vendredi 8 janvier 2016

Quelques éléments d'analyse des effectifs du Parti National Breton



Quels étaient réellement les effectifs du Parti national breton (PNB) sous l’Occupation ? Cette question ayant fait l’objet d’estimations toutes aussi fantaisistes les unes que les autres dans les ouvrages parus après la Seconde Guerre mondiale, la réponse ne va pas de soi. Les chiffres avancés émanant généralement d’anciens responsables du PNB, ils sont évidemment à prendre avec la plus grande précaution. Pour des raisons évidentes de propagande, y compris après-guerre, ceux-ci avaient intérêt à en exagérer la portée. C’est ainsi que pour Paul Gaignet, responsable des éditions du parti, les effectifs du PNB se situaient entre 10 et 15 000 adhérents. Plus modeste, Job Jaffré, le rédacteur en chef de L’Heure Bretonne, estimait leur nombre à 6 000, alors que Ronan Caouissin et Olier Mordrel avançaient le chiffre de 5 000 adhérents. Roland de Coatgoureden, pour sa part, chiffre à près de 4 000 les adhérents du PNB « rien que pour les Côtes-du-Nord ».  Emporté par son élan, Ronan Caouissin, alias Caerléon, va aller jusqu'à plus de 500 000, les sympathisants à la cause bretonne !
Quoi qu’il en soit de la réalité de ces chiffres, même avec 5 000 adhérents pour les cinq départements bretons, cela reste considérable pour un parti politique autorisé en zone occupée. Rappelons pour mémoire que les effectifs du Parti populaire français (PPF) ou du Rassemblement national populaire (RNP), les deux grands partis d’alors, ne dépassaient pas chacun 30 000 membres. Tandis que le MSR ou le Parti franciste ne comptaient pas plus de 10 000 adhérents. Grâce aux travaux d’historiens comme Alain Deniel, Bertrand Frelaut ou Michel Nicolas, ces chiffres seront revus à la baisse, avec des effectifs de l’ordre de 2 500 à 3 000 adhérents.
Pour autant, nous n’en sommes encore qu’au stade d’estimations. En effet, le fichier des adhérents conservé au « Central », le siège du PNB situé quai Lamartine, ayant été détruit à la Libération, les chiffres avancés ne reposent sur aucune source interne du parti mais sur des fichiers établis par les Renseignements Généraux ou les services de police des différentes préfectures bretonnes. Des listes ont également été retrouvées aux domiciles de certains responsables du parti lors de perquisitions effectuées à la Libération alors que ceux-ci étaient en fuite. Ces documents figurent dans leurs dossiers d’instruction judiciaire consultables aux Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine (ADIV). En recoupant toutes ces sources, et avec les précautions qui s’imposent, la police ayant tendance à mélanger allègrement militants actifs, adhérents, sympathisants ou simples abonnés à L’Heure Bretonne, tous qualifiés « d’autonomistes », j’en étais arrivé pour ma part à une estimation plus raisonnable de l’ordre de 1 250 adhérents dans mon ouvrage « Les Nationalistes Bretons sous l’Occupation ». C’est-à-dire une moyenne de 200 à 250 adhérents par département, avec une prépondérance certaine pour les départements du Morbihan et des Côtes-du-Nord. L’Ille-et-Vilaine est un cas un peu particulier dans la mesure où bon nombre des animateurs et cadres du parti, originaires de Basse-Bretagne, sont domiciliés à Rennes. La moitié de ces adhérents peuvent être considérés comme des militants actifs et parfaitement repérés ou identifiés comme tels par les services de police de Vichy. Dans ce même ouvrage, il y a une quinzaine d’années, je m’appuyais sur un dossier (ADIV1439W22-23) de 4 400 fiches individuelles de présumés membres du PNB, réalisé par les Renseignements Généraux (RG). Après consultation et analyse de ces fiches, j’avais estimé à 1 400 celles concernant effectivement les adhérents ou sympathisants du PNB, et pour le reste, soit à peu près 3 000 fiches, j'avais pensé qu'il devait s'agir d’abonnés à L’Heure Bretonne. Je ne m'étais pas trompé.
