J’ai souvent évoqué sur ce blog le sort de ces femmes accusées de dénonciations par des maquisards puis exécutées par pendaison après un simulacre de jugement, principalement durant l’été meurtrier de 1944. D’autres pendaisons, plus rares, se produiront ensuite dans le cadre de l’épuration « extra-judiciaire » après la Libération. L’un des articles le plus consulté sur ce blog, avec plus de 4 012 visites à ce jour, étant sans aucun doute celui du 27 juillet 2015 consacré aux pendues de Monterfil.
Depuis
la révélation, en 2014, de cette tragique histoire de Monterfil, d’autres affaires
méconnues de « collaboratrices », cette fois-ci fusillées, sortent de
l’ombre. En 2018, par exemple, l’enquête minutieuse d’un historien local a permis
de mettre à jour ce qui se murmurait depuis des années chez les anciens de
Scaër, dans le Finistère. En effet, deux jeunes filles, Marie-Jeanne Noac’h, 22
ans, et Jeannette Laz, 21 ans, à qui la rumeur leur prêtait des « rapports
trop proches » avec l’occupant, furent arrêtées le 10 août 1944. Accusées,
sans la moindre preuve, d’avoir dénoncé le lieu d’un parachutage allié, elles
furent fusillées au lieu-dit Stang-Blanc après avoir été humiliées
publiquement. (1)
Dans
mon dernier ouvrage Chez nous il n’y a que des morts (2), j’évoque
l’assaut que les Allemands menèrent le 27 juillet 1944 contre la 1ère
compagnie de maquisards du 3ème bataillon FFI (ORA) du
lieutenant-colonel Félix Robo. Cette compagnie, placée sous les ordres de Roger
Massardier, avait installé son campement au lieu-dit Guerlogoden, en Kergrist. Afin
d’éviter l’encerclement, Massardier engagea le combat avec quelques maquisards
équipés de FM pour protéger la retraite du groupe, avant d’être obligés de se
retirer à leur tour. Lors de cet assaut, trois maquisards furent tués, puis deux
autres exécutés après avoir été capturés et emmenés à Pontivy pour y être
torturés.
Je reviens sur cet épisode car j’ai
retrouvé ce même Roger Massardier dans un document d’archives que j’avais mis
de côté et oublié car sans lien direct avec mon sujet. Celui-ci est intitulé
« Affaire contre X… meurtre femme et fille D. » (Je n’ai pas jugé nécessaire
de révéler leurs patronymes), puis il est indiqué que « Cette affaire a
été réglée par une ordonnance d’incompétence car elle est, comme les
précédentes, du ressort de la Justice Militaire ». Comme tant d’autres
affaires similaires, j’ignore si elle est connue localement ou a fait l’objet
d’une publication. J’en doute. Il s’agit en l’occurrence de l’exécution d’une
femme et de sa fille Jacqueline qui fut ordonnée dans les circonstances
suivantes : D’après le « Service de renseignements », comprendre
le 2ème Bureau FFI, cette femme, débitante de boisson au lieu-dit
Collédo, en la commune de Le Sourn, près de Pontivy, était suspecte avec sa
fille « d’intelligences avec l’ennemi », sans plus de précision. C’est
alors que Massardier « commandant d’une compagnie du 3ème
bataillon FFI », le 20 juillet 1944, donne l’ordre à des « soldats de
sa formation » de procéder à leur interrogatoire et « le cas échéant,
de les exécuter ». C’est ainsi que « les nommés », dont les noms
figurent sur le document, « entrèrent en contact avec les deux femmes, qui
furent passées par les armes ». Il n’est plus question de maquisards, mais
bien de « soldats », donc d’une armée régulière.
Cependant, et tandis que ces quatre
« soldats » procédaient à l’exécution des deux femmes au Collédo, le
mari de la débitante « quoique non visé par les instructions qui avaient
été données » fut « grièvement atteint d’une balle et la blessure
ainsi causée eut comme conséquence la perte de l’œil droit ». A-t-il voulu
s’interposer ?
D’après ce document, ces quatre
« militaires » déclarent avoir reçu de leur capitaine l’ordre formel « de
fusiller les deux femmes, sans aucune condition visant le degré de leur
culpabilité. Il s’agit de considérer, en manière de conclusion, sans aller
plus au fond, qu’il s’agit, d’une part, de la personne d’un chef militaire
donnant dans l’exercice de ses fonctions un ordre à exécuter, d’autre part, que
les exécutants du dit ordre étaient des soldats FFI justiciables par conséquent
de la juridiction militaire ».
Les maquisards FFI sont des engagés, donc considérés comme des soldats, qui avaient tout intérêt à comparaître devant la justice militaire, considérée comme plus discrète et surtout moins sévère, ces affaires se terminant généralement par un acquittement.
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Stanislas Le Compagnon. René Le Guénic, Morbihan, Mémorial de la Résistance |
Est-ce la forte présence allemande à Pontivy avec le QG du XXVe corps d'armée allemand du général Fahrmbacher ? Toujours est-il qu’au Sourn, une autre affaire impliquant deux femmes, une mère et sa fille, qui ne connaîtront pas le sort funeste des précédentes, mais qui aurait pu très mal finir ; les maquisards chargés de leur exécution n’ayant pas osé tirer sur des femmes, elles ont réussi à s’enfuir. Pauline, 20 ans, ayant appris l’allemand, avait été recrutée par l’occupant comme interprète. Plusieurs témoins l’ont accusée de dénonciations, de participation aux rafles et aux interrogatoires (on retrouve le même cas avec le jeune Roger Elophe au SD de Saint-Brieuc). En effet, le 19 juillet 1944, soit la veille de l’affaire Massardier, les Allemands, renseignés par une dénonciatrice, arrêtèrent 14 personnes au Sourn, dont le jeune FFI Stanislas Le Compagnon, qui sera emmené à Pontivy pour y être interrogé et torturé. Son corps sera retrouvé au mois d’octobre par un chasseur dans un bois à proximité de Le Sourn. (3)
Le 1er
août 1944, les deux femmes quittent Le Sourn pour Paris lors du repli des
Allemands. Condamnées à mort par contumace le 4 juillet 1945 par la Cour de
justice de Vannes, elles vont être retrouvées puis arrêtées à Paris au mois
d’avril 1947, puis rejugées par la Cour de justice de Rennes deux mois plus
tard. Malgré ses dénégations, la Cour maintient la peine de mort pour Pauline,
qui sera graciée par Vincent Auriol, sa peine étant commuée en dix ans de
réclusion. Sa mère sera acquittée.
(1 (1) Le
Télégramme, 7 août
2018.
(2 (2) Hamon
Kristian, Chez nous il n’y a que des morts. Les parachutistes de la France
Libre en Bretagne, été 1944, p. 307, Skol-Vreizh, 2021.
(3 (3) Pour Stanislas Le Compagnon, voir sa notice sur Le Maitron : https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article21059