lundi 26 octobre 2015

Le colonel de La Rocque en Bretagne


Dans le chaos politique des années trente, le Parti Social Français (PSF) va connaitre un développement exceptionnel, au point de devenir le premier parti de masse de la droite française, avec des effectifs estimés à un million d’adhérents. Son existence fut pourtant brève, puisqu’il fut fondé le 7 juillet 1936 après la dissolution du mouvement des Croix-de-feu, lui-même créé en 1927 et dirigé par le colonel François de La Rocque. Le PSF sera interdit au mois d’août 1940 en zone occupée.

« Bretagne ! viens au P.S.F. »
Dans une Bretagne profondément catholique et majoritairement rurale, qui peine à se remettre de la saignée humaine de la Première Guerre mondiale, le PSF s’est implanté avec un certain succès. En effet, Jean-Paul Thomas estime à plus de 10 000 les adhérents du Finistère et de la Loire-Inférieure, entre 5 et 10 000 ceux des Côtes-du-Nord et d’Ille-et-Vilaine, puis entre 3 et 5 000 ceux du Morbihan (1). Cet ancrage, particulièrement visible dans le
Finistère, se vérifie en lisant La Volonté Bretonne, le périodique des sections bretonnes du PSF, qui a son siège à Brest. « L’Organe de Réconciliation Française » ne manque d’ailleurs pas de rappeler les origines du chef, né à Lorient « La Rocque, breton par la naissance, les ancêtres, l’esprit, ne craint pas de répéter, à ceux qui le suivent, que la doctrine du PSF est la transposition moderne et puissante de l’Évangile ». Dans ce Nord-Finistère, déjà largement labouré par les « Chemises vertes » d’Henri Dorgères et les « Cultivateurs-cultivants » des abbés démocrates de L’Ouest-Éclair, se distingue également à Landerneau par son activisme débordant un certain commandant de réserve Leclerc, officier de la Légion d’honneur, bon orateur et délégué régional du parti « On ne remercie pas Leclerc, on l’admire ».
 
L’originalité du PSF tient au fait qu’il se veut un parti de masse rassembleur « Aussi éloigné des deux idéologies qui mettent le monde à feu et à sang que du conservatisme rétrograde et du libéralisme économique qui ne profitent qu’aux trusts, le PSF et sa doctrine représentent pour notre pays, la solution moyenne, la solution du bon sens. » Ce qui distingue également le PSF des autres partis traditionnels de droite, c’est la mise en place un véritable réseau d’organisations à caractère social ou éducatif, à l’image de celles créées par la SFIO ou le PCF. C’est ainsi qu’à Rennes, le PSF organise des kermesses pour alimenter ses œuvres sociales, comme celle du 17 mars 1938, dans les salons Gaze. Des cours de conférenciers, dirigés par Me Bourrut-Lacouture, sont également proposés aux militants. C’est à Rennes que se dispute la finale de la coupe d’éloquence « La Rocque », le 10 juillet 1937. Le 28 septembre 1939, un ouvroir est organisé à la permanence du parti au 3, place du Palais, avec un appel aux adhérents non mobilisés pour apporter leur concours à « L’entraide agricole ». 
Dans le Finistère, les colonies de vacances, encadrées par les EVP (Équipes Volantes de Protection, le service d’ordre du parti) remportent un grand succès « Partir en vacances !.. Partir à la mer !.. S’évader de la grande ville pour jouir de la forte poésie du large et se laisser bronzer aux chauds rayons du soleil breton. Quelle est la petite tête d’écolier qui n’ait fait ce rêve ? Ce rêve si beau, 185 enfants P.S.F. le réalisent depuis vingt jours déjà à Pont-Croix. » 

La Rocque en Bretagne
C’est à la fin de l’année 1927 que fut créée à Paris l’association des Croix-de-feu (2). Quelques mois plus tard, le 23 mars 1928, L’Ouest-Éclair informe ses lecteurs que le commandant Tuloup (Connu des lecteurs du journal sous le pseudonyme de Guy d’Armor), a été chargé d’organiser « Une section de l’association des Croix-de-feu ». Les effectifs ne semblent pas très importants puisque les réunions se tiennent à l’hôtel de France, rue de la Monnaie. Sous l’impulsion du colonel de La Rocque le mouvement  prend de l’ampleur, notamment après la violente manifestation du 6 février 1934 à Paris. 
En Bretagne aussi il y aura quelques affrontements. Ainsi le 24 juin 1934, à l’appel du Comité de Vigilance antifasciste, une manifestation de protestation contre la tenue d’une conférence du colonel de La Rocque à Lorient va dégénérer en véritable émeute. Environ 1 400 manifestants vont affronter les gardes mobiles pendant plus d’une heure. Parallèlement aux Croix-de-feu, se créé à Rennes en 1927 une section de la ligue d’extrême droite des Jeunesses Patriotes, avec de jeunes anciens combattants comme Villebrun, Sordet, Bourrut-Lacouture. Le 29 mars 1936, quelques mois avant la dissolution des Croix-de-feu, et pendant qu’un millier de personnes assistent au meeting du Front Populaire sous les halles des Lices, 1 500 adhérents et sympathisants se réunissent dans le vaste hall des garages Tomine, avenue du Gué-de-Baud.
Peu de temps après la dissolution des Croix-de-feu – qui fait suite au décret du 18 juin 1936 – le colonel de La Rocque fonde donc le PSF, le 7 juillet 1936. Quelques mois plus tard, 23 octobre 1936, une permanence est ouverte quai Lamennais à Rennes. Le 13 novembre, face à l’afflux des adhésions, une réunion constitutive de la section de Rennes se tient devant plus de 800 adhérents et sympathisants, rue Poullain-Duparc, sous la présidence de M. Villebrun, président de la Chambre Nationale du Commerce de l’Automobile. Les réunions de propagande sont toujours aussi agitées. Le 13 décembre 1936, à Ploërmel, on en vient aux mains et les chaises volent. Le 4 avril 1937, le préfet d’Ille-et-Vilaine, craignant des troubles, interdit la tenue d’un congrès régional prévu à Rennes le 11 avril. Le préfet considère en effet que le banquet, qui devait être servi au garage Tomine : « Se trouve près de la Vilaine, circonstance de nature à rendre plus graves les incidents susceptibles de se produire ». Même constat pour le meeting, prévu au stade municipal de la rue Alphonse Guérin : « Le terrain n’est entouré que de palissades peu élevées, faciles à franchir ».
Finalement, le PSF se repliera dans le parc du château d’Andrée Récipon à Laillé. La Volonté Bretonne annoncera 40 000 participants. La réalité est plutôt dans l’article de L’Ouest-Éclair qui dénombre quand même 6 100 voitures et 90 autocars, soit 27 000 personnes. Quoi qu’il en soit de la réalité des chiffres, c’est un incontestable succès « Tout se passera dans l’ordre, le calme et la discipline ». Les responsables régionaux du PSF : René Villebrun, président de la section de Rennes ; l’avocat Bourrut-Lacouture ; Louis Oberthur, maire de Monterfil ; Eugène Leclerc, Président régional, entourent le colonel de La Rocque. « Et tous, la manifestation terminée, prirent le chemin du retour, Rennes sans doute a retenu un instant ces pèlerins et ces curieux. Disons le tout de suite, Laillé s’est montré accueillant. Mais combien le commerce rennais aurait pu profiter de cette affluence », regrettera L’Ouest-Éclair. Le 12 juillet 1937, ce sont 1 500 adhérents qui se réunissent aux garages Tomine pour écouter Vallin, directeur général de la propagande, avant la remise de la coupe La Rocque du concours d’éloquence. 

Du bruit dans Landerneau
François de La Rocque revient en Bretagne le 24 janvier 1938, pour le baptême du quatorzième enfant d’Eugène Leclerc, dont il est le parrain. Arrivé discrètement par le train de Paris, le colonel est accueilli sur les quais de la gare de Brest par Leclerc, puis emmené en voiture à Landerneau pour la cérémonie religieuse à laquelle assiste une centaine d’invités. La surprise est générale car personne n’avait été mis au courant. Ce qui se déroule ensuite tient plus de la manifestation politique que d’une cérémonie familiale. En effet, après l’église, le colonel de La Rocque déambule dans les rues de Landerneau en compagnie de nombreux militants. Le cortège, qui ne passe pas inaperçu, se rend à l’hôtel de Bretagne, où un banquet d’au moins 350 invités est prévu pour 18 heures. Le début du repas se passe sans incident. La Rocque félicite le commandant Leclerc d’avoir donné son propre prénom à sa fille. 

C’est une heure plus tard, d’après La Dépêche de Brest, que les choses se gâtent « Á l’arrivée du 1er train ouvrier de 18H30 rapidement le bruit circule que La Rocque est à l’hôtel de Bretagne. Des cris de « La Rocque au poteau » se font entendre et l’ « Internationale » retentit. Il y a là 60 à 80 manifestants qui décident d’attendre le second train ouvrier qui arrive 20 mn plus tard. Le groupe de manifestants augmente à cette arrivée d’un nombre à peu près égal d’ouvriers de l’arsenal. » Un autocar, chargé de militants brestois d’extrême gauche arrive aussi en renfort. 
Les manifestants invectivent les convives et lancent des pierres sur les vitres de l’hôtel. Les militants du PSF répliquent en jetant des verres par les fenêtres. Vers 21 H 30, le colonel de La Rocque doit être exfiltré sous les huées vers la gare par une cinquantaine de militants du PSF, qui auront bien du mal à le hisser dans le train.
Remis de ses émotions, le commandant Leclerc retrouve le colonel de La Rocque le 28 janvier 1938, pour un meeting au Vèl’ d’Hiv’. Le 29 juin 1938, La Rocque est de nouveau à Rennes devant 3 000 personnes, toujours aux garages Tomine. Le 11 décembre, les deux hommes sont à Josselin. Les réunions vont ainsi se succéder jusqu’au déclenchement des hostilités de la Seconde Guerre Mondiale avec l’interdiction du PSF en zone occupée au mois d’août 1940.

