Thérèse Pierre, née en 1908 à Epernay, était une jeune professeure de son temps avec de fortes convictions politiques dans ce maëlstrom des années trente. Militante communiste, elle s'était rendue en URSS avec sa compagne en 1935. Elle militait pour le soutien au combat des Républicains espagnols, en plus de ses activités syndicales dans l'enseignement. Féministe, pacifiste, elle était également engagée dans le Comité des femmes contre la guerre et fascisme. Expulsée de sa région natale lors de la campagne de France en 1940, elle est mutée en Bretagne où elle reprend ses activités politiques. Aumois d'octobre 1942, elle est nommée professeure à l'EPS de Fougères où elle prend immédiatement en charge la propagande du Front National, sous les ordres du chef FTP "Loulou" Pétri. Sous le pseudo "Madeleine" elle participe activement au développement des mouvements de résistance du pays de Fougères et à la fabrication de faux papiers pour les réfractaires au STO. Elle était auparavant en poste à Redon, aux côtés d'une autre collègue résistante, Melle Jan : "J'avais bien reçu la visite de Thérèse Pierre qui enseigna quelques mois à l'EPS de Redon, elle venait de Vitré où elle avait eu comme collègue une de mes amies qui lui avait conseillé de venir me voir. Je l'ai reçue en présence de mes parents et elle ne voulut sans doute pas parler nettement. Peu de temps après, elle fut nommée à Fougères. Ce n'est qu'après sa mort que j'appris son appartenance au Front National, son martyr et sa fin héroïque à la prison de Rennes. Qui m'aurait alors dit que cette jeune fille d'apparence timide et un peu effacée, supporterait les plus cruelles tortures sans livrer un seul nom ?" (1)
Thérèse Pierre est arrêtée à son domicile, 32 rue des Prés à Fougères, le 21 octobre 1943. François Morinais, un commerçant de 39 ans, assiste à la scène : "Je me trouvais dans la salle du café tenu par ma sœur, 36 rue des Prés. Mon attention fut alors réveillée par la vue d'une voiture allemande en stationnement devant la maison et je restais aux aguets derrière la vitre. Vingt minutes plus tard, je vis Mlle Thérèse Pierre descendre la rue en compagnie d'un officier nazi qui la fit monter en voiture et referma brutalement la portière. Cela fait, l'officier se dirigea vers le bas de la rue et revint, cinq à six minutes plus tard, accompagné d'un jeune homme dont voici le signalement : âge 18 à 20 ans, taille moyenne, 1m68 tout au plus, mince corps, quoique ayant les épaules bien carrées et le buste bien droit. Figure très jeune, un peu pâle, figure plutôt ronde sans être grosse, cheveux châtains tirant sur le foncé et rejetés en arrière, costume bleu foncé. L'individu portait en outre un imperméable beige, et à la main une mallette marron de petite taille. Ce jeune homme ne paraissait pas être en état d'arrestation, il ne semblait ni inquiet ni gêné. Tandis que l'officier s'installait sur le siège avant de la voiture près du chauffeur, il ouvrit lui-même l'une des portes arrière et s'assit près de Mlle Pierre. L'automobile démarra aussitôt. Je dois préciser qu'en conduisant Mlle Pierre à la voiture, l'officier allemand la tenait par le bras droit. le jeune homme dont je vous ai parlé ci-dessus au contraire marchait librement." (2)
Madame Gaudry |
Cette arrestation survient après celle de Mme Gautry, résistante et militante féministe, directrice de l'EPS de Fougères : "Je sais que Mlle Pierre appartenait au mouvement de résistance puisque j'ai moi-même participé à ce mouvement en collaboration avec elle. J'ai été arrêtée par trois agents de la Gestapo le 14 octobre 1943. Ces personnages m'avaient été présentés quelque temps auparavant comme appartenant à l'Intelligence Service par un camarade de la Résistance qui, je le suppose, avait lui-même été trompé par les apparences. J'ai l'impression qu'il existe une corrélation entre mon arrestation et celle de Mlle Pierre. En effet, cette dernière fut appréhendée huit jours après moi. La veille de mon arrestation, elle se trouvait chez moi et je suppose que cette visite n'a pas échappé à l'attention de ceux qui me surveillaient. Au cours de mon interrogatoire, on m'a fait allusion à Mlle Pierre, pour me montrer que l'on connaissait les relations que j'entretenais avec cette personne. L'homme qui me questionnait n'a pourtant pas insisté sur ce sujet. Des individus qui m'ont arrêtée, tous paraissaient être allemands." (3)
On ne sait pas avec précision ce qu'il sait passé lors de cette fin tragique de Thérèse Pierre, sinon le récit qu'en a fait "Loulou" Pétri : " Peu de temps après Mme Gautry, elle fut arrêtée à son domicile par la Gestapo. Je garde d'elle le souvenir d'une militante active, courageuse et dévouée. Sa prudence était extrême et tous ses gestes médités. Son calvaire et sa mort ne sont pas très connus. Transférée à la prison Jacques Cartier, elle fut, dès son arrestation et jusqu'à sa mort, torturée heure par heure, battue et flagellée deux jours consécutifs. Elle restait en contact avec ses compagnons de prisons par le canal du chauffage central. Mme Lequeu, de Dol, a recueilli ses dernières paroles. Le corps entièrement meurtri, elle se traînait sur le sol de sa cellule, sanglotait, criait de douleur, répétait inlassablement : "Je ne parlerai pas… Ils ne me feront pas parler." Vers la fin de ce deuxième jour, elle prononça distinctement : "Ils n'ont rien obtenu de moi…" Le lendemain matin on la retrouva pendue aux barreaux de sa geôle avec l'un de ses bas. De toute évidence, c'était là une mise en scène allemande pour faire croire à un suicide. Mais quelle invraisemblance que, martyrisée comme elle l'était, au point de pouvoir plus marcher, elle eut la force de se pendre ! La Gestapo, en maquillant son crime de sa grossière façon, achevait de le signer. Les obsèques de Thérèse Pierre eurent lieu à la cathédrale de Rennes, où son corps fut transporté à la morgue."
Saurons nous un jour qui a dénoncé Thérèse Pierre et qui était ce jeune homme qui accompagnait l'officier du SD, malgré la description très précise faite par François Morinais ? Désireux de connaître la vérité, les parents de Thérèse Pierre, dans une lettre (non datée) adressée au Président de la Cour d'appel de Rennes, citent un certain "Frogé", d'après le témoignage du pharmacien Bouffort, membre du CDL de Fougères.
René-Yves Hervé |
Dès les tout premiers jours de l'Occupation, la Résistance s'organise à Fougères, ville de tradition ouvrière et syndicaliste, autour de la famille Gallais, dont le père est le gardien du château. Des armes sont récupérées et cachées. Le groupe Gallais va connaître une fin tragique après avoir été infiltré, dès le printemps 1941, par deux agents du SD, René-Yves Hervé et son épouse Mathilde Le Gall, qui s'étaient attiré la confiance de la famille. Le 9 octobre 1941, les Allemands procèdent à l'arrestation de 55 membres du groupe. 14 d'entre eux, hommes et femmes, sont déportés en Allemagne au mois de décembre. Le 21 septembre 1943, les hommes sont décapités à la hache à Munich. Trois femmes et un jeune résistant ont été graciés et finiront la guerre en camp de concentration. Jusqu'à la Libération, René-Yves Hervé continuera sa sinistre activité au sein du SD, pour ensuite s'engager au Bezen Perrot et prendre la fuite en Allemagne où il va refaire sa vie sous une fausse identité, épouser une allemande dont il aura une fille.
Après la chute du groupe Gallais, et la Résistance devenant de plus en plus menaçante pour les troupes d'Occupation de la région de Fougères, avec les FTP de "Loulou" Pétri qui multiplient les coups de main et sabotages, la répression allemande s'intensifie avec l'aide d'un redoutable réseau d'agents et indicateurs fougerais peux scrupuleux, dont plusieurs membres de la section locale du Parti National Breton (PNB), assurément l'une des moins recommandables du parti. Parmi ce nœud de vipères, quelques-uns figurent sur une liste intitulée "German agents in Brittany (Gestapo file)" établie par le CIC américain à partir de fiches individuelles retrouvées au siège du SD, cité des étudiantes de Rennes, avec un N° SR pour chacun. Sur un autre fichier nominatif de 24 militants actifs du PNB, établi cette fois par la police de Fougères au mois de novembre 1942, on retrouve le "Frogé" cité dans le courrier du père de Thérèse. Il s'agit en fait d'un certain Auguste Froget, 46 ans, représentant de commerce. Militant actif du PNB, il s'était engagé à la LVF pour combattre sur le front russe avant d'être arrêté par la feldgendarmerie de Fougères comme déserteur. Après un séjour à la prison Jacques Cartier, il devient agent du SD et n'hésite pas à donner un coup de main aux nervis du Groupe d'action du PPF de la rue d'Echange. Il a été vu se promener revêtu de l'uniforme allemand, probablement celui de la LVF. Il est connu pour se livrer au marché noir et au trafic d'alcool. Il a même proposé à un jeune paysan de le faire réformer du STO contre 5 000 francs et un quartier de cochon. On ne sait pas si l'affaire a été conclue. Il a pour acolyte Arthur Coquemont, né en 1915 à Fougères, lui aussi militant du PNB et agent du SD. Son père tenait un débit de boisson place Aristide Briand. Représentant de commerce, il se livre également au marché noir à grande échelle. Condamné à la peine de mort par contumace le 10 avril 1946, il est en fuite en Italie. "A Fougères il se rendait fréquemment chez Lecoq (SR 731), agent d'assurance, autonomiste en fuite, que je soupçonne fort d'être son indicateur habituel, frère du dentiste, également autonomiste. Il fréquentait Loysance (SR 762), agent d'assurance, autonomiste en fuite, indicateur de la police allemande. Fréquentait aussi Gilberte Loncle (SR 754), ex surveillante de police au commissariat de Fougères, ancienne maîtresse, à Saint-Malo, de Lelandais (SR 789), autonomiste. Enfin et surtout, il était presque toujours avec Gérald Gallais (SR 930), qui le suivait un peu comme son ombre, qu'il avait sans doute entraîné dans sa déchéance, Gérald Gallais, dont le père, la mère, la sœur, étaient déportés en Allemagne pour faits de résistance et d'où M. Gallais n'est pas revenu. Connaissait probablement Froget, récemment condamné à mort." (4)
Coquemont debout et Gallais au milieu |
Le 3 août 1944, Fougères est libérée. C'est une ville pratiquement vide de ses habitants après les bombardements alliés meurtriers du mois de juin. Au même moment, à Rennes, veille de la libération de la ville, se déroule un autre drame avec le départ du dernier convoi de déportés, dit "train de Langeais". Alors que les maquis étaient surtout une affaire d'hommes, jeunes réfractaires du STO, il ne faut pas oublier qu'avant eux, les femmes ont joué un rôle essentiel et discret dans les mouvements de résistance, réseaux de renseignement ou filière d'évasion, souvent comme agentes de liaison. En cas d'arrestation, c'était la déportation assurée en camp de concentration, avec de minces chances de retour. C'est ainsi qu'il y avait 246 femmes à bord du "train de Langeais". Cinquante-quatre ne reviendront jamais. (4) Madame Gautry faisait partie de ces déportées, en compagnie d'Angèle Deplantay, une résistante de Redon : "Nous nous arrêtons le 6 août à Langeais. Il fallait bien laisser souffler la locomotive. Les femmes de Rennes sont autorisées à descendre sur le quai, même sur le ballast très en avant étant donné la longueur du convoi, rien n'indiquait que ce train contenait des déportés. Seule, reste dans le wagon Madame Gautry, directrice de collège à Fougères. Elle ne pouvait plus se tenir debout par la suite des mauvais traitements au cours des interrogatoires ; elle avait des lésions à la colonne vertébrale." Une autre résistante rennaise, Paulette Tanguy, arrêtée avec sa mère le 20 avril 1944 dans leur hôtel du Cheval d'Or, place de la Gare à rennes, est également à bord du convoi : "Parmi les Français qui assistaient les Allemands lors de notre arrestation, il y avait un certain Le Ruyet, cheveux châtain clair frisés et portant des lunettes d'écaille. Ce Le Ruyet ressemble de façon frappante à l'individu dont vous me présentez la photo sous le nom de René-Yves Hervé. C'est Louis Maignant, actuellement hospitalisé à Pontchaillou qui nous révéla que cet individu s'appelait Le Ruyet. Ce fait est troublant car plus je regarde Hervé plus je suis persuadée qu'il faisait partie des individus qui nous avaient arrêtées. En tout cas, il parlait allemand. A la Gestapo nous fûment gardées par des individus mitraillettes au poing parmi lesquels je reconnais le jeune Gérald Gallais et le nommé Couéré." (6) Amand Couéré, né à Fougères, était un membre du PNB et agent du SD (SR 796). Joseph Le Ruyet, adhérent PNB, né en 1922 à Bubry, était assurément l'un des plus redoutables agents du SD (SR 701). Membre du groupe de Guy Vissault (SR 913) puis du Bezen Perrot, il était spécialisé dans la recherche de dépôts d'rames en s'introduisant dans les groupes de résistance. Il a livré de nombreux patriotes aux Allemands et participé aux arrestations de l'hôtel du Cheval d'Or. Il sera fusillé le 5 novembre 1946. Plutôt que Louis Maignant cité par Paulette Tanguy, il doit s'agir de Joseph Meingan, 31 ans, de Quimper, qui est effectivement hospitalisé à Rennes "J’ai été arrêté le 20 avril 44, place de la Mairie à Rennes, à ma sortie du café de Paris, rue Châteaurenault. Ceux qui m’ont arrêté sont les nommés Gellier et Le Ruyet agents de la Gestapo. Ils me conduisirent immédiatement, sous la menace de leurs revolvers à la Standortkommandantur. Après l’examen de mes papiers, je fus emmené rue Jules Ferry au siège de la Gestapo où je retrouvais mes camarades qui avaient été pris dans la rafle de l’Hôtel du Cheval d’Or. Ici nous avons subit un interrogatoire de trois jours et trois nuits, avec tortures. Le Ruyet et Gellier étaient dans les premiers à me matraquer et à me frapper. Le Ruyet s’est même fait prendre à partie par les Allemands pour sa violence. Il s’était fait mal aux mains à force de me frapper et il ne pouvait même plus écrire. J’ai également eu Hervé qui est venu m’interroger et me frapper mais beaucoup moins violement que les autres. Comme autres mauvais traitements, j’ai subi les immersions dans la baignoire et la chaise électrique. J’ai été ensuite emmené à Jacques Cartier en cellule, j’ai été déporté en Allemagne par le convoi du 2 août 44. J’ai fait successivement la prison de Belfort, les camps de Natzweiler, Dachau, les kommandos de travail de Allact et d’Haslach ; à ce dernier je suis tombé définitivement paralysé. En février 1945, j’ai été transporté au camp de repos de Weigen, où j’ai pris le typhus. C’est là que j’ai été libéré le 8 avril 1945 par les troupes françaises. Je reconnais sur la photo que vous me présentez un individu dont j’ai appris le nom à la prison Jacques Cartier le nommé Hervé fait partie de la Gestapo, et même, il y était très bien vu. Je vous ai dit qu’il m’avait interrogé une fois. Certains peuvent en effet le confondre avec Le Ruyet. Ils étaient à peu près de la même taille de la même corpulence et avaient tous deux la même face de visage et des lunettes. On peut assez facilement les prendre l’un pour l’autre. Il y a cependant entre eux une grosse différence ; Le Ruyet est très brun, Hervé est blond."
J'ignore quelles suites ont été données à la demande du père de Thérèse Pierre de surseoir à l'exécution du condamné à mort afin qu'on l'interroge sur cette affaire. Il aurait été gracié par le général de Gaulle. Auguste Froget, représentant de commerce, né le 31 mars à Janzé, est décédé le 2 janvier 1987 sur la même commune.
- (1) Fonds Pétri. 167 J. ADIV
- (2) PV du 11 octobre 1945
- (3) PV du 11 octobre 1945
- (4) Rapport de police du 30 janvier 1946. 213W60 ADIV
- (5) Il faut saluer les remarquables recherches de Jean-Claude Bourgeon sur ce convoi.
- (6) Déposition de Paulette Tanguy du 5 septembre 1945
Sur la Résistance dans le pays de Fougères, c'est au livre Visages de la Résistance de Daniel Heudré qu'il faut recourir.