lundi 16 mars 2015

L'arrestation d'une femme juive par le Bezen Perrot

En matière de recherche historique, il faut être patient. Très patient même. Le hasard est aussi un facteur qu’il ne faut pas sous-estimer. Il y a 14 ans, je citais cet extrait de la déposition d’un jeune membre du Bezen Perrot, en date du 8 octobre 1944 : « En janvier 1944, sans que je puisse préciser davantage, j’ai été commandé avec les nommés Morvan et Chérel pour aller chercher une vieille dame de confession israélite qui habitait sur les quais de la Vilaine à Rennes. Morvan était chef de mission et seul armé. Un allemand en civil nous accompagnait et nous avons ramené la femme au SD. » Armel, c’est le prénom de ce garçon, n’a que 17 ans lorsqu’il s’est engagé au Bezen, un mois auparavant. Né à Locqueltas (56), il ne connait pas Rennes et n’en sait visiblement pas plus sur cette arrestation. Ses deux acolytes étant de leur côté étant en fuite à la Libération, il m’était impossible d’en savoir plus.
Le quai Richemont
Depuis, il m’a beaucoup été demandé qui était cette femme et si elle avait été dénoncée. C’est la seule participation connue de la Formation Perrot – créée au mois de décembre 1943 – à une opération de police contre les Juifs. Il est vrai qu’à cette date, ceux qui ont eu la chance d’échapper aux rafles ne sont plus très nombreux. Dans leur livre « Les Juifs en Bretagne » (page 360), Claude Toczé et Annie Lambert indiquent en effet que l’ultime rafle en Bretagne se déroula le 4 janvier 1944. En Ille-et-Vilaine, il y eu 9 arrestations : M. et Mme Veil et leur fille Hélène à Combourg ; Sarah Garzuel et ses 2 enfants à Vitré ; Élise Mizrahi et son fils, arrêtés à Rennes ; et Marthe Bader de Dinard. Ces 9 personnes seront déportées le 3 février 1944.

Des années plus tard, consultant le dossier d’instruction judiciaire du responsable régional de la Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme (LVF), je tombe tout à fait par hasard sur une lettre de dénonciation. Accusé « d’intelligence avec l’ennemi », cet homme était également un agent de renseignement du Sicherheitsdienst (SD) de la rue Jules Ferry à Rennes. Cette note, rédigée en allemand et datée du 25 mars 1943, porte l’indicatif SR de cet agent, suivi de son numéro. « Dans le courant du mois de novembre 1942, un rapport du commissariat aux questions juives avait été fait contre la juive Arrighi, domiciliée quai Richemont. Ce rapport portait en outre que la juive Arrighi portait bien l’étoile mais qu’elle possédait chez elle un poste de TSF qu’elle déclara comme appartenant à son petit-fils. Le premier rapport fut fait en portant note du poste de TSF mais dans la journée un coup de téléphone de l’intendant de police Thailet demandant au délégué régional des questions juives de ne pas être trop dure pour cette femme qui était la belle-mère d’un de ses amis travaillant à la préfecture. Par la suite un deuxième rapport fut fait portant mention que la juive Arrighi était en règle et portait constamment son étoile. »
Depuis le mois de mai 1942, le port de l’étoile jaune est en effet obligatoire pour les Juifs et il leur est interdit de posséder un poste de TSF. Le délégué régional aux questions juives en Bretagne est alors Raymond du Perron de Maurin, lui-même ancien de la LVF. En 1943, il va créer le Cercle d’Études National-Socialiste (CENS), dont sera également membre notre responsable régional de la LVF. Cette intervention de Francis Thiallet, intendant de police de la région Bretagne ayant rang de préfet 3ième classe, est assez rare pour être soulignée car Du Perron de Maurin n’était pas le genre de type à se laisser émouvoir par le sort d’une juive, fut-elle âgée et malade.
Le dossier de Mme Arrighi devait être particulièrement suivi à la préfecture puisqu’une autre lettre, envoyée au Kommandeur du SD le 23 janvier 1943, figure dans ce dossier : « Objet : Pointage hebdomadaire des Juifs. Conformément à vos prescriptions en date du 2 janvier courant, j’ai l’honneur de vous transmettre, sous ce pli, pour décision, une demande présentée par la nommée Arrighi, née Cahen Rose, le 22 février 1867 à Rouen, résidant à Rennes, 6 quai Richemont, en vue d’obtenir une dispense définitive de présentation au Commissariat Central de police de Rennes. Cette demande est accompagnée d’un certificat médical établi par un médecin français assermenté. Signé A. Ytasse. Secrétaire général. » Auparavant sous-préfet de Saint-Dié, Armand Ytasse a été nommé secrétaire général de la préfecture d’Ille-et-Vilaine le 20 décembre 1941. La décision prise par le SD ne figure pas au dossier.
Quoiqu’il en soit, plusieurs listes de Juifs ont été dressées avec précision par la préfecture. Rose Cahen figure bien sur celle établie le 30 septembre 1940, ainsi que le docteur René Lévy, son épouse Lucie Bloche et leur enfant. Sur une autre liste du 24 janvier 1942, Rose Cahen est toujours au 6, quai Richemont, tandis que René Lévy et Lucie Bloche sont déclarés avenue Louis Barthou, mais sans leur enfant. Une autre liste, établie au mois d’août 1942, indique que la famille Lévy est partie sans autorisation pour une destination inconnue[1].

Policiers du SD devant la porte de la Cité des étudiantes, rue Jules Ferry
Le 5 janvier 1944 donc, au lendemain de la dernière rafle effectuée en Bretagne, un groupe du Bezen se présente quai Richemont. « Ma mère, madame veuve Arrighi, est décédée à l’hôtel Dieu de Rennes où nous l’avions fait portée depuis 48 heures. Le 5 janvier 1944 des policiers allemands sont venus dès 7 heures du matin chercher ma mère. Ils l’ont emmenée sans indiquer ni la raison ni le but de leur expédition. Ils l’ont conduite aux services de la Gestapo rue Jules Ferry et l’ont relâchée dans le courant de l’après-midi. A aucun moment on ne lui a donné la moindre explication sur cette mesure. Ma mère était d’origine juive, née Cahen Rose[2]. » Rose Arrighi est décédée le 23 décembre 1945.
Condamné à mort, Raymond du Perron de Maurin sera fusillé le 5 novembre 1946. Le chef régional de la LVF a été condamné aux travaux forcés à perpétuité. Quant au jeune Armel, du Bezen Perrot : « A la suite de cette arrestation, dégouté du métier qu’on nous faisait faire, et me rendant compte de plus en plus que j’avais été dupé, j’ai décidé d’écrire à mes parents, lesquels ignoraient toujours où je me trouvais, en leur demandant de faire les démarches nécessaires pour me faire sortir de cette sale affaire ». Á la fin du mois d’avril 1944, il se tire volontairement une balle de revolver dans la cuisse pour échapper au Bezen. Ce qui lui vaut deux mois d’hospitalisation dans un hôpital allemand d’Auray. Á sa sortie, il se réfugie chez ses parents où il sera arrêté le 22 août 1944. Condamné à quatre ans de prison, il bénéficiera d’une remise de peine de trois années accordée par le Président de la République le 9 juillet 1945.

Kristian Hamon


[1] Ce dentiste rennais sera témoin du massacre d'Oradour.
[2] Déposition de la fille de Mme Arrighi le 25 mars 1946.