Depuis quelques mois les nouvelles n’étaient pas très
rassurantes. L’Ankou a fauché Martial Ménard aujourd’hui. Je ne partageais pas
toutes ses opinions politiques sur le mouvement breton, loin s’en faut. Peu importe. Deux années nous
séparaient et nous avions en commun les mêmes origines très modestes, vécus
dans les mêmes HLM, quittés l’école un peu trop vite, n’ayant jamais mis les
pieds au lycée et se retrouvant au travail à 15 ou 16 ans sans que l’on nous
demande trop notre avis. Dotés d’une excellente mémoire, comme tous les
autodidactes, notre formation intellectuelle fut d’abord celle de l’engagement syndical
ou politique. Puis arrivèrent les années 70-80. Celles du renouveau de la
culture bretonne, de la gauche au pouvoir, des luttes communes pour la défense
de la langue bretonne. Des opportunités professionnelles s’offraient alors aux
jeunes que nous étions et inconcevables pour ceux d’aujourd’hui. Puis ce fut chacun
sa route, chacun son chemin. Douze métiers, treize misères. Après quelques
années d’exil professionnel à Lyon puis Toulon, je retrouvais Martial en
Bretagne dans les années quatre-vingt-dix. Lui, l’ancien apprenti sans aucun
diplôme, devenu un excellent bretonnant, reconnu par les universitaires comme un brillant linguiste,
dirigeait les éditions en langue bretonne An Here. Pour ma part, en 1993, à
quarante ans, je décidais de passer mon baccalauréat et d’entamer des études
d’histoire à l’université. Après un mémoire de maîtrise sur le journal L’Ouest-Éclair, dont une synthèse sera
éditée aux PUR, je soutenais un mémoire de DEA sur les nationalistes bretons
dont je n’imaginais pas un seul instant en faire un livre. La soutenance
terminée, en juillet 2000, je suis contacté par Martial qui me propose de l’éditer sous le titre Les nationalistes bretons sous l’Occupation.
L’ouvrage sort en 2001 et connaîtra trois rééditions avec un certain succès. Ce qui vaudra à l'éditeur quelques lettres d'insultes assez étonnantes et des menaces de procès de familles du mouvement breton "L'Emsav", qu'il est inutile de nommer. Commencent ensuite les conférences, parfois perturbées par l'extrême-droite bretonne, et séances de dédicaces lors des salons du
livre. Nous avons eu alors le temps de discuter et de mieux nous connaître. J'ai découvert un homme extrêmement sensible et très chaleureux, auquel la vie n'a pas toujours souri. C’était aussi des moments de franche rigolade car Martial, en bon Gallo qu'il était resté, était un garçon truculent avec un sens de l’humour à toute épreuve. Pour An Here, c’était alors les années fastes, avec
l’immense succès du livre de Jean-Marie Déguignet dont les bénéfices serviront à l'édition de son dictionnaire de la langue bretonne. Martial fut très affecté par le dépôt de bilan de sa maison d'édition. C'est dans ces moments que l'on compte ses "meilleurs amis". Bien qu'il n'en laissait rien paraître, il fut également blessé par les attaques calomnieuses dont il fut victime. C'est alors que Ouest-France eut l'excellente idée de lui proposer une chronique hebdomadaire sur la langue bretonne, bouée d'oxygène morale et forme de reconnaissance de son travail accompli.
Martial à gauche, à son côté Claude Boissière et en face Yann Goasdoué |
Qu’il me soit permis de conclure ce modeste hommage avec
cette anecdote vécue lors du festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo. Le terme anecdote étant un peu ringard, allons-y pour celui de "sketch". J’étais
assis au stand An Here pour dédicacer mon ouvrage avec, comme c’est l’usage,
mon nom écrit sur un bristol devant une grosse pile de livres. Á coté de moi,
une autre pile plus importante du best-seller Mémoires d’un Paysan Bas-Breton avec également un bristol au nom de
Jean-Marie Déguignet. Un acheteur se présente et demande à Martial si l’auteur
est là pour une dédicace. Lequel, le plus sérieusement du monde, lui répond que
Déguignet n’a pas pu se libérer, mais qu’il était son éditeur. Le client, qui
visiblement était venu spécialement au salon pour avoir ses livres dédicacés,
demanda alors à Martial de se substituer à Déguignet pour avoir un peit mot signé… Un "collector" comme on dit aujourd'hui. Et cet autre, lors d'un salon du livre à Lorient : un acheteur se présente devant le stand, prend quelques ouvrages et demande : "Vous faites combien pour les enseignants ?" Martial, sans rire, répond : "Plus 10 %".
Martial est parti, mais il reste parmi nous avec une œuvre que lui envieraient bien des universitaires celtisants.
Martial est parti, mais il reste parmi nous avec une œuvre que lui envieraient bien des universitaires celtisants.
Kristian Hamon, historien non conventionné.
Bonjour en tant que la sœur de Martial vous comprendrez que je suis très sensible à ce qui est dit ou écrit... Certaines choses sont inexactes dans cet hommage où je retrouve bien la personnalité de mon frère. Martial avait obtenu ses diplômes de cuisinier, pâtissier, confiseur, glacier en 1971 et avait une réelle expérience dans sa profession, acquise en région parisienne avant son arrivée en Bretagne. Je detiens ces documents suite à son décès. Martial n'a pas suivi les études secondaires à cette époque, car_c'etait son choix_ . Il était passionné par la cuisine, mes parents auraient aimé qu'il poursuive en secondaite car il avait des facilités D'autre part, même si nous étions avions des origines modestes mes parents étaient propriétaires de leur appartement, et que je possède. Nous ne résidions donc pas en HLM, peut-être qu'habiter en copropriété est synonyme de HLM.. Ce commentaire n'a rien de polémique. Cordialement.
RépondreSupprimerBonjour Madame,
SupprimerJe découvre un peu tardivement votre commentaire et vous remercie pour ces précisions. Veuillez accepter mes excuses pour cette regrettable confusion entre "HLM" et "copropriété". Martial, qui était d'une grande simplicité, ne me donnait pourtant pas l'impression d'attacher beaucoup d'importance à cette distinction dévalorisante entre vivre dans un logement social et un appartement en copropriété dont vous êtes l'heureuse propriétaire.
A galon