mercredi 8 février 2017

Louis Guilloux et la cause bretonne



Bien qu’ayant quasiment tout lu, je n’aurai pas l’outrecuidance de prétendre être en mesure de cerner l’écrivain Guilloux, qui fait toujours l’objet de nombreuses publications. Le dernier ouvrage, mais non le moindre, étant Louis Guilloux politique, publié par les PUR (2016) sous la direction de Jean-Baptiste Legavre. C’est le chapitre intitulé « La tentation autonomiste dans l’œuvre de Louis Guilloux », rédigé par Arnaud Flici et Jean-Baptiste Legavre, qui sera mon fil conducteur.
En effet, les Breiz Atao, ne sont jamais bien loin dans l’œuvre de Louis Guilloux.  S'ils apparaissent de façon récurrente, mais de manière inégale, dans plusieurs de ses romans : Le Pain des rêves, Le Jeu de patience, Les Batailles perdues, Carnets 1921-1944, c’est surtout dans les manuscrits inédits de deux projets inaboutis : Les Gens du château et L’Autonomiste, qu’ils prennent toute leur place. Au point que l’on a pu déceler chez l’auteur une certaine « tentation autonomiste ». S’il ne fait aucun doute que Guilloux, à l’instar d’un Marcel Cachin, avait une réelle inclination pour la cause bretonne avant-guerre, il était trop au fait de la chose politique pour ne pas s’apercevoir que les Breiz Atao, que l’auteur fait souvent évoluer autour des châteaux et des presbytères, étaient totalement coupés de la population. Les relations qu’entretenait Guilloux avec certains « autonomistes » : le celtisant Fanch Éliès (Abeozen), et le poète dilettante Roland de Coatgoureden, étaient surtout d’ordre affectif et ne semblent pas avoir dépassé le cadre de Saint-Brieuc. Cette facette de la personnalité de Guilloux, parfois occultée par ses exégètes, ne sera cependant pas exempte d’ambiguïté sous l’Occupation avec la publication de quelques articles – il fallait bien faire bouillir la marmite – dans le journal La Bretagne de Fouéré. Il rompra d’ailleurs très vite avec Éliès, lorsque celui-ci rejoindra Roparz Hemon au poste de Radio-Rennes. Cet aspect peu connu de l’écrivain étant très bien expliqué dans Louis Guilloux politique, je ne m’étendrai pas davantage. Yannick Pelletier, dans son livre Des Ténèbres à l’Espoir, avait déjà constaté que Guilloux « N’était pas insensible au sort ignominieux auquel l’État a longtemps condamné la langue bretonne. » Cette prise de conscience, Guilloux l’exprimera à nouveau dans son recueil de nouvelles, Vingt ans ma belle âge, au travers du personnage d’un certain
Le Bihan « Qui était né dans un hameau où on ne parlait que le breton. Il ne savait pas le français du tout. Le peu qu’il en avait appris à l’école, il l’avait oublié entièrement. Il était donc aussi ignorant qu’on peut l’être, ce qui ne fût pas arrivé si on l’avait instruit dans sa langue. Il le disait, et ne comprenait pas pourquoi on ne l’avait pas fait, puisque l’institutrice, bretonne comme lui, savait naturellement le breton. Mais il était interdit à l’institutrice de parler le breton à l’école. » Blessé par une balle à la main droite alors qu’il montait au front, Le Bihan se voit donner l’ordre par son capitaine de retourner au poste de secours le plus proche. « Rien ne ressemble tant à un aveugle qu’un homme qui ignore la langue du pays où il se trouve », écrit Guilloux. Incapable de s’expliquer en français à l’officier qui l’interroge, Bihan est aussitôt accusé de « blessure volontaire à la main droite ». Considéré comme déserteur il sera fusillé pour l’exemple. Guilloux s’est inspiré d’un fait réel, qu’il reprendra dans Carnets (p. 104).
