d’herbe arrachée au talus de la bordure du
champ. Un bras émerge, de même on voit un pied chaussé dans la direction de l’Est,
et un pied déchaussé dans la direction de l’Ouest. Un chausson en bon état et
de couleur marron est à proximité de la fosse sur l’herbe du pré. Nous ordonnons
de déterrer les cadavres. Deux hommes spécialement requis procèdent à ces
opérations, il apparait alors que les cadavres ne sont recouverts que d’une
épaisseur d’une vingtaine de centimètres de mottes de terre et d’herbe. Six
cadavres sont ainsi retirés. »
- 3e rapport daté du 23 juillet du commandant de
gendarmerie au Commissaire du Gouvernement :
« Le 22 juillet 1944, six cadavres d’hommes, jetés pêle-mêle
dans une fosse profonde de quelques centimètres, ont été mis à jour à Saint-Jacques-de-la-Lande,
dans une prairie au lieu-dit « Le Bois-Tilleul », voisin de la
poudrière.
La mort remonte à quelques jours. Cinq des victimes ont été
tuées par balle dans la nuque, la sixième par strangulation. Le médecin légiste
a découvert sur tous les corps des ecchymoses et des traces de violence. Aucune
identification n’a été possible. Rien n’a encore été découvert qui permette de
faire la lumière sur cette exécution. »
Extraits (sans date) de l’enquête du commissaire de police :
« A l’aide des signalements relevés et des morceaux de vêtements prélevés,
ces six cadavres ont pu être identifiés par les fonctionnaires de notre service
qui avaient procédé à leur arrestation le 21 juillet 1944 à Bais. Ces individus
dont les noms suivent étaient détenus, depuis le jour de leur arrestation, à la
Milice Française. »
Ce commissaire se trompe de date puisque ces hommes ont été
arrêtés le 16 juillet et livrés par ce même service aux miliciens. D’après le
médecin légiste, Roger Bruchet a été affreusement torturé. Il n’y a aucune trace
de balle car il est mort par strangulation ou pendaison.
Les exécutions du 8
juin 1944 au Colombier
Ces exécutions sont parmi les plus importantes effectuées cette année là en Bretagne. Issus de tous les départements bretons, sans avoir forcément de liens entre eux, 32 résistants, dont neuf républicains espagnols, avaient été condamnés à mort le 7 juin par le Tribunal militaire allemand puis fusillés le lendemain matin à la caserne du Colombier. Voilà pour les faits. D'après un rapport du 5 décembre1949, rédigé par le commissaire de police Marcel Henaut sur les crimes de guerre commis par les Allemands à Rennes, il semble que la décision de fusiller ces résistants était déjà prise avant leur procès « Les exécutions du 8 juin 1944 où furent exécutés les patriotes précédemment cités, faisaient suite à un jugement du 7 juin 1944. OR, d'après une déclaration formelle de M. Morel, chargé du service des cimetières de Rennes, un ordre de réquisition avait été envoyé dès le 5 juin 1944 à la mairie de Rennes, pour qu'une fosse devant contenir 32 corps soit creusée à la caserne du Colombier où furent effectivement fusillés et enterrés les 32 condamnés du 7 juin 1944. Dans de telles conditions, il est permis de penser qu'il n'y a jamais eu de jugement et il est probable que les condamnés ont été informés du sort qu'il leur était réservé,par le SD et en l'absence de tribunal. Le fait que le jugement aurait été rendu au siège même de la Gestapo confirme cette hypothèse. D'après le témoignage de Georges Morel, les calculs avaient été faits pour une fosse devant contenir 32 cercueils. Les travaux ont été commencés le 6 dans l'après-midi et terminés le 7 au soir. Les exécutions ont eu lieu le 8 au matin. » Les déclarations de ce M. Morel, doivent être prises avec une certaine prudence. Révoqué de son poste à la Libération, il a été l'objet d'une enquête effectuée par le CDL 35 « Mis au courant des motifs exacts pour lesquels les Allemands voulaient creuser une fosse au Colombier le 5 juin 1944, il 'en a pas averti les ouvriers municipaux, qui cependant désiraient ne pas travailler pour l'ennemi. Mieux encore, il leur a caché volontairement le motif (Il savait qu'on allait fusiller 40 patriotes). Et il a fait pression sur eux car ils ne voulaient pas travailler. » Quoi qu'il en soit, il ne fait aucun doute que les préparatifs d'inhumation des fusillés étaient déjà mis en place avant leur procès. Il suffit de consulter le registre des inhumations du cimetière de l'Est pour constater qu'à la date du 6 juin, les entrées étaient déjà inscrites sur le registre des inhumations du cimetière de l'Est sous les numéros 836 à 866, ce qui correspond à 31 cercueils. L'agent municipal de service ce jour là aurait-il sauté une ligne ? Registre des inhumations du cimetière de l'Est |
ADIV 1322W15 |
C'est le 14 juin que la Feldkommandantur informe officiellement le cabinet du préfet de ces exécutions effectuées « près de Rennes », le lieu n'est pas précisé, avec la liste nominative des 32 fusillés. C'est au préfet de prévenir les maires des communes où résidaient les fusillés afin qu'ils s'occupent des formalités administratives (actes de décès) et informent les familles ou les proches s'il y en a. Or, sur la liste de la Feldkommandantur, on constate qu'il n'y a que trois fusillés domiciliés à
Archives de Rennes 119W7 |
ADIV 234W46 |
ADIV 234W46 |
L'imbroglio Flores Cano
ADIV 234W46 |
ADIV 134W42 |
Archives de Rennes 119W13 |
Au total donc, si l'on ne considère que les seuls cas attestés par les archives : 32 condamnés à mort par les tribunaux allemands et français ont été fusillés à la caserne du Colombier et 70 à la Maltière (Y compris ceux du mois de mars dont les noms ne figurent pas sur le monument). Il convient également d'ajouter les six exécutions extra-judiciaires effectuées par la Milice et dont les corps ont été retrouvés le 21 juillet 1944.
Parmi les 79 noms de résistants qui figurent sur cette plaque du site de la Maltière, on relève quelques invraisemblances : Pedro Flores "Garco", Montori-Roméo et Le Champion ont été fusillés au Colombier et Robert Chevrier à Rouen. La question se pose aussi pour André Huet, qui a été abattu par la Milice à Fougères, où alors il s'agit d'un homonyme, et Alexis Corbel sur lequel nous ne disposons d'aucune information.
Pour plus d'informations sur les notices individuelles des fusillés, consultez ce site : http://memoiredeguerre.pagesperso-orange.fr/ Je remercie pour leur aide Nathalie Bidan, responsable du Patrimoine Funéraire Rennais, Cécile Michel et Virginie Suzzarini, des Archives de Rennes.
Exhumation Flores Cano. Archives de Rennes 119W13 |
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimer