mardi 31 mai 2016

Une Maison du Peuple bien occupée ou le Front Populaire à Rennes




Photo prise lors de la manifestation du 23 juin 2016
Symbole des luttes syndicales de la ville, la Maison du Peuple a toujours été au cœur des conflits sociaux. C’est dans ce bâtiment de la rue Saint-Louis, il y a exactement 80 ans, que se tenaient les réunions des grévistes et qu’ils y élaboraient leurs revendications.
Nous sommes en 1936, et la victoire très nette du Front Populaire aux élections législatives des 26 avril et 3 mai est perçue avec une réelle inquiétude dans les milieux démocrates-chrétiens du quotidien L’Ouest-Éclair. Le 27 avril, au lendemain du 1er tour, dans un article intitulé « Le grand danger », l’écrivain régionaliste Octave Aubert met en garde ses lecteurs-électeurs : « S’ils votaient dimanche pour le Front Populaire, pour les hommes au regard haineux et au poing tendu, ou s’ils écoutaient la voix des sophistes dévaluateurs et spéculateurs ce serait la catastrophe (…) Le Front Populaire a enrégimenté sans peine des fonctionnaires et des pensionnés qui, ne voyant que leur intérêt personnel immédiat, ont reproché à l’avisé, intelligent et froid homme d’État qu’est M. Pierre Laval les décrets-lois grâce auxquels ils ont pu continuer à être payés avec des francs de quatre sous. » Le ton est donné et ne se démentira pas, qui aboutira à la collaboration de 1940. Pour l’heure, face à ce Front « Soi-disant populaire » et ces jeunes « Qui ont voté, pour la plupart, comme on lève le poing », le quotidien rennais est sans ambigüité « Aucune abstention n’est tolérable, pour le 3 mai, si tout le monde vote le barrage sera solide ». Ces références au « poing tendu » sont tout à fait révélatrices des fantasmes bolcheviques de la presse de l’époque. Quoi qu’il en soit, la stratégie d’endiguement face aux forces subversives semble avoir porter ses fruits puisque dans un édito du 5 mai, intitulé « Le bel exemple de la Région de l’Ouest », le journal de la rue du Pré-Botté se félicite : « Quand nous constatons la poussée révolutionnaire qui vient de faire entrer au Parlement une si imposante et si active formation de « front populaire », nous avons quelques raisons de nous féliciter des résultats électoraux de notre région de l’Ouest, et particulièrement de ceux de la Bretagne (…) Mettons à part la Loire-Inférieure, où les modérés perdent deux sièges au profit des socialistes, et en gagnent un sur les radicaux par l’élection à Châteaubriant de M. Bardoul. Et constatons avec un plaisir très vif la belle tenue des électeurs bretons (…) Cette revue des différents départements de l’Ouest nous prouve que nous avions raison d’avoir confiance dans la sagesse de nos concitoyens et de les mettre sans cesse en garde contre les appels des révolutionnaires et de leurs alliés. Nous avons le droit de nous féliciter de ce magnifique effort de redressement. »
Le printemps des grèves
Louis Guilloux "Les Batailles perdues", 1960, Gallimard
Avant la formation du nouveau gouvernement, qui n’interviendra qu’un mois plus tard, des grèves sporadiques éclatent un peu partout en France, notamment dans les usines d’aviation du Havre, de Toulouse et de Courbevoie qui sont occupées le 11 mai, avec parfois l’intervention de la police (Lire ci-contre Louis Guilloux). Ainsi à Villeurbanne, le 13 mai, où une partie du personnel des usines de soie artificielle cesse le travail pour des revendications salariales. Afin d’empêcher les non-grévistes d’entrer dans l’usine, des femmes et des enfants de grévistes se couchent devant les cars qui les amènent au travail. Face à l’intervention des gardes mobiles, les grévistes répliquent en bombardant les cars de pierres, brisant toutes les vitres « Parmi les manifestants se trouvaient de nombreux étrangers et des chômeurs n’appartenant pas au personnel de l’usine », note un journaliste.
"Les Batailles perdues", p. 513. Louis Guilloux : "Le peuple veut un gouvernement à son image."
C’est donc sur fond de grèves et d’occupations d’usines que se réunit le 18 mai à la Mutualité le comité national de la CGT. Léon Jouhaux réclame l’institution de commissions de contrôle bipartites chargées de faire appliquer des mesures immédiates : semaine de 40 heures ; contrats collectifs ; contrôle ouvrier ; prolongation de la scolarité « Sur tous ces points, nous voulons satisfaction immédiate ». Pour lutter contre le chômage, la CGT demande des grands travaux financés par la nationalisation des assurances et suggère l’institution de traites de travail garanties par les richesses à créer. Jouhaux déclare : « Jusqu’à ce jour nous n’avions que des responsabilités de revendications. Nous demandons maintenant des responsabilités d’exécution. » Dès le 20 mai, on assiste à une extension des grèves dans les industries de la région parisienne. Fait nouveau, dans certaines usines les ouvriers décident d’occuper les ateliers après l’heure normale de fermeture et d’y passer la nuit. Les revendications sont précises : suppression des heures supplémentaires ; reconnaissance des délégués élus par l’ensemble des ouvriers ; liberté politique et syndicale ; délai-congé de 48 heures et réajustement des salaires. La cessation du travail débute par une « grève des bras croisés » après une nuit passée « sur le tas » grâce au ravitaillement et aux couvertures apportées par les femmes et les militants communistes ou socialistes ainsi que par les « camarades chômeurs » qui ont pris fait et cause pour les ouvriers des usines momentanément en grève de « résistance passive ». Comme le remarque la presse « Jusqu’à présent, lorsqu’ils n’obtenaient pas satisfaction, les grévistes quittaient l’usine. La direction pouvait avoir recours à des « jaunes ». Il s’ensuivait parfois des bagarres entre les grévistes et les ouvriers qui désiraient continuer à travailler. Hier, chaque ouvrier est demeuré à son poste et nul ne peut venir prendre sa place ».
En province aussi ça commence à bouger. Sans surprise, en Bretagne, c’est dans les villes à forte tradition syndicale de Nantes et Saint-Nazaire que les grèves sont les plus importantes. Le 3 juin, l’importante usine des Batignolles est occupée par plus de 1 000 ouvriers. Sont touchées également les raffineries de Chantenay, Say, la brasserie La Meuse et la Biscuiterie Nantaise. On dénombre plus de 5 000 grévistes. Le 4 juin, alors que « Le mouvement de grève s’aggrave à Paris et en province », le cabinet du Front Populaire est formé. Léon Blum annonce aussitôt le dépôt de trois projets : semaine de 40 heures, contrats collectifs et congés payés, qui aboutiront aux « Accords de Matignon » du 7 juin 1936.
« La région rennaise va-t-elle être touchée à son tour par le mouvement de grève ? » s’inquiète L’Ouest-Éclair du 11 juin. En effet, on signale un premier mouvement en Ille-et-Vilaine chez les granitiers de Louvigné-du-Désert, puis une occupation de l’atelier des Tréfileries de L’Ouest à Bruz par 80 ouvriers. Ayant obtenu satisfaction de « L’aimable et compétent directeur M. Duriot », le quotidien rennais annonce qu’ils ont repris le travail le lendemain. Dans l’ensemble, le département est peu « impacté », comme on dirait aujourd’hui, par le mouvement général. 
Et à Rennes ?
L’Ouest-Éclair, 15 juin 1936
Dans la capitale bretonne on défile. Le dimanche 31 mai, c’est la traditionnelle fête des fleurs qui a remporté « Un triomphal succès » titre L’Ouest-Éclair. Le dimanche 14 juin, comme à Paris, un rassemblement est organisé par le Front Populaire à 9 heures 30, sur la place Sainte-Anne. Le cortège, entre 3 et 5 000 personnes, se forme pour défiler en ville avant de se rendre sous la halle des Lices où se tient un meeting, suivi d’un vin d’honneur. On ne signale aucun incident « Les manifestants observèrent à la lettre les consignes qui leur avaient été données par les organisateurs », note le quotidien rennais. Aucunes forces de l’ordre à l’horizon. Heureusement, car le même jour, à 17 heures, est prévu un autre défilé. Le principe reste le même, mais dans un style différent. Les « poings tendus », drapeaux rouges et hymnes de L’Internationale ou de La Jeune Garde cèdent la place aux thuriféraires, bannières et cantiques de la Fête-Dieu, dont la procession s’ébranle de la Métropole pour parcourir les rues du centre-ville avec toujours la même foule de fidèles. Alors que le mouvement des grèves s’amplifie en province, « Le calme règne à Rennes où les revendications des ouvriers et employés vont être présentées aux employeurs par la voie de la négociation », note le journal. Pourtant, le lendemain 16 juin, une « grève sur le tas » est déclenchée à la chaudronnerie Bernard, rue Vanneau, puis une autre aux établissements Le Bihan, rue Turquéty. La vingtaine d’ouvriers obtient vite satisfaction et reprend le travail le lendemain. Ce jour-là, les choses deviennent plus sérieuses et ce sont les femmes, pour la plupart non syndiquées, qui se mobilisent. En effet, la Bonneterie Moreau, rue du Tourniquet, est occupée par une centaine d’ouvrières, ainsi que la Chemiserie Strauss, à l’angle du boulevard de Chézy et de l’impasse du