A la manière d’un Balzac, Guilloux attache une grande importance à la documentation et est passé maître dans l’utilisation de faits réels, qui sont relatés avec sens du détail saisissant. La description des événements du 3 juillet 1940 à Pontivy en est un parfait exemple. Le narrateur n’apparait pas comme un observateur extérieur aux événements, il est bel et bien plongé dans la manifestation. Pour composer ses personnages, Guilloux s’est toujours inspiré de figures plus ou moins connues de son entourage et va puiser dans toute une galerie de figures singulières du mouvement breton. Cette façon qu’avait Guilloux de jouer avec ses personnages ayant excité ma curiosité, j’ai voulu savoir qui se cachait derrière ces « autonomistes » cités par Flici et Legavre. L’affaire va s’avérer plus compliquée que prévu car Guilloux se joue des identités, y compris de la sienne, et s’inspire de plusieurs « autonomistes » pour créer un seul personnage fictif, qui aura lui-même son double dans un autre roman. Cela ne suffisant pas, il brouille les pistes en modifiant les noms des lieux, quand il ne les déplace pas. En conséquence, cet essai n’a donc aucune prétention scientifique ou historique.

Les autonomistes dans l’œuvre de Louis Guilloux

D’après Flici et Legavre, c’est dans Le Jeu de Patience, désormais abrégé JdP, qu’apparaît pour la première fois la question autonomiste, et seul le personnage d’Hubert l’incarne. « Il ne représente pas la figure ordinaire du militant, c’est un doux et un poète », raconte le narrateur du JdP qui est attiré par « L’insigne du PNB qu’Hubert portait au revers de sa veste : le triskell. » Pour ce personnage d’Hubert, mais aussi celui de son double Yves de Lancieux, Guilloux s’est inspiré de son ami Roland de Coatgoureden. Emporté par mon élan, j’ai retrouvé tout au long du JdP un certain nombre de personnages qui ne m’étaient pas inconnus. La résistante Hélène Le Chevalier par exemple, dont Guilloux s’est inspiré pour le personnage de Monique. Par contre je n’ai pas réussi à identifier ce Pablo, réfugié espagnol qui logeait chez le narrateur, ainsi que sa compagne Marie Chevalier. Le jour de la mort de Pablo (p. 24), donc au mois de janvier 1944, le narrateur revient d’une visite à la prison « Là, j’avais vu un homme qui serait bientôt jugé, condamné à mort et fusillé. Personne ne lui avait dit bonjour à son arrivée dans la pièce : on ne salue pas un traître. Le juge d’instruction, M. Normand, lui dit quand il parût : « Asseyez-vous, Gautier. » Le narrateur explique ensuite qu’il avait voulu, de ses propres yeux, voir ce Gautier pour lui demander quel rôle il avait joué dans l’arrestation d’un pasteur. S’il a fait cette démarche, c’est qu’il y avait été poussé par Yves de Lancieux « J’avais toujours été au courant de l’amitié qu’Yves de Lancieux et Gautier avait eue l’un pour l’autre dans leur jeunesse. Bien que cette amitié se fût depuis relâchée et que même Gautier et Yves de Lancieux eussent cessé de se voir bien avant la guerre. »  Introduit dans la prison, le narrateur interroge Gautier : « Vous avez connu le pasteur Briand ? Oui, me répondit-il. Vous étiez chargé de le surveiller ? J’ai surveillé la maison du docteur Rank. Gautier raconte comment il a vu un homme sortir de chez le docteur avec une valise, l’a suivi jusqu’à la gare pour substituer sa valise à la sienne. Du  reste il n’était pas entièrement responsable de l’arrestation du pasteur. Le vrai coupable était Goasdoué. Très bien dit le juge. Goasdoué a tout avoué. Condamné au bagne pour la vie. »  Les lecteurs de mon ouvrage Agents du Reich en Bretagne n’auront aucun mal à reconnaître le traître Maurice Zeller et le juge Dauvergne, ainsi que le pasteur Crespin et le docteur Hansen. Ils ont été dénoncés par ce « Goasdoué », en réalité Yves Le Guilcher, un jeune membre du PNB. Par contre, Guilloux prend quelque liberté avec la réalité puisqu’il n’y a jamais eu d’amitié de jeunesse entre Zeller et De Coatgoureden.
Le narrateur évoque ensuite un certain Lucien (p. 56), membre du PCF, qui avait été arrêté puis « retourné » par la police de Vichy « Ils l’auraient torturé, ou quoi : on ne savait pas. En tout cas Lucien était dans le pays depuis quinze jours et il avait complètement tourné casaque. En plein pour les Boches ! Son frère a donné l’ordre de l’abattre. » Guilloux s’est probablement inspiré de Léon Renard, un cadre du PCF qui avait dénoncé le cordonnier Ernest Le Guern, arrêté le 7 août 1943 à Ploufragan, puis déporté. Le narrateur cite aussi (p. 100) « Le trésorier de la section du Secours Rouge, le vieux père Louis Calvez, mort au camp de Voves près de Chartres, en mai 1943. Mort à Dora le pasteur Briand et à Mauthausen l’abbé Clair, à Buckenwald le petit cordonnier Bébert. » A mon grand regret, je n’ai pas réussi à identifier ce Louis Calvez, mais on reconnaîtra sans difficulté l’abbé Armand Vallée.
« Faire souffrir, voir souffrir ; c’est la grande passion des hommes – la mienne aussi peut-être hélas – sinon je n’aurais pas assisté au procès de l’interprète, il y a huit jours de cela », écrit le narrateur (p. 253). « J’aime les causes perdues » lui fait écho Lady Glarner. (p. 214) Il faut reconnaître que la cause de cet interprète, jamais nommé, auquel j’ai consacré un chapitre dans Agents du Reich en Bretagne, avait de quoi intéresser Guilloux. Ce jeune homme, agent des Allemands, s’appelle Roger Elophe, et son procès devant la Cour de justice de Saint-Brieuc fut très mouvementé. « La situation était assez belle, l’intéressé n’ignorant pas que si la cour ne le condamnait pas à mort il serait abattu en sortant », écrit le narrateur. « En tout cas il n’avait pas de sang sur les mains. Il n’avait été pour rien dans le meurtre de Marguerite Bourcier. Oui ou non était-il présent lors de l’exécution de Marguerite ? Non dit-il. Il se trouvait bien dans le bistrot de campagne où les Allemands avaient pris Margueritte, mais c’était par pur hasard. Oui ou non, avait-il entendu les hommes de la Gestapo menacer Marguerite : « Salope, tu ne veux pas nous dire qui est Robert, tu vas nous payer cela sur la route. » Qui pouvait-être cette Margueritte, sinon la jeune résistante Mireille Chrisostome ? Conséquence des incidents de ce procès, des résistants attendaient Elophe à la sortie du tribunal pour l’abattre séance tenante, celui de Zeller sera transféré à Rennes.
Lorsqu’il évoque les arrestations du lycée Anatole Le Braz, le narrateur cite le témoignage d’un des jeunes lycéens, revenu de déportation « Il m’a parlé d’un certain Benoist qui a dénoncé toute la bande. Et Benoist est toujours en liberté, pas de preuves. » (p. 304) Guilloux, qui fréquente le juge Dauvergne, est parfaitement au courant du dossier, mais il ne cite pas le suspect Yves Ricard, qui a été interné puis relâché, faute de charges suffisantes.