Dans le Morbihan, des estimations ont été faites sur la base d’un document des RG, cité par Marcel Baudot dans son ouvrage « La libération de la Bretagne » (1973). Il s’agit d’un rapport de 1943 intitulé « Liste d’autonomistes » établi par les RG du Morbihan et qui comporte 555 noms avec adresses, professions et appréciations individuelles. En 1945, cette liste réapparait dans les mains du procureur de la République qui ordonne une enquête individuelle sur les personnes suspectées d’avoir appartenu au PNB et devant lesquelles il met une croix : c’est-à-dire 385 noms. Elles feront toutes l’objet d’un interrogatoire et d’une enquête de voisinage par les gendarmes. Le dépouillement systématique des dossiers individuels (ADIV 216W80) à mis en évidence le caractère parfois fantaisiste de cette liste des RG. Sur la foi des déclarations recueillies par les gendarmes, je n’ai retenu que 187 personnes, dont une moitié de militants actifs, comme pouvant être considérées comme effectivement adhérentes au PNB. Pour les autres, il s’agissait surtout de vagues sympathisants abonnés à L’Heure Bretonne ou de membres de cercles celtiques.

Sources du Comité Départemental de la Libération d’Ille-et-Vilaine (CDL35)
Il existe deux fichiers d’adhérents du PNB pour la Bretagne retrouvés dans les archives du CDL35. Il s’agit de fiches bristol individuelles : nom, prénom, adresse et profession. Le premier comporte 568 fiches plus une centaine de fiches fantaisistes mises de côté par mes soins. Ce sont des doublons ou pseudonymes de rédacteurs de L’Heure Bretonne : Corentin Cariou pour Youenn Drezen ; Polig Trevezel pour Polig Monjarret ; Roparz Hemon pour Louis Nemo ; Jean Merrrien pour René de la Poix de Fréminville ; Danio pour Jeanne Coroller qui a également une fiche au nom de Jeanne Chassin du Guerny, etc. Le deuxième fichier comporte 539 noms avec là aussi une centaine de fiches de pseudonymes. Nous ne savons pas qui a constitué ce fichier, mais il convient d'être vigilant car les erreurs de patronymes ou de noms de communes sont très fréquentes : ainsi on relève un Clainchain « Marchand de beurre à Marcillé-Robert » alors qu’il s’agit de Clanchin à Marcillé-Raoul. Il est possible que ce fichier ait été établi sur la base d’une liste dressée par les Renseignements Généraux ou la police à l’occasion de la fameuse « rafle » ordonnée par le général Allard le 20 novembre 1944 et qui va aboutir à l’arrestation d’environ 600 membres du PNB dont les plus actifs seront détenus au camp Margueritte à Rennes.
Intéressant également, ce document des RG des Côtes-du-Nord en date du 14 novembre 1944 intitulé : « Liste de membres du PNB repérés dans le département ». Cette liste de trois pages a été adressée au préfet et au CDL. Au vu de la date de rédaction on peut raisonnablement penser qu’elle a été établie dans la perspective de la rafle Allard, on relève 76 noms d’adhérents connus. Elle est complétée par une autre liste de militants du département « se réunissant fréquemment » qui indique 91 noms et adresses. Plus étonnante, cette liste d’une vingtaine de médecins en date du 7 mars 1943 et qui démontre que leur présence au PNB n’était pas négligeable.

Fichier d’abonnés à L’Heure Bretonne
Le premier numéro de L’Heure Bretonne est paru le 14 juillet 1940 avec un tirage de 50 000 exemplaires. Il évoluera ensuite entre 20 et 30 000. Ce qui est assez considérable pour un hebdomadaire de parti politique. Un fichier de 53 pages intitulé « Liste des abonnés à L’Heure Bretonne année 1942 » avec noms, prénoms, professions et adresses vient d'être mis au jour dans les archives du CDL35. Il a probablement été retrouvé au siège du journal, à l’angle de la rue d’Estrées et de la place du Maréchal Pétain. Ce fichier comporte 2907 abonnés : Morbihan, 775 ; Côtes-du-Nord, 493 ; Ille-et-Vilaine, 490 ; Finistère, 384 ; Loire-Inférieure, 308 abonnés ; autres départements, 227 abonnés ; région parisienne, 211 abonnés ; puis une vingtaine à l’étranger, essentiellement en Allemagne et Belgique. C’est donc bien dans le Morbihan et les Côtes-du-Nord, et tout particulièrement dans les zones où l’on parle le plus le breton : le pays vannetais et le Trégor, que les idées développées par les PNB trouvent un écho favorable. On relève sur cette liste pas moins de 403 cultivateurs, 58 médecins, 28 pharmaciens, 80 patrons d’hôtel-restaurant, 44 ecclésiastiques dont 16 dans le Morbihan et 10 dans les Côtes-du-Nord.

