Photo prise lors de la manifestation du 23 juin 2016 |
Nous
sommes en 1936, et la victoire très nette du Front Populaire aux élections
législatives des 26 avril et 3 mai est perçue avec une réelle inquiétude dans les
milieux démocrates-chrétiens du quotidien L’Ouest-Éclair.
Le 27 avril, au lendemain du 1er tour, dans un article intitulé
« Le grand danger », l’écrivain
régionaliste Octave Aubert met en garde ses lecteurs-électeurs : « S’ils votaient dimanche pour le Front
Populaire, pour les hommes au regard haineux et au poing tendu, ou s’ils
écoutaient la voix des sophistes dévaluateurs et spéculateurs ce serait la
catastrophe (…) Le Front Populaire a enrégimenté sans peine des fonctionnaires
et des pensionnés qui, ne voyant que leur intérêt personnel immédiat, ont
reproché à l’avisé, intelligent et froid homme d’État qu’est M. Pierre Laval
les décrets-lois grâce auxquels ils ont pu continuer à être payés avec des
francs de quatre sous. » Le
ton est donné et ne se démentira pas, qui aboutira à la collaboration de 1940. Pour
l’heure, face à ce Front « Soi-disant
populaire » et ces jeunes « Qui
ont voté, pour la plupart, comme on lève le poing », le quotidien rennais
est sans ambigüité « Aucune
abstention n’est tolérable, pour le 3 mai, si tout le monde vote le barrage
sera solide ». Ces références au « poing tendu » sont tout à
fait révélatrices des fantasmes bolcheviques de la presse de l’époque. Quoi
qu’il en soit, la stratégie d’endiguement face aux forces subversives semble
avoir porter ses fruits puisque dans un édito du 5 mai, intitulé « Le bel
exemple de la Région de l’Ouest », le journal de la rue du Pré-Botté se
félicite : « Quand nous
constatons la poussée révolutionnaire qui vient de faire entrer au Parlement
une si imposante et si active formation de « front populaire », nous
avons quelques raisons de nous féliciter des résultats électoraux de notre
région de l’Ouest, et particulièrement de ceux de la Bretagne (…) Mettons à
part la Loire-Inférieure, où les modérés perdent deux sièges au profit des
socialistes, et en gagnent un sur les radicaux par l’élection à Châteaubriant
de M. Bardoul. Et constatons avec un plaisir très vif la belle tenue des
électeurs bretons (…) Cette revue des différents départements de l’Ouest nous
prouve que nous avions raison d’avoir confiance dans la sagesse de nos
concitoyens et de les mettre sans cesse en garde contre les appels des
révolutionnaires et de leurs alliés. Nous avons le droit de nous féliciter de
ce magnifique effort de redressement. »
Le printemps des
grèves
Louis Guilloux "Les Batailles perdues", 1960, Gallimard |
"Les Batailles perdues", p. 513. Louis Guilloux : "Le peuple veut un gouvernement à son image." |
En
province aussi ça commence à bouger. Sans surprise, en Bretagne, c’est dans les
villes à forte tradition syndicale de Nantes et Saint-Nazaire que les grèves sont
les plus importantes. Le 3 juin, l’importante usine des Batignolles est occupée
par plus de 1 000 ouvriers. Sont touchées également les raffineries de
Chantenay, Say, la brasserie La Meuse et la Biscuiterie Nantaise. On dénombre
plus de 5 000 grévistes. Le 4 juin, alors que « Le mouvement de grève s’aggrave à Paris et
en province », le cabinet du Front Populaire est formé. Léon Blum
annonce aussitôt le dépôt de trois projets : semaine de 40 heures,
contrats collectifs et congés payés, qui aboutiront aux « Accords de
Matignon » du 7 juin 1936.
« La région rennaise va-t-elle être touchée à
son tour par le mouvement de grève ? » s’inquiète L’Ouest-Éclair du 11 juin. En effet, on
signale un premier mouvement en Ille-et-Vilaine chez les granitiers de
Louvigné-du-Désert, puis une occupation de l’atelier des Tréfileries de L’Ouest
à Bruz par 80 ouvriers. Ayant obtenu satisfaction de « L’aimable et compétent directeur M. Duriot »,
le quotidien rennais annonce qu’ils ont repris le travail le lendemain. Dans
l’ensemble, le département est peu « impacté », comme on dirait
aujourd’hui, par le mouvement général.
Et à Rennes ?