Toujours d’après Flici et Legavre, c’est dans Les Batailles perdues, désormais abrégé BP, que l’on dénombre le plus d’autonomistes, avec un certain Abgrall comme figure principale « Ropartz Abgrall venait de temps en temps trouver le recteur. Il arrivait sans prévenir. D’un abord farouche, Abgrall était un homme de quarante ans, d’assez petite taille, trapu. Né du côté de Roscoff dans une famille de paysans pauvres. Le curé de son village l’avait fait entrer dans un petit séminaire. » D’après le recteur Kérauzern « Il s’était de très bonne heure passionné pour la langue bretonne (…) Quand on mit Ropartz à l’école, il ne savait pas un mot de français. Tu sais bien aussi comment on punit les enfants les enfants qui parlent le breton à l’école. Qu’il fût né du côté de Roscoff dans une famille de paysans pauvres et qu’il fût devenu très savant, cela n’y changeait rien : c’était un chien. » (p. 26) Le narrateur raconte qu’Abgrall s’était battu en brave lors de la Grande Guerre et qu’il avait remisé ses médailles à son retour en déclarant qu’il ne serait plus jamais prêtre « Là-dessus il partit pour l’Irlande d’où il revint en disant qu’il prenait boutique à Roscoff où il s’établirait comme marchand de graines. Rien de tout cela n’empêchait qu’il fut un chien. Il ne manifesta pendant longtemps aucun intérêt pour les affaires publiques. Cependant, en avril 1932, quand les autonomistes firent sauter à Rennes le monument symbolisant l’union de la Bretagne à la France, il se frotta les mains… » On retrouve Abgrall en juillet 1940 au château de Pontivy « Où il dispose de responsabilités, imagine que les nationalistes sont devenus les maîtres. » Lors de la vente aux enchères sur saisie d’une ferme, une bagarre éclate « Dans le tumulte une voix violente s’éleva : c’était Abgrall, qui parlait aux gens en breton. Dehors les fransquillons ! La Bretagne aux Bretons ! » (p. 242). Il a ses entrées chez Lady Glarner, qui lui glisse une liasse de billets pour ses activités bretonnes (p. 212). De tous les personnages fictifs de Guilloux, c’est celui qui m’a donné le plus de fil à retordre. J’ai fini par admettre qu’il était inutile de chercher un personnage unique derrière cet Abgrall qui ne correspond finalement qu’à l’idée que se faisait Guilloux de l’archétype du militant « autonomiste » de l’entre-deux-guerres. Un intellectuel, souvent issu d’un milieu très modeste, ne parlant qu’en breton avant d’aller à l’école, puis ayant fait ses études au séminaire (Drezen, Riou, Éliès, Le Moal, etc.) On peut y voir aussi un Taldir Jaffrennou, qui bénéficiait des largesses de Lady Glarner. On retrouve également certains traits du communisant et anticlérical Fanch Éliès. On peut aussi citer cet Erwan ar Moal, que Guilloux a probablement rencontré. Issu d’une famille de paysans pauvres, Yves Le Moal n’a parlé que le breton jusqu’à l’âge de six ans. Après quelques années de séminaire à Saint-Brieuc, il devient enseignant et entame une carrière littéraire. Parmi ceux qui ont connu les tranchées comme Abgrall : Saïg ar Go, Job de Roincé ou Loeiz Herrieu, celui qui inspira le plus Guilloux semble bien être Goulven Mazéas, décoré pour sa bravoure lors de la Première Guerre mondiale, puis négociant après-guerre. Dans la documentation réunie par l’écrivain, figure d’ailleurs un beau texte intitulé « Monsieur Roparz », qui correspond point par point à la biographie de Mazéas.
« D’autres personnages s’inscrivent dans cette cause », écrivent Flici et Legavre. Parmi ceux-ci, celui qui revient le plus est un certain Papillon « Un jeune homme très distingué, une nature… angélique ! Le château de lady Glarner appartenait autrefois à la famille de Papillon. En réalité Papillon n’est pas son nom. Il s’appelle de… de quelque chose… » Là encore, Guilloux s’est à nouveau inspiré de Roland de Coatgoureden pour créer ce Bertrand de Kervraz, alias « Papillon », issu d’une vieille famille de la noblesse bretonne, mais désargentée, autrefois propriétaire du château de Ker-Goat, que le narrateur situe près de Kergrist, dans la région de Tréguier, et dont lady Glarner a fait l’acquisition. Guilloux ne pouvait évidemment pas faire l’impasse sur l’étonnante lady Mond, et de son château de Coat-an-Noz, situé entre Belle-Isles-en-Terre et Loc-Envel « Quand on n’est qu’une petite paysanne pauvre comme Job – le père de Maria Le Guen, sabotier de son état, s’appelait justement Job – que la nature vous a faite belle à ravir, n’y a-t-il pas là de quoi courir se jeter dans l’étang », écrit le narrateur. (p. 114) On retrouvera Coat-an-Noz dans les Carnets « Au pays misérable de Loc-Envel. Les hommes nus sur la terre nue ! Ici, un certain effroi me gagne. Et pourtant ce que disent les enfants… Vie misérable d’une institutrice (…) Il y a ici une vieille femme délicieuse qui s’appelle Maharit. Et un château, qui appartenait à un prince, qui l’a vendu. Dans la forêt. Le garde et ses enfants. La petite fille de deux ans qui va chercher des champignons. » (p. 61) L’histoire de la belle Marie-Louise Le Manach, rebaptisée Maria Le Guen par le narrateur, est trop connue pour qu’il soit nécessaire d’y revenir.
Abgrall a ses entrées au château. Lorsqu’il est mis en présence du sénateur Bozec, Guilloux s’étant visiblement inspiré du docteur Yves Bouguen pour ce personnage, il fait preuve d’une certaine complicité avec son hôtesse et lui parle en breton : « Gompzomp brezonek, mil malloz Doue ! Gompzomp brezonek ! répondit joyeusement Maria. » (p. 212) Cette scène est l’occasion pour Guilloux d’introduire un de ces personnages excentriques qu’il affectionne. Lady Glarner est réveillée en pleine nuit par un admirateur déclamant ses poèmes sous ses fenêtres « A cause du vent, elle ne comprenait pas les mots mais elle savait que cette voix tonitruante ne parlait que de gloire et de grandeur et proclamait qu’il n’y a jamais eu au monde qu’un seul poète de génie, qu’une seule femme digne de ce poète, que ce poète c’était justement lui : Maxime d’Armor, et cette femme unique dans l’histoire du monde : lady Glarner en personne. » Ce Maxime d’Armor, poursuit le narrateur, portait « une couronne de lauriers sur sa tête. » (p. 236) Guilloux s’est inspiré de l’original poète « pindarique » Auguste Boncors. Le « Barde de Rostrenen », auteur des Odes triomphales, exclu lui aussi d’un établissement catholique de Saint-Brieuc. Guilloux en parle dans les Carnets « 29 avril 1939. Avec Roland et Grégoire, fait visite à Boncors, dans sa prison. Huit jours fermes pour avoir pissé le long du comptoir, dans une auberge, étant ivre. »  (p. 237)
Dans la même veine des personnages atypiques aux convictions chevillées au corps, il convient de mentionner cette autre figure du mouvement breton : la comtesse Vefa de Saint-Pierre, châtelaine à Pléguien, non loin de Saint-Brieuc. Guilloux devait la connaître car on trouve dans la documentation de l’auteur une lettre de témoignage de la comtesse en faveur de Jacques de Quélen, responsable local du PNB, interné à la Libération. Vefa de Saint-Pierre n’apparaît pas directement dans les BP, mais elle apparaît en filigrane dans de nombreux personnages fictifs des BP et du JdP. Cette femme de caractère et exaltée, destinée à entrer dans les ordres, abandonna le voile pour se marier. Union éphémère qui ne durera que trois mois. Désormais libre, cette amazone passionnée de chevaux et de chiens, de chasse et de grand air, va parcourir le monde. Vefa de Saint-Pierre, admise au Gorsedd de Bretagne, était très attachée à la culture bretonne, qu’elle soutiendra financièrement.
Parmi ces figures singulières du mouvement breton susceptibles d’inspirer Guilloux, il est difficile de faire l’économie de ce Louis-Napoléon Le Roux, ancien employé de Taldir, qui va partir se battre aux côtés des Irlandais pendant la Première Guerre mondiale.

Les Gens du château (1959), texte dactylographié d’environ 150 pages, et un projet de roman intitulé L’Autonomisme, sont deux inédits de Guilloux ayant pour thème la cause bretonne. Le lecteur y reconnaîtra les personnages et les lieux des BP et du JdP. Pour des questions de droits, il est impossible d’en faire une reproduction. Dans un petit carnet, Guilloux en a dressé quelques notes manuscrites :
« Bretons
Du château de Pontivy (29 juillet 1940) au camp Sainte Marguerite à Rennes (sic)
Pontivy : Napoléonville.
Épilogue à Guingamp. Les drapeaux déchirés.
Villes : Pontivy, Rennes, Guingamp.
Lieux : le Menez-Bré. Saint-Michel de Braspar. La maison de la ponte du Roselier.
Scènes : Histoire du revolver. Les leçons de breton. Les armes enterrées.
Plan : Première partie (ou introduction) : de l’arrivée des Allemands (18 juin 1940 date du départ de Gaulle) au retour des prisonniers. Échec. Pas d’État breton. La propagande dans les camps. La liberté, mais à une condition.
Histoire : Peuple deux fois vaincu, quand il quitte l’Angleterre, puis par la France. La chouannerie.
Personnages : Le borgne. Adrien l’aveugle.
Bretons : Paul Féval Châteaupauvre
Études : le protestantisme en Bretagne.
Plan : Introduction. Le voyage de Monsieur Hervé, accompagné de sa femme, conduite par son chauffeur : il se rend chez son frère l’abbé, près de Pontivy. Exode. Action de retardement sur la route. Baroud d’honneur.
Remarques : Monsieur Hervé. Madame Hervé. Léon (le chauffeur). L’abbé.
.
Bretons (notes)
Pilier Kranket ? L’interprète (et l’attaque de la prison). François – le communiste. L’autonomiste. Marguerite. La petite maison à la campagne. Le feu dans la grande cheminée. Le militant exécuté. M. de Quélen. Les évêques. Le Trocquer (l’homme breton). Éliès. Tonton. L’abbé Perrot. Zaïk. Le capitaine au long cours en retraite. Les objets chinois. Histoire de l’interprète Elof. L’officier allemand. Présence de Lambert au Roselier. Les Espagnols. La vierge Rouge. La révolte des Bonnets rouges (le sel). Brizeux. Les Bretons. »
Ce qui surprend, lorsque l’on dépouille les archives du fonds Guilloux, c’est de découvrir tout un ensemble remarquable de notes de travail sur l’autonomisme et la Résistance en Bretagne. Rédigées en 1957, elles sont tout à fait révélatrices de l’intérêt que l’écrivain portait à la cause bretonne. Prenons par exemple ce long document intitulé « Questions », où il s’interroge sur plusieurs points de son roman :
« Les autonomistes arrêtés en 1939 / Pourquoi le mouton / Mers-el-Kébir 3 juillet 1940 / Date de la conquête de l’Algérie / Y avait-il au château un drapeau breton ? Quelque signe extérieur de la présence autonomiste ? / La liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. La question des minorités / Célestin Lainé sortant de la prison de Clairvaux en 1940 / Le personnage autonomiste / Le goût de la défaite chez les Bretons / Peuple deux fois, trois fois conquis / Le traître breton / Je trompe tout le monde comme tout bon Celte / Et en même temps des guerriers et des héros. Goût de l’absolu. Romantisme / Ce Mordrel, il est moitié Corse je crois ? / A quelle date à commencer à fonctionner Radio-Rennes sous l’Occupation ? / Légion Perrot, vers avril ou mai 1944 / Pouvions nous être rapatriés si nous fournissions l’engagement de militer dans les rangs autonomistes bretons ? / Les frères Le Boulc’h autonomistes marquants avec la sœur. Se mettent à la disposition des Allemands. »
Chaque sujet fait l’objet d’une description très réaliste de quelques feuillets. J’ai retenu les extraits de trois d’entre eux :
