La libération de Vannes s’est
effectuée dans une certaine confusion entre les 4 et 6 août 1944. Avertis de
l’approche des troupes américaines, les Allemands avaient commencé à organiser
leur évacuation dans la nuit du 3 au 4 en détruisant du matériel et incendiant
des bâtiments. Le vendredi 4 au matin, les derniers éléments ennemis quittent
la ville et les premiers FFI arrivent dans l’après-midi. Le préfet en place est
aussitôt démis et remplacé par M. Onfroy. Dans la soirée, deux jeeps
américaines pénètrent en ville. Cependant, tout danger n’est pas écarté. Le
samedi 5 août, des convois de troupes allemandes en déroute traversent la ville
pour tenter de rejoindre les poches de Lorient ou Saint-Nazaire. Le soir même
les Américains arrivent en force. Le dimanche 6 août à l’aube, les Allemands,
environ 2 000 hommes, tentent de reprendre la ville en venant d’Auray. Ils
sont stoppés à l’entrée de Vannes, vers Keranguen, par une contre offensive
américaine qui fait environ 800 prisonniers et de nombreux tués.
Le vendredi 4 août dans la
matinée, désireux de couvrir leur retraite vers Lorient, les Allemands avaient
installé un canon, pointé en direction de Vannes, sur la place de la République
d’Auray. Ceux-ci se retirant en début d’après-midi, les Alréens, pensant leur
ville libérée, manifestent leur joie en descendant dans la rue et en hissant le
drapeau national sur l’hôtel de ville. Mal leur en a pris. En effet, le
lendemain, prenant conscience de cette erreur tactique et désireux de maintenir
une liaison permanente entre les troupes de la région de Lorient et celles de
Saint-Nazaire, le général Fahrmbacher donne l’ordre de reconquérir le secteur
que venaient d’investir les hommes du 2e Bataillon FFI de Le Garrec.
Les escarmouches, violentes, vont durer tout le week-end et faire quelques
victimes.
Pendant ce temps, non loin de là,
à Sainte-Anne d’Auray, va se dérouler un drame qui suscitera une réelle émotion
à la Libération car les deux abbés étaient très connus et estimés dans la
région. Selon Roger Leroux : « Le
commandant Le Garrec pense que le moment est venu de liquider la présence
ennemie à Sainte-Anne d’Auray. Il cerne l’hôpital militaire installé dans le
juvénat des Filles du Saint-Esprit ; établi à l’hôtel de la Paix, il y
convoque deux prêtres, l’abbé Le Barh, recteur de la paroisse et l’abbé
Allanic, professeur économe au petit Séminaire et conseiller municipal de
Pluneret, et leur confie la mission d’aller sommer de se rendre le
médecin-chef, le docteur Ernest Berges. Vers 19 h, ils remettent l’ultimatum à
Berges qui les reçoit courtoisement mais leur oppose une fin de
non-recevoir : « Nous ne pouvons nous rendre à une troupe irrégulière
sans des instructions formelles de nos chefs. »Dès qu’ils sont partis, il
téléphone à Lorient pour demander qu’on vienne évacuer l’hôpital et des camions
chargés de soldats arrivent vers 22 h. Une heure plus tard, une patrouille
guidée par Berges se risque hors de l’hôpital et lance quelques grenades puis
échange des coups de feu avec des patriotes postés aux alentours. Berges et
plusieurs sous-officiers reçoivent de graves blessures. » (1) Dans le
cadre des enquêtes sur les crimes de guerre commis par les Allemands, ces
événements ont fait l’objet d’une enquête, suivie d’un rapport, rédigé le 14
mars 1945 par la gendarmerie d’Auray. Extraits :
« Le vendredi 4 août, vers 16 h 30, sur la demande du commandant Le Garrec,
chef des FFI de la région d’Auray, les abbés Allanic et Le Barh ont accepté la
mission d’aller présenter au médecin-chef allemand de l’hôpital militaire de
Sainte-Anne d’Auray, une proposition de capitulation rédigée comme suit :
Monsieur
le Médecin-Chef,
A
titre de délégué de la Croix Rouge et de conseiller municipal, nous avons
l’honneur de remplir envers vous une mission délicate que nous ne croyons pas
devoir refuser pour raison d’humanité.
A
l’instant, un Chef des Forces Françaises de l’intérieur nous propose de vous
transmettre son invitation de vous constituer prisonnier avec votre personnel.
A cette condition, et qu’aucune destruction ne soit faite à l’immeuble et à vos
armes, il garantit, dit-il, qu’il n’y aura pas d’effusion de sang. Dans le cas
contraire, il ordonnerait à ses hommes d’engager une action par les armes. Ce
chef vous demande de lui faire connaître votre réponse avant ce soir à 20 h,
soit en vous présentant à l’hôtel de France, soit en hissant le drapeau blanc à
la porte d’entrée du Lazaret. Notre rôle consistant uniquement dans un
sentiment d’humanité, nous sommes persuadés que vous voudrez bien le comprendre
ainsi. Veuillez agréer, Monsieur le Médecin-Chef, nos respectueuses
salutations. »
Médecin-chef Ernst Bergues |
D’après Roger Leroux, le
commandant Le Garrec était installé à l’« Hôtel de la Paix » de Sainte-Anne
d’Auray, alors que dans le rapport il est fait état d’un « Hôtel de
France », qui se situait rue Billault à Vannes. Toujours est-il que vers
19 h 30, les deux abbés se sont bien présentés à la grille du Lazaret et ont été conduits aussitôt au
sous-chef, lequel, après avoir pris connaissance et communiqué l’ultimatum au
médecin-chef alors occupé : « A
fait connaître aux parlementaires que le commandant, médecin-chef Bergues, n’était
pas disposé à se rendre à une troupe irrégulière. » Selon le rapport,
les deux abbés ont déclaré le soir même que « l’attitude du sous-chef a été d’une correction parfaite. »
Reconduits jusqu’à la sortie, ils ont cependant constaté que dès qu’ils avaient
quitté l’hôpital des dispositions avaient été prises pour le défendre et que
l’alerte avait pu être donnée pour obtenir des renforts. Jusqu’alors en effet,
il n’y avait à Sainte-Anne d’Auray que le détachement de santé qui occupait le
juvénat.
D’après l’enquête, de brèves
attaques menées par des patriotes ont lieu le soir même vers 23 h autour de la Scala Sancta, mais sans résultat.
Le samedi 5, vers 6 h 30, une
colonne de plusieurs camions allemands, chargés de nombreux militaires armés, arrive
à Sainte-Anne en provenance de Pluneret. Elle est accrochée à l’entrée du bourg
par quelques coups de feu tirés par plusieurs FFI qui disparaissent aussitôt,
ce qui provoque des représailles immédiates. Un vieil homme, Stanislas Le
Louër, âgé de 74 ans, jardinier à Sainte-Anne, est massacré à coups de crosses
et sa maison incendiée. Le cadavre de Xavier Brianceau, 33 ans, rédacteur à la
préfecture de Vannes et domicilié à Sainte-Anne, sera retrouvé affreusement
mutilé dans une prairie, à proximité de la scierie Cicarec. La troupe,
commandée par un certain lieutenant Roschlau, d’après Roger Leroux, traverse
Sainte-Anne en formation de combat, se rend à l’hôpital et rafle en cours de
route tous les hommes qui circulaient. Un groupe de soldats allemands se dirige
ensuite vers la basilique mais est attaqué par des résistants, dissimulés
derrière des maisons rue de la Fontaine. Les Allemands font immédiatement
évacuer tous les hommes, femmes et enfants du quartier puis les regroupent dans
la cour de l’hôpital. Lors de cette embuscade, Mme Augustine Henry, veuve
Guégant, 64 ans, réfugiée de Lorient, est tuée d’une balle dans le dos et deux
immeubles de la rue sont incendiés. Au même moment, les soldats qui avaient
cerné la basilique et le petit séminaire font feu dans toutes les directions
pour en interdire la sortie. Ceux qui avaient pénétré dans l’édifice font
également usage de leurs armes (Des traces de balles seront longtemps visibles
à la sacristie et dans les couloirs du séminaire). L’office interrompu, les
religieux sont immédiatement rassemblés
puis conduits sous la menace des armes dans la cour de l’hôpital où se
trouvaient déjà les civils, bras en l’air face au mur qui longe la route de
Brec’h.
La rafle terminée, le
médecin-chef Ernst Bergues se présente dans la cour, accompagné de quelques
militaires et d’une interprète, Madeleine Heit. Aussitôt, Bergues demande après
les abbés Le Barh et Allanic. Il ne semble pas les connaître puisque c’est
Madeleine Heit qui les désigne. Sortis du rang, ils sont brièvement interrogés
sur leur intervention de la veille. Conduits un peu à l’écart des autres
prisonniers, une vingtaine, l’abbé Louis Allanic, 57 ans, né à Lignol, et
l’abbé Joseph Le Barh, 48 ans, né à Pluvigner, sont immédiatement abattus d’une
double rafale mitraillettes suivie de deux coups de grâce. Pendant ce temps,
les Allemands s’organisent pour évacuer l’hôpital car les Américains ne sont
plus qu’à quelques kilomètres de Sainte-Anne. Laissant les prisonniers face au
mur, le convoi prend se replie sur la poche de Lorient, non sans qu’un soldat,
au moment du départ d’une des dernière voiture, balance une grenade par-dessus
le mur de clôture, blessant les professeurs Caudal, Bouchet, Derian et Le
Bourhis ; tous du petit séminaire. Auparavant, deux autres soldats allemands,
descendus d’une des voitures sur l’esplanade de la basilique avec des seaux
d’essence, mettent le feu aux stalles des chœurs, ainsi qu’aux bancs et aux
confessionnaux. L’alerte donnée dès leur départ va heureusement permettre de
circonscrire les sinistres.
Ernst Bergues et son épouse |
La reddition de ce Lazaret, avec sa faible garnison, présentait-elle
un intérêt militaire stratégique ? N’eut-il pas été plus sage d’attendre
l’arrivée des colonnes blindées américaines qui étaient proches ? Quoi
qu’il en soit, cette initiative du commandant Le Garrec, de proposer au
Médecin-chef du Lazaret de se
constituer prisonnier afin d’éviter des combats inutiles, partait certainement d’une
bonne intention, mais force est de constater qu’elle avait peu de chance d’aboutir,
tant il était probable qu’un officier supérieur allemand répugnerait à déposer
les armes pour se rendre à un « terroriste », fut-il commandant FFI.
En effet, le même jour, à quelques kilomètres de là, un clerc de notaire,
Eugène Pillet, est également missionné pour aller au château d’Éreck, en
Questembert, afin de remettre aux Allemands qui s’y trouvent une sommation de
se rendre. Arrêté, Pillet sera fusillé dans la soirée au lieu dit « Le
Rosier » en Péaule.
Luchmann |
Comme souvent, dans ces enquêtes
sur les crimes de guerre, il ne sera pas simple d’identifier les coupables et
d’établir les responsabilités de chacun. La tache sera d’autant plus difficile
que les suspects, s’ils n’ont pas pris la fuite vers l’Allemagne, doivent se
trouver dans la poche de Lorient qui, à cette date, n’est toujours pas libérée.
D’après le rapport des gendarmes, il ressort clairement qu’Ernst Bergues est le
principal responsable des toutes ces atrocités. Deux autres allemands, les
officiers Reckitt et Luchmann, inspecteurs au ravitaillement, sont également
impliqués. Karl Strobl, qui faisait partie de l’état-major du Lazaret, aurait également joué un rôle
important « Pendant l’occupation il
s’est fait remarqué à Sainte-Anne par sa nervosité et sa méchanceté envers les
Français. » Cité également dans le rapport, un certain Bauer, officier
SS « Pur nazi, il était fréquemment en civil. Il a été
atteint d’une paralysie faciale et il en porte les traces. » D’après une interprète de
nationalité belge, Yvonne Libricht, le docteur Rainer, témoin des faits, serait
susceptible de fournir toutes les indications nécessaires. Le docteur Jules Tinschert aurait également
participé à ces crimes. L’interprète Madeleine Heit était d’origine alsacienne
« Il a été constaté qu’elle avait
des idées nettement allemande. Sa part de responsabilité n’a pu être définie.
Personne ne peut affirmer si elle a été arrêtée et remise aux autorités
américaines. Il semble plutôt qu’elle se trouverait à Lorient où sont également
les principaux auteurs des faits relatés. C’est également l’avis des employés
de la Mairie de Lorient repliés à Auray qui la connaissent parfaitement. »
Et le rapport de conclure « Malgré
les recherches effectuées, il n’a pas été possible de savoir quel était le
nombre exact des militaires qui participaient à ces crimes ni à quelle unité
ils appartenaient. Il s’agissait d’une unité appelée en renfort par le
Médecin-Chef Bergues. » D’après Roger Leroux, Karl Strobl, surnommé
« Pistol », sera condamné à Paris à 5 ans de travaux forcés et
Roschlau aux travaux forcés à perpétuité.
(1) Roger Leroux,
Le Morbihan en guerre, p. 540
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