L’Ouest-Éclair, 15 juin 1936 |
Dans
la capitale bretonne on défile. Le dimanche 31 mai, c’est la traditionnelle
fête des fleurs qui a remporté « Un triomphal succès » titre L’Ouest-Éclair. Le dimanche 14 juin, comme
à Paris, un rassemblement est organisé par le Front Populaire à 9 heures 30,
sur la place Sainte-Anne. Le cortège, entre 3 et 5 000 personnes, se forme
pour défiler en ville avant de se rendre sous la halle des Lices où se tient un
meeting, suivi d’un vin d’honneur. On ne signale aucun incident « Les manifestants observèrent à la lettre les
consignes qui leur avaient été données par les organisateurs », note le
quotidien rennais. Aucunes forces de
l’ordre à l’horizon. Heureusement, car le même jour, à 17 heures, est prévu un
autre défilé. Le principe reste le même, mais dans un style différent. Les
« poings tendus », drapeaux rouges et hymnes de L’Internationale ou de La
Jeune Garde cèdent la place aux thuriféraires, bannières et cantiques de la
Fête-Dieu, dont la procession s’ébranle de la Métropole pour parcourir les rues
du centre-ville avec toujours la même foule de fidèles. Alors que le mouvement
des grèves s’amplifie en province, « Le calme règne à Rennes où les
revendications des ouvriers et employés vont être présentées aux employeurs par
la voie de la négociation », note le journal. Pourtant, le lendemain
16 juin, une « grève sur le tas » est déclenchée à la chaudronnerie
Bernard, rue Vanneau, puis une autre aux établissements Le Bihan, rue Turquéty.
La vingtaine d’ouvriers obtient vite satisfaction et reprend le travail le
lendemain. Ce jour-là, les choses deviennent plus sérieuses et ce sont les
femmes, pour la plupart non syndiquées, qui se mobilisent. En effet, la Bonneterie
Moreau, rue du Tourniquet, est occupée par une centaine d’ouvrières, ainsi que la
Chemiserie Strauss, à l’angle du boulevard de Chézy et de l’impasse du
Louis-d’Or qui en emploie 200 autres. Aussitôt des groupes se forment dans les
deux usines pour aller à la Maison du Peuple s’inscrire au Syndicat de
l’Habillement. Situation qui n’est pas sans rappeler les événements actuels de
Rennes, le directeur de la chemiserie déclare aux journalistes : « Nous comprenons la tâche de la Presse… Pourtant
nous ne devons pas oublier que nous ne sommes pas chez nous et nous vous
saurons gré de ne pas insister pour pénétrer à l’intérieur des ateliers. Quant
à prendre des photographies… tous ce que vous voudrez de l’extérieur. »
Le directeur de l’usine propose une augmentation de 7%, que les ouvrières
jugent insuffisante. Le patron s’en remettant à la direction parisienne, la
grève semble partie pour durer. L’occupation se fait dans la bonne humeur, les
époux ravitaillant leurs femmes pour la nuit. « Nous luttons pour défendre notre casse-croute »
déclarent-elles alors que le mouvement prend de l’ampleur puisque les grands
magasins de la ville ferment leurs portes. Prisunic, Les Nouvelles Galeries et Les
Magasins Modernes affichent en effet sur leurs portes : « En raison des événements actuels, pour
éviter à notre personnel de se trouver malgré lui dans une situation difficile,
nous avons décidé de fermer nos magasins et de mettre notre personnel en congé
payé jusqu’à nouvel ordre. » Stupéfaction des employés qui ne
s’attendaient pas à ce lock-out qui
s’apparente à des vacances forcées. Une réunion est immédiatement décidée à la
Maison du Peuple par les employés des grands magasins, rejoints par le
personnel de la société L’Économique qui trouva lui-aussi portes closes à
l’entrepôt de la rue Saint-Hélier. Le soir même, se tient une réunion du
Syndicat du Bâtiment. « Une armée de
vélos dans la rue Saint-Louis… la grande salle des fêtes de la Maison du Peuple
trop exigüe. Des centaines de compagnons dans la cour. Environ 1 800 à
2 000 personnes. On n’avait pas vu autant de monde, nous a dit un vieil
habitué de la vieille Bourse du Travail, depuis les grèves de 1920. Et toute
cette foule très calme », écrit le reporter de L’Ouest-Éclair. Le lendemain matin 20 juin, une nouvelle réunion
des employés des grands magasins est prévue pour prendre connaissance de la
réponse des employeurs. Signe de la modernité des temps, une délégation s’est
rendue à Nantes par avion – la station service Caudron-Renault de Saint-Jacques
ayant toujours un appareil à disposition – pour prendre connaissance de
l’accord signé entre employeurs et employés. Les propositions de ce qu’ils
appellent le « Barème de Nantes » étant jugées insuffisantes, une
entrevue est décidée aux Nouvelles Galeries, avec de nouvelles propositions
d’augmentation entre 7 et 15 %, mais sans succès.
