vendredi 19 avril 2024

Mathurin Morvan, un résistant breton rescapé de Natzwiller-Struthof

La Résistance française aurait-elle commencé le 3 septembre 1939, comme l'affirma le général de Gaulle lors de son célèbre discours du 30 mars 1947 à Bruneval, le combat sous l'uniforme précédent la lutte clandestine ? Dans ce cas, Mathurin Morvan, né le 22 juillet 1911 à Plérin, marié, un enfant, en serait un parfait exemple.

Mathurin Morvan

Engagé volontaire pour 5 ans dans la marine, sorti quartier-maître de seconde classe, puis agent de la SNCF depuis 1937, il est mobilisé comme second maître fusilier dès l'entrée en guerre de la France, puis affecté au 2e dépôt de la flotte à Brest. Le 22 janvier 1940, il se voit confié la conduite vers Dunkerque d'un détachement de 150 marins pour les mettre aux ordres de "l'amiral Nord" Jean-Marie Abrial. C'est ainsi qu'il participa au "bastion 32", ces casemates qui servaient de QG aux forces françaises et alliées lors de la "bataille de Dunkerque" pour permettre le rapatriement du corps expéditionnaire britannique. Ce qui lui valut la Croix de guerre (1er juin 1940). Evacué vers l'Angleterre puis rapatrié en France, il est dirigé sur Cherbourg où l'amiral Abrial (qui rejoindra le régime de Vichy) avait replié son QG. 

Fait prisonnier par les Allemands, Mathurin Morvan va s'évader et regagner Saint-Brieuc à pied, pour être une des premières recrues de Maurice Poge, alias "Godin", chef du réseau de renseignement Confrérie Notre-Dame, CND-Castille, créé par le colonel Rémy, couvrant le secteur du littoral allant de Saint-Malo à Lannion. Une trentaine d'agents sur cette zone. Le groupe est démantelé au mois de mai 1942, probablement sur dénonciation. Poge est déporté en Allemagne, d'où il ne reviendra pas. Déporté lui aussi, Yvon Pageot reviendra. Mathurin Morvan, qui s'était réfugié à Paris, sera arrêté à la sortie de sa chambre pour être interné à Fresnes, 3ème division, cellule 253.

Le 9 juillet 1943, avec 54 autres prisonniers, il quitte la prison pour être transféré au camp de Natzwiller, où il arrive le soir-même. Il y restera jusqu'au 3 septembre 1944, date à laquelle les déportés ont été évacués sur le camp de Dachau. Le 6 janvier 1951, il a témoigné sur les conditions de détention endurées par lui-même et ses camarades :

"En arrivant au camp j'ai été employé comme terrassier à la grande carrière puis au service de désinfection du four crématoire. J'ai encore été employé peu de temps à l'épluchage des légumes de la cuisine. Le lendemain de notre arrivée au camp, mes camarades et moi, avons été employés à la corvée de cailloux au cours de laquelle de nombreux camarades disparurent. Cette corvée dura deux jours. Nous avons été conduits au sommet d'une côte située à proximité du camp, puis on nous a obligés à dévaler la côte à toute allure. Les SS et les kapos nous poursuivaient à coups de matraques et les chiens nous mordaient. En bas de la côte nous devions charger nos bras de cailloux et remonter la pente dans les mêmes conditions. Ces allées et venues étaient continuelles et certains d'entre nous, ne pouvant supporter la fatigue et les coups, moururent. En outre, lorsque nous étions arrivés presqu'au sommet de la côte, le nommé Seuss, dit "Créature" lançait sur nous un genre de civière à claire-voie. Cette civière tombait à chaque fois sur l'un de nous qui était assommé. Les autres camarades devaient prendre celui qui était assommé et le transporter en haut d'un talus d'où il était projeté dans un bas-fond. Le soir les Allemands venaient faire le tri. Ceux qui pouvaient se relever sous les coups de matraques partaient vers le baraquement, mais les autres étaient dirigés vers le four crématoire. Les camarades qui avaient pu rejoindre le baraquement étaient astreints à une douche froide. J'ai été témoin oculaire et direct de tous ces sévices pour les avoir personnellement supportés. Nos gardiens profitaient de toutes les occasions pour que les coups pleuvent sur nous. Ces faits ont duré deux jours. Le lendemain et le surlendemain de notre arrivée au camp. Je ne me rappelle plus le nom des victimes. La corvée de cailloux terminée, nous avons été conduits à la carrière de Kartofvelnkeller où les mauvais traitements ont encore été plus pénibles. Nous avions constamment un matraqueur, un SS et un chien derrière nous. Lorsqu'un camarade ne pouvait plus se trainer il était transporté par les autres sur la place où se faisait l'appel. Du fait qu'il ne pouvait plus travailler, il ne recevait aucune nourriture. Le lendemain il était transporté dans les mêmes conditions sur les lieux de travail. S'il ne pouvait pas travailler il était noyé dans une mare d'eau. On lui mettait dessus un gros caillou pour l'empêcher de sortir de la mare. Le soir, les survivants devaient transporter les morts sur la place où se faisait l'appel et les tenir debout pendant l'appel qui durait parfois deux heures. Ensuite ils les transportaient jusqu'au four crématoire crématoire. Je suis resté dans ce camp jusqu'au 3 septembre 1944. Là encore j'ai été témoin direct et oculaire des sévices exercés et des assassinats perpétrés. Tous les moyens étaient bons pour nous exterminer. Nous avons été prévenus en arrivant au camp qu'aucun d'entre nous n'en sortirait. Comme victimes des atrocités, je peux citer :