- L’arrivée des Allemands « Aux dernières heures de la guerre, la radio belge, dit-on, lança sur les ondes l’incroyable nouvelle de la création d’un gouvernement local breton. A vrai dire, seuls quelques jacobins de Rennes, Morlaix ou Quimper, avaient envisagé une telle éventualité. Le peuple désorienté, ne se préoccupait que de réadapter son existence... »
- La réunion du Conseil National Breton au château des ducs de Rohan à Pontivy avec Mordrel « On le disait revenu en officier allemand. Ils rencontrèrent un type qui venait de Rennes : Péresse qui, plus tard, devait être tué aux côtés de Lainé (sic). Un autre, aux cheveux en brosse, et en pantalon de cheval. Tous les chefs du Parti seront là : Mordrel, Debauvais, Lainé. A la réunion on ne parlait que breton. Il y avait des types qui portaient un semblant d’uniforme, et un revolver à la ceinture. L’armée bretonne. Elle devait s’emparer des préfectures. Drôlement durs ! se dit papillon en admirant Vissault de Coëtlogon, tout guêtré. Guieysse, aveugle, homme très digne, protestant, très religieux. Après la réunion, tout le monde se rend à l’hôtel en défilant dans la rue où ils furent accueillis par les cris : Salauds ! Traîtres ! »
- Le défilé en ville « Ils ont fait une démonstration un lundi soir, aux alentours du 20 juin. La population n’était pas prévenue mais on faisait courir le bruit qu’il y aurait un magnifique défilé le soir. Dans le château 60 autonomistes de tous les départements bretons se montraient. La manifestation a lieu rue Nationale. En tête un mouton blanc avec les drapeaux blancs et noirs. Tenu en laisse le mouton. Les gens très curieux mais écœurés de les entendre chanter en breton. Vive la Bretagne, à bas la France. Pas encore d’uniforme, mais pantalon de cheval, bottes, bandes molletières, ceinturons et couteaux. Après ce défilé un drapeau tricolore avait été placé dans la nuit sur le haut de la colonne de la Fédération. Les autonomistes signalent le fait à la kommandantur et aussitôt le drapeau tricolore est remplacé par le drapeau autonomiste. » La présence de ce « mouton blanc » s’explique par le fait que les frères Le Boulc’h, dont l’un rejoindra le Bezen Perrot, et leur sœur, sont membres du groupe folklorique de Pontivy « Les mouton blancs ».
- Le congrès régional des cadres du PNB, tenu le 8 avril 1942 à l’hôtel de la Croix-Rouge à Saint-Brieuc, sera lui aussi suivi d’une bagarre. Guilloux ne pouvait évidemment pas manquer le spectacle dans la rue. Delaporte ayant conclu son discours : « Mes chers camarades, nous laisserons à nos enfants un pays libre, uni et riche, si nous savons utiliser les incomparables circonstances qui se présentent à nous », tout le monde rejoint ensuite le restaurant Le Covec pour le banquet, sauf Goulet et ses hommes qui restent emballer les décorations. Le commissaire Marquette, qui avait été la cible du journal L’Heure Bretonne, saisi l‘occasion pour se venger. « Il attend la sortie des Bagadoù Stourm avec ses agents les plus costauds, et en avant, il stoppe Yann Goulet et ses gars. Yann Goulet exhibe une autorisation préfectorale, contresignée de la Kommandantur de Rennes, de circuler, ce jour-là, en rang et en uniforme.
- « Oui, rétorque Marquette, mais je vous interdis de défiler avec votre drapeau breton ».
- « Ce n’est pas le drapeau breton, c’est un fanion, qui n’a rien à voir avec le drapeau »
- « Enlevez-le ! Ordonne Marquette à ses flics. Pour moi c’est un drapeau breton ».