Le cas des prisonniers de guerre libérés
L'Heure Bretonne 11 août 1940
Dès le mois de juin 1940, les chefs du PNB réfugiés en Allemagne obtiennent des autorités allemandes la possibilité de faire libérer des prisonniers de guerre bretons. Célestin Lainé s'inspirait-il de Sir Casement qui entreprit de former une brigade irlandaise parmi les soldats irlandais prisonniers en Allemagne lors de la Première Guerre mondiale ? Toujours est-il qu'un premier groupe d’une quarantaine d’hommes, qui constitueront le noyau dur de son futur « Service Spécial », prend la direction de Pontivy, où est annoncée la création du Conseil National Breton le 4 juillet. En Allemagne, les prisonniers de guerre anciens membres du parti sont mis à contribution pour faire le tour des stalags, ainsi André Geoffroy de Locquirec : « En Allemagne j’ai fait partie de la commission de recensement et visité ainsi 3 camps : les stalags 8C, 4B, 3A, et un camp annexe servant au regroupement des prisonniers avant leur libération. J’étais chargé de recenser les prisonniers bretons en vue de leur rapatriement proposé par les autorités allemandes. 415 Bretons sont ainsi revenus ». La même opération sera tentée auprès des officiers de différents oflags, mais sans succès. 
L'Heure Bretonne 20 juillet 1940
Les soldats bretons choisis sont ensuite séparés de leurs camarades d’infortune puis regroupés dans un premier temps dans des stalags particuliers comme le 4B à Mühlberg, le 8C à Sagan ou le 9B à Bad-Orb. Les membres du PNB vont alors exhorter les « volontaires » à rejoindre le camp de Luckenwalde où après une période de « conditionnement idéologique» consistant en des conférences de propagande nationaliste et des cours de langue bretonne, ils seront rapatriés en Bretagne. Émile C. de Pleucadeuc, saisit l’aubaine: « J’ai été mobilisé au 218e régiment d’artillerie et fait prisonnier le 16 mai 1940. J’ai été envoyé au stalag 1B en Prusse orientale. Environ deux mois après, environ 5 000 Bretons furent expédiés au stalag 9B et j’étais du nombre. En quittant le stalag 1B les Allemands nous disaient qu’on retournait chez nous et que nous étions libérés parce que nous étions bretons. Dans le dernier stalag, des délégués bretons demandaient à leurs camarades prisonniers comme eux s’ils voulaient être libérés, ils nous invitaient à nous faire inscrire. Comme plusieurs milliers de camarades, j’ai donné mon nom. Á ce moment je n’avais qu’un désir : quitter l’Allemagne ! Début décembre 1940, on me fit savoir que je rentrais en France sans plus d’explications. J’ai eu le bonheur de quitter ce camp avec 2 ou 300 camarades. » En Bretagne, les nationalistes vont développer leur propagande dans L’Heure Bretonne autour de ces libérations obtenues grâce au PNB. Un bureau est même ouvert à cet à Rennes pour recueillir les demandes d’intervention du parti auprès des autorités d’occupation. Dans L’Heure Bretonne du 11 août 1939, le parti précise « Nous ne demandons aucune adhésion aux prisonniers pour les faire libérer. Ceux qui adhèrent à leur sortie sont évidemment nombreux, mais nous n’usons d’aucune contrainte. Nous voulons en effet que les adhésions soient spontanées et sincères. » Cette déclaration sera contredite par certains témoignage de prisonniers ayant reçu la visite de militant du parti à leur retour chez eux. Ce qui ne fait aucun doute, c’est que ces hommes ont signé un engagement de ne jamais prendre les armes contre les autorités d’occupation. Il est difficile de savoir quel a été exactement le nombre de prisonniers libérés. D’après certains témoignages et rapports de gendarmerie, car bon nombre de ces prisonniers vont être interrogés à la Libération sur les conditions de leur retour d’Allemagne, entre 5 et 600 hommes seraient rentrés chez eux jusqu’à Noël 1940, date du dernier convoi. On imagine que le fait de revenir au pays quelques mois seulement après l’armistice va susciter bien des interrogations dans le voisinage… Interrogé par les gendarmes, notre prisonnier libéré de Pleucadeuc va finir par reconnaitre : « qu’il avait assisté courant 1941 à un congrès organisé par le PNB à Rochefort-en-Terre et qu’il s’était abonné à L’Heure-Bretonne. Si j’ai adhéré au PNB c’est uniquement pour rentrer d’Allemagne car je n’ai jamais été un vrai autonomiste breton. »
Sur un document inédit de sept pages, malheureusement sans date ni indication d’origine, retrouvé dans les archives du CDL et intitulé « Prisonniers libérés. Liste des adhérents du Parti National Breton (ont versé la cotisation de 10 frs pour 1941) » on relève 278 noms et adresses de prisonniers revenus probablement au mois de décembre 1940. Sur ces 278 prisonniers : 84 sont domiciliés dans le Finistère ; 45 en Ille-et-Vilaine ; 36 dans les Côtes-du-Nord ; 36 en Loire-Inférieure ; 29 dans le Morbihan, le reste hors de Bretagne.
Parmi ces prisonniers libérés ayant versé une cotisation au PNB en 1941, on relève le nom de Théodore Clanchin, qui avait été mal orthographié sur les fiches des adhérents, commerçant en beurre et œufs de Marcillé-Raoul (35). Dirigeant avec son frère une entreprise de négoce prospère, Théodore Clanchin a été fait prisonnier en juin 1940 puis envoyé au stalag 4B de Mühlberg. Cet industriel n’est pas un inconnu puisqu’une place porte aujourd’hui son nom à Marcillé-Raoul. Ce cas parmi d'autres n'aurait en rien attiré mon attention si Reynald Secher ne lui avait consacré un chapitre sur le récit de sa captivité habilement placé au milieu de biographies de résistants de la première heure dans son livre « Histoires de résistants en Bretagne ». Si l’historien nous décrit les conditions de détention du prisonnier, il se garde bien d’évoquer son adhésion au PNB : « Les repas sont frugaux, rarement chauds. La nourriture est presque exclusivement composée de rutabagas trempés dans de l’eau. Les pommes de terre sont très rares. Les organismes s’affaiblissent, victimes des restrictions. En quatre mois, Clanchin perd 29 kilos sur 76 ! à 34 ans il pèse 47 kilos ! La mort est omniprésente, extrêmement douloureuse pour les survivants, traumatisante pour les proches, toujours étonnés d’être encore vivants d’autant qu’elle n’est pas une fatalité mais la suite logique de privations et de l’inexistence de soins. Cependant avec la paix dite de Montoire, où Pétain et Hitler se rencontrent, le 24 octobre 1940, les conditions de vie s’améliorent, les gardiens deviennent moins brutaux, les repas sont diversifiés, de plus en plus de colis arrivent intacts. Mais certains hommes porteront tout le reste de leur vie les traces de ces premiers mois de captivité. Alors que Théodore Clanchin dépérit en Allemagne, son épouse Suzanne se meurt d’un cancer dans la maison familiale. Son cas est désespéré. La tante de Théodore, institutrice à Betton, Mme Lendormy, sachant l’issue fatale, entreprend des démarches énergiques afin d’obtenir sa libération. Aussi sa surprise est-elle totale lorsque, convoqué par le commandant du camp, celui-ci lui annonce sa remise en liberté. La demande a été facilitée par la politique générale du Reich qui consiste à accentuer les divisions au sein des nations vaincues en favorisant les minorités, comme celles des Bretons, et les sécessions. Le 30 novembre, Théodore Clanchin est transféré au camp 0/1 II de Luckinivald (sic). Là il retrouve un certain nombre de connaissances rennaises ou doloises. La stupeur est générale, le doute réel mais l’espoir immense. Ces hommes éprouvés physiquement, épuisés, rongés par la dysenterie, croient pour la 1ère fois depuis longtemps à leur libération. Le 10 décembre, le groupe d’une soixantaine de Bretons quitte le camp afin de prendre le train pour la France. » 
L’Ouest-Éclair 3 mai 1941
Certes, la situation sanitaire des camps de prisonniers était déplorable, notamment durant les premiers mois de captivité, avec pour conséquences des épidémies favorisées par une alimentation insuffisante ou de mauvaise qualité. Mais que dire alors sur ce qu’ont vécu les hommes et les femmes déportés vers les camps de concentration et qui, pour ceux qui survivront à l’horreur nazie, ne reviendront qu’en 1945 ? Et que dire des camps d'extermination qui, par définition, étaient destinés à éliminer systématiquement tous les Juifs ?
Quoi qu’il en soit, Théodore Clanchin est de retour au pays après six mois de captivité. Rétabli, il reprend ses activités commerciales avec succès puisqu’il est chargé de mission du Secrétariat d’État au Ravitaillement puis, le 3 mai 1941, nommé répartiteur départemental lors d’une réunion syndicale des marchands et expéditeurs de beurre et œufs d’Ille-et-Vilaine. Il sera ensuite promu comme directeur régional des quatre départements bretons. 

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