Menute, économe dans un hôpital de la région normande. Le secrétaire de la mairie de Broons je crois. Comme survivants je me rappelle l'abbé Bidault qui doit être professeur dans un collège d'Alençon (1). Roger Chanteloup, chef de brigade à la surveillance de la gare Saint-Lazare. François Tanguy, pont de l'hôpital à Pontivy (2). 

Les faits se sont passés au camp de Natzwiller entre le 9 juillet 1943 et le 3 septembre 1944. La corvée était commandée par Kramer assisté du nommé Seuss, dit "Créature", Hermann Traut, dit "Fernandel", le kapo Koln était le matraqueur. J'ajoute aussi qu'une centaine environ de déportés passaient journellement au four crématoire. François Tanguy, je me rappelle la mort de Joseph Laboureau, de Messac ? Isidore Le Corre de Kergrist (3). Raymond Devos, arrêté le 22 mai 1942 à Saint-Brieuc, déporté au Struthof du 8 juillet 1943 au 1er février 1944 (4). Maurice Poge de Saint-Brieuc, décédé aussitôt (5). Louis Le Deuff de Rennes (6). Louis Turban, SNCF à Rennes (7). Ernest Delaunay, de Brélévenez. Arrêté à Lannion le 22 mai 1942, déporté au Struthof du 9 juillet 1943 au 4 septembre 1944 (8). Morts : Louis Le Deuff de Rennes. Un prénommé Etienne de Montfort-sur-Meu (9). Turban de Rennes."

Mathurin Morvan sera libéré par les Russes dans le village de Röbel, après l'évacuation du camp de Ravensbrück. On peut remarquer que les déportés qu'il cite sont tous des agents de réseaux de renseignement ou de filières d'évasion vers l'Angleterre, CND-Castille étant particulièrement bien implanté en Bretagne. Ces réseaux vont subir une implacable répression et être démantelés en 1942 et 1943. D'où une moyenne d'âge de ces déportés plus élevée que celle des jeunes maquisards.

(1) Il doit s'agir de l'abbé Paul Bidault, surnommé "le curé rouge", né en 1904, membre du réseau Alliance au Mans.

(2) François Tanguy, né en 1907 à Cléguérec, déporté le 11 novembre 1943 à Natzwiller puis transféré à Dachau où il est libéré  le 29 avril 1945.

(3) Isidore Le Corre, né en 1910 à Croixanvec (56). Son crime fut d'avoir recueilli des aviateurs américains après que leur appareil avait été contraint d'effectuer un atterrissage forcé près de Saint-Caradec le 29 mai 1943. Arrêté le 7 septembre 1943 puis déporté, il décède le 5 avril 1944.

(4) Raymond Devos, né en 1901 à Tourcoing, alias "Visseaux", réseau CND-Castille à Saint-Brieuc. Arrêté le 22 mai 1942, revient des camps le 22 mai 1945.

(5) Maurice Poge, né en 1888 au Mans, alias "Godin", chef du réseau CND-Castille à Saint-Brieuc. Arrêté le 22 mai 1942, décède au Struthof le 19 juillet 1943.

(6) Louis Le Deuff, né en 1894 à Saint-Caradec (22), agent du réseau Overcloud, sous les ordres de Louis Turban. Arrêté le 13 mars 1942 à Rennes. Déporté le 8 juillet 1943 à Natzwiller où il décède le 21 février 1944.

(7) Louis Turban, né en 1901 à Villeneuve-sur-Seine, ingénieur principal SNCF. Membre du réseau Overcloud. Arrêté le 3 février 1942. Déporté le 8 juillet 1943 à Natzwiller où il décède le 10 mai 1944.

(8) Ernest Delaunay, né en 1907 à Ploubazlanec, revient des camps le 13 mai 1945.

(9) Il doit s'agit d'Etienne Maurel, né en 1915 à Bollène (84). Secrétaire de mairie, membre du réseau Overcloud. Il est arrêté le 12 février 1942 à Montfort-sur-Meu puis interné à Fresnes le 20 mars 1942. Déporté à Natzwiller le 8 juillet 1943 où il décède le 23 août 1943.

Maurice Poge

Raymond Devos






Louis Turban

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire