Quels étaient réellement les effectifs du
Parti national breton (PNB) sous l’Occupation ? Cette question ayant fait
l’objet d’estimations toutes aussi fantaisistes les unes que les autres dans les
ouvrages parus après la Seconde Guerre mondiale, la réponse ne va pas de soi.
Les chiffres avancés émanant généralement d’anciens responsables du PNB, ils
sont évidemment à prendre avec la plus grande précaution. Pour des raisons
évidentes de propagande, y compris après-guerre, ceux-ci avaient intérêt à en
exagérer la portée. C’est ainsi que pour Paul Gaignet, responsable des éditions
du parti, les effectifs du PNB se situaient entre 10 et 15 000 adhérents. Plus
modeste, Job Jaffré, le rédacteur en chef de L’Heure Bretonne, estimait leur nombre à 6 000, alors que Ronan
Caouissin et Olier Mordrel avançaient le chiffre de 5 000 adhérents. Roland de Coatgoureden, pour sa part, chiffre à près de 4 000 les adhérents du PNB « rien que pour les Côtes-du-Nord ».
Emporté par son élan, Ronan Caouissin, alias Caerléon, va aller jusqu'à
plus de 500 000, les sympathisants à la cause bretonne !
Quoi qu’il en soit de la réalité de ces
chiffres, même avec 5 000 adhérents pour les cinq départements bretons,
cela reste considérable pour un parti politique autorisé en zone occupée.
Rappelons pour mémoire que les effectifs du Parti populaire français (PPF) ou
du Rassemblement national populaire (RNP), les deux grands partis d’alors, ne
dépassaient pas chacun 30 000 membres. Tandis que le MSR ou le Parti
franciste ne comptaient pas plus de 10 000 adhérents. Grâce aux travaux d’historiens comme Alain
Deniel, Bertrand Frelaut ou Michel Nicolas, ces chiffres seront revus à la
baisse, avec des effectifs de l’ordre de 2 500 à 3 000 adhérents.
Pour autant, nous n’en sommes encore qu’au
stade d’estimations. En effet, le fichier des adhérents conservé au
« Central », le siège du PNB situé quai Lamartine, ayant été détruit
à la Libération, les chiffres avancés ne reposent sur aucune source interne du
parti mais sur des fichiers établis par les Renseignements Généraux ou les
services de police des différentes préfectures bretonnes. Des listes ont
également été retrouvées aux domiciles de certains responsables du parti lors
de perquisitions effectuées à la Libération alors que ceux-ci étaient en fuite.
Ces documents figurent dans leurs dossiers d’instruction judiciaire
consultables aux Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine (ADIV). En
recoupant toutes ces sources, et avec les précautions qui s’imposent, la police
ayant tendance à mélanger allègrement militants actifs, adhérents,
sympathisants ou simples abonnés à L’Heure
Bretonne, tous qualifiés « d’autonomistes », j’en étais arrivé
pour ma part à une estimation plus raisonnable de l’ordre de 1 250
adhérents dans mon ouvrage « Les
Nationalistes Bretons sous l’Occupation ». C’est-à-dire une moyenne de 200 à 250 adhérents par département,
avec une prépondérance certaine pour les départements du Morbihan et des
Côtes-du-Nord. L’Ille-et-Vilaine est un cas un peu particulier dans la mesure
où bon nombre des animateurs et cadres du parti, originaires de Basse-Bretagne,
sont domiciliés à Rennes. La moitié de ces adhérents peuvent être considérés
comme des militants actifs et parfaitement repérés ou identifiés comme tels par
les services de police de Vichy. Dans ce même ouvrage, il y a une quinzaine
d’années, je m’appuyais sur un dossier (ADIV1439W22-23) de 4 400 fiches individuelles
de présumés membres du PNB, réalisé par les Renseignements Généraux (RG). Après
consultation et analyse de ces fiches, j’avais estimé à 1 400 celles
concernant effectivement les adhérents ou sympathisants du PNB, et pour le
reste, soit à peu près 3 000 fiches, j'avais pensé qu'il devait s'agir d’abonnés à L’Heure Bretonne. Je ne m'étais pas trompé.
Dans le Morbihan, des estimations ont été
faites sur la base d’un document des RG, cité par Marcel Baudot dans son
ouvrage « La libération de la
Bretagne » (1973). Il s’agit d’un rapport de 1943 intitulé « Liste d’autonomistes » établi par
les RG du Morbihan et qui comporte 555 noms avec adresses, professions et
appréciations individuelles. En 1945, cette liste réapparait dans les mains du
procureur de la République qui ordonne une enquête individuelle sur les
personnes suspectées d’avoir appartenu au PNB et devant lesquelles il met une
croix : c’est-à-dire 385 noms. Elles feront toutes l’objet d’un
interrogatoire et d’une enquête de voisinage par les gendarmes. Le
dépouillement systématique des dossiers individuels (ADIV 216W80) à mis en
évidence le caractère parfois fantaisiste de cette liste des RG. Sur la foi des
déclarations recueillies par les gendarmes, je n’ai retenu que 187 personnes,
dont une moitié de militants actifs, comme pouvant être considérées comme
effectivement adhérentes au PNB. Pour les autres, il s’agissait surtout de
vagues sympathisants abonnés à L’Heure
Bretonne ou de membres de cercles celtiques.
Sources
du Comité Départemental de la Libération d’Ille-et-Vilaine (CDL35)
Il existe deux fichiers d’adhérents du PNB
pour la Bretagne retrouvés dans les archives du CDL35. Il s’agit de fiches
bristol individuelles : nom, prénom, adresse et profession. Le premier
comporte 568 fiches plus une centaine de fiches fantaisistes mises de côté par
mes soins. Ce sont des doublons ou pseudonymes de rédacteurs de L’Heure Bretonne : Corentin Cariou
pour Youenn Drezen ; Polig Trevezel pour Polig Monjarret ; Roparz
Hemon pour Louis Nemo ; Jean Merrrien pour René de la Poix de
Fréminville ; Danio pour Jeanne Coroller qui a également une fiche au nom
de Jeanne Chassin du Guerny, etc. Le deuxième fichier comporte 539 noms avec là
aussi une centaine de fiches de pseudonymes. Nous ne savons pas qui a constitué ce fichier, mais il convient d'être vigilant car les erreurs de patronymes ou de noms de communes sont
très fréquentes : ainsi on relève un Clainchain « Marchand de beurre à Marcillé-Robert »
alors qu’il s’agit de Clanchin à Marcillé-Raoul. Il est possible que ce fichier ait été établi sur la base d’une liste dressée par les Renseignements Généraux ou la police à l’occasion de la
fameuse « rafle » ordonnée par le général Allard le 20 novembre 1944
et qui va aboutir à l’arrestation d’environ 600 membres du PNB dont les plus
actifs seront détenus au camp Margueritte à Rennes.
Intéressant également, ce document des RG des
Côtes-du-Nord en date du 14 novembre 1944 intitulé : « Liste de membres du PNB repérés dans le
département ». Cette liste de trois pages a été adressée au préfet et
au CDL. Au vu de la date de rédaction on peut raisonnablement penser qu’elle a
été établie dans la perspective de la rafle Allard, on relève 76 noms
d’adhérents connus. Elle est complétée par une autre liste de militants du
département « se réunissant fréquemment »
qui indique 91 noms et adresses. Plus étonnante, cette liste d’une vingtaine de
médecins en date du 7 mars 1943 et qui démontre que leur présence au PNB
n’était pas négligeable.
Fichier
d’abonnés à L’Heure Bretonne
Le
premier numéro de L’Heure Bretonne
est paru le 14 juillet 1940 avec un tirage de 50 000 exemplaires. Il
évoluera ensuite entre 20 et 30 000. Ce qui est assez considérable pour un hebdomadaire de parti politique. Un fichier de 53 pages intitulé « Liste des abonnés à L’Heure Bretonne année
1942 » avec noms, prénoms, professions et adresses vient d'être mis au jour dans les
archives du CDL35. Il a probablement été retrouvé au siège du journal, à
l’angle de la rue d’Estrées et de la place du Maréchal Pétain. Ce fichier
comporte 2907 abonnés : Morbihan, 775 ; Côtes-du-Nord, 493 ;
Ille-et-Vilaine, 490 ; Finistère, 384 ; Loire-Inférieure, 308
abonnés ; autres départements, 227 abonnés ; région parisienne, 211
abonnés ; puis une vingtaine à l’étranger, essentiellement en Allemagne et
Belgique. C’est donc bien dans le Morbihan et les Côtes-du-Nord, et tout
particulièrement dans les zones où l’on parle le plus le breton : le pays
vannetais et le Trégor, que les idées développées par les PNB trouvent un écho
favorable. On relève sur cette liste pas moins de 403 cultivateurs, 58
médecins, 28 pharmaciens, 80 patrons d’hôtel-restaurant, 44 ecclésiastiques dont
16 dans le Morbihan et 10 dans les Côtes-du-Nord.
Le
cas des prisonniers de guerre libérés
L'Heure Bretonne 11 août 1940 |
Dès le mois de juin 1940, les chefs du PNB
réfugiés en Allemagne obtiennent des autorités allemandes la possibilité de
faire libérer des prisonniers de guerre bretons. Célestin Lainé s'inspirait-il de Sir Casement qui entreprit de former une brigade irlandaise parmi les soldats irlandais prisonniers en Allemagne lors de la Première Guerre mondiale ? Toujours est-il qu'un premier groupe d’une quarantaine d’hommes, qui constitueront le noyau
dur de son futur « Service Spécial », prend la direction de Pontivy,
où est annoncée la création du Conseil National Breton le 4 juillet. En
Allemagne, les prisonniers de guerre anciens membres du parti sont mis à
contribution pour faire le tour des stalags, ainsi André Geoffroy de Locquirec :
« En Allemagne j’ai fait partie de
la commission de recensement et visité ainsi 3 camps : les stalags 8C, 4B,
3A, et un camp annexe servant au regroupement des prisonniers avant leur
libération. J’étais chargé de recenser les prisonniers bretons en vue de leur
rapatriement proposé par les autorités allemandes. 415 Bretons sont ainsi
revenus ». La même opération sera tentée auprès des officiers de
différents oflags, mais sans succès.
L'Heure Bretonne 20 juillet 1940 |
Les soldats bretons choisis sont ensuite
séparés de leurs camarades d’infortune puis regroupés dans un premier
temps dans des stalags particuliers comme le 4B à Mühlberg, le 8C à Sagan ou le
9B à Bad-Orb. Les membres du PNB vont alors exhorter les
« volontaires » à rejoindre le camp de Luckenwalde où après une
période de « conditionnement idéologique» consistant en des
conférences de propagande nationaliste et des cours de langue bretonne, ils
seront rapatriés en Bretagne. Émile C. de Pleucadeuc, saisit l’aubaine: « J’ai été mobilisé au 218e
régiment d’artillerie et fait prisonnier le 16 mai 1940. J’ai été envoyé au
stalag 1B en Prusse orientale. Environ deux mois après, environ 5 000
Bretons furent expédiés au stalag 9B et j’étais du nombre. En quittant le
stalag 1B les Allemands nous disaient qu’on retournait chez nous et que nous
étions libérés parce que nous étions bretons. Dans le dernier stalag, des
délégués bretons demandaient à leurs camarades prisonniers comme eux s’ils
voulaient être libérés, ils nous invitaient à nous faire inscrire. Comme
plusieurs milliers de camarades, j’ai donné mon nom. Á ce moment je n’avais
qu’un désir : quitter l’Allemagne ! Début décembre 1940, on me fit
savoir que je rentrais en France sans plus d’explications. J’ai eu le bonheur
de quitter ce camp avec 2 ou 300 camarades. » En Bretagne, les
nationalistes vont développer leur propagande dans L’Heure Bretonne autour de ces libérations obtenues grâce au PNB.
Un bureau est même ouvert à cet à Rennes pour recueillir les demandes
d’intervention du parti auprès des autorités d’occupation. Dans L’Heure Bretonne du 11 août 1939, le
parti précise « Nous ne demandons
aucune adhésion aux prisonniers pour les faire libérer. Ceux qui adhèrent à
leur sortie sont évidemment nombreux, mais nous n’usons d’aucune contrainte.
Nous voulons en effet que les adhésions soient spontanées et sincères. » Cette déclaration sera contredite par certains témoignage de prisonniers ayant reçu la visite de militant du parti à leur retour chez eux. Ce qui ne fait aucun doute, c’est que ces hommes ont signé un engagement de ne
jamais prendre les armes contre les autorités d’occupation. Il est difficile de
savoir quel a été exactement le nombre de prisonniers libérés. D’après certains
témoignages et rapports de gendarmerie, car bon nombre de ces prisonniers vont
être interrogés à la Libération sur les conditions de leur retour d’Allemagne,
entre 5 et 600 hommes seraient rentrés chez eux jusqu’à Noël 1940, date du
dernier convoi. On imagine que le fait de revenir au pays quelques mois
seulement après l’armistice va susciter bien des interrogations dans le
voisinage… Interrogé par les gendarmes, notre prisonnier libéré de Pleucadeuc
va finir par reconnaitre : « qu’il
avait assisté courant 1941 à un congrès organisé par le PNB à
Rochefort-en-Terre et qu’il s’était abonné à L’Heure-Bretonne. Si j’ai adhéré
au PNB c’est uniquement pour rentrer d’Allemagne car je n’ai jamais été un vrai
autonomiste breton. »
Sur un document inédit de sept pages,
malheureusement sans date ni indication d’origine, retrouvé dans les archives
du CDL et intitulé « Prisonniers
libérés. Liste des adhérents du Parti National Breton (ont versé la cotisation
de 10 frs pour 1941) » on relève 278 noms et adresses de prisonniers
revenus probablement au mois de décembre 1940. Sur ces 278 prisonniers :
84 sont domiciliés dans le Finistère ; 45 en Ille-et-Vilaine ; 36
dans les Côtes-du-Nord ; 36 en Loire-Inférieure ; 29 dans le
Morbihan, le reste hors de Bretagne.