L’Ouest-Éclair, 18 juin 1936
Louis-d’Or qui en emploie 200 autres. Aussitôt des groupes se forment dans les deux usines pour aller à la Maison du Peuple s’inscrire au Syndicat de l’Habillement. Situation qui n’est pas sans rappeler les événements actuels de Rennes, le directeur de la chemiserie déclare aux journalistes : « Nous comprenons la tâche de la Presse… Pourtant nous ne devons pas oublier que nous ne sommes pas chez nous et nous vous saurons gré de ne pas insister pour pénétrer à l’intérieur des ateliers. Quant à prendre des photographies… tous ce que vous voudrez de l’extérieur. » Le directeur de l’usine propose une augmentation de 7%, que les ouvrières jugent insuffisante. Le patron s’en remettant à la direction parisienne, la grève semble partie pour durer. L’occupation se fait dans la bonne humeur, les époux ravitaillant leurs femmes pour la nuit. « Nous luttons pour défendre notre casse-croute » déclarent-elles alors que le mouvement prend de l’ampleur puisque les grands magasins de la ville ferment leurs portes. Prisunic, Les Nouvelles Galeries et Les Magasins Modernes affichent en effet sur leurs portes : « En raison des événements actuels, pour éviter à notre personnel de se trouver malgré lui dans une situation difficile, nous avons décidé de fermer nos magasins et de mettre notre personnel en congé payé jusqu’à nouvel ordre. » Stupéfaction des employés qui ne s’attendaient pas à ce lock-out qui s’apparente à des vacances forcées. Une réunion est immédiatement décidée à la Maison du Peuple par les employés des grands magasins, rejoints par le personnel de la société L’Économique qui trouva lui-aussi portes closes à l’entrepôt de la rue Saint-Hélier. Le soir même, se tient une réunion du Syndicat du Bâtiment. « Une armée de vélos dans la rue Saint-Louis… la grande salle des fêtes de la Maison du Peuple trop exigüe. Des centaines de compagnons dans la cour. Environ 1 800 à 2 000 personnes. On n’avait pas vu autant de monde, nous a dit un vieil habitué de la vieille Bourse du Travail, depuis les grèves de 1920. Et toute cette foule très calme », écrit le reporter de L’Ouest-Éclair. Le lendemain matin 20 juin, une nouvelle réunion des employés des grands magasins est prévue pour prendre connaissance de la réponse des employeurs. Signe de la modernité des temps, une délégation s’est rendue à Nantes par avion – la station service Caudron-Renault de Saint-Jacques ayant toujours un appareil à disposition – pour prendre connaissance de l’accord signé entre employeurs et employés. Les propositions de ce qu’ils appellent le « Barème de Nantes » étant jugées insuffisantes, une entrevue est décidée aux Nouvelles Galeries, avec de nouvelles propositions d’augmentation entre 7 et 15 %, mais sans succès.
L’Ouest-Éclair, 19 juin 1936
Alors qu’un accord met fin aux grèves des grands magasins de Paris le 21 juin, la situation n’est toujours pas réglée à Rennes où les pourparlers reprennent. Par contre, les ouvrières de la Chemiserie Strauss ont repris le travail après avoir obtenu une augmentation de 15% du salaire de base plus divers avantages. Le 20 juin, c’est au tour des Papeteries de Bretagne de se mettre en grève. Les ouvriers et ouvrières de la rue de Lorient occupent l’usine mais, comme le constate avec soulagement le journaliste de L’Ouest-Éclair, la morale est sauve : « Ils sont environ 150 qui ont passé la nuit à l’usine, après avoir organisé un rigoureux service d’ordre et mis sur pied des consignes sévères qui sont exécutées à la lettre. C’est ainsi qu’après avoir autorisé les personnes âgées et de santé délicate à regagner leur domicile, les grévistes installèrent un dortoir de fortune, mais séparé, pour les femmes, avant de s’occuper d’eux-mêmes. Ainsi toutes les précautions ont été prises pour sauvegarder les sentiments de pudeur des ouvrières qui se sont solidarisés avec les ouvriers. » L’usine étant située sur les bords de la Vilaine, les hommes n’ont pas raté l’ouverture de la pèche et les planches à palets sont de sorties. Á