Des Croix-de-feu aux Croix de Lorraine
Parmi ces Croix-de-feu « Quelques-uns firent fausse route, plus souvent dans le pétainisme que dans la collaboration idéologique ».  On les retrouvera donc sans surprise dans l’association « Les Amis du Maréchal », présidée par Me Chapelet, également membre du Rassemblement National Populaire. Cet avocat rennais rejoindra pourtant la Résistance en 1943. Arrêté par les Allemands, il sera déporté à Buchenwald. Moins glorieuse sera l’attitude des notables rennais du PSF, notamment celle des chefs d’entreprise, qui trouveront plus profitable d’adhérer au groupe « Collaboration ».
On sait ce qu’il adviendra du colonel de La Rocque, plus maréchaliste que vichyste, sous l’occupation ; son arrestation par la Gestapo le 9 mars 1943, puis sa déportation. Ce n’est pas le seul exemple d’anciens du PSF à choisir le camp de la Résistance. Les Allemands n’étaient pas encore arrivés en Bretagne que René Gallais, gardien du château de Fougères, avec sa famille, cache les armes abandonnées par l’armée française en déroute avec l’intention de s’en servir plus tard contre l’envahisseur.
Progressivement, va se mettre en place le « Groupe Gallais », d’une cinquantaine de patriotes, chargés de cacher ces armes. Au mois d’août 1941, lors d’un diner chez des amis, René Gallais rencontre Albert Chodet, ancien officier de la Première Guerre Mondiale et membre du mouvement de résistance « Ceux de la Libération » (CDLL), qui le persuade de rejoindre CDLL avec son groupe. Cela n’a rien du hasard lorsque l’on sait que ce mouvement a été fondé par Maurice Ripoche, pilote de chasse, ancien des Croix-de-feu et du PSF, comme René Gallais. Ripoche recrute essentiellement dans les milieux de droite, voire d’extrême-droite et parmi les officiers d’aviation. Infiltré par un jeune couple agents des Allemands, le groupe Gallais sera totalement décimé à la suite d’une rafle effectuée le 9 octobre 1941. Le bilan sera très lourd avec une cinquantaine d’arrestation, quatorze déportés dont huit hommes qui seront décapités le 21 septembre 1943 (3). Le même sort sera réservé à Maurice Ripoche au mois de juillet 1944.
Dernier exemple, également significatif d’un engagement précoce dans la Résistance, celui de Mlle Récipon, infirmière lors de la Première Guerre mondiale. Andrée Récipon avait accueilli le congrès du PSF sur sa propriété de Laillé. C’est dans ce même château qu’elle cachera des fugitifs et aviateurs alliés dès 1940. Membre du mouvement Libé-Nord, elle est recherchée par les Allemands et doit quitter la région en novembre 1943. Les réfugiés et réfractaires au STO de Laillé sont alors évacués chez sa sœur au château de La Roche-Giffard dans la forêt de Teillay où va se constituer un maquis. Réfugiée dans la région lyonnaise, Andrée Récipon continuera son combat jusqu'à la Libération.
En Basse-Bretagne, il ne fait pas bon avoir été Croix-de-feu ou PSF avant-guerre. Dans les Côtes-du-Nord, François Touche, maire de Trélévern, ancien membre du PSF et proche du commandant Leclerc, après avoir reçu des menaces de la part des FTP en 1943, sera retrouvé le corps criblé de balles le 25 janvier 1944. Le chef cantonal du PSF à Brest, M. Brannelec, échappe à son tour à un attentat. De son côté, le jeune Édouard Leclerc « Elevé dans un milieu où l’on parlait beaucoup de politique, le père était avant-guerre un fervent militant du PSF, le fils en a subit l’influence et très tôt ses sympathies sont allées vers l’Allemagne dont il ne cachait pas de souhaiter la victoire afin d’abattre le communisme. Moralité et renseignements excellents sur les parents, mais père très sévère. Commandant de réserve, Officier Légion d’Honneur » (4), sentant la vie de son père menacée, cherche à se procurer une arme afin de le protéger.


1. Jean-Paul Thomas, « Les effectifs du Parti Social Français », revue Vingtième Siècle, N° 62, 1999.
2. « Les froides queues du colonel de la Loque », comme allait les appeler plus tard Lucien Rebatet.
3. J’ai consacré un chapitre à l’histoire du groupe Gallais dans mon ouvrage « Agents du Reich en Bretagne »
4. Demande d'enquête du sous-préfet de Brest au chef des RG de Brest, 3 octobre 1944.

vendredi 16 octobre 2015

La collaboration à Rennes


La collaboration politique
Quatre jours après l’arrivée des Allemands, un Rennais fait une discrète entrée en ville et prend possession d’une villa réquisitionnée au 20, rue Waldeck-Rousseau, où il installe sa garde rapprochée. Il s’agit de Fransez Debauvais, le chef du Parti National Breton (PNB), réfugié en Allemagne après la dissolution du parti par Daladier en 1939. Situation inédite, dans une ville occupée, d’un nationaliste condamné à mort pour trahison, ramenant dans les fourgons nazis une centaine de prisonniers bretons libérés des stalags par les Allemands. Pour l’heure, Debauvais ne doute pas un seul instant que le Reich victorieux va accorder son indépendance à la Bretagne. On sait ce qu’il en adviendra après l’entrevue de Montoire du 24 octobre 1940. Pétain entrant « dans la voie de la collaboration », Hitler n’avait plus aucun intérêt à remettre en cause l’unité territoriale française.
Archives de Rennes
En cette première année d’occupation, il y a bien quelques actes isolés de résistance, mais ils sont rares et vite réprimés. Marcel Brossier sera le premier patriote rennais fusillé à la Maltière, le 17 septembre 1940. Globalement, la population est plutôt pétainiste, ce qui n’implique évidemment pas une adhésion au national-socialisme. Pratiquement tous les partis collaborationnistes autorisés par les Allemands en zone occupée ont une permanence dans la capitale bretonne, devenue préfecture de région et siège d’une importante administration de guerre allemande. Combien de personnes, que l’on désignera plus tard sous le terme de « collabos », vont franchir le pas d’une adhésion ? Des fiches individuelles, établies par la police de Vichy en 1943, permettent de se faire une idée assez précise de la réalité de la collaboration à Rennes et en Ille-et-Vilaine. Encore qu’à cette date, bon nombre d’adhérents, sentant le vent tourner, ont déjà démissionné.
Sur le spectre des partis collaborationnistes, le Parti National Breton occupe assurément une place à part. Convaincu que la Bretagne finira bien par trouver sa place dans « L’Europe nouvelle », les nationalistes bretons vont développer leur propagande anti-vichyste sous la bienveillante protection des autorités d’occupation. 
Bagadoù Stourm, 11 décembre 1941, Kerfeuteun
C’est le premier parti autorisé par les Allemands à Rennes. Dès juillet 1940, son journal L’Heure Bretonne s’affiche au premier étage de l’immeuble situé à l’angle de la rue d’Estrées et de la place de la Mairie, qui deviendra place du Maréchal Pétain le 22 janvier 1941. Le siège régional occupe de vastes bureaux quai Lamartine, alors que la permanence départementale est située au 4, rue de Toulouse. D’après les fiches de police, le PNB compte 206 adhérents en Ille-et-Vilaine, sans compter les sympathisants.
Nous disposons d'un fichier très précis de 3 000 abonnés à L'Heure Bretonne. Le parti dispose également d’un mouvement de jeunesse d’une centaine de membres : les « Bagadoù Stourm », reconnaissables à leurs uniformes noirs et cravates blanches.
Autre spécificité rennaise, la forte présence du groupe Collaboration, dont L’Ouest-Éclair du 15 novembre 1941 annonce l’ouverture d’une permanence au 4, rue Du Guesclin, suivie d’une conférence donnée par Alphonse de Châteaubriant au Théâtre municipal : « Devant une salle comble, l’orateur souligne les nécessités du rapprochement franco-allemand. Dans la salle, on remarque le préfet et Bahon-Rault, conseiller national, président de la Chambre de commerce ». Il ne s’agit pas d’un parti politique à proprement parlé et la double appartenance est fréquente. Le recrutement du groupe est nettement élitiste : Pierre Sordet, directeur de « L’Économique » ; René Guillemot, des « Nouvelles Galeries » ; Pierre Arthur, de L’Ouest-Éclair ; le peintre Louis Garin, etc. La section économique de Collaboration permet en effet de très juteux contacts commerciaux avec les Allemands. Parmi les 304 adhérents, on trouve également de nombreux commerçants, souvent en situation de dépendance à l’égard de l’occupant. 
Le groupe dispose de sa section de jeunesse d’une cinquantaine de membres : « Les Jeunes de l’Europe Nouvelle », parmi lesquels on remarque le jeune lycéen Christian J. Guyonvarc’h, qui rejoindra la Bezen Perrot, et sa future épouse Françoise Leroux.
L’époque est aux « Partis uniques et chefs suprêmes ». Ceux-ci ont tous pignon sur rue, le plus souvent dans un local « aryanisé ». Le Rassemblement National Populaire, dont les bureaux sont situés au 1, quai Lamennais, est bien implanté en ville avec 143 adhérents d’après les fiches de police. Un autre fichier, retrouvé au siège du parti à la Libération indiquera 335 membres pour l’Ille-et-Vilaine. À l’image de son chef Marcel Déat – un normalien, ancien député de la SFIO issu de la petite bourgeoisie républicaine – le RNP recrute surtout parmi les fonctionnaires, employés ou enseignants. 

Camp des JNP
Le parti dispose également d’une section d’environ 70 jeunes : « Les Jeunesses Nationales Populaires ».
Moins implanté à Rennes, le Parti Populaire Français (PPF) de Jacques Doriot, tient permanence au 6, rue Du Guesclin. La police a établi 114 fiches, dont une bonne partie sur Saint-Malo. Cultivant le culte du chef d’un « pays totalitaire », plus actif que le RNP, le PPF séduit les jeunes, mais aussi les classes moyennes avec aussi bien d’anciens militants du PCF que de l’Action Française. Passant ses vacances au Val-André, le « Grand Jacques » a la sympathie des autonomistes, auxquels il assure que la Bretagne aura sa place « Dans un France fédéraliste au sein d’une Europe fédérale ».
On retrouve pratiquement le même effectif, avec 111 fiches de police, pour Le Francisme, dont le chef Marcel Bucard vient en personne inaugurer la « Maison bleue », située au 13, rue du Chapitre. Sorte d’avatar d’un fascisme mussolinien, le Francisme va progressivement recruter parmi les milieux marginaux pour constituer son groupe la « Main bleue », réputé pour sa violence. Son chef local, Paul Gallas, sera finalement abattu par la Résistance. Le Francisme dispose également de deux sections de jeunesse d’une centaine d’éléments : « Les Chemises bleues ».
Peu implanté, avec 52 adhérents fichés, dont une moitié sur Dinard, ville d’origine de Raymond du Perron de Maurin, chef départemental et délégué aux affaires juives, le Mouvement Social Révolutionnaire (MSR) trouve quand même les moyens de disposer d’un bureau au 8, quai Émile Zola.
En l’absence de toute perspective électorale, l’activité de ces partis est assez restreinte. Les manifestations sur la voie publique sont interdites et les réunions, soumises à l’autorisation des autorités d’occupation, doivent se tenir dans des locaux privés. Hors de question d’y entonner La Marseillaise ou de brandir le drapeau national. Reste les conférences. Elles n’ont jamais été aussi nombreuses. Celle donnée le 19 avril 1942 par Doriot de retour du front russe, rassemble plus de mille personnes au Théâtre municipal. On organise également des concerts et autres galas de bienfaisance en faveur des prisonniers. Les bombardements de l’aviation anglaise sont également l’occasion d’une intense propagande anglophobe, complaisamment relayée par L’Ouest-Éclair. De la collaboration à la délation, le pas est vite franchi. Ainsi ce groupe « La Rose des Vents », dont la police a fiché une trentaine de membres sur Rennes. Cette appellation fait référence à l’émission éponyme, diffusée chaque jour sur le poste Radio-Paris. Les lettres de dénonciation envoyées par les auditeurs sont lues à l’antenne par l’animateur Robert Peyronnet, qui les transmet ensuite à la Gestapo, au Commissariat aux questions juives ou à la Milice.
Ainsi donc, si l’on fait le décompte de ces fiches, ce sont environ 1 200 personnes qui ont fait le choix d’adhérer à un parti collaborationniste en Ille-et-Vilaine. Ces chiffres ne tiennent évidemment pas compte de tous les anonymes se contentant de soutenir discrètement ces mouvements en contrepartie d’une faveur ou d’une intervention auprès de l’occupant. Maréchalistes en 1941, ils seront attentistes l’année suivante…
Carte réalisée par Nicolas Fleurance, Archives de Rennes.
La collaboration armée
Meeting de la LVF, salle Wagram, 25 juin 1943.
Aux « collabos » impatients d’en découdre avec les bolcheviques, le déclenchement de l’offensive allemande contre l’URSS, le 22 juin 1941, offre la possibilité de s’engager dans la Légion des Volontaires Français (LVF). Une officine de recrutement est bien ouverte au 9, rue Nationale, mais les candidats ne se bousculent pas. Un « Comité des Amis de la Légion » est même constitué avec les docteurs Tizon, Perquis, Massot et l’avocat Perdriel-Vaissière.
Les plus téméraires, tentés par l’uniforme allemand, peuvent s’engager dans la Waffen-SS, qui ouvre un bureau de recrutement au 27, boulevard de la Liberté. Ceux que la discipline militaire rebute peuvent combattre localement « le communisme, le gaullo-swing et la juiverie maçonnique », en s’adressant au Comité d’action antibolchevique, dont L’Ouest-Éclair précise qu’il n’est pas un parti politique mais un « Groupe d’action », situé au 24, rue de la Chalotais.


Ces permanences avec vitrines sur rue sont particulièrement visées par la Résistance. Le 28 septembre 1941, un attentat détruit le premier local du Francisme au 55, boulevard de la Tour-d’Auvergne. Lors de sa conférence au Théâtre, une grenade lancée contre Doriot explose sans l’atteindre. Le 3 juin 1942, un autre attentat à l’explosif provoque de gros dégâts à la LVF. Puis c’est au tour du bureau de la Waffen-SS, boulevard de la Liberté. Le 19 mars 1944 une bombe est déposée dans les locaux du Francisme, rue du Chapitre. Le 31 mars 1944, c’est le RNP qui est visé, puis à nouveau la LVF, rue Nationale, le 28 avril 1944.
Le tournant décisif se produit le 8 novembre 1942, avec le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, suivi de l’occupation de la zone sud par les Allemands. Mieux organisée, la Résistance monte en puissance. Jusqu’à présent, la lutte contre les « terroristes » était du ressort de la « Geheime Feldpolizei »(GFP), police de sûreté de la Wehrmacht, installée rue de Robien. Au mois d’avril 1942, celle-ci se voit retirer ses pouvoirs de police au profit de Karl Oberg, chef des SS en France. 
SD de Rennes. Cité des étudiantes rue Jules Ferry. de gauche à droite : Anton, Schmerling, Breuer, Klein, Schreier.
Le « Sicherheitspolizei » (SD) « Service de la sécurité » de la SS, qui disposait d'un poste au 92, rue de Fougères depuis 1941, s’installe désormais à la Maison des étudiantes, rue Jules Ferry. Souvent confondu avec la Gestapo, dont il n’a rien à envier question « méthodes de travail », le SIPO-SD est d’une redoutable efficacité (J'ai identifié 128 policiers allemands et 16 femmes interprètes pour la Bretagne, dont 64 hommes et 12 femmes à Rennes) et dispose d’un vaste réseau d’indicateurs et d’agents chargés d’infiltrer les mouvements de résistance. On estime à 2 000, le nombre de résistants arrêtés ou déportés par le SD en Bretagne (1).  
Ajouté le 13 novembre 2017 :

Bruxelles, 16 novembre 1945. Interrogatoire de Marie-Thérèse Honorez, 24 ans, née à Koekelberg (Belgique). Réfugiée à Rennes lors de l'exode, Honorez s'adresse à la Kommandantur en 1940 pour se faire rapatrier. Comme elle parlait parfaitement l'allemand, elle a été embauchée comme interprète. Elle intègre ensuite le SD de Rennes et devient le maîtresse d’Adolf Breuer, 31 ans, originaire de Cologne, adjudant du SD de Rennes (section IV), parlant couramment le français et même l’argot, considéré comme un des meilleurs policiers du SD. C'est lui qui enquêta sur l'affaire Hervé en 1942 qui avait permis de découvrir tous les auteurs des attentats et sabotages de Rennes, fusillés à la Maltière le 30 décembre 1942. Le couple a pris la fuite et a été arrêté à Bruxelles. Sachant qu’il allait être extradé pour crimes de guerre, Breuer va se suicider dans sa cellule.

Q - Que signifie l’indicatif S.R. suivi d’un nombre ?

R - Les lettres S.R. signifient Sicherheistpolizei de Rennes et le nombre forme le numéro de l’agent. Pour Rennes tous les nombres commencent par le chiffre 1, pour Saint-Brieuc 2, pour Brest 3, pour Quimper 4, pour Vannes 5, et pour Pontivy 6.

Q – Que savez-vous d’Hémon Ropartz bien Ropartz, titulaire de l’indicatif S.R. 780 ?

R – Ropartz Hémon travaillait pour la Gestapo depuis 1940 avec Grimm et Gross, il a été introduit par Yves Delaporte. Je crois qu’il faisait partie du conseil breton dénommé « Conseil des Sept ». (Honorez semble confondre les Seiz Breur et le Kuzul Meur)

Marie-Thérèse Honorez se trompe dans sa numérotation, puisque d’après Breuer : « Les numéros commençant par la centaine 7 étaient destinés aux agents de Rennes ». Breuer ajoute : « Je dois préciser cependant qu’il peut arriver qu’un N° S.R. ait été attribué à un homme qui n’a pas travaillé pour nos services comme indicateur. Ainsi, pour pouvoir rencontrer nos fournisseurs habituels, au marché noir, nous renseignions à nos chefs sous un N° S.R. bien qu’ils ne fussent pas agents indicateurs. Les ordres de Himmler interdisaient formellement aux agents du service de familiariser avec des Français. Pour pouvoir recevoir et nous rendre auprès de certains français qui nous fournissaient du beurre, du lard ou autre chose, ainsi que pour pouvoir rencontrer une maîtresse française, nous leur donnions un indicatif. Pour nos chefs, ces gens passaient pour des indicateurs, alors qu’ils ne l’étaient pas. » Il convient donc d'être très prudent dans l'exploitation de la liste des agents du SD retrouvée rue Jules Ferry. A propos de Yann Fouéré, SR 715 par exemple, Marie-Thérèse Honorez déclare : « Fouéré Yann, journaliste, n'a pas fourni de renseignements à la police mais bien à la censure allemande du quai Lammenais.»
1945, membres de la Bezen Perrot à Tubingen en Allemagne
La multiplication des actions de la Résistance – surtout après l’instauration du STO en février 1943 – a pour corollaire une implacable répression allemande. Le SD peut désormais s’appuyer sur ce qu’il convient d’appeler la « collaboration armée ». Le premier de ces groupes est la Formation Perrot, ou « Bezen Perrot » en breton, créée en décembre 1943. Les membres de cette « Bretonische Waffenverband der SS », issus pour la plupart du PNB, ont signé un engagement sous un pseudonyme dans l’armée allemande, dont ils touchent une solde, et dépendent du SD. Ces Bretons, moins d’une centaine (2), sont cantonnés dans une propriété au 19, rue Lesage, ainsi que dans un hôtel particulier situé au19, boulevard de Sévigné. 
Kristian Hamon collection privée
Dans un premier temps ils montent la garde au SD, Maison des étudiantes, où ils prennent leurs repas. Puis ils servent de supplétifs lors des rafles effectuées par les policiers du SD, n’hésitant pas à manier la cravache lors des interrogatoires pratiqués dans les caves de la Maison des étudiantes. Au printemps 1944, c’est l’escalade. Armés et revêtus de leurs uniformes Waffen-SS, ils vont participer aux pires exactions contre les maquisards et résistants bretons.
La Croix-Rouge
En janvier 1944, la Milice française de Joseph Darnand est étendue à la zone nord. Au mois d’avril, elle s’implante à Rennes. Sans grand succès, si l’on en croit une liste retrouvée à la Libération, indiquant 120 membres pour le département.
Archives de Rennes
Archives de Rennes Fonds Charles Foulon
Le bureau de recrutement est situé au 11, rue Le Bastard. Les miliciens sont cantonnés au 110 de la rue de Saint-Brieuc, au lieu-dit « La Croix-Rouge », à l'angle de la rue de Saint-Brieuc et de la route de Vezin, là où se situe une station météo du ministère de l’agriculture.

Émile Schwaller
C’est dans les caves de la maison que les miliciens, sous les ordres d’Émile Schwaller, un ancien légionnaire de sinistre réputation (Il  sera fusillé le 5 novembre 1946) torturent les résistants. Plusieurs cadavres de résistants seront découverts à proximité. Le 8 juin 1944, une
« Centaine » de la Deuxième Unité de Marche de la Franc-Garde, en provenance de Poitiers, s'installe à Rennes dans le pensionnat de la rue du Griffon, déjà occupé par un groupe de jeunes francistes. Ces miliciens, armés et en uniforme bleu-marine avec le fameux béret, sous les ordres de Di Constanzo, repartent aussitôt pour Fougères qui vient de subir un terrible bombardement allié. A leur retour, un groupe de 25 hommes, commandé par Schwaller, s'installe à la Croix-Rouge, les autres se répartissent entre le

château d'Apigné et surtout l'asile Saint-Méen, l'actuel
Jeune milicien rennais
Hôpital Psychiatrique, dont les caves servent de cellules aux patriotes arrêtés qui vont y subir les pires sévices. Des interrogatoires sont également pratiqués au restaurant champêtre d'Armenonville, route de Vezin-le-Coquet :
« Il y avait Messieurs Chausseblanche, père et fils, Leone du bourg de La Mézière, Arnoult, neveu de M. Chausseblanche, Chauvet, 28 rue Alain Bouchard à Rennes, Lemoine et son beau-père M. Busnel de La Chapelle-Chaussée. Nous avons été conduits à Rennes à l'hôtel d'Armenonville et de là, à Apigné. J'ai été interrogée une fois à Armenonville. » Déposition de la femme de Léon Busnel sur la rafle opérée par la Milice à la Mézière le 20 juillet 1944.






La Selbstschutzpolizei de Rennes.

Le 8 mai 1944, une unité de la « Selbstschutzpolizei », arrive de Paris et s’installe dans une maison réquisitionnée au 76, boulevard de la Duchesse Anne. Comme la Formation Perrot, aux côtés de laquelle elle participe aux opérations, c’est une unité allemande composée d'une douzaine de jeunes français revêtus d’un uniforme de chasseurs alpins bleu et d’un calot de la même couleur. Ils portent au bras un brassard jaune avec l'inscription « Selbstschutz ». Lors de leur fuite vers l'Allemagne, on les retrouvera à Troyes avec Le Bezen et le SD de Rennes.
Laissez passer délivré par le SD au Groupe d'Action
Le 8 juin 1944, le « Groupe d’Action pour la Justice Sociale » (sic...), une émanation du PPF, arrive à son tour. Recrutés dans les bas-fonds de la collaboration malouine par le docteur Daussat, cette quinzaine de voyous de la pire espèce prend possession d’une maison au 25, rue d’Échange (3). Ces hommes en civil sont armés et disposent de cartes de police allemande. Leur spécialité est la chasse aux réfractaires au STO et l’infiltration de la Résistance. Ce qui n’exclue pas un marché noir à grande échelle. Qualifiés de véritables « gangsters », ils sont responsables des pires atrocités commises dans le département sous l’Occupation.
Chenillette de l'US Army à Maison-Blanche
Alors que les Américains sont aux portes de la ville, à Maison-Blanche, c’est le sauve qui peut général pour les « collabos ». Les moins compromis, qui n’ont fait que « fricoter » avec l’occupant, vont essayer de se faire oublier quelque temps, puis réapparaitre lorsque la situation sera plus calme. Ceux qui ont fait le coup de feu sous l’uniforme Allemand, sachant ce qui les attend s’ils tombent aux mains de la Résistance, se regroupent le 2 août au SD où un convoi, stationné rue Jean Macé, les évacue vers l’Allemagne.

