C’est à Tarbes, où il effectue son service militaire au 12e Régiment d’Infanterie, que la guerre surprend Albert Treyture, né le 5 octobre 1893 à Orthez. Il part avec son régiment qui va être décimé dans les premiers combats de 1914, puis refondu. On lui propose alors d’entrer au 8e Génie. Malgré l’insistance de sa famille, qui lui conseille le Génie où il aurait été beaucoup moins exposé, il est incorporé au 152e R.I. car il ne veut pas quitter ses camarades, qui étaient vraiment pour lui ce que l’on appelle des frères d’armes. Le 152e est un régiment de choc de l’Est. Treyture est très fier d’appartenir à cette unité. C’est en effet le premier régiment à obtenir la fourragère rouge. Il fait plusieurs attaques avec lui et l’une des dernières est la prise de la célèbre falaise « Mangeuse d’hommes » de Hartmannswillerkopf (30 000 morts), dans les Vosges, où il est enterré vivant par l’éclatement d’un obus. Heureusement, on va le dégager, mais il est victime d’une commotion extrêmement violente et risque de perdre la vue. On craint même une cécité presque complète. Soigné à Rennes, puis à Bordeaux, il est réformé en novembre 1918 avec une invalidité à 90% et une acuité visuelle de 3 sur 10. C’est avec une volonté de fer qu’il reprend une activité de bureau rendue très pénible par la faiblesse de sa vue. La rééducation est longue et pénible. Il travaille avec des verres et à la loupe. Il écrit à sa fiancée en traçant péniblement des lettres majuscules et doit se faire lire ses lettres. Il ne lui a pas encore dit qu’il est sous la menace de devenir aveugle.
Dans cette terre du protestantisme qu’est le Béarn, Treyture suit les cultes de l’Église réformée depuis son enfance. Protestant libéral, il est profondément chrétien. Ancien combattant, Grand invalide de guerre, la défaite de 1940, puis l’Occupation, sont pour lui une véritable souffrance. Il ne peut pas rester inactif. Ce n’est pas dans son tempérament. Les années précédentes il s’était dévoué aux réfugiés espagnols, dont certains lui garderont une reconnaissance émouvante. « Tout n’est pas perdu, on peut se ressaisir », dit-il. Protestant, socialiste et franc-maçon, comme le Rennais Charles Foulon, il s’engage dans la Résistance en novembre 1941 et devient agent du 2e Bureau du mouvement Défense de la France pour l’Ille-et-Vilaine. Il est alors contrôleur principal des recettes à la poste centrale de Rennes. Avec son collègue M. Boyer, inspecteur au service technique des PTT, et quelques postiers et techniciens, ils mettent en place le groupe de résistance des PTT et installent les liaisons secrètes téléphoniques avec diverses villes de l’Ouest. Les activités sont multiples : faux papiers, détection des lettres de dénonciations, écoutes des communications allemandes, renseignements pour les maquis, etc. Treyture héberge également des responsables de la Résistance ou des agents de liaison à son domicile, 40 rue Armand Barbès. Jusque-là, tout va bien. Pourtant l’un de ses agents, se croyant traqué, doit changer de domicile.
