samedi 28 mars 2015

Les pérégrinations d'un scout rennais à la LVF



Au début de l’Occupation, en 1940, Robert vient tout juste d’avoir 15 ans. Typographe dans une imprimerie rennaise, il fait partie des Scouts de France à la 5ème Rennes (Troupe Jacques Cartier). Il reconnait avoir adhéré quelque temps aux Jeunesses Nationales Populaires (JNP), le mouvement de jeunesse du Rassemblement National Populaire (RNP) de Marcel Déat « Où j’ai fait un peu de propagande avec Michel Leroy et Lucien Lahaye. » Né lui aussi en 1925, Michel Le Roy n’est autre que le fils du journaliste et écrivain breton Florian Le Roy, originaire de Pléneuf-Val-André. La double, voire la triple appartenance est de règle, puisque Michel Le Roy va quitter les JNP pour le Parti Populaire Français (PPF) de Jacques Doriot, dont il fréquente les filles lorsque le « Grand Jacques » vient se reposer dans sa villa du Val-André. Il est également membre des Jeunes pour l’Europe Nouvelle  « Je suis entré au JEN afin d’y retrouver de bons camarades et d’y faire d’agréables promenades. Je n’ignorais pas que ce mouvement recevait l’hospitalité du groupe « Collaboration ». Pour l’heure en effet, l’activité de ces jeunes gens consiste essentiellement en conférences ou sorties de groupe en uniformes dans le style chantiers de jeunesse. Progressivement, va s’enclencher une spirale infernale dont il leur sera bien difficile d’en sortir. En 1942, Michel Le Roy dispose d’un ausweis N° 2472 et d’une autorisation de port d’arme. Il est chargé par le bureau d’embauche allemand de pourchasser les réfractaires au STO. Quant à Lucien Lahaye, il deviendra secrétaire régional de la Milice Française et agent du Sicherheitsdienst (SD), la police SS, N° SR 703.

Robert ne cache pas son admiration pour le maréchal Pétain « Quand j’ai vu qu’il patronnait la LVF en 1942, je m’y suis engagé l’année suivante. De Saint-Méloir, que je connaissais, m’a dit qu’en zone libre, le colonel Puaud formait sous le couvert de la LVF un régiment qui devait être un embryon de la nouvelle armée française. Il a ajouté que ce régiment ne combattrait pas mais serait appelé à rester en France. » La quarantaine, Alain de Saint-Méloir est décrit comme un aristocrate « Doté d’une intelligence supérieure, remarquablement instruit, licencié ès-lettres » parlant couramment cinq langues. Mobilisé lors de la campagne de France, il a perdu un bras à Dunkerque et est titulaire de la Croix de guerre ainsi que de la Médaille Militaire avec palmes. Fait prisonnier par les Allemands le 4 juin 1940, il est libéré au mois d’août en tant que grand mutilé. Avant-guerre, il était membre de l’association des « Camelots du roi » et de « L’Action Française », dont il était un militant actif sur la région de Rennes. Orateur de talent, il attaque très violemment le régime républicain et fait l’apologie de la monarchie. Réformé à 100 %, démobilisé en 1940, il revient dans sa famille à Rennes et c’est donc très logiquement qu’il se range derrière le maréchal « J’avais été séduit par les principes directeurs de sa politique, il instituait, sous sa haute personnalité, un régime d’autorité, régime que j’avais toujours souhaité bien avant la guerre ; Pétain voulait également le régime corporatif que je préconise dans ma lettre à des Français, je décidais donc, dans la mesure du possible, d’aider le Maréchal Pétain dans son œuvre. D’autre part, de par ma famille, et à la suite de la bataille de Dunkerque, j’étais profondément anglophobe, je réalisais enfin qu’après notre défaite de 1940, la France ne pourrait pas continuer la lutte pour son propre compte, il lui faudrait bon gré mal gré, être un satellite, soit des puissances de l’axe, soit des alliés. A la suite de l’entrevue de Montoire et des directives du Maréchal, je résolus pour mon compte de défendre l’esprit de collaboration avec l’Allemagne, aussi dès que j’appris à Rennes, fin 1940, une réunion des « Amis du Maréchal » présidée par Me Chapelet[i], je décidais d’y assister. »
En 1942, membre du RNP, Alain de Saint-Méloir s’occupe des engagements à la LVF qui ne dispose pas encore de bureaux de recrutement. Lors de la scission du RNP, il rejoint le Mouvement Social Révolutionnaire (MSR). En juin 1942, il devient secrétaire administratif de la LVF aux appointements mensuels de 1 300 F. Il est nommé ensuite Inspecteur Régional en mai 1943 aux appointements de 7 000 F qui passeront à 12 000 F en 1944. De Saint-Méloir, pour qui la Légion « Était un organisme officiel approuvé par l’Etat Français », déclare être entré à la LVF à la suite des déclarations du Maréchal Pétain qui avait dit aux Légionnaires partant pour la Russie : « Vous portez une part de notre honneur Militaire ».
On ne se bouscule pas pour s’engager dans les bureaux de la LVF au 9, rue Nationale. Les recrutements sont médiocres. Maitrisant parfaitement la langue allemande, De Saint-Méloir collabore avec le lieutenant allemand Slovenzick de la Propaganda-Staffel, qui le consulte pour censurer les journaux rennais. Les Allemands imposent à L’Ouest-Éclair l’insertion de ses articles qui doivent toujours paraitre en première page et signés SM. Il fait également partie du « Cercle d’Études National-Socialiste » et reçoit chez lui, rue Pierre Hévin, des officiers allemands et des miliciens en tenue, dont Lucien Lahaye. Ce qui lui causera le plus d’ennuis à la Libération ce sont des lettres de dénonciation en partie brulées, retrouvées au siège du SD et portant son N° SR 777. Au mois de juin 1944, à la suite des bombardements, il n’y a plus d’émissions radiophoniques en Bretagne. Il est même difficile de pouvoir écouter la radio nationale. Slovenzick demande alors à De Saint-Méloir de donner les nouvelles militaires allemandes tous les jours à l’aide haut-parleurs placés en certains points de la ville.