la Maison du Peuple, après un arbitrage de l’inspecteur du Travail, un accord est trouvé dans le conflit des grands magasins qui doivent rouvrir le 23 juin. Ayant obtenu une augmentation de 10 à 15 % selon les catégories, les employés ont le sourire aux lèvres et ovationnent l’inspecteur du Travail, M. Lallemand. Le personnel des Nouvelles Galeries se rend au magasin en chantant. Le même jour c’est au tour des ouvriers du parc des Ponts et Chaussées de cesser le travail. L’ambiance est festive et l’occupation du dépôt sur le canal Saint-Martin se fait au son de l’accordéon. De leur côté, les employés de la Société L’Économique ont obtenu satisfaction avec une augmentation de tous les salaires de 15 %. Même chose aux Papeteries de Bretagne où le travail reprend. On le voit donc, avec un retard d’un mois sur la région parisienne, le mouvement est général dans la région rennaise. L’issue la plus rapide est celle de la Compagnie du Bourbonnais, dont l’usine du boulevard de la Tour-d’Auvergne est occupée à 19 heures le 25 juin. Les ouvriers décident aussitôt de bloquer l’usine de production électrique du boulevard Voltaire et se font ravitailler par leurs épouses. Face à la menace d’une privation de lumière en ville, une commission se réunit immédiatement à la Préfecture. Vers minuit, un accord est conclu et l’usine évacuée ! La grève n’aura pas duré six heures. Le lendemain, les ouvriers des Ponts et Chaussées ayant obtenu la garantie d’une négociation, le parc est rouvert. Après celui des grands magasins, un accord est également signé entre les patrons et les personnels des commerces indépendants de la ville. Quelques petits conflits subsistent et les réunions s’enchainent à la Maison du Peuple, ainsi celles des employés de garages, des TER, des garçons coiffeurs. Mais, dans l’ensemble, le mouvement général des grèves cesse début juillet.

"Les Batailles perdues", p. 524
Ce qui frappe, de prime abord, dans ces mouvements sociaux, c’est la détermination des grévistes et le caractère pacifique des occupations. La Maison du Peuple n’a jamais vu autant de monde et à aucun moment les forces de police ne semblent être intervenues. Les piquets de grève sont parfaitement organisés et empêchent les possibles provocations. L’outil de travail est protégé et préservé, aucune dégradation n’est tolérée. Les revendications sont claires et précises avec une volonté de négociation sans pour autant donner l’impression de céder à un patronat conscient que le rapport de force ne joue pas en sa faveur. Paternaliste, certainement, ce patron de Prisunic qui « Avait eu l’aimable pensée de faire prendre son personnel, à la sortie de la Maison du Peuple, par des taxis » Ce qui a également le plus marqué les esprits de l’époque, c’est le coté festif et joyeux des occupations d’usines ou d’ateliers. Les grévistes, jeunes le plus souvent, chantent au son de l’accordéon. On danse, on joue aux palets, aux cartes, etc. Les femmes ravitaillent leurs époux grévistes et réciproquement. La classe ouvrière et la solidarité dans les luttes ont encore un sens. Ce qui a été obtenu par les grévistes est sans précédent. Outre la semaine de 40 heures et les congés payés, l’augmentation de 10 à 15 % des salaires de base serait totalement inimaginable aujourd’hui (Lire ci-dessous). Malheureusement, l’euphorie sera de courte durée. De sombres nuages s’amoncellent à l’horizon. Le « poing tendu » sera vite remplacé par le bras et la main droite tendus des nazis. Parmi les patrons des grévistes de 1936, certains se retrouveront derrière le Maréchal puis dans le groupe « Collaboration ». Mais c’est une autre histoire.

Ajouté le 1 juin 2016. 80 ans plus tard, ce communiqué se passe de commentaire.


Une cinquantaine de salariés de l'usine Amazon à Montélimar sont en grève depuis une semaine, avec le soutien de la CGT, pour obtenir notamment une hausse de salaire dans le cadre des négociations annuelles avec la direction. Le 25 mai, France Bleu rapportait que la direction souhaitait «faire travailler les salariés 6 jours sur 7 en juin, juillet, août, sans paiement d'heures supplémentaires».
Dans une vidéo réalisée par une membre de Nuit Debout Valence, plusieurs salariées racontent leurs conditions de travail, avec portique «comme dans les aéroports» et difficultés à créer du lien entre travailleuses. «On nous propose 0,5% d'augmentation, et on demande 1%, c'est-à-dire entre 12 et 13 euros bruts par mois», expliquent-elles aussi. Un pot commun a été créé pour soutenir les grévistes.

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