- « Nous sommes ici en Bretagne, je défilerai avec mes hommes, et vous n’aurez pas mon fanion »
- « Arrêtez cet homme », crie Marquette. Bing ! Bang ! Goulet envoie Gludig rouler d’un coup de poing ; vlan ! Un autre tombe à genoux, etc. De Quélen saisit le fanion et veut le porter à l’Hôtel du Commerce, mais il le tient levé, au lieu de le rouler et de mettre sous son bras. Marquette ordonne à des flics de lui enlever le fanion. De Quélen résiste, en dépit des coups de poing. Marquette vient au secours de ses agents. Le fanion est brisé, restant mi-partie aux flics, mi-partie aux PNB. De Quelen se défend toujours contre les flics et saute à la gorge de Marquette. Bataille générale, Delaporte arrive et rétablit l’ordre. De leur côté, les autorités allemandes interrogent Marquette et lui expliquent que le PNB à le droit de passage (Marquette et ses agents avaient, un moment, ligoté et emporté Yann Goulet dans le café, face à l’Hôtel de la Croix-Rouge ; les PNB, qui avaient le dessus en nombre et en force, menacèrent alors tellement Marquette qu’il relâcha Goulet). Les Bagadoù Stourm se rendent alors au restaurant Le Covec, en rang et au pas. » J'ai également trouvé ce petit texte manuscrit
« Ceci aussi te servira peut-être : le père Thomas (1), qui ouvrit le congrès, rapporta comment il avait pris conscience, pendant la guerre de 14-18, du sort indigne fait à la Bretagne, et le remord qu’il a eu alors de ne pas savoir le breton, quand un soldat bas-breton lui avait fait ses dernières recommandations peut-être « Pendant la bataille de Champagne 1915, un obus de gros calibre tombait en plein sur l’unité que j’avais l’honneur de commander, composée presque uniquement de Bretons. 22 hommes, 40 chevaux gisaient pêle-mêle, après ce coup malheureux. Dans la nuit, je distinguai au milieu des plaintes, une voix faible : « Mamm !... Mamm ! » Je retrouvai à tâtons celui qui gémissait ainsi, horriblement mutilé, il murmura encore quelques paroles en breton que je ne pus comprendre et mourut, en me tenant la main. N’ais-je pas le droit de croire que les dernières pensées de celui-là s’en allaient vers ce coin du Finistère d’où il était originaire ? »
Le manuscrit de Guilloux ne sera jamais publié. « Un refus de Gaston Gallimard en personne », dont on ignore les raisons, écrivent Flici et Legavre, qui émettent une hypothèse « Ancrage romanesque jugé trop local, substance polémique du sujet ? » Pour ma part, je vous livre une explication, qui vaut ce qu’elle vaut. Dans l’immédiat après-guerre, les Breiz Atao les moins compromis, et qui n’ont pas pris la fuite à la Libération, vont se refaire une virginité dans la « lessiveuse » du mouvement culturel breton. On assiste ensuite à une certaine renaissance de l’Emsav avec l’émergence d’une nouvelle génération de militants alors que nous sommes en pleine guerre d’Algérie. Parmi les appelés du contingent, ces jeunes militants progressistes, déjà sensibilisé à la cause bretonne, prennent conscience qu’ils mènent une sale guerre coloniale. A leur retour, ils vont rompre avec un MOB qui se refuse à couper les liens avec les anciens Breiz Atao, et fonder l’UDB en 1964. De nouvelles revendications bretonnes s’affirment. La publication du livre de Guilloux ne pouvait donc tomber au plus mauvais moment.
Si Guilloux a fait œuvre d’historien du mouvement breton, et en cela il en est indéniablement le précurseur, il reste surtout un écrivain témoin de son temps, avec toute sa part d’humanité. Certes, il ne partage pas les choix idéologiques de ces « autonomistes » sous l’Occupation, mais son courage est qu’il ne s’interdit pas d’en rechercher les raisons, qui apparaissent nettement, pour qui veut bien le comprendre, au travers de ses personnages.
(1). Il s'agit du commandant Édouard Thomas, un « brave type» selon Guilloux, qui sera abattu par les Allemands le 3 août 1944 à Broons, lors d'un contrôle d'identité.

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