Ainsi qu’on peut le voir, dans les milieux collaborationnistes de Rennes, tout le monde se croise et se connait plus ou moins. Jusqu’à quel point ces jeunes gens de 17 ou 18 ans étaient sous l’influence néfaste de leurs ainés « collabos » pour mesurer leur degré de responsabilité ? La réponse n’est pas simple. D’autres de leur âge, et de même milieux social, vont en effet choisir la Résistance. Quoi qu’il en soit, Robert décide de s’engager à la LVF en 1943. Il a 18 ans. Son contrat signé à Paris, il est envoyé au dépôt de la LVF de Guéret, dans la Creuse « En zone libre je portais l’uniforme kaki français avec le drapeau tricolore sur la manche gauche et le mot France. » Le dépôt de Guéret supprimé, il est envoyé à Montargis pendant deux semaines puis, après un court passage à Versailles, il est dirigé sur la Pologne pour suivre une instruction. En février 1944, c’est la montée sur le front russe avec le 3ème bataillon de la LVF. Lors des combats de la Bérésina, le 3 avril 1944, Robert est blessé par 17 éclats de grenades. Il sera blessé une seconde fois car le traineau qui l’évacue saute sur une mine. Jusqu’en septembre 1944, c’est une succession d’hôpitaux en Russie, Pologne, Lituanie, Allemagne. Remis sur pieds, il est dirigé sur le dépôt de Greffelberg où il demande à quitter la LVF, ce qui lui est refusé. Il est alors envoyé au centre d’instruction de Wildflecken. Á la suite du démantèlement de la LVF en septembre 1944 et son intégration dans la Waffen SS, certains refusent et une mutinerie éclate. Les mutins sont envoyés en camp de concentration. N’étant pas encore complètement valide, Robert est obligé de travailler dans une usine de munitions le 10 décembre 1944. Le 25 février 1945, il prend la défense d’un de ses camarades frappés par un contremaitre allemand. Les deux hommes sont emprisonnés puis consignés dans leur chambre. Ils en profitent alors pour s’évader et passent en Autriche puis en Italie. Lorsqu’ils aperçoivent une voiture à croix de Lorraine, à Bolzano, ils se présentent à un capitaine de la sécurité militaire. Le 10 juillet 1945, Robert est arrêté par le CIC américain. Le 10 août, il est rapatrié par un convoi et arrêté à Villefranche-sur-Mer. Il est alors transféré à Rennes où il avait déjà été jugé le 20 mars 1945. Le 27 février 1946, lors de son nouveau procès, Robert manifeste son intention de s’engager dans l’armée d’Extrême-Orient : « J’ai fait 8 mois d’emprisonnement depuis que je me suis présenté à un officier français de renseignement en Italie. Mon intention est contracter un engagement pour aller en Indochine pour me racheter de mes péchés de jeunesse. » Mineur au moment des faits le tribunal ordonne sa mise en liberté après 8 mois d’internement s’il accepte le jugement du 20 mars 1945.
Il ne sera pas le seul parmi ces rescapés de la LVF et autres miliciens peu fréquentables à échapper à la prison en échange d’un engagement pour l’Indochine pour aller combattre un ennemi qui ne leur posera pas de problèmes de conscience.



[i] Pierre Chaplet, avocat, il est également membre du RNP dont il démissionne en 1943. Passé à la Résistance il est arrêté le 22 décembre 1943 puis déporté à Buchenwald.