Rennes, place des Lices. 9/11/2024 |
Sellaouit oll, me o suppli, Bretonet a Vreiz-Izel,
Cana ar recit glorius var ar victor immortel
Gounezet gant ar c´hard vaillant hac ar Barisianet
Evit souten liberte hac hor guirion gourdrouzet.
En cet an 01 de la IIe République (et du Manifeste de Karl Marx), Pierre Joigneaux publie un traité de l’Organisation du travail agricole qui commence ainsi : « L'amélioration du sort des travailleurs de l'industrie et de l'agriculture est aujourd'hui l'objet de sérieuses préoccupations, et de la part de ceux qui compatissent sincèrement aux douleurs de leurs frères, et de la part de ceux qui comprennent bien les exigences de la situation. Il est donc du devoir des hommes spéciaux de se mettre à l'œuvre, chacun dans la mesure de ses connaissances et de ses forces ; autrement la question tomberait dans le domaine des grands diseurs de mots vides, et sa solution resterait immanquablement à l'état de problème. »
« L’Association de la propagande démocratique et sociale mettait l’accent sur l’activité politique en vue de l’opinion publique de la campagne ; c’est ainsi qu’elle y répandait : La feuille du village de Pierre Joigneaux (1849 et 1850) ; À mes frères des campagnes, toast porté au banquet du Mans par Pierre Joigneaux (22 avril 1849) ; Aux Habitants des Campagnes, discours des citoyens Ledru-Rollin, Félix Pyat et de Pierre Joigneaux (24 février 1849) » (Raimund Rütten, L’Héritage de la révolution de Février 1848, Musée de l’Histoire vivante, Montreuil, 2024, p. 308, note 170 ; version originale du catalogue, 2024).
Portrait de Pierre Joigneaux, représentant du peuple, 1848 (lithographie de Charles Bazin) |
L’année suivante, il finissait son Puisque l’argent se cache il faut que le papier se montre par un « Camarades, veillons au grain. » Pas étonnant que, parmi les solutions que propose ce pionnier, figure celle de créer des écoles agricoles pour les femmes, comme on le rappelle au CFA-CFPPA de Kerliver (Hanvec). Son grand-œuvre d’homme de la terre est d’avoir dirigé le Livre de la ferme et des maisons de campagne (1863,1872). Le pdf ne coûte rien et vaut la peine d’être consulté par qui veut mettre entre parenthèses les décennies du tout chimico-industriel (Walden, de Thoreau, c’est pour les chevaliers de la table rase).
Quant à son grand-œuvre d’homme de plume, il s’intitule les Prisons de Paris (1841). Il avait eu tout le temps d’en expérimenter une floppée aux frais de la Monarchie de Juillet : journaliste républicain, publié dans la presse clandestine, il écope, en 1839, de cinq ans de taule. Il en effectuera trois, le temps de faire le tour de six de ces maisons. Pour nous, en 2024, la plus célèbre, inaugurée trois décennies plus tard, et désormais seule citadine, porte l’étrange nom de prison de la Santé. C’est ailleurs qu’il s’est refait la sienne, à savoir, dans l’ordre des visites : l’hôtel Bazancourt (de quoi se plaint-on ?), le dépôt de la préfecture (non loin de ce que, jusqu’à il y a peu, on appelait le Quai des Orfèvres), la Force, les Madelonnettes, la Conciergerie (inutile de faire les présentations), le Nouveau-Bicêtre, ou Roquette, et Sainte-Pélagie (dans les appartements d’une extrême fraîcheur de laquelle il n’a pas séjourné). Trois autres, plus celle-ci, n’ont pas eu l’heur de sa visite. Total pour la capitale : dix établissements pénitentiaires. La centralisation (carcérale), c’est leur diminution en nombre et leur extension en capacités d’accueil. Sous l’Occupation, la circonscription pénitentiaire de Paris n’en comptait plus que trois intra-muros (Santé, Roquette et Cherche-Midi, cette dernière étant une prison militaire) et sept dans le Gross Paris.
Le néo-babouviste Pierre Joigneaux a donc traîné ses sabots dans les ateliers de typographie, la fange des geôles parisiennes, l’hémicycle de la « salle de carton » et sa terre natale. Le Maitron fait sa place à ce jeune lion d’extrême-gauche vieilli en homme de gauche. Resté fidèle à ses valeurs, malgré la courbe descendante de l’ardeur révolutionnaire. L’âge incline souvent à la modération. La trahison, comme le revirement de casaque, n’a pas d’âge. Versaillais après la Commune, mais tendance Voltaire : « Il fut de ceux qui contribuèrent à la fondation de l’École nationale d’horticulture de Versailles (16 décembre 1873). »
Vingt ans après les prisons de Paris, Pierre Joigneaux publie ses potagers de France : un traité de plus de quatre cents pages intitulé Causeries sur l’agriculture et l’horticulture (1864) qui s’ouvre par une apologie des fous comme Christophe Colomb, Olivier de Serres ou Franklin. Dans la rubrique des « tourmenteurs de végétaux » et de ceux qui commettent « des actes de tortures, de violence à l’encontre des arbres » (p. 147), il se demande s’il est bon de gauler les pommiers à cidre. Joigneaux n’est pas un sylvothérapeute, un adepte des câlins aux arbres : « Il est facile de comprendre que les arbres gaulés rendent plus en fruits que les autres, puisqu'ils ont plus souffert, et que la souffrance porte à la multiplication de l'espèce. À ce propos, permettez-nous de vous rappeler un vieux dicton de notre Bourgogne : Vignes grêlées, vignes fumées. » Mais si l’arbre produit plus, il vit moins longtemps. Et de conclure qu’« au lieu de les mutiler inconsidérément, on leur accordera peut-être certains égards, certains ménagements. Nous n'attendons que cela, rien de plus. » On comprend le rapport au monde agricole de ce défenseur des salamandres et autres grenouilles dans nos jardins.
Le lérot (Causeries, p. 98) |
Outre le paysage où il est né, ses années de geôle lui ont laissé le temps de méditer sur les arbres : « La justice humaine ne froisse jamais impunément les besoins les plus impérieux de la créature qu’elle retranche de la société. La nature proteste ; elle se révolte, elle se tord sur elle-même, ainsi qu'une pousse d'arbre qui serpente dans l'ombre et tend la tête à un rayon de soleil. [... Le prisonnier] a beau haleter et gémir à l'ombre de ses murs, à l'ombre de ses portes de chêne et de ses grilles de fer, son rayon de soleil ne vient pas, et il souffre autant que la pousse d'arbre qui s’étiole. » (p. 96)
Pierre Joigneaux a donc beaucoup publié, même encore trois ans après sa mort, puis plus rien pendant un siècle virgule deux. En 2008 ressurgit sa monographie sur Ruffey-lès-Beaune, son village natal. Maintenant, c’est au tour des Prisons de Paris de recirculer. Rééditer, c’est, en faisant revivre un texte oublié, évoquer une figure des luttes politiques. C’est aussi réinscrire son témoignage dans la lignée de celles où se sont illustrés Michel Foucault, Pierre Vidal-Naquet (GIP) ou encore Anne Guérin (OIP), la fille de l’auteur de Fascisme et grand capital (1936).
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