L’Ouest-Éclair, 18 juin 1936 |
L’Ouest-Éclair, 19 juin 1936 |
Alors
qu’un accord met fin aux grèves des grands magasins de Paris le 21 juin, la
situation n’est toujours pas réglée à Rennes où les pourparlers reprennent. Par
contre, les ouvrières de la Chemiserie Strauss ont repris le travail après
avoir obtenu une augmentation de 15% du salaire de base plus divers avantages. Le
20 juin, c’est au tour des Papeteries de Bretagne de se mettre en grève. Les
ouvriers et ouvrières de la rue de Lorient occupent l’usine mais, comme le
constate avec soulagement le journaliste de L’Ouest-Éclair,
la morale est sauve : « Ils
sont environ 150 qui ont passé la nuit à l’usine, après avoir organisé un
rigoureux service d’ordre et mis sur pied des consignes sévères qui sont
exécutées à la lettre. C’est ainsi qu’après avoir autorisé les personnes âgées
et de santé délicate à regagner leur domicile, les grévistes installèrent un
dortoir de fortune, mais séparé, pour les femmes, avant de s’occuper
d’eux-mêmes. Ainsi toutes les précautions ont été prises pour sauvegarder les
sentiments de pudeur des ouvrières qui se sont solidarisés avec les ouvriers. »
L’usine étant située sur les bords de la Vilaine, les hommes n’ont pas raté
l’ouverture de la pèche et les planches à palets sont de sorties. Á la Maison
du Peuple, après un arbitrage de l’inspecteur du Travail, un accord est trouvé
dans le conflit des grands magasins qui doivent rouvrir le 23 juin. Ayant
obtenu une augmentation de 10 à 15 % selon les catégories, les employés ont le
sourire aux lèvres et ovationnent l’inspecteur du Travail, M. Lallemand. Le
personnel des Nouvelles Galeries se rend au magasin en chantant. Le même jour
c’est au tour des ouvriers du parc des Ponts et Chaussées de cesser le travail.
L’ambiance est festive et l’occupation du dépôt sur le canal Saint-Martin se
fait au son de l’accordéon. De leur côté, les employés de la Société
L’Économique ont obtenu satisfaction avec une augmentation de tous les salaires
de 15 %. Même chose aux Papeteries de Bretagne où le travail reprend. On le
voit donc, avec un retard d’un mois sur la région parisienne, le mouvement est
général dans la région rennaise. L’issue la plus rapide est celle de la
Compagnie du Bourbonnais, dont l’usine du boulevard de la Tour-d’Auvergne est
occupée à 19 heures le 25 juin. Les ouvriers décident aussitôt de bloquer
l’usine de production électrique du boulevard Voltaire et se font ravitailler
par leurs épouses. Face à la menace d’une privation de lumière en ville, une
commission se réunit immédiatement à la Préfecture. Vers minuit, un accord est
conclu et l’usine évacuée ! La grève n’aura pas duré six heures. Le
lendemain, les ouvriers des Ponts et Chaussées ayant obtenu la garantie d’une
négociation, le parc est rouvert. Après celui des grands magasins, un accord est
également signé entre les patrons et les personnels des commerces indépendants
de la ville. Quelques petits conflits subsistent et les réunions s’enchainent à
la Maison du Peuple, ainsi celles des employés de garages, des TER, des garçons
coiffeurs. Mais, dans l’ensemble, le mouvement général des grèves cesse début
juillet.
"Les Batailles perdues", p. 524 |
Ajouté le 1 juin 2016. 80 ans plus tard, ce communiqué se passe de commentaire.
Une
cinquantaine de salariés de l'usine Amazon à Montélimar sont en grève depuis
une semaine, avec le soutien de la CGT, pour obtenir notamment une hausse de
salaire dans le cadre des négociations annuelles avec la direction. Le 25 mai, France Bleu rapportait que
la direction souhaitait «faire travailler les salariés 6 jours sur 7 en
juin, juillet, août, sans paiement d'heures supplémentaires».
Dans une
vidéo réalisée par une membre de Nuit Debout Valence, plusieurs
salariées racontent leurs conditions de travail, avec portique «comme dans
les aéroports» et difficultés à créer du lien entre travailleuses. «On
nous propose 0,5% d'augmentation, et on demande 1%, c'est-à-dire entre 12 et 13
euros bruts par mois», expliquent-elles aussi. Un pot commun a été créé pour soutenir les
grévistes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire