Lorsque l’on
évoque l’engagement armé des nationalistes bretons au côté des Allemands, c’est
immanquablement au Bezen Perrot que l’on fait référence. Moins nombreux, une
douzaine d’hommes, les membres bretons du Kommando de Landerneau n’ont pourtant
rien à envier à leurs camarades en matière d’exactions contre la Résistance,
essentiellement en Basse-Bretagne. Simples agents de renseignement ou
indicateurs au début de leur engagement, ces militants du Parti National Breton
vont eux-aussi basculer dans la répression armée sous l’uniforme allemand,
certains n’hésitant pas à participer aux tortures. Parmi ceux-ci, se
distinguent André Geffroy, né à Lannion, et Hervé Botros, né à Lanmeur, ce
dernier s’étant spécialisé dans l’infiltration de la Résistance.
C’est à Rennes
que l’on retrouve ces deux hommes, à la fin du mois de juillet 1944. On s’en
doute, avec la percée d’Avranches par les chars de Patton, l’heure est à la
fuite pour les collabos de tout poil. Dès le vendredi 28, Célestin Lainé fait
revenir ses hommes du Bezen Perrot encore en opérations dans le Morbihan et sur
Scrignac. La veille, ceux qui étaient restés à Rennes faisaient encore le coup
de feu contre le petit maquis du moulin d’Éverre à Saint-Marc-sur-Couesnon.
Le samedi 29,
dans la matinée, Geffroy et Botros (ils seront identifiés plus tard) se
présentent au café « La Chaumière », situé au 6, rue du Lycée à
Rennes, pour consommer. Ils ne sont pas entrés dans cet établissement par hasard.
En effet, le bar est tenu par Léontine Bohuon, dont les deux frères, Francis et
Eugène Bohuon, sont des résistants FTP. Francis Bohuon, qui habite rue Hoche, a
combattu aux maquis de Saint-Marcel et de Broualan. « Geffroy et Botros
m’ont dit qu’ils étaient de la Résistance. Ils voulaient acheter du sucre et
des cigarettes pour ravitailler un maquis de la région de Brest. Botros m’a
montré un cachet à croix de Lorraine servant aux réquisitions effectuées en
campagne par les maquisards », déclare Léontine Bohuon. Son frère Francis est
également présent « Un nommé Herviault André se trouvait au café avec un
individu que je ne connaissais pas. Herviault dit qu’il faisait partie de la
résistance dans le Finistère. Personnellement j’étais FTP. J’ai bu un verre
avec lui et lui ai dit de revenir à 14 heures. Je croyais vraiment que cet homme
était un patriote. » Bohuon semble confondre André Herviault avec André
Geffroy, qui n’hésite pas à exhiber son revolver
afin de le mettre en confiance.
La rafle
Comme convenu, à
14 heures, Geffroy et Botros reviennent « Ils se sont assis à une table et au
moment où nous allions parler, un allemand a forcé la porte et brusquement une
vingtaine d’allemands et de civils parlant breton ont fait irruption dans le
bar. L’un d’eux a crié « Hauts les mains ! » Ils ont fouillé
tout le monde sauf Botros et Geffroy qui étaient pourtant armés puisque j’avais
vu leurs revolvers sur le bar », déclare Léontine Bohuon. L’Allemand qui
force la porte est Ange Péresse, le chef des opérations du Bezen, en uniforme
Waffen SS. Francis Bohuon est aussi présent : « Ma sœur Léontine et
mon frère Eugène ont également été arrêtés ainsi que plusieurs clients : André
Bordier, Hennequin, Mme Mercier et deux autres dont j’ignore le nom. J’ai été
arrêté par Geffroy et un autre agent qui étaient déjà venus au café dans la
matinée et qui nous avaient déclaré appartenir à une section de la résistance
du Finistère. Ils nous avaient même montré leurs armes. Tout en me parlant,
Geffroy avait regardé ma chemise et avait constaté qu’elle était faite avec de
l’étoffe qui semblait être de la toile de parachute. Ce qui était exact. Je lui
ai dit que j’avais effectivement trouvé un parachute. Geffroy et son équipier
avaient précédé dans le café une vingtaine d’agents de la gestapo qui,
lorsqu’ils pénétrèrent dans le café mirent les menottes à moi et mon frère mais
également à Geffroy et celui qui l’accompagnait. J’ai compris immédiatement
qu’il s’agissait d’une mise en scène car mon frère et moi furent les seuls
fouillés. » Parmi les clients, se trouve André Bordier, un mai de
Léontine, qui tient un bar au 52, rue Poullain-Duparc. Il reconnait Geffroy et
Botros assis à une table « Lorsque Botros a été arrêté par les Allemands il
criait « Sales boches ! » J’ai remarqué que l’allemand avec une
mitraillette ne tenait nullement compte des propos de Botros. Place de la
République un civil, Charles Berder, a été arrêté par des civils de la Gestapo,
je ne sais pas pourquoi (…) J’ai connu Botros comme client dans mon bar rue
Poullain-Duparc, il parlait maquis et résistance. Il avait sorti un soir un
revolver de sa poche. Je croyais que c’était un patriote. »
Au siège du SD
Les personnes
arrêtées sont immédiatement emmenées en autocar au siège du SD. « On a mis
tout le monde debout mains au mur rue Jules Ferry. Un Allemand et un Breton
nous gardait » déclare Léontine Bohuon. André Bordier est également
présent « Arrivés rue Jules Ferry nous étions dix, parqués dans une pièce
à l’entresol. Berder a été frappé à coups de pieds et de coups de poings. Je
suis resté jusqu’à 21 heures et on m’a dit de partir avec mon camarade
Hennequin. Je n’ai pas été inquiété, n’étant pour rien dans cette rafle ».
Ce sont bien évidemment les frères Bohuon qui intéressent les policiers du SD.
Nous ne disposons – et pour cause – que du seul témoignage de Francis Bohuon
« On nous a emmené rue Jules Ferry au siège du SD. On a envoyé mon frère
qui avait de faux-papiers rue Lesage. Je suis resté rue Jules Ferry au 2ème
étage. On m’a attaché sur une table en présence d’un individu nommé Geffroy
André que je connaissais comme client chez ma sœur. » Son frère emmené rue
Lesage, où est cantonné le Bezen, Francis Bohuon est « accueilli » par
Hervé Botros qui lui brise les dents avec un coup de matraque « Il s’est
acharné sur moi. Les Allemands ont été contraints de l’arracher car il m’aurait
tué. Je l’avais traité de « Sale Boche ! », et c’est la raison
pour laquelle il m’a battu si violemment. Geffroy m’a tordu le gros orteil
du pied gauche et me l’a déboité en présence des autres individus. Étant
attaché je ne pouvais me défendre ». Á coups de matraque et de nerfs de
bœuf, le mouchoir enfoncé dans la bouche pour ne pas crier « C’est Péresse
qui opérait » le SD veut faire avouer à Francis Bohuon où était caché un
supposé dépôt d’armes à proximité de chez sa sœur, en plein Rennes. Une alerte
à la bombe va interrompre cet « interrogatoire » et obliger tout le
monde à descendre à la cave. Bref intermède « Ils ont remis ça peu après
dans la salle de torture, j’ai été assommé d’un coup de matraque derrière la
tête. J’ai été réveillé à coups de talon de soulier dans la figure. Comme je
refusais de parler ils m’ont étendu sur un bureau, m’ont attaché et déchiré mon
pantalon. Péresse me donnait des coups de stylets dans les jambes et dans les
fesses. J’en porte encore les traces. Puis on m’a fait des pointes de feu
(aiguilles chauffées sur un petit réchaud à alcool) dans les parties sexuelles.
On m’a rué de coups de pieds. Geffroy, Péresse et Botros riaient quand je
criais de douleur. Comme je persistais à
me taire ils m’ont plongé dans une baignoire pleine d’eau et à chaque fois que
je remontais la tête pour respirer ils me l’enfonçaient à nouveau à coups de
matraques. Je pense que ce fut ma dernière torture car je me suis retrouvé dans
la nuit dans une cellule de Jacques Cartier (…) Péresse dans un interrogatoire
m’a rapporté mon emploi du temps pendant les 15 jours qui précédèrent mon arrestation.
Je pense que le milicien Béllier m’avait reconnu pendant l’opération de la
Milice à Broualan et avec qui j’avais échangé des coups de feu. » Effectivement,
dans une seconde déposition, Francis Bohuon se rappelle avoir perdu
connaissance vers 20 heures et s’être réveillé le lendemain à la prison Jacques
Cartier « Un docteur allemand m’a soigné et j’ai uriné du sang pendant une
semaine. »
Nous sommes à
une semaine de la libération de Rennes. Transférés à Jacques Cartier, Léontine,
Francis et Eugène Bohuon, ainsi que Charles Berder, seront déportés le 3 août
1944 par le dernier convoi, connu sous le nom de « train de
Langeais ». Arrivés à Belfort, Léontine et son frère Francis sont libérés
le 26 août, ainsi que Charles Berder. Eugène Bohuon n’aura pas cette chance. Déporté
sur Dachau, il ne reviendra pas.
Botros et
Geffroy vont prendre la fuite vers l’Allemagne dans le convoi du Bezen Perrot.
C’est Botros qui va conduire le car transportant les civils, femmes et enfants,
jusqu’à Strasbourg. Ne voulant pas passer en Allemagne, il s’engagera dans la
Légion Étrangère. Démasqué, il sera jugé
puis condamné à mort le 21 septembre 1945. Il a été exécuté à Quimper le
8 novembre 1945. Condamné à mort lui aussi, André Geffroy sera gracié.