Contrairement à leur habitude, ce mercredi 10 mai 1944, Mme Treyture et sa fille ne portent pas de messages de la Résistance lorsqu’elles se rendent chez M. et Mme Ladoumègue au 12, rue de Châteaudun, qui est une boîte aux lettres de Défense de la France. Instituteur public, Maurice Ladoumègue est membre des Corps Francs Vengeance. Pour une fois, il s’agit simplement de prendre le thé. Les deux femmes ignorent que les locataires de l’appartement ont été arrêtés le matin même et l’endroit transformé en souricière. Á peine ont-elles franchi le seuil que deux agents du SD, membres du Bezen Perrot, leur braquent un revolver sous le nez et leur demandent les messages, qu’elles n’ont heureusement pas sur elles. Aussitôt arrêtées, elles sont conduites à la prison Jacques Cartier. L’organisation aurait-elle été infiltrée ? On peut le penser puisqu’une semaine auparavant, le 3 mai, madame Élie, l’épicière de la place du Calvaire, dont la boutique servait de boîte aux lettres pour Défense de la France, a été arrêtée à son domicile, quai Duguay-Trouin, où elle cachait des parachutistes alliés. Conduite au siège du SD pour y être torturée, Françoise Élie sera ensuite incarcérée à Jacques Cartier puis déportée le 3 août 1944 au camp de Ravensbrück, d’où elle reviendra. C’est parce que l’épicerie recevait un peut trop de monde qu’il avait été décidé de créer une seconde boîte aux lettres plus discrète rue de Châteaudun. Ignorant tout des arrestations opérées ce 10 mai par les Allemands, Maurice Prestaut « Patro » s’y rend à son tour. Ce résistant, toujours armé, n’est pas n’importe qui : c’est le délégué régional de Défense de la France pour la Bretagne, et à ce titre il participe à l’unification de la Résistance non communiste. Est-ce lui que les Allemands attendaient ce jour-là ? Cela ne fait aucun doute. Mais le guet-apens tendu par le SD ne se passe pas comme prévu. Sur ses gardes, Prestaut sort un revolver caché dans son béret, blesse Goulven Jacq « Le Maout » à la main et abat Auguste Le Deuff « Verdier ». C’est le premier mort du Bezen. Il sera inhumé au cimetière de l’Est avec les honneurs militaires allemands. Arrêté malgré tout, Prestaut est conduit au SD. Fous de rage après la mort de leur camarade, les membres du Bezen se déchaînent contre le résistant. « Interrogatoire très brutal de Marcel Bibé « Targaz » qui martyrisa le détenu pendant deux jours pour venger la mort de Le Deuff. Au point que les Allemands lui interdirent de pénétrer dans la pièce où se trouvait le détenu (…) On lui avait brisé une chaise sur le dos et arraché un testicule à coups de pieds. Les bourreaux sont connus : Ange Péresse « Cocal » et Michel Chevillotte « Bleiz », ainsi que « Targaz, qui s’en vantaient. » (1) Prestaut sera fusillé le 8 juin 1944 à la caserne du Colombier. Un autre résistant, en relation avec Treyture, l’inspecteur de police Pierre Gicquel, membre du réseau « Éleuthère », est également arrêté ce jour-là chez Ladoumègue. Déporté le 28 juillet vers Neuengamme, il y décédera le 22 février 1945.
Ses amis vont tout tenter pour persuader Treyture de prendre la fuite. Mais il refuse, sachant très bien ce qu’il devait faire. Il interrompt toutes ses liaisons en envoyant le message sous son nom de guerre « Trouillard fait le mort ». Il ne veut pas laisser sa femme et sa fille aux mains du SD. Il brûle tous les papiers compromettants et attend son arrestation, qui aura lieu le 13 mai, et va réussir à faire libérer sa fille et sa femme. Il ne s’était laissé prendre que pour être sûr de les sauver. Après un séjour à Jacques Cartier, d’où il fait passer quelques messages à sa famille dans du linge, il est transféré à Compiègne le 29 juin 1944, ainsi que Maurice Ladoumègue. Son dernier message est une lettre jetée en gare de Nantes ce jour-là « L’ambiance est très bonne. Soyez courageuses. Mon seul souci serait de penser que vous puissiez être inquiètes. Je suis un vieux de la vieille et ne suis pas malheureux. Tout ça me rajeunit. Je sais que vous resterez toujours vaillantes, fortes et courageuses, quoi qu’il advienne. Merci à tous les amis qui s’intéressent à vous. Bon courage mes chéries, je vous serre toutes les deux sur mon cœur. » C’est son dernier souvenir avant d’être déporté NN le 28 juillet vers Neuengamme, où deux autres déportés rennais : Georges Heurtier et le député Aubry l’avait aperçu. Ladoumègue y décédera le 24 août 1944. Sa compagne, Antoinette Lanusse, arrêtée le 19 mai puis déportée à Ravensbrück, sera libérée le 9 avril 1945. De Neuengamme, Treyture est transféré au Kommando de Drutte, au sud de Brunswick. Il décédera du typhus le 10 mai 1945 à Bergen-Belsen. Les Anglais ayant créé une zone de protection sanitaire, il n’avait pu être soigné à temps.
1
- ADIV 213W63. Interrogatoire de Raymond Magrez « Coquet ». 8 août
1945.