L'épuration
Commence alors la délicate période de l’épuration. Lors de sa première séance, le 10 août 1944, le Comité Départemental de la Libération (CDL) reçoit deux commissaires de police et les informe du scandale que constitue la libération prématurée de certains « collabos ». Les commissaires répondent que la maison du Cercle Paul Bert, où se faisait le tri des « collabos » a été débordée pendant trois jours. Le secrétaire du CDL, Charles Foulon, fait alors observer que : « Les circonstances sont exceptionnelles et que les arrestations doivent être maintenues lorsqu’elles ont été faites par les CLL ou des groupes de patriotes connus. Les miliciens seront écroués à Jacques Cartier plutôt qu’au quartier Margueritte d’où il est facile de s’évader. » Á propos du camp Margueritte justement, M. Becdelièvre, représentant du mouvement « Jeune République » informe la CDL que le scandale continue « Les nègres font un véritable service de correspondance. Le lieutenant Bietry ou le capitaine Mercier ferment les yeux sur ce manège. » M. Heurtier (Libé-Nord) se plaint qu’il y a autour du CDL de nombreuses fuites « Des agents auraient prévenu certaines personnes de leur arrestation imminente. »
Les affaires traitées par le CDL ne concernent pas seulement les crimes et délits perpétrés sous l’Occupation, mais aussi celles, parfois insolites, commises après la Libération. Ainsi le 11 août, on signale un café de Maurepas qui vend 30 francs le verre de vin aux soldats américains alors que les consommateurs rennais le payent 10 francs « Le CDL demande que le commerçant soit incarcéré et poursuivi ». Le CDL trouve également scandaleux que « Les paysans fassent des échanges directs de cognac et de denrées contre de l’essence fournie par les Américains » Plus étonnant, cette dame Richelot, domiciliée au 6, rue Martenot, qui a en sa possession un porc gras, des bicyclettes et un frigidaire que lui ont laissé les Allemands à leur départ « Le CDL considère que cette prise de guerre ne revient pas à Mme Richelot ». Le 23 août, c’est un « figaro » rennais, le lieutenant FFI Aubry, qui est vu en train de tondre un jeune homme, qu’il appelait un « zazou », sur la place de la Mairie « L’incident, qui causait du scandale et était interprété diversement, parait à la fois une brimade et une mascarade, surtout qu’un deuxième « zazou » était en même temps mis en demeure de s’engager sous la menace de la tondeuse. » Le général Allard s’adresse alors au CDL « Le public se plaint des FFI vrais ou faux dont l’indiscipline et les mœurs déplaisent. »
C’est sur la question de l’épuration industrielle que le CDL semble le plus impuissant, la plupart des requêtes adressées au préfet restant lettre morte. Le 28 août, le CDL demande l’épuration des chambres de commerce lorsque leurs membres ne sont pas restés patriotes « Bessec de Saint-Malo, Bahon-Rault de Rennes, pétainistes convaincus ».
Entre les industriels et négociants qui sont accusés d'avoir travaillé pour l'occupant et les commerçants qui, sans être des « pétainistes convaincus » ou partisans de la collaboration avec l'Allemagne, ont néanmoins réalisé de bonnes affaires sous l'Occupation, la tâche du CDL n'est pas simple. En cette période de restrictions de toutes sortes, être nommé répartiteur par Vichy suscite forcément des jalousies et des suspicions qui entraineront des enquêtes à la Libération. C'est le cas d'un William Bessec, Président du Syndicat de la chaussure au détail, nommé répartiteur en 1941. Chargé de la répartition des « Chaussures Nationales » le 15 juillet 1941, la vitrine de son magasin situé à l'angle des
rues de Rohan et Ferdinand Buisson est brisée le lendemain. La police constatera que rien n'a été volé. La vitrine du magasin de Saint-Malo va subir le même sort. Théodore Clanchin (que l'historien Reynald Secher essaie de nous faire passer pour un résistant) qui possède une belle affaire de collecte de beurre et d'œufs à Marcillé-Raoult, abonné à L'Heure Bretonne à la suite de sa libération d'un stalag grâce au PNB, est également nommé répartiteur départemental des œufs, puis responsable régional.
Le docteur Tannou, résistant rennais, adresse une note au CDL « M. Bonenfant, directeur d’entreprise n’a travaillé que pour les Allemands. Spécialiste des prisons, il s’est aussi révélé spécialiste du cinéma. C’est lui qui a construit le pont de Laillé, destiné à représenter la prise de Moscou. Il a gagné au moins 2 millions dans cette affaire ». Deux marchands de meubles « Ayant travaillé avec et pour les
Archives de Rennes CDL 35
Allemands : Rual et Poirier 
», font l’objet d’une enquête. Une plainte est également déposée contre la carrosserie Pelpel et la confiturerie Lorain&Letort à Messac, dont les biens sont mis sous séquestre et les dirigeants en fuite. Même cas de figure pour l’entreprise Tomine, avenue Chardonnet à Rennes, qui travaillait avec zèle pour l'occupant. Tomine prendra la fuite à la Libération avec femme et enfants dans sa traction Citroën avant de réapparaitre une fois que les choses se seront calmées. Citons également la papeterie Bonnet-Dubost, qui écopera de la plus forte amende, de même que les établissements Mayol-Arbona, négociants en fruits et légumes.
De son côté, Eugène Quessot, de la SFIO, « Pense que le clergé doit être épuré au même titre que les autres parties de la population. Le préfet pense qu’il faut songer aux conséquences ». Inutile de dire qu’il n’y aura aucune suite… M. Level, instituteur résistant, déclare que le CDL est attaqué de partout, accusé de tous les retards apportés à l’épuration, de toutes les libérations inopportunes ordonnées par les autorités judiciaires ou administratives, et qu’il conviendrait de réagir au plus tôt par la voie de la presse « Les gens ne savent pas comment nous faire parvenir des plaintes. Il est inadmissible que les collaborateurs puissent continuer encore longtemps à se promener impunis, autrement les gens finiraient par se faire justice. »
Exécution d'un traitre dans l'Enfer du Thabor
Dans un premier temps cette justice est assurée par le Tribunal militaire, qui a jugé 566 « collabos », dont 7 qui seront fusillés immédiatement. À partir du 3 novembre 1944, la justice civile prend le relais. Au mois de mars 1945, la Cour de justice d’Ille-et-Vilaine avait jugé 489 individus et la Chambre civique 988.C’est deux fois plus que dans chaque département breton.
Pourquoi cet écart ? La réponse est probablement dans cette note, rédigée par le préfet le 16 avril 1945 : « L’Ille-et-Vilaine ayant été le moins résistant des quatre départements bretons, devait être le plus inféodé au pétainisme et à la collaboration et par conséquent le plus susceptible d’épuration ».


(1) On peut s'étonner qu'aucune plaque rappelant ce qui s'est passé dans ce bâtiment ne soit apposée sur la façade.
(2) J'en ai précisément identifié 73. Certains sont cependant passés à travers les mailles du filet.
(3) Mise à jour du 20 novembre 2017. En fait j'ai mis la main sur une liste précise de trente noms.