Parmi ces prisonniers libérés ayant versé une
cotisation au PNB en 1941, on relève le nom de Théodore Clanchin, qui avait
été mal orthographié sur les fiches des adhérents, commerçant en beurre et œufs
de Marcillé-Raoul (35). Dirigeant avec son frère une entreprise de négoce
prospère, Théodore Clanchin a été fait prisonnier en juin 1940 puis envoyé au
stalag 4B de Mühlberg. Cet industriel n’est pas un inconnu puisqu’une place
porte aujourd’hui son nom à Marcillé-Raoul. Ce cas parmi d'autres n'aurait en rien attiré mon attention si Reynald Secher ne lui avait consacré un chapitre sur le récit de sa captivité habilement placé au milieu de
biographies de résistants de la première heure dans son livre « Histoires
de résistants en Bretagne ». Si l’historien nous décrit les conditions de
détention du prisonnier, il se garde bien d’évoquer son adhésion au PNB : « Les repas sont frugaux, rarement chauds. La nourriture
est presque exclusivement composée de rutabagas trempés dans de l’eau. Les
pommes de terre sont très rares. Les organismes s’affaiblissent, victimes des
restrictions. En quatre mois, Clanchin perd 29 kilos sur 76 ! à 34 ans il
pèse 47 kilos ! La mort est omniprésente, extrêmement douloureuse pour les
survivants, traumatisante pour les proches, toujours étonnés d’être encore
vivants d’autant qu’elle n’est pas une fatalité mais la suite logique de
privations et de l’inexistence de soins. Cependant avec la paix dite de
Montoire, où Pétain et Hitler se rencontrent, le 24 octobre 1940, les
conditions de vie s’améliorent, les gardiens deviennent moins brutaux, les
repas sont diversifiés, de plus en plus de colis arrivent intacts. Mais
certains hommes porteront tout le reste de leur vie les traces de ces premiers
mois de captivité. Alors que Théodore Clanchin dépérit en Allemagne, son
épouse Suzanne se meurt d’un cancer dans la maison familiale. Son cas est
désespéré. La tante de Théodore, institutrice à Betton, Mme Lendormy, sachant
l’issue fatale, entreprend des démarches énergiques afin d’obtenir sa
libération. Aussi sa surprise est-elle totale lorsque, convoqué par le
commandant du camp, celui-ci lui annonce sa remise en liberté. La demande a été
facilitée par la politique générale du Reich qui consiste à accentuer les
divisions au sein des nations vaincues en favorisant les minorités, comme
celles des Bretons, et les sécessions. Le 30 novembre, Théodore Clanchin est
transféré au camp 0/1 II de Luckinivald (sic). Là il retrouve un certain nombre de connaissances rennaises ou
doloises. La stupeur est générale, le doute réel mais l’espoir immense. Ces
hommes éprouvés physiquement, épuisés, rongés par la dysenterie, croient pour
la 1ère fois depuis longtemps à leur libération. Le 10 décembre, le
groupe d’une soixantaine de Bretons quitte le camp afin de prendre le train
pour la France. »
L’Ouest-Éclair 3 mai 1941 |
Certes, la situation sanitaire des camps de
prisonniers était déplorable, notamment durant les premiers mois de captivité,
avec pour conséquences des épidémies favorisées par une alimentation insuffisante
ou de mauvaise qualité. Mais que dire alors sur ce qu’ont vécu les hommes et
les femmes déportés vers les camps de concentration et qui, pour ceux qui
survivront à l’horreur nazie, ne reviendront qu’en 1945 ? Et que dire des camps d'extermination qui, par définition, étaient destinés à éliminer systématiquement tous les Juifs ?
Quoi
qu’il en soit, Théodore Clanchin est de retour au pays après six mois de
captivité. Rétabli, il reprend ses activités commerciales avec succès puisqu’il
est chargé de mission du Secrétariat d’État au Ravitaillement puis, le 3 mai
1941, nommé répartiteur départemental lors d’une réunion syndicale des
marchands et expéditeurs de beurre et œufs d’Ille-et-Vilaine. Il sera ensuite
promu comme directeur régional des quatre départements bretons.
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