Ainsi que je l’avais annoncé,
j’ai entrepris d’identifier les personnages créés par Louis Guilloux dans
quelques-uns de ses romans faisant référence à la Bretagne des années 30 et
40 : Le Jeu de patience, Les
Batailles perdues, Le pain des rêves, Carnets, et deux manuscrits
inédits : Les Gens du château, Les
autonomistes. Il m’est apparu en effet que l’écrivain s’était inspiré de
nombreux nationalistes bretons présents dans son entourage. Si certains sont
facilement reconnaissables, d’autres le sont moins. Guilloux me donne beaucoup
de fil à retordre lorsque, par exemple, il fait un mix de deux, voire trois
nationalistes bretons pour créer le personnage d’Abgrall dans Les Batailles
perdues, pour ne citer que celui-là. Ces personnages, finalement pas si
fictifs que cela, révèlent un réel intérêt de Guilloux pour la cause bretonne. A
cet effet, il a rassemblé une documentation passionnante sur la Bretagne en
général et le mouvement breton en particulier. Alors que je consultais les
archives de l’écrivain à la bibliothèque de Saint-Brieuc, sous la houlette bienveillante
de mon ancien camarade d’université Arnaud
Flici, mon attention fut attirée par un document dactylographié de 10 pages
intitulé « LE RACISME BRETON. Ce qu’il faut en penser d’après M. Abel
Durand L’Ouest-Éclair, 6 septembre
1938. » Il s’agissait de la retranscription fidèle d’un article paru
uniquement dans l’édition de Nantes de L’Ouest-Éclair,
daté du 6 septembre 1938.
Abel Durand (1879-1975), adjoint
au maire de Nantes, réagit en fait à un autre article, où il est mis en cause, paru
dans le N° 13 de la revue bretonne STUR,
dirigée par Olier Mordrel. Cet article de STUR,
qu’il n’est pas possible de citer en entier, est précédé d’un éditorial
intitulé :
La
fin d’un vieux dualisme
« Parmi ceux qui, à un titre
quelconque, se sont souciés du relèvement de ce pays, deux conceptions se sont
toujours opposés et il n’est pas dit qu’elles n’aient pas laissé de traces dans
nos rangs : celle de la Bretagne-Région
économique et celle de la Bretagne-Ame
nationale. Pour M. le Marquis de l’Estourbeillon, la défense de la Bretagne
se situait sur le même plan que celui de la virginité d’une adolescente. Il
s’agissait de faire reculer le monde matériel, dont les brutales exigences ne
pouvaient que souiller cette pureté. Aucun compromis n’était possible entre
l’homme d’affaire et le patriote, l’homme qui fait du pain et l’homme qui fait
des songes. Les Bretons qui étaient imbus de cette manière de voir se voilaient
la face devant une station de chemin de fer et l’idée ne leur serait pas venue
de lier organiquement l’idée bretonne à un programme d’activité économique se
justifiant par lui-même. S’il leur arrivait, en effet, d’ajouter à leur
programme de défense des us et coutumes, une liste de revendications
économiques, ce n’était là qu’un trompe l’œil, une concession à l’esprit du
siècle. Seules les revendications économiques à caractère conservateur étaient
retenues, d’ailleurs à peine énumérées. Les autres, celles qui avaient
l’ambition d’apporter du nouveau, étaient rejetées comme attentatoires à l’âme
et à l’intégralité de la Bretagne.
Le meilleur exemple qui peut être
fourni de ces dernières est la doctrine « nantaise » de M. Abel
Durand. En face du vieux Marquis, M. Durand jouait les avocats du diable. Les
mots « d’amour » ou de « fidélité » lui faisaient hausser
les épaules. Il remuait des statistiques, jonglait avec des chiffres, parlait
tarifs et pensait kilomètres. Il n’existait pas de « Bretagne », mais
une « région nantaise » que l’impérialisme économique de son
chevalier servant étendait jusqu’à Tours et jusqu’à Quimper. Rennes était
laissée pour compte. Nous étions horrifiés par une aussi abominable
impiété : M. Abel Durand était à nos yeux l’erreur et le crime
personnifiés.
Pourtant M. Durand avait aussi en
partie raison, car il exprimait un aspect de la vie et la vie n’a jamais
tort : elle nous enferme et se referme sur nous comme la paume de la main
sur un frêle oiseau. Nous ne pouvons rien penser, rien vouloir, rien tenter de
sain, sans respecter ses lois impérissables. L’opposition Estourbeillon-Durand,
c’était encore le vieux dualisme Spiritualisme-Matérialisme, robuste legs du
XIXe siècle. Lutte entre deux visions systématiques et fragmentaires
de la vie, lutte entre deux méprises. »
La Route Vers nous-mêmes
« Des
études précédentes qu’on a lues dans cette revue, ont commencé l’esquisse de ce
que peut être un racisme-breton, c’est-à-dire la doctrine de la préservation et
de l’épanouissement de tout ce que notre sang breton véhicule de nécessités et de possibilités. Elles ont fait justice des assimilations arbitraires
et hâtives que certains critiques superficiels s’étaient empressés d’établir
entre notre pensée, éclose de l’expérience de notre peuple, et des doctrines
étrangères les plus contestables.
Nous
voulons aujourd’hui préciser quelques-unes de voies par lesquelles il nous
semble que nous pourrons mieux nous révéler à nous-mêmes et en même temps nous
débarrasser de l’emprise mortelle de l’académisme latin. Nous voyons les
dangers que font courir au génie celtique l’envahissement de la civilisation
mécanisée ; nous n’ignorons pas non plus quelle responsabilité ont les
affairistes et intellectuels de race juive dans le développement catastrophique
de ses positions matérialistes. Mais il n’en est pas moins vrai que sur le plan
précis de la culture intellectuelle, c’est le latinisme qui reste le grand
ennemi. C’est lui seul, qui depuis deux mille ans, a sapé, puis étouffé la
société celtique, ses arts, ses aspirations et ses manières de vivre. C’est lui
qu’il faut éliminer, avant d’espérer pouvoir nous retrouver et nous
réaliser. »
L’auteur
Katuvolkos, pseudonyme de Roger
Hervé, développe ensuite plusieurs thèmes : Langue, Art, Religion, Droit,
Armée. Dans le domaine des arts, le folklore, les danses bretonnes ou l’architecture
sont bien abordés, mais pas la musique.
Le
numéro suivant de STUR (14-15) s’ouvre
avec un édito de 10 pages sur la décadence de la France :
D’UN VIEUX MONDE
« Il
y a quelques vingt ans, si nous avons bonne mémoire, parut en Bretagne un livre
portant ce titre. Le « Vieux Monde » c’était, dans l’esprit de son
auteur, le peuple breton, dont Alphonse de Châteaubriant mieux inspiré, a dit
depuis qu’il était un « peuple-eau-de-source » (…) La race qui
disparaît, c’est la France qui appelle nos fils pour labourer sa terre et
peupler ses chantiers. C’est la France qui ne sait plus vouloir, ni lutter.
C’est elle qui cesse d’être. C’est elle le « vieux monde »
Le responsable de tout
cela ? Le Juif évidemment :
« La
finance, c’est-à-dire le monde juif international, mène le bal. (C’est une
banalité que de le dire, mais il est banal aussi de dire que le cyanure est un
poison.) Elle est servie, sans une velléité de révolte, par les politiciens du
régime, dont la fonction essentielle semble être de détourner l’attention du
public par un jeu savant de marionnettes, tandis que le travail sérieux se fait
dans la coulisse. C’est une caractéristique de la France moderne que d’être
tombée entre les mains de cet assemblage d’affairistes de la politique et de
politiciens d’affaires, passés maîtres dans l’art de triturer la foule anonyme
des villes, abrutie à souhait par la presse à scandales, l’alcool au pas de la
porte, le cinéma à sensations et la pornographie sous toutes ses formes,
devenus pour eux des moyens d’action normaux et intangibles. Cette foule qui
n’a plus de patrie, parce qu’elle n’a plus ni terre natale, ni ancêtres, ni
traditions, a toutes leurs faveurs. »
C’est à
la page 58, dans la rubrique NOS DISQUES, que cette question d’une musique
bretonne abâtardie, pour ne pas dire dégénérée, fait l’objet d’un article
exhortant les sonneurs bretons, dans une perspective nationaliste, à
s’inspirer des pipe-bands écossais, à l'allure quand même plus martiale et virile que ces couples de sonneurs traditionnels biniou-bombarde, coureurs de jupons un peu trop portés sur le chouchen :
L'Ouest-Eclair 24 juillet 1943 |
Bag-pipes écossais
Quels
points de comparaison pour nous aider à décanter notre stock musical breton, où
surtout depuis deux siècles tant d’impuretés se sont glissées ! Rien de
mieux, pour commencer, que d’entendre quelques marches écossaises. Elles
sentent la lande, comme les marches françaises sentent la route poudreuse et
les marches allemandes la cour de Potsdam. Rien n’est plus varié que les
marches écossaises, dans le rythme comme dans le sentiment. Le bruit de la mer,
le grondement de l’orage, le chant des oiseaux, le hennissement des coursiers
de batailles s’y font entendre tour à tour. Le beuglement toujours égal et
continu des bourdons est très heureusement scandé par un jeu de tambour très
étudié et d’une cadence fort savante. La première impression est un peu celle
d’un tam-tam d’hommes blancs, qui produit un espèce d’envoûtement. Musique
religieuse, musique de guerre sauvage et douce à la fois, musique de chez nous
(…) Que ceci, de même que les disques de chants celtiques en anglais ou en
français, nous fasse sauter aux yeux l’importance et la nécessité d’une
profonde et intransigeante culture celtique chez ceux qui prétendent refaire
une Bretagne. »
A. C.
Ces
initiales « ap Calvez » sont celles d’un des nombreux pseudonymes
d’Olier Mordrel. Son analyse est intéressante car les idées qu’il développe
préfigurent déjà ce qu’il adviendra de la Kenvreuriezh ar
Viniaouerien,
créée en 1932, et qui va devenir la Bodadeg
ar Sonerion en 1943, sous l’impulsion d’un certain… Polig Monjarret.
Cette photo de Polig Monjarret et Youenn Gwernig pour illustrer mon propos. Le grand Youenn joue du biniou bras construit par Dorig Le Voyer, qui n'est qu'une pale copie intégrale du bag pipe écossais. Youenn joue donc de la mauvaise cornemuse écossaise. Les bons sonneurs de biniou bras vont donc en arriver à acheter leurs cornemuses en Ecosse et finir par jouer de la musique... écossaise.
Polig Monjarret et Youenn Gwernig